Une affaire de moutons au XIIIe siècle

 

Élisabeth IMBERT, autrice

Postface : Pierre Thomé | Contributions : Gilles Avocat et René Chenal
Première édition en 2008 / Sarl Alpes Offset Peyron 05600 Guillestre

Texte téléchargeable


Élisabeth Imbert, décédée en juin 2022, est historienne de formation. Elle a été à l’origine, avec Albert Manuel, du musée et de l’association du Patrimoine à Saint-Paul-sur-Ubaye qu’elle a animés pendant seize ans. Mariée à un berger éleveur de moutons né dans une famille vivant dans le village depuis plusieurs siècles, elle est imprégnée de la culture locale depuis une soixantaine d’années. Avec ses compétences d’historienne et sa passion pour la vallée de l’Ubaye, elle a conduit une recherche approfondie pour analyser un manuscrit du Moyen-Âge relatant un procès à Saint-Paul-sur-Ubaye, et faire le lien entre passé et présent.

Ce mémoire est une reprise de la première édition en 2008, en hommage à Élisabeth Imbert et aux bergers et bergères des montagnes.

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Procès d’un conflit d’usage à Saint-Paul-sur-Ubaye (Hautes-Alpes)

Élisabeth Imbert

Introduction : un procès à Saint-Paul-sur-Ubaye en 1287

Un manuscrit, ancien document le plus connu évoquant Saint-Paul-sur-Ubaye, renseigne sur l’un des 01aspects importants de la vie de ce village au Moyen-Âge. Il s’agit d’un rouleau de parchemin de trente centimètres de large sur un peu plus de cinq mètres de long, écrit en 1287 en bas latin lors d’un procès retentissant. Propriété de la commune de Saint-Paul, il est dans un assez bon état de conservation.

Transcrit et traduit par Madame Wojciechowski, grâce à l’initiative de Madame Jacqueline Ursch, directrice des Archives Départementales de Digne, il a fait l’objet de plusieurs recherches, dont un mémoire en maîtrise d’histoire médiévale réalisé par Nicolas Portalier, université d’Aix-en-Provence en 2002.

L’étude qui suit est d’abord destinée aux habitants de ce village et aux personnes intéressées par son patrimoine et sa vie actuelle. Son but est de sortir de l’ombre ce beau document et de mettre en valeur une histoire humaine évoquant un conflit d’usage entre des paysans de Saint-Paul et des bergers venus de plus au sud. Ces derniers conduisaient un important troupeau de moutons vers les pâturages du territoire de la communauté de Saint-Paul. Cela peut sembler un incident plutôt banal, mais son importance est bien réelle puisque la Cour du Comte de Provence s’en est mêlée et beaucoup de personnes ont été amenées à se déplacer dans les difficiles conditions de l’époque pour venir témoigner.

Ce document remarquable a échappé à la destruction et a été conservé précieusement par la communauté de Saint-Paul pendant 700 ans ; il a été déposé récemment aux archives départementales des Hautes-Alpes (cote E. dépôt 193/24). Sa présentation est faite d’après le regard d’une personne qui d’abord le découvre, ensuite essaye de mieux le comprendre dans le contexte du XIIIe siècle, et enfin tente un rapprochement avec le XXIe siècle.

1. Un évènement conflictuel

Saint-Paul, 6 juin 1286 : dix-sept hommes doivent répondre d’accusations et sont à cette fin convoqués dans l’église du lieu. C’est en effet là (ligne 27 du manuscrit) que le tribunal siège. C’était le seul endroit où les habitants d’un village pouvaient, à cette époque, se réunir nombreux. Pour ce faire, une grande toile était tendue entre la nef et le chœur afin d’isoler l’espace sacré.

Ces hommes, pour la plupart paysans, prêtent serment et sont invités à s’expliquer. D’autres personnes, susceptibles d’éclairer le débat, sont également appelées à témoigner. Un notaire tient lieu de greffier. Quel drame a donc bien pu se produire pour que soient dépêchés, sur ordre de la Cour du Comte de Provence, le juge de Seyne (bourg situé entre Embrun et Digne-les-Bains) et les notaires de Barcelonnette ? (La Cour, centre administratif du Comté, est située à Aix-en-Provence).

Dans les faits, il s’agit d’une grave affaire de moutons. L’élevage ovin tient une grande place dans la vie économique et sociale de la communauté de Saint-Paul où pratiquement tout est organisé autour de cette activité d’élevage. Le long manuscrit qui résulte du procès en est un témoignage exceptionnel.

Que s’est-il réellement passé ?

Deux bergers, venus de loin, ont conduit un important troupeau de moutons vers des alpages communaux de Saint-Paul et ont été repoussés par des hommes arrivés en nombre. Ces bergers n’ont pas du tout apprécié l’accueil qui leur a été réservé et se sont plaints auprès de la Cour, car ils avaient reçu de cette dernière, et même de certains seigneurs de Saint-Paul, l’autorisation de venir faire paître sur les riches pâturages de cette communauté.

La Cour n’a pas non plus apprécié cette situation, car le Comte suzerain lève des taxes sur la transhumance, à savoir un droit de péage et le “pasquerium”, redevance importante sur les troupeaux étrangers pour droit de pacage : une brebis sur 45 (ligne 40 du manuscrit).

Les accusés, auteurs de cette violente exclusion, sont interrogés au cours de quatre audiences les 6 et 7 juin, le 29 juillet et le 3 août 1286. Les séances, en présence de nombreux témoins, sont houleuses et font aussi beaucoup écrire les trois notaires qui se relaient.

Le 7 juin, le crieur public (chargé des déclarations officielles) fait, au nom du Comte de Provence, une annonce menaçante : ceux qui désormais se hasarderont à renouveler un tel acte contre des bergers étrangers à la communauté devront payer une amende de 25 livres, ce qui est beaucoup. Les habitants de Saint-Paul ne semblent pas des plus troublés par cette annonce et ils seront une centaine à se rassembler près de l’église lors des prochaines audiences pour manifester leur opposition.

Quelles accusations portent les bergers Pierre Laydet et Raymond Marie ?

Ils expliquent qu’ils ont été fort contrariés par l’accueil qu’il leur a été fait, car ils sont venus en toute bonne foi sur le territoire de Saint-Paul avec l’autorisation de la Cour pour faire paître leur troupeau sur les alpages communaux. Ils sont donc arrivés avec leurs dix-sept “trentaines” de moutons (une trentaine représente le nombre habituel de moutons d’un troupeau familial) et là, plusieurs hommes menaçants les ont chassés par la force. Un certain Pierre Braman se serait même avancé vers eux avec une lance ! En plus, on leur a pris une brebis dégustée ensuite au domicile d’Isoard Ardoyn ! Il s’agit de « moutonner l’aver », pratique coutumière destinée à éloigner les contrevenants [1]. Ils sont repartis par le chemin qui leur a été désigné, la traverse de Tournoux. Ce chemin est pénible et ils ont été très gênés par la nuit. Bref, ces pauvres bergers, mis dans un grand embarras, se plaignent de l’important préjudice qui leur a été causé, aussi demandent-ils au juge d’être sévère.

Que répondent les accusés ?

Quarante “trentaines” de moutons, disent-ils, et non dix-sept comme affirmé par les bergers, sont venues paître sur des alpages de Saint-Paul sans autorisation de cette communauté. Ils les ont donc chassés tout en confisquant une brebis pour la déguster (ligne 80 du manuscrit). C’est de leur propre autorité qu’ils ont défendu leur territoire et leur droit. Ils affirment qu’ils ne le regrettent en rien et qu’ils recommenceront à la prochaine occasion.

Si tous plaident coupables, en ce sens qu’ils reconnaissent les faits, ils se disent également non coupables en expliquant qu’ils sont dans leur droit en faisant valoir deux raisons majeures : leur survie économique et les coutumes de la communauté :

  1. Si des brebis étrangères viennent paître sur les communaux de Saint-Paul, eux-mêmes n’auront plus assez d’herbe pour leurs propres troupeaux, c’est une question vitale. Le Comte, ajoutent-ils, serait également perdant, car si les habitants de Saint-Paul ne pouvaient plus continuer à vivre sur ce territoire, ils finiraient par le déserter et ne paieraient donc plus d’impôts.
  2. Depuis des temps immémoriaux la coutume veut que les troupeaux “étrangers” soient chassés quand leurs maîtres n’ont pas une autorisation de pâturer délivrée par la communauté de Saint-Paul. Cette autorisation n’a été ni demandée ni accordée lors de cet événement, donc il semblait légitime de s’en prendre à des intrus.

Les bergers sont-ils dans leur bon droit ?

Plusieurs constats ressortent du manuscrit :

  • Le troupeau est entré légalement selon le droit officiel de la Cour du Comte de Provence, mais sans l’autorisation de la communauté concernée.
  • Il ne s’agit pas de quelques bêtes venant de communautés limitrophes, mais d’un troupeau important originaire du sud, sa localisation exacte n’est toutefois pas indiquée.
  • Les deux bergers n’ont fait aucune mention à des précédents pour justifier leur installation sur des pâturages communaux de Saint-Paul, est-ce que cela voudrait dire qu’il n’existait pas de jurisprudence connue sur laquelle ils auraient pu se référer ?
  • Il est clair que les paysans de Saint-Paul et les deux bergers ne parlent pas le même langage, les premiers s’appuient sur un droit coutumier fort ancien et les seconds sur le droit civil défini par le Comté de Provence. Les deux se contredisant, et sans compromis possible, un recours en justice devenait indispensable.

2. La grande enquête de 1287 et le jugement

Le juge n’étant pas satisfait par les auditions des accusés et des plaignants, ordonne une enquête complémentaire “pour que sa sentence ait plein effet” précise-t-il (ligne 11 du manuscrit). Est-ce pour donner à son jugement plus de poids auprès de la Cour du Comte dont il peut craindre une réaction négative ?

Un bon avocat pour les accusés de Saint-Paul

Toujours est-il que le 11 juin 1287 Antoine Braman, avocat des accusés, s’exprime à nouveau dans l’église, en présence du notaire Jean Gaydon qui sert de greffier. Son plaidoyer, tout en faveur des agriculteurs et des maîtres de Saint-Paul, va servir de canevas à un questionnaire qui va être soumis à plusieurs témoins directs ou indirects du conflit. Les questions portent essentiellement sur les coutumes de la communauté de Saint-Paul concernant l’acceptation ou le rejet de troupeaux en transhumance : de quand datent-elles ? Qui en est garant ? Qui est habilité à gérer les alpages communaux ? Comment réagissent les habitants de Saint-Paul ?

Les témoins retenus par Antoine Braman (ligne 12 du manuscrit) sont invités à s’exprimer. Ils sont 54, de Saint Paul (14), mais aussi de Tournoux (8), du Châtelard (4), de Meyronnes (3), de Vars (24), et même un de Barcelonnette. Hormis ce dernier, tous viennent donc de communautés limitrophes.

Dans le manuscrit beaucoup de témoignages sont brièvement résumés tant ils se recoupent. Certains ont toutefois été recueillis avec plus d’attention quand il s’agit par exemple de personnalités locales influentes, tels le chevalier Albert, Ponce Cagon, notaire… Ce dernier confirme que les bergers incriminés n’ont pas demandé l’autorisation aux habitants de Saint-Paul. Si cela avait été le cas, il l’aurait su “car lui-même est du conseil” (ligne 200 du manuscrit). Il estime que la Cour du Comte de Provence et les deux bergers doivent être condamnés.

Que disent les témoins ?

Les témoignages, presque unanimes, confirment dans l’ensemble les observations d’Antoine Braman. J’évoque simplement ceux me paraissant significatifs de quelques désaccords :

  • Il ressort une impression de flou quant aux alpages communaux. Â l’exception des paysans de Saint-Paul, les témoins des communautés voisines n’ont pas connaissance de ces “biens communs. Et même Ponce André, de Saint-Paul, ne sait pas “où chacun peut amener faire paître”. Maître Albert déclare que “les pâtures communes ont toujours appartenu aux hommes de Saint-Paul” (ligne 380 du manuscrit). Il évoque “cette terre que l’on dit n’appartenir à personne, et n’avoir jamais été cultivée”.
  • Concernant les dates de début des mesures d’exclusion des troupeaux venant d’ailleurs, les réponses varient beaucoup, cela va de trois ou quatre ans pour certains, à plus de 100 ans pour Raymond Bellon de Meyronnes et Jan Assa de Vars, “Cent ans et plus” est souligné dans le manuscrit, une indication dans la marge indique l’importance de ce témoignage.
  • Arnulphe Graygola de Vars rapporte les “façons barbares” que des hommes de Saint-Paul utilisent pour chasser des troupeaux étrangers. Guillerm Chabran, également de Vars, l’aurait constaté dix ou onze fois. Le terme de “combat” entre bergers et paysans de Saint-Paul est attesté par Maître Albert de Saint-Paul, Jean Vial de Tournoux, Pierre Gaymar de Barcelonnette ; mais il est rejeté par Ponce Cagon et Giraud Robert de Saint-Paul, ce dernier déclare : “c’est inventé, comme d’habitude”. Les autres témoins n’en disent rien.

Le verdict est rendu le 17 août 1287. Le juge Giraud Ferret “ayant vu les défenses et les accusations, absout les accusés, à la suite de l’instruction” (ligne 11 du manuscrit). Les arguments des accusés et des témoins ont donc été probants et les deux bergers sont déboutés. Rassurés, les habitants de Saint-Paul restent donc décideurs de l’usage des alpages de la communauté. Le procès a été long et il est fort à parier que dans les chaumières il a été question de ces événements pendant de longs mois. Et à la Cour d’Aix-en-Provence le jugement a certainement fait l’objet de longues discussions qui vont conduire, dix ans plus tard, à l’édiction d’une Charte pour le « terroir » de Saint-Paul.

3. La Charte de 1297

Elle est conservée aux Archives Départementales des Bouches-du- Rhône. Son contenu découle des événements de Saint-Paul de 1287. En effet, par décision de la Cour d’Aix-en-Provence, un arrangement est signé avec cette communauté et il est décidé “dun échange entre le sénéchal de Provence au nom de la Cour royale et le syndict (le maire actuel) de la communauté de St-Paul du diocèse d’Embrun, par lequel le dit syndict donnera au dit sénéchal les droits que ladite communauté a aux terres et seigneuries des Gleisolles, de Tournoux et de Meyronnes. Et ledit sénéchal donne au dit syndict la faculté de ne mettre ni nourrir aucun troupeau étranger dans le terroir de St-Paul” (Cote B 403). Ainsi la communauté de Saint-Paul a obtenu, dix ans après le procès, ce à quoi elle reste très attachée : la liberté de gestion de ses alpages.

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4. L’évènement dans son contexte du XIIIe siècle

Cadre politique et économique

En cette fin du XIIIe siècle l’Occident médiéval connaît une grande prospérité économique commencée au début du XIIe siècle. Ces deux siècles sont une période d’un relatif calme politique avec la fin des invasions et sans grandes épidémies. La population s’accroît et il faut la nourrir. C’est l’époque où les agriculteurs des Alpes dessinent par leur travail les paysages que nous connaissons aujourd’hui, ils sont les “jardiniers de la montagne”. Par nécessité vitale, ils réduisent la forêt ; le bois, principale source d’énergie, est aussi l’un des matériaux de base pour l’habitat. Ils développent ainsi les surfaces de terres cultivables, souvent pentues et empierrées. Les pierres, ramassées une par une, sont entassées dans des “clapiers(clapiers paysans à distinguer des clapiers d’origine glaciaire) qui existent encore aujourd’hui. Ils creusent des canaux (biefs, béals, bisses…selon les régions) pour irriguer les champs à fourrages.

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En 1232 le Comte de Provence, Raymond Béranger, avait décidé d’affirmer son pouvoir sur le territoire de Barcelonnette en édictant une Charte. Il est difficile de savoir si la vallée de l’Ubaye avait déjà fait l’objet d’un tel projet, mais c’est, semble-t-il, avec cette Charte qu’elle est vraiment rattachée à un pouvoir centralisé. Sur quelles racines locales cette Charte se greffe-t-elle ? Comment ce pouvoir est-il ressenti : lointain, protecteur, pesant ? Il n’y a pas vraiment, à ma connaissance, suffisamment d’éléments pour répondre à ces questions. On sait cependant que les impôts locaux ont pris de l’ampleur, Charles d’Anjou successeur de Raymond Béranger en 1246, sous le nom de Charles Ier., en étant le grand promoteur.

Les impôts

Dans le manuscrit il est question de trois impôts levés par les seigneurs locaux qui se chargent de leur répartition et de leurs utilisations :

  • le pasquerium sur les moutons
  • le pasquerium sur les fromages (pasquerium de caseis), n’existait plus en 1287.
  • les droits de péage : les bergers “fautifs” avaient dû s’en acquitter.

Le Comte étant seigneur local, participe à cette répartition. Suzerain de toute la Provence, il est aussi détenteur du “majus dominium”, c’est-à-dire le pouvoir de décider de la justice, de l’armée, de la circulation des personnes et des biens ; à ce titre, il perçoit donc des taxes supplémentaires et fait appliquer des obligations :

  • la queste : impôt direct (équivalent de la taille, en vigueur jusqu’à la Révolution),
  • le fruit des amendes de haute justice,
  • la cavalcade : obligation de fournir des hommes pour l’armée,
  • l’albergue : obligation de loger et nourrir les troupes du roi.

La population de Saint-Paul au XIIIe siècle

On peut se faire une idée approximative de la population de Saint-Paul à partir du nombre de foyers fiscaux ou feux. En 1319, 192 feux payaient la queste. Sur une base vraisemblable de quatre personnes par foyer fiscal, on obtient 770 habitants, auxquels il faut ajouter les feux non soumis à cet impôt (feux d’albergue et pauvres). On parvient ainsi à une estimation entre 1 000 et 1 500 habitants (les paroisses de Tournoux, vingt-sept feux soumis à la queste, et des Gleyzolles, ne sont pas rattachées à Saint-Paul à cette époque). En comparaison Barcelonnette comprenait 420 feux imposables. (D’après “La démographie provençale du XIIIe au XVIe siècle” par Édouard Baratier)

Une population hiérarchisée

Le manuscrit fait état de plusieurs catégories sociales :

  • Les Domini ou seigneurs, ce sont eux qui lèvent les droits féodaux. Le titre de Dominus peut être également donné à des personnalités locales.
  • Les Dominores ou propriétaires terriens, souvent appelés “maîtres” dans la traduction de Madame Wojciechowski.
  • Les Homines ou paysans. Ils ne possèdent que rarement des terres et doivent alors en louer aux seigneurs moyennant redevances. À Saint-Paul, le Comte de Provence, propriétaire d’un bon tiers du territoire, était le principal bailleur.

Dans le paysage rural montagnard, trois zones à usages différents sont à distinguer

  • Le fond des vallées, parfois étroit et inondable, n’est guère utilisable pour l’agriculture. Des événements récents restent dans la mémoire des Saint-Paulois : les inondations de 1957, avec l’impossibilité de circuler dans les gorges de la Reyssole ; les très importants dégâts causés par les débordements de l’Ubaye dans la nuit du 29 au 30 mai 2008, ou bien encore le débordement du Riou-Sec à l’entrée des gorges de la Reyssole en plein été 2015. Ces événements permettent de se représenter les grandes difficultés que pouvaient rencontrer au Moyen-Âge les habitants de la haute vallée de l’Ubaye en cas de catastrophe naturelle.

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  • Les pentes desservies par des chemins muletiers entretenus par les passages répétés des voyageurs et des cultivateurs. C’est là où se trouvent les hameaux et les terres cultivables.
  • En altitude les alpages pour les estives, non accessibles à l’époque par des chemins : “troisième zone hors des chemins” est-il précisé (ligne 104 du manuscrit). Ce sont les pâturages communs à une Paroisse (village) et parfois convoités par d’autres, comme le procès l’a révélé.

Mais à qui appartiennent réellement les pâturages d’été ? Qui en dispose ? Qui décide de leur utilisation : les paysans de Saint-Paul, la Cour du Comte de Provence, les seigneurs du lieu ? Il semblerait qu’il n’y avait pas de réponse claire avant le procès. C’est sans doute pour mieux justifier auprès de la puissante Cour de Provence sa décision et les conséquences qu’elle aura à l’avenir dans ce type de litige, que le juge a imposé la grande enquête de 1287 conduisant à la Charte de 1297. Et, au fil des siècles, les habitants de Saint-Paul ont donc eu tout intérêt à conserver précieusement le manuscrit du procès comme preuve écrite de leur bon droit.

5. Saint Paul, une communauté forte et solidaire

L’existence de la communauté de Saint-Paul est attestée vers 1200 (cf. l’Atlas historique de Provence, sous la dir. de E. Baratier, G. Duby, E. Hildesheimer | éd. Armand Colin | 1969). À cette époque le Comté de Provence est en pleine réorganisation et de nombreuses Chartes administratives sont promulguées : Seyne en 1223, Barcelonnette en 1232, Selonnet en 1238… Saint-Paul a un conseil : Ponce Cagon, notaire, déclare lors de l’enquête que lui-même est membre “du conseil comme plusieurs autres(ligne 200 du manuscrit). Il précise que si ce conseil joue un rôle certain dans la gestion des pâturages, il s’intéresse aussi à bien d’autres problèmes. Les modes de désignation des membres de ce conseil ne sont pas précisés [2].

La communauté sait gérer les conflits

Les événements relatés par les témoins portent en fait sur trois conflits différents impliquant la communauté de Saint-Paul :

  • avec leurs voisins des communautés limitrophes Il s’agit de simples incidents pour l’utilisation des pâturages communaux auxquels les protagonistes sont manifestement habitués depuis fort longtemps. Ces conflits locaux devaient vraisemblablement se régler par des échanges de bons procédés entre voisins, chacun devant finalement y trouver son compte.
  • avec des bergers venus d’ailleurs pour faire paître dans les alpages d’altitude de la communauté. Dans ce cas, en revanche, le compromis semblait impossible et les paysans de Saint-Paul se sentaient démunis, ce qui peut expliquer leur agressivité.
  • avec le pouvoir central de la Cour du Comte de Provence. C’était le plus risqué car l’adversaire était puissant ; ce qui a sans doute motivé l’importante mobilisation locale pendant le procès.

Les deux derniers conflits se sont terminés à l’avantage de la communauté de Saint Paul. On peut s’étonner de voir les paysans de villages voisins, ceux qui ont été chassés en d’autres temps par ceux de Saint-Paul, venir témoigner en faveur de ces derniers. Mais, si les paysans de Vars, de Tournoux, du Châtelard, de Meyronnes… pouvaient être en conflit avec ceux de Saint-Paul pour l’utilisation des pâturages, ils se sont rassemblés malgré tout face à deux adversaires communs : les bergers “étrangers” et la Cour du Comte de Provence. Cette solidarité est fondée sur une culture et des intérêts économiques locaux à défendre collectivement.

Les paysans et les maîtres de Saint-Paul se sentent chez eux. Ils revendiquent leur territoire, ils le cultivent et le développent, c’est leur richesse et ils en ont tous besoin. Ils veulent décider de l’usage de leur “bien commun”. Ce qui fait que tous les habitants, quel que soit leur statut social, sont mobilisables et c’est leur force. Ainsi, parmi ceux qui ont chassé les bergers “étrangers”, se trouvent un seigneur-maître, Pierre Braman, et un clerc, Giraud Désiré (le clerc travaille dans un office notarial ; il sait écrire et rédiger ; il connaît le latin). D’autres seigneurs défendent également les accusés et tous déclarent que ceux-ci sont dans leur droit. Et si Hugo Ardoyn, l’un des accusés, affirme hautement qu’il ne regrette rien de ce qu’il a fait, c’est qu’il se sait soutenu par tous les Saint-Paulois.

Cette communauté a trouvé un avocat de grande qualité en la personne d’Antoine Braman, dont les plaidoiries ont conduit à l’acquittement de tous, et ont servi de base à la grande enquête de 1287. Et c’est sans doute à Saint-Paul que pour la première fois en Provence est publié un manuscrit rendant compte d’un procès mettant fin à un important conflit d’usage.

6. Le cadre géographique du conflit

Différents témoignages permettent de situer les lieux où les événements se sont déroulés.

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Les alpages recherchés par les deux bergers

Rappelons que ce troupeau comprenait au moins dix-sept trentaines (510 têtes de bétail) selon leurs déclarations, voire quarante (1 200 têtes de bétail) d’après Antoine Braman, l’avocat.

Il ne s’agissait donc pas de l’intrusion du petit troupeau d’un voisin proche, mais de l’arrivée d’une importante transhumance. Ayant besoin de grandes surfaces d’herbage, le troupeau ne pouvait être conduit que dans des alpages de moyenne altitude, c’est-à-dire des estives communales, comme l’ont affirmé plusieurs témoignages, Maître Albert, par exemple, a parlé des “pâtures communes”.

L’origine géographique des témoins venus soutenir les paysans de Saint-Paul, confirme cette localisation. Sur les cinquante-trois témoins presque la moitié venait de Vars ; les “Varcincs” (habitants de Vars) étaient donc très concernés. Ils n’avaient pas du tout intérêt à voir arriver de grands troupeaux transhumants dans des pâturages sur lesquels ils avaient, de leur propre aveu, parfois l’habitude de venir faire paître avec ou sans l’autorisation des habitants de Saint-Paul ! L’affaire s’est ainsi déroulée vers les alpages des vallons de l’Infernet ou du Crachet proches du territoire de Vars. Par ailleurs, d’après les huit témoins de Tournoux, les paysans de cette communauté avaient également un accès relativement facile à ces deux vallons par le chemin de la Traverse et on peut estimer qu’ils utilisaient aussi ces riches pâturages. Les différents cadastres de Saint-Paul précisent également qu’un certain nombre d’habitants de Tournoux étaient propriétaires ou locataires de parcelles au bas de ces vallons et le long du chemin de la Traverse. Ainsi Varcincs et Tournousquins avaient tout intérêt à empêcher la venue de grands troupeaux.

De quels hameaux sont venus les hommes qui ont repoussé les bergers ?

Les deux vallons jouxtent les hameaux du Mélézen sur le territoire de Saint-Paul. Ces alpages étaient considérés comme un “commun” prioritairement réservé à l’usage des paysans de ces hameaux. Ces derniers étaient donc les plus concernés et furent sans aucun doute les premiers à réagir en voyant arriver les deux bergers et leur troupeau.

7. Qu’en est-il aujourd’hui à Saint-Paul ?

En plus de sept siècles les choses ont beaucoup changé dans cette commune. La montagne a bougé avec plusieurs tremblements de terre (le dernier date d’avril 2014 avec une magnitude de 5,3 sur l’échelle MSK) ; des inondations catastrophiques le long de l’Ubaye, ont aussi quelque peu modifié le paysage. Enfin l’environnement économique et social n’est vraiment plus le même :

  • Population réduite à 200 habitants permanents au lieu d’environ 1 500 au XIIIe siècle. Il y a cependant de nombreuses résidences secondaires (210)
  • Le climat a évolué : à la fin du XIIIe siècle débute le “petit âge glaciaire” avec d’importantes chutes de neige entraînant l’extension des glaciers, des inondations, des famines, auxquelles s’ajoute un peu plus tard la peste noire… Alors que le XXIe est nettement marqué par le réchauffement dont les conséquences sur l’agriculture commencent à être perceptibles, et auxquelles le covi19 est venu s’ajouter !
  • Il reste huit agriculteurs-éleveurs (dont quatre en ovins), alors qu’ils devaient être autour de 150 au moment du procès, mais avec des surfaces d’exploitation beaucoup plus réduites que les actuelles.
  • La baisse de l’activité agricole locale a favorisé un important développement du pastoralisme de transhumance avec location des alpages communaux, ce qui permet des recettes fiscales intéressantes pour la commune. Durant les mois d’été différents troupeaux peuvent atteindre jusqu’à 22 000 têtes de bétail, accompagnés par de nombreux bergers professionnels et de quelques patous !
  • Développement du tourisme montagnard : alpinisme, randonnées d’été et d’hiver, ski de fond, pêche…
  • Les conflits d’usage ont changé de nature : si les bergers de la transhumance sont désormais accueillis sans problème dans des limites convenues, en revanche les touristes peuvent être à l’origine de quelques tensions provoquées par la détérioration de clôtures, ou mal refermées, et surtout par les chiens patous devenant agressifs si les randonneurs ne veillent pas à s’éloigner des troupeaux et à les contourner. Le plus souvent ces conflits se règlent à l’amiable, mais des recours en justice existent parfois.

De nombreux touristes, grands admirateurs de la splendeur des Alpes, ignorent tout de la nécessaire présence des “jardiniers de la montagne”, ces paysans en charge avec leurs troupeaux de l’entretien des prés et des alpages de la vallée et en altitude. Cette activité indispensable, pourtant non rémunérée, permet d’éviter des friches aux conséquences catastrophiques : avalanches, incendies… Le territoire de Saint-Paul est classé à 80 % “Natura 2000”, le rapport de cette habilitation fait état d’une “Zone exceptionnelle pour sa qualité et sa diversité liées notamment à une géologie diversifiée (calcaire, calcaire marneux, dolomie, silice, roches vertes…). Ensemble de systèmes herbacés avec une gamme complète de pelouses subalpines et alpines calcicoles. Il offre en outre un complexe de lacs oligotrophes d’altitude et de zones humides de grande qualité.” [rapport Natura 2000]

07Brec de Chambeyron


Notes

  1. Au Moyen-Âge “la confiscation du bétail est une pratique systématique. C’est ce qu’on appelle “moutonner l’aver” en Provence, et plus au nord “pignoter le bétail”. L’enlèvement est presque toujours suivi d’une consommation collective. C’est un véritable rite qui manifeste la solidarité de la communauté contre l’adversaire commun”, Carrier Nicolas, Mouthon Fabrice, Paysans des Alpes : Les communautés montagnardes au Moyen Âge | éd. PUR | 2010 | avant-propos 
  2. Pour en savoir plus, cf. Carrier Nicolas, Mouthon Fabrice, op.cit. « comment les communautés rurales des Alpes ont atteint à la fin du Moyen-Âge à la maturité politique, au point de construire parfois des confédérations capables de faire jeu égal avec les pouvoirs princiers ». (avant-propos)

Postface

Pierre Thomé

Élisabeth Imbert présente avec enthousiasme un manuscrit du XIIIe siècle dont l’intérêt historique est évident, déjà pour les habitants d’une belle vallée des Alpes, ensuite pour son apport à l’actuelle réflexion sur les biens communs et leur gestion, la montagne pouvant être un territoire favorable à leur mise en œuvre.

Le procès évoqué dans ce manuscrit met en évidence une problématique complexe : par qui et comment sont définies les règles d’usage d’un bien commun, ici des pâturages communaux : les éleveurs non-propriétaires réunis dans une organisation qui leur est propre ? Une administration politique centralisée et éloignée des réalités locales, Communauté Économique Européenne, et sa PAC par exemple ? Ou bien encore une structure, type société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), regroupant de façon collégiale éleveurs, élus locaux, administrations d’État ? Ces questions sont abordées par de nombreux agriculteurs et auteurs-chercheurs (cf. Bibliographie “(Biens) Communs et économie sociale et solidaireet auront peut-être un jour prochain des réponses législatives…

Le village de Saint-Paul-sur-Ubaye, au fil des siècles, a toujours gardé une activité pastorale locale avec des agriculteurs qui ont cependant tendance à se faire rares, ce qui est un réel problème, mais aussi avec une importante transhumance d’été originaire de Provence. Pour ses habitants, si cette activité est un apport non négligeable pour l’économie de la vallée, elle l’est aussi pour la préservation d’un écosystème montagnard grâce à la présence de troupeaux à nette majorité ovins. Cependant des écologistes, certainement de bonne volonté mais rarement habitants de la vallée et paysans, font valoir qu’il y a une surexploitation de l’espace agreste mettant à mal ce bien commun qui devrait, selon eux, être maintenu dans son état primaire. Ils considèrent que pendant les trois mois de l’été de trop nombreux troupeaux, non seulement tondent les alpages, mais pèlent littéralement la montagne en n’y laissant que quelques mauvaises herbes dont les bêtes ne veulent pas. De plus les déjections de ces dernières seraient également à l’origine de la mauvaise qualité bactériologique de l’eau potable dans des villages alpins. C’est ce que développe le biologiste naturaliste Pierre Rigaux dans “Le pastoralisme est-il bon pour la montagne ?” [Défi écologique | 2018].

Ces risques ont fait l’objet d’une analyse de l’américain Garrett Hardin en 1968, titrée “La tragédie des communs”. Selon lui, des pâturages laissés en libre accès, conduirait à leur surexploitation par les éleveurs et donc à leur destruction à plus ou moins brève échéance. Il en déduit que seule la privatisation complète de ces pâturages ou leur étatisation, permettrait d’éviter cette tragédie. Quelques années plus tard l’économiste américaine Elinor Ostrom [1] (prix Nobel d’économie en 2009), a démontré le contraire en faisant état de gestions communes d’alpages par des éleveurs rassemblés dans une organisation dont ils ont la maîtrise ; par exemple en France, un Groupement pastoral [“Mise en valeur pastorale”, articles R113-1 à R113-12 du Code rural et de la pêche maritime]. Ces éleveurs définissant eux-mêmes les règles de leur fonctionnement, dont les limites d’accès, pour un usage maîtrisé de pâturages communs, ou communaux quand des collectivités locales en sont propriétaires. Notons ici les proximités syntaxiques entre commun, commune, communauté, ce dernier concept étant utilisé pour évoquer le village au Moyen-Âge (ou paroisse, dénomination utilisée pratiquement jusqu’à la Révolution de 1789 pour désigner le territoire de la commune actuelle).

Mais aujourd’hui, ni les habitants de Saint-Paul, ni les éleveurs de la transhumance estiment qu’ils surexploitent les alpages, bien au contraire ; Élisabeth Imbert en est porte-parole : “Bien que décriés par certains, les moutons sont heureusement bien là, entretenant les paysages de montagne, témoignant de la présence d’une activité pastorale importante, […] jetant comme un pont entre le XIIIe siècle du manuscrit et le XXIe”.

08Parcourant régulièrement ces alpages au début de l’été, j’ai constaté que l’herbe y demeure abondante et fleurie. Les seuls changements peuvent concerner le manteau neigeux en altitude (cf. l’écart entre 2004 et 2021 au même endroit et à la même date), et des ravines aux tracés modifiés au gré des ruissellements (pluie et fonte de la neige), mais peut-être aussi par les déplacements des troupeaux.

Mais revenons brièvement au XIIIe siècle. Si les deux bergers venus du sud n’étaient pas les bienvenus à Saint-Paul, ce n’était pas du fait qu’ils soient étrangers à la communauté de Saint-Paul, mais parce que leur utilisation de pâturages se faisait sans l’autorisation des habitants de cette communauté, ceux-ci revendiquant un droit coutumier d’usage prioritaire. Ce qui fait que ces bergers, bien qu’autorisés par le pouvoir administratif centralisé, ont été considérés localement comme des intrus ou “passagers clandestins”, expression utilisée par Elinor Ostrom pour signifier que dans l’usage collectif d’un bien commun des personnes peuvent s’immiscer plus ou moins clandestinement en cherchant à tirer profit de ce bien au détriment des utilisateurs en droit.

Les loups (espèce protégée), sans doute bien plus nombreux au XIIIe siècle qu’ils ne le sont aujourd’hui dans les Alpes (le département des Hautes-Alpes est cependant fortement impacté par leur présence), peuvent être aussi vécus comme des passagers clandestins recherchant trop facilement et abusivement une alimentation à portée de mâchoires, il faut donc s’en protéger, mais comment ? Les éleveurs et leurs bergers sont confrontés à l’interdiction partielle de tuer le loup (cf. “Plan national d’action 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage” | ministères de la transition écologique et de l’agriculture) et s’ils la transgressent, ils risquent de se retrouver au tribunal ; alors que, “Sans que cela ne traduise une hostilité systématique vis-à-vis du loup, le droit à défendre son troupeau est considéré par les professionnels de l’élevage comme légitime et nécessaire pour diminuer la prédation” [Boisseaux Thierry, Galtier Bertrand,Difficultés du pastoralisme liées au loup dans les Hautes-Alpes” | rapport au Ministère de la transition écologique et solidaire | mars 2020]. Ce même rapport précise : “En 2019, dans le département des Hautes-Alpes, la prédation exercée par le loup a suscité de grands mécontentements au sein de la profession agricole […] La prégnance du loup nuit à une réflexion d’ensemble de la filière sur son organisation et sur son avenir perçu comme incertain”.

Toujours dans ce même rapport la crainte d’une disparition quasi-totale du pastoralisme montagnard est longuement exprimée. Pour les éleveurs “Une telle perspective est incompréhensible dans la mesure où le modèle d’agriculture qu’ils représentent, leur paraît correspondre aux attentes d’une part croissante de la société : une agriculture avec des unités modestes ; une production de qualité, qui privilégie des circuits courts de distribution, qui n’utilise pas de produits phytosanitaires, qui ponctionne une nourriture saine de façon équilibrée dans les alpages et qui contribue à l’entretien et au maintien de paysages menacés par la déprise agricole, et à la préservation d’un certain type de biodiversité.

Les éleveurs et leurs représentants savent cependant que la diminution de leur nombre, dans ce département comme dans beaucoup d’autres en France, depuis plusieurs décennies, n’est pas la conséquence du retour du loup, même si celui-ci contribue à fragiliser ceux qui restent. Certains regrettent que la présence du loup et les problèmes qu’il pose, s’ils sont bien réels, n’occultent d’autres questions tout aussi fondamentales pour la filière et son futur.”

Cette analyse est confirmée par les premiers résultats du dernier recensement agricole qui viennent d’être publiés, l’évolution de la majorité des indicateurs est en effet négative entre 2010 et 2020. Période pendant laquelle la France a perdu 100 000 exploitations agricoles (-21 %) ; il en reste 389 000 sur le territoire métropolitain, avec une moyenne de 69 hectares en surface cultivée par exploitation (14 ha de plus qu’en 2010) ; mais globalement la surface agricole utilisée (SAU), actuellement de 26,7 millions d’hectares (environ 50 % du territoire métropolitain), a perdu 233 000 ha.

Depuis les années 1950 l’agriculture a évolué vers des concentrations à tendance agroindustrielle [2] avec beaucoup moins d’agriculteurs en exercice et à la profession fortement déconsidérée. La politique agricole européenne (PAC), prête une attention toute relative aux “petits” agriculteurs, en particulier ceux qui cherchent à orienter leurs productions vers le biologique. La réforme en cours de la PAC confirme cette tendance : “Nouvelle PAC : l’Autorité environnementale donne un avis négatif sur le Plan Stratégique National [3] [Actu Environnement | 2 novembre 2021]. Lire également la lettre ouverte au président de la République : “Demande de réorientation forte du Plan Stratégique National afin que les aides de l’éco-régime soutiennent les pratiques agricoles en proportion des bénéfices réels pour l’environnement” | signée par 40 ONG et associations | septembre 2021.

L’agriculture montagnarde aurait-elle tendance à emprunter les mêmes chemins ? Il serait en tout cas regrettable que cela l’amène à perde le fil de l’histoire des “jardiniers des montagnes” mise en valeur par l’étude d’Élisabeth Imbert. Alors que, “Au fil des siècles, les communautés pastorales ont forgé une expérience et un savoir uniques sur la manière de maintenir un équilibre subtil entre des ressources fondamentales – l’herbe et l’eau – qu’elles savent valoriser durablement par des activités productives. Elles ont appris d’expérience qu’elles dépendent de la bonne santé du milieu qu’elles partagent avec leurs animaux.” [Turquin Olivier et al. “Une histoire d’avenir” [Grande histoire des alpages | 2017]


Notes

  1. Ostrom Elinor, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles |1990 et 2010 pour la traduction, éd. De Boeck.
  2. cf. Leclair Lucile, “De la ferme familiale à la firme internationale. L’agro-industrie avale la terre” | Le Monde diplomatique / février 2022
  3. La réforme de la PAC prévoit de rendre obligatoire pour chaque État-membre, l’élaboration d’un document unique (le PSN), pour cinq années de programmation, à présenter à la Commission, en vue de son approbation par cette dernière.

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Contributions

Gilles Avocat agriculteur-éleveur (retraité) de brebis, Beaufort (73) | 14 fév.2022

La terre pour qui dans le Beaufortain ?

Très intéressante l’histoire de St Paul, mais au Bersend (hameau de la commune de Beaufort) les prédateurs n’habitent pas bien loin… Il y a quelques décennies seulement, on dénombrait dans le Beaufortain 522 fermes [1] de tailles souvent très modestes, et dont la propriété était la plupart du temps aux mains des paysan-nes qui les faisaient vivre (cela était moins v rai pour les alpages) La reprise de ces fermes était souvent assurée dans le cercle familial restreint, de parents à enfants.
Aujourd’hui ce paysage a totalement changé, il reste 107 fermes environ soit à peu près 158 paysan-nes en comptant les associé-es de GAEC [2], on voit que la restructuration a été très forte ce qui implique que les paysan-nes ne sont plus propriétaires de la totalité des terres qu’ils-elles travaillent, et qu’en majorité ce sont des terres en location.
C’est donc une donnée qu’il faut absolument prendre en compte car l’on voit bien que le monde NON PAYSAN, suivant ses choix, est aussi un acteur incontournable dans la répartition du foncier agricole.
Lorsqu’une ferme s’arrête, c’est un peu de tristesse, comme un souffle suspendu, le temps qui se fige, des femmes des hommes qu’on ne verra plus arpentant champs et pâtures au milieu d’un troupeau qui n’existera plus ; mais ça sera aussi de la convoitise, pour d’autres qui rêvent de grandeur, avec comme souvent le piège de plus d’investissements, plus de matériel, plus de bêtes, et au final besoin de plus de terre.
La transmission d’une ferme quand vient l’heure de la retraite, demande beaucoup de préparation, des années de réflexion sont souvent nécessaires, un temps de travail en commun pour la transmission peut être utile, tout cela dépend beaucoup de la volonté des « cédants ».
Alors, ça marche ou pas ! S’il n’y a pas de reprise que deviendront les terres ? Au final ce sont toujours les propriétaires qui décident à qui elles seront louées, même si l’administration a un rôle d’arbitrage au travers « des autorisations d’exploiter ». Cette décision dépendra beaucoup de l’état d’esprit des propriétaires et s’ils sont du côté des partageux, leur choix se fera avec un regard qui répond au mieux à ces questions :
• Qui en a le plus besoin ?
• Une petite ferme qui verra son assise économique confortée par un peu plus de terre ?
• Une ferme qui donne du travail à beaucoup de monde ?
• Une ferme dont les pratiques sont porteuses d’avenir ?
• Une ferme qui recherche l’autonomie ?
L’agriculture paysanne et l’agriculture biologique peuvent donner de vraies réponses à ces questions.
Ou alors … alors…, se laisser porter par la pensée libérale conservatrice, qui fera rentrer d’autres critères comme : « Ah on est bien un peu parent » ou encore « s’ils sont gros c’est qu’ils sont compétents, qu’ils savent travailler… » Dans ce cas, on verra encore des grosses fermes s’agrandir, et être confortées dans leur fuite en avant… On voit donc bien que du côté des propriétaires leur choix peut vraiment être déterminant et une pensée collective pour aborder ces problématiques pourrait être intéressante pour demain.
Un départ à la retraite récent a démontré que des changements de locataires se sont faits sans débat collectif, avec des situations de pression entre paysans, et au final une répartition du foncier qui n’est pas allé à celles ou ceux qui en ont le plus besoin.
Du point de vue des paysan-nes il n’y a pas de structure locale collective existante, mais des pistes pourraient être explorées, comme la création d’une inter-syndicale, avec par exemple la participation du Groupement inter-communal de développement agricole [3], des représentants des communes… qui pourraient avoir un rôle d’arbitrage. Même si ce type de démarche n’a pas de réalité officielle aujourd’hui, cela pourrait être l’occasion de créer un espace commun aussi bien aux propriétaires qu’aux locataires.
Ainsi nous pourrions arriver à considérer que la terre devienne un jour un bien commun malgré des usages différents. L’expérience de la Foncière « Terre de liens », qui achète des terres pour les louer à des agriculteurs et agricultrices qui veulent s’installer, est un exemple qui va bien dans ce sens. Et cela introduit que l’alimentation ne peut plus rester uniquement dans la sphère paysanne et devienne un enjeu global de société.


Notes

  1. 522 fermes en 1971 et 806 en 1955 source : « Évolution des systèmes d’exploitation en Beaufortain » RGA (recensement général agricole)
  2. GAEC : Groupement Agricole d’Exploitation en Commun. Source : Chambre d’agriculture, estimation 2018-2019
  3. GIDA du Beaufortain : antenne de la chambre d’agriculture ; les techniciens y tiennent des permanences dont secrétariat des abattoirs, service de remplacement, CUMA.

René Chenal, agriculteur-éleveur (retraité) de bovins, à Granier, Versant du Soleil la Côte d’Aime (73) 

Qu’en est-il du pastoralisme montagnard en Tarentaise ?

« Une affaire de moutons » est un document émouvant de l’histoire montagnarde. Pour ce qui est du procès, du rejet des bergers venus du sud sans doute au service de riches propriétaires, de l’abus de pouvoir des puissants régionaux et de leurs relais locaux (pléonasme), rien que de très ordinaire. Le monde est monde.
On peut comprendre ces communautés montagnardes qui ont ouvert, dans ces territoires aux ressources limitées et au fil des siècles, à force de travail collectif, les pâturages de l’étage alpin en les gagnant non sur la forêt mais sur les ligneux (plantes à tiges en faisceaux, type arcosses ou aulnes verts ; sont vite envahissantes). Ils en ont fait des communs tellement éloignés des égoïsmes des habituels exploiteurs qui de tout temps ont parasité l’histoire des hommes. La survie des populations paysannes, nombreuses en cette fin du XIIIe avant d’être dramatiquement réduites par la peste noire, exigeait de préserver les terres à foin et à céréales situées en-dessous des forêts. Surcharger ces terres avec les troupeaux indigènes aurait signifié entamer leur potentiel, d’où les estives.
Aujourd’hui, la situation sur les alpages à ovins serait moins tendue. La production, grâce à l’investissement millénaire, reste, pour l’instant encore, abondante mais les ouvriers de moins en moins nombreux.
Quant à la situation du pastoralisme à ce jour dans les Alpes du Sud, qu’en serait-il si elles n’accueillaient pas les troupeaux de la plaine ? Ils valorisent, aux côtés des troupeaux locaux devenus plus rares, les pâturages, qui, sinon, seraient dégradés par l’envahissement des ligneux et autre végétation de fermeture.
Et sur l’autre point évoqué par Pierre Thomé, quel procès faire à l’envahisseur (le loup) revenu en cette fin de millénaire, lui qui attire de la part des éleveurs ou de la part de ses adeptes le même rejet ou la même position de défense.
Pour les éleveurs, n’existe plus désormais, la paix et la relative sérénité qu’ont connues bergères, bergers et troupeaux au cours du siècle dernier. Et cela avec des conséquences qu’ignorent souvent les défenseurs inconditionnels du prédateur. Il est pourtant essentiel, dans ce domaine comme dans d’autres, d’analyser l’ensemble des répercussions sur le vivant des positions prises parfois hors d’une connaissance précise du contexte global :
− Conséquences sous évaluées du stress permanent des bergers, bergères et animaux
− Angoisse ou éloignement des visiteurs sur les parcours alpins par crainte des gardiens nouvellement introduits par obligation réglementaire
− Coût indécent des mesures de protection
À titre d’exemple (local mais l’universel est le local sans barrières), ce qui s’est produit sur le territoire de nos villages de Haute Tarentaise :

  • Les troupeaux ovins locaux ou accueillis, venus du Sud étaient, au cours du XXe siècle, étaient laissés en libre pâture, ce qui n’excluait pas le gardiennage, dans les sommets non valorisés par les vaches ou les génisses. Libres et dispersés, ils pâturaient les zones les plus fragiles, les plus pentues et les plus éloignées, de jour comme de nuit à la fraîche, sans grand danger puisqu’ils se déplaçaient sans les risques que fait courir une conduite groupée contraignante. Dans leurs déplacements libres, ils traçaient, à l’identique des courbes de niveau, des milliers de chemins de traverse tellement appréciés par les randonneurs, et qui, l’hiver, retenaient la neige dans ces pentes raides. Ils choisissaient la flore la meilleure dont ils dispersaient les graines dans leurs déjections, sur l’ensemble du pâturage. Ajouté à cela, les repos, sur de multiples replats individuels, répartissaient idéalement la fumure, évitant la stérilisation des zones les plus délicates que sont sommets et pentes lessivés par les orages et le ruissellement de la fonte des neiges. Mais en vingt ans :
  • Les propriétaires des petits troupeaux locaux qui les gardaient par passion du patrimoine ou comme
    activité complémentaire, ont abandonné face aux attaques du prédateur.
  • Les éleveurs professionnels ont dû se soumettre à la conduite dictée par la présence des loups qui impose celle des “réglementeurs”, qui sont aussi les relais des payeurs que nous, heureusement solidaires, nous sommes tous !
  • Non seulement surveillance ou accompagnement mais guidage des troupeaux, c’est à dire déplacements contraints souvent avec chiens, d’animaux regroupés, donc risques majeurs de chutes, parfois collectives, dans les pentes raides, s’il y a affolement. Et, en conséquence, choix de guidage des troupeaux vers des zones à moindre risque, surpâturage éventuel de ces zones, abandon des sommets et des fortes déclivités où, pourtant, la flore est meilleure parce que plus variée et souvent plus tardive. Et fin de la pâture à la fraîche donc d’un certain bien-être animal. Conditions de travail des bergères et bergers largement détériorées.
  • Parcs de nuit obligatoires, à la surface nécessairement réduite. Sur des replats bien sûr, rares par nature en montagne et donc surchargés en fumure et piétinement, au fil des années, et définitivement impropres à la pâture. Fumure trop concentrée et donc néfaste aux dépens de l’ensemble de l’alpage.
  • Parcs souvent installés dans les zones basses, les bergères et bergers ne disposant pas d’hélicoptères au quotidien pour le transport des filets électrifiés vers les sommets, et leurs conditions de vie et de travail étant déjà suffisamment rudes (qui sait, avec des drones les choses peuvent évoluer…)
  • Chemins de traverses beaucoup plus rares qui se comblent, ne retiennent plus la neige et, pour les zones de grand passage, cheminements plus profonds qui cèdent en retenant des volumes de neige plus importants et provoquent des ravinements sans précédents.
  • Chiens de protection qui n’ont pas toujours le sens des nuances.
  • Stress permanent des bergères, bergers et des troupeaux avec, pour conséquences, la raréfaction des vocations et la diminution des résultats économiques. Sans compter le drame humain face aux atteintes du vivant et, cela se conçoit parfaitement, du vivant proche tel que le troupeau et le patrimoine. 

Dans nos alpages, les bergères et bergers, les troupeaux ne sont pas là en prédation de passage. Ils offrent un surcroît de vie, une permanence homme et animal, une valorisation du territoire qu’aucun autre système ne peut apporter. Ils sont, dans nos sommets, à l’été, lumière au petit matin et à la nuit qui tombe. Ils poursuivent l’histoire multimillénaire de l’élevage nomade dans un monde que l’enclosure menace et où elle sévit de plus en plus en particulier dans l’élevage mais aussi chez nous humains. Cette histoire est patrimoine irremplaçable de l’humanité.


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Critique de la notion d’effondrement global

 

 

texte téléchargeable
des informations complémentaires figurent en fin d’article

soleil

 

« Soldes / Ce soir le monde est en solde / J’ai compté mes points / j’suis gold / Tout doit disparaître […] / Déstockage imminent / Nos lointains reflets bradés dans le couchant / En trois fois sans frais ça reste commerçant / Tout doit disparaître » [Niang Mahmoud Tété, chanteur]

 

En ces temps de bouleversements climatiques de nombreux propos jalonnent l’opinion en affirmant de façon péremptoire qu’un effondrement global est imminent : « La fin de notre monde est proche. Une ou deux décennies, tout au plus. Cette certitude qui nous habite désormais, et qui a bouleversé nos croyances et nos comportements, est le résultat d’observations scientifiques nombreuses et variées sur l’évolution du système Terre » [Yves Cochet, Pablo Servigne, Agnès Sinaï. « Face à l’effondrement, il faut mettre en œuvre une nouvelle organisation sociale et culturelle », Le Monde.fr | 22 juillet 2019].

S’il est indéniable que le réchauffement climatique dépasse les normes habituelles et qu’il y a péril en la demeure, pour autant doit-on dramatiser à l’extrême, apeurer ? Yves Cochet, Pablo Servigne… n’en sont plus au stade des hypothèses, mais de l’affirmation d’une vérité qui semble les habiter telle une croyance ; véritable profession de foi certes respectable, mais difficile à rapprocher des travaux de scientifiques évaluant, analysant, discutant et cherchant à informer l’opinion et les décideurs politiques. Mais ces derniers semblent avoir bien du mal à se dégager de la pression action climatde lobbies internationaux défendant des intérêts tout autre que la sauvegarde de la planète, ce qui ne les empêche pas d’applaudir chaleureusement Greta Thunberg lors du Forum économique mondial 2009 de Davos, tout en utilisant 1 500 jets privés pour s’y rendre ! « Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous agissiez comme si notre maison était en feu, parce qu’elle l’est », leur a-t-elle lancé [Le Monde.fr | 22 janv.2019].

L’un des grands thèmes abordés lors de ce forum était “Sauvegarder notre planète« , mais pour les participants ne serait-il pas plus juste de dire “sauvegardons notre richesse” ? Al Gore en a profité pour faire son show habituel : « Dans un monde préoccupé par la gestion de nombreuses crises qui s’inscrivent dans un contexte de transformations sociétales, nous utiliserons l’esprit de Davos pour se projeter dans l’avenir d’une manière constructive et collaborative », sous forme de “dialogues” privé – public autour de quatorze “system initiatives”. Trois de ces “dialogues” ont abordé directement le sujet : “façonner l’avenir de l’énergie – façonner l’environnement et la sécurité des ressources naturelles – façonner l’avenir des systèmes alimentaires” [Suivre Davos 2019]. Le comment “façonner” est cependant resté au niveau de grands principes : “relever le défi, agir rapidement, il s’agit de rester en vie, la communauté financière a un rôle très important à jouer…”, le Forum s’en remettant au sommet de l’ONU “Action climat : une course à gagner” du 23 septembre 2019.

Depuis plusieurs mois la presse, de Paris-Match « Collapsologie…« , à LibérationEffondrement : l’humanité rongée par la fin”, évoque la collapsologie, nouveau concept issu du latin collapsus (s’affaisser) pour traiter de l’effondrement et de ses conséquences, sans oublier le Monde “Face à l’effondrement…”,  pour aboutir enfin à la création récente du magazine Yggdrasil : « Nous avions un objectif : braquer le projecteur sur tout ce qui émerge, que les idées soient diffusées dans le plus de milieux, de classes sociales possibles. Avant d’écrire sur les catastrophes, j’espérais un emballement médiatique, mais le vivre, c’est autre chose ! C’est une vague. L’élan de la souscription, les premières ventes en kiosque, sont l’indice d’un véritable mouvement qui se forme en France. D’ailleurs, je rencontre déjà des gens qui sont en train de déménager à la campagne, de vivre une sorte de préparation à l’effondrement. » [Pablo Servigne, Paris Match, 30 juillet 2019]. Il est vrai que Yggdrasil (l’Arbre Monde dans la mythologie des pays nordiques) est un mot d’usage courant et que 3 113 souscripteurs représentent une vague populaire qui va tout submerger !

Cette approche apocalyptique et radicale n’entretient-elle pas une confusion avec la notion de CHANGEMENT dont l’Histoire est faite ? Changements survenant pour différentes raisons dans les fondements mêmes et de la planète Terre et de l’humanité, les deux interférant depuis qu’Homo sapiens est devenu capable de modifier son environnement naturel. C’est cette question que nous allons aborder en faisant référence à l’Histoire, à la littérature et à l’actualité,

La dénomination “Homo sapiens”, utilisée tout au long de cette étude, est à lire comme un concept générique : la racine latine d’homo est humus, la terre, et sapiens se traduit par sage, intelligent… toute une symbolique…

Mots-clés : âge d’or, apocalypse, collapsologie, déluge, fin du monde, Frankenstein, GIEC, inter glaciaire, New deal vert, révolution industrielle, société industrielle, transition, tremblement de terre, volcan

L’EFFONDREMENT

Dans le langage courant on évoque l’effondrement d’un mur, de la bourse, d’une civilisation… ou bien encore de soi-même pour cause d’événements douloureux, mais peut-on parler de l’effondrement du monde ? L’Histoire nous apprend que des civilisations ont disparu remplacées par d’autres, mais ce qui fait société ne demeure-t-il pas de l’ordre de l’adaptation aux multiples changements qui apparaissent au fil de l’histoire de la planète Terre et de l’humanité ?

Homo sapiens est-il aveuglé par sa réussite apparente ? José Saramago (prix Nobel de littérature en 1998) dans son aveuglementroman “l’Aveuglement » [1997] nous alerte sur ce risque. Un homme, assis au volant de sa voiture et arrêté devant un feu rouge, devient subitement aveugle. C’est le début d’une épidémie qui se propage très vite à tout un pays et tous les êtres humains sont atteints de cécité, à l’exception d’une femme. En quarantaine ou livrés à eux-mêmes, hommes et femmes de tous âges vont devoir faire face aux comportements les plus primitifs pour survivre à tout prix : plus personne ne peut guider, nourrir, soigner, ramasser les déchets etc., la seule restée valide ne peut s’occuper que d’un petit groupe. Tous les repères dans l’espace et dans le temps disparaissent et hommes et femmes finissent par marcher littéralement les uns sur les autres ! « Ils vont comme des fantômes, être un fantôme ça doit être ça, avoir la certitude que la vie existe […] et ne pas pouvoir la voir ». Surprenant roman allégorique, où Homo sapiens est pris en flagrant délit (délire) d’aveuglement sur lui-même et sur le monde qu’il construit. Serions-nous collectivement aveuglés, tel que les collapsologues le laissent entendre, au point de ne pas voir que tout s’écroule autour de nous ?

Collapsologie et fin du monde

La collapsologie, qui se veut science multi disciplines et à laquelle on peut ajouter la tendance plus radicale du survivalisme, se fonde sur l’étude du concept d’effondrement considéré comme inéluctable essentiellement pour raison de réchauffement climatique et d’épuisement des ressources en énergies fossiles. Et quoiqu’on fasse, ce processus aboutirait à la fin de l’actuelle société industrielle, mais de quelle société est-il question ?

Le comte de Saint-Simon (1760-1825) est à l’origine du concept de société (ou système) industrielle, définie dans ses deux ouvrages références : “Le Système industriel” (1821) et “Catéchisme des industriels” (1823). Il se donne modestement mission « de faire sortir les pouvoirs politiques des mains du clergé, de la noblesse et de l’ordre judiciaire, pour les faire entrer dans celles des industriels. » Il considère que tout producteur de biens par son travail est un industriel, membre d’une société englobant : artisans, commerçants, agriculteurs, chefs d’entreprise, banquiers mais aussi artistes et savants. Cet ensemble constituerait la classe industrielle devenant, au détriment des détestés oisifs et rentiers, « la classe fondamentale, la classe nourricière de toute la société […] (qui) tout entière repose sur l’industrie ». Cette société s’organiserait donc en une seule classe sociale, à l’encontre même de l’État qui serait destiné à plus ou moins disparaître ; Marx démontrera quelques années plus tard l’impossibilité que de telles idées puisent aboutir dans le système capitaliste.

Assez loin des fondements définis par Saint-Simon, la société industrielle s’est développée pendant deux siècles pour devenir surtout celle des grosses entreprises et des banques, et aboutir à une mondialisation la rendant incompréhensible et très éloignée des préoccupations de la plupart des gens. Est-elle pour autant proche de sa fin ? Pour les collapsologues c’est une évidence et l’aboutissement d’un “processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population par des services encadrés par la loi” [Yves Cochet, “Effondrement, le début de la fin”. Libération | 7 nov. 2018].

D’autres personnes vont encore plus loin et évoquent, non pas la fin d’un système, mais la fin du monde ; par exemple la philosophe Marianne Durano : « La question vraiment vertigineuse, c’est celle, non pas de la fin d’un monde, mais de la fin du monde : la possibilité, exorbitante, que – guerre nucléaire ou dérèglement climatique – le monde lui-même devienne inhabitable. C’était la crainte du philosophe Günther Anders (L’Obsolescence de l’homme”, 1956) après Hiroshima » [“Nous ne sommes pas la cause de la fin du monde, mais la fin du monde nous donne une cause : vivre la meilleure vie possible”. Le Monde.fr | 24 juillet 2019]. Ce qui fait que dans l’attente d’une catastrophe irréversible, telle celle évoquée dans le très bon film de Lars von Trier “Melancholia” (2011) qu’elle cite, M. Durano considère que le mieux est de profiter au maximum des bienfaits de la vie « loin des pollutions de toutes sortes et d’un monde qui ne nous rend pas heureux », d’où son choix de vivre en famille dans un éco-hameau récent situé dans la Loire. Elle participe également à “Limite” revue d’écologie dite intégrale, c’est-à-dire « être “conservateur” authentiquement, intégralement, radicalement, dans la vie quotidienne comme dans les combats publics : conservateur de la planète dans toutes ses dimensions, mais aussi conservateur du corps humain, de la famille, du domestique, du local » [Jean-Louis Schlegel, “Les limites de Limite” Esprit janvier 2018, cité par Le Monde.fr : “Une histoire des écologies identitaires” | 4 octobre 2019]. Cette écologie intégrale se réfère souvent à l’encyclique papale Laudato si sur “La Sauvegarde de la maison commune” [pape François | 2015] et l’éco-hameau, évoqué plus haut, implanté dans le village de la Bénisson-Dieu, –nom prédestiné s’il en fut !– fait partie du mouvement chrétien “Initiatives Laudato si.

desert_arbreAvec cette même certitude de la fin du monde, le philosophe Pierre-Henri Castel, dans son dernier ouvrage [Le Mal qui vient. Essai hâtif sur la fin des temps, Paris, 2018, éd. Du Cerf], développe la possibilité d’un Armageddon dans le temps qui précédera l’effondrement total. Cette opposition violente du Bien et du Mal aurait peut-être même débuté avec la recherche par une petite minorité d’une appropriation des ressources de la terre de plus en plus réduites, cette tendance ne pouvant que s’amplifier avec le réchauffement climatique.

Poursuivons avec l’association d’origine lyonnaise Adrastia qui propose de ”construire un déclin” [Vincent Mignerot, conférence, 2015], oxymore intéressant mais basé sur l’affirmation que le déclin serait en cours de façon irréversible. Alors « Enclin au déclin” ? plutôt « Remettre en cause les fausses évidences, chiffres à l’appui. Penser à contre-courant, y compris contre nous-mêmes. Car en tant que journalistes, il faut bien le dire, nous avons tendance à nous focaliser sur ce qui ne marche pas […] Mais la litanie des mauvaises nouvelles peut être contre-productive et alimenter le déclinisme ambiant » [Laurent Jeanneau, “Tout ne va si mal”, Alternatives économiques, Oblik N° 3 | oct. 2019].

Enfin pour terminer ce premier tour de table l’historien Patrice Gueniffey évoque non l’effondrement mais l’idée d’une apocalypse écologique en perte de sens historique : « Avec le discours catastrophiste actuel, il y a bien une résurgence de l’idée de fin du monde, mais ce n’est pas l’idée de l’accomplissement d’une promesse, contrairement à l’eschatologie chrétienne. Dans l’apocalypse écologique, la catastrophe n’est pas porteuse d’un sens collectif. Elle porte plutôt à se distraire de l’avenir en s’immergeant dans un présent dont on espère qu’il durera le plus longtemps possible. […]. Si vous pensez que tout va s’arrêter, et à l’échelle d’une ou deux générations, quel sens donner à l’histoire ? » [“Le passé éclaire-t-il le présent ?” Le Monde.fr | 16 juillet 2019].

Effondrement, fin du monde, fin d’un monde, apocalypse, déclin… autant d’expressions inquiétantes et pour éviter une grande dépression pré-apocalyptique que serait-il possible d’envisager ?

La transition impossible ?

Pablo Servigne, Yves Cochet et autres collapsologues considèrent que toute transition écologique ne peut être que vouée à l’échec, aussi conseillent-ils de se préparer à l’imminence de l’effondrement. Le mieux, proposent-ils, serait de se retirer avec quelques proches sur ses terres, à supposer que l’on puisse en avoir, en étant le plus possible en autoproduction de tout ce qui est nécessaire à la satisfaction des besoins élémentaires : énergie, eau, alimentation… ; ces pratiques devant favoriser l’éclosion d’un modèle de vie (ou de survie) genre “cultivons notre jardin » et advienne que pourra ! De toute façon « Dans cinq ou dix ans le problème du logement sera réglé car les gens seront morts. » [Yves Cochet, Le Monde.fr | 27 sept. 2019]. L’auteur de cette étrange pensée a trouvé la solution en s’installant en Bretagne dans une propriété de sept hectares, d’où il délivre de temps à autre ses messages surréalistes : comment est-il en effet possible d’affirmer qu’un effondrement irréversible aura lieu au plus tard en 2030 ? Ce choix de vie est tout à fait respectable mais reflète une tendance à un « sauve-qui-peut » individuel qui nécessite des moyens conséquents : « Quand je me suis installé ici avec ma fille, j’avais des critères de recherches très précis : je voulais de l’eau, des arbres et des champs pour survivre le jour venu. […] Je fais ça aussi pour ma fille et mes petits-enfants. À leur place, entre faire Sciences-Po et de la permaculture, je choisirais la permaculture ! » […] « C’est vrai, je le fais parce que j’ai la possibilité de le faire », conclut-il [Yves Cochet, “Ici je suis prêt…”, avec Raphaël Godet, France Info | 4 août 2019]. Pourtant il fut parlementaire et ministre, donc personnage politique important ayant, suppose-t-on, le sens de l’intérêt général (ou du bien commun), mais en situation imaginaire d’effondrement il semblerait que ce sens-là s’estompe nettement…  On peut également rapprocher Yves Cochet et ses confrères collapsologues de la pensée libertaire et écologique du naturaliste Henry David Thoreau : « cela ne vaut pas la peine d’accumuler des biens, car ils sont appelés à disparaître. Il faut louer ou squatter un petit lopin de terre quelque part, le mettre en culture et manger la récolte. Il faut vivre replié sur soi et ne dépendre que de soi, les manches toujours retroussées et toujours prêt à lever le camp ». [Henry D. Thoreau, La Désobéissance civile, 1849. Traduction éd. Le mot et le Reste, 2018]

Cet hypothétique effondrement généralisé pourrait bien renforcer une fragmentation de la société en petites communautés, certes parfois construites autour d’un idéal humaniste (par exemple Habiterre, Ecoravie dans la Drôme), Gullalderenou d’un mythe genre “Âge d’or” ou Arche de Noé, mais aussi autour d’une crainte de l’altérité, d’une peur de la collectivité publique, chacune de ces communautés familiales ou amicales faisant son histoire sans trop se soucier de celle de voisins qui peuvent se retrouver dans les tourments de fins de mois compliquées et de bien d’autres soucis. Mais un bon collapsologue doit « Être concret : 1. Protection de la maison contre les intrus. 2. Stock de nourriture d’un an pour survivre avant les premières récoltes post-effondrement. 3. Stockage de l’eau de pluie. 4. Toilettes sèches, stock de sciure. 5. Installation d’une chaudière électrique et de panneaux solaires » [“Témoignages : Et si demain le monde s’écroulait ?” le Monde.fr | 20 sept. 2019]. Qu’adviendra-t-il de ceux et de celles qui ne pourront ou ne voudront pas entrer dans ce processus, qui ne seront pas de cette nouvelle société de la “sobriété heureuse” supposée se construire sur les ruines fumantes de l’effondrement ? Sans doute marginalisés, rejetés dans des zones de mal-être ?

C’est ce modèle que développe Alain Damasio dans son roman de science-fiction La Zone du dehors [2007, éd. la couverture (2)Volte] : la terre étant devenue inhabitable pour cause de guerres nucléaires, sept millions d’humains se sont retrouvés sur un astéroïde gravitant autour de Saturne et aménagé comme une immense station spatiale dénommée Cerclon. Dans un environnement hostile, cette population vit constamment dans la peur des bombardements météoritiques et la crainte de mal faire. Tous les habitants sont effet surveillés en permanence grâce à des puces implantées sur chacun, et, en cas d’opposition au pouvoir, ils sont sous la menace de l’exclusion vers “la zone du dehors”, là où sont parqués tous les déviants et d’où partira un début de “volution” (sans le ré) mais récupérée par le pouvoir ; ce qui fait dire au président de Cerclon s’adressant au leader de l’opposition qui vient d’être arrêté : « Ce qu’il y a d’extraordinaire chez tous les révolutionnaires que j’ai rencontrés, c’est qu’ils voient le peuple à leur image : bon, généreux, énergique… C’en est presque émouvant cette foi irraisonnée que vous avez dans le peuple, dans ce que peut le peuple comme vous dites, comme si le peuple n’était pas quelque chose de foncièrement passif, malléable, indécis. […] Un système comme le nôtre n’est jamais tout à fait capable d’anesthésier la contestation. Il gagne cependant en stabilité si cette contestation draine tous les éléments dangereux qui grippent nos procédures vers une zone tampon où peuvent s’absorber tous ces cris qui nous sont contraires. […] Votre banlieue, si je puis oser le terme, joue à plus grande échelle et de façon plus efficace le rôle de trop-plein. » La “volte” ne triomphe pas, mais finit par imposer la création de cités hors normes dans la zone du dehors ; le dénouement reste à découvrir ! Alain Damasio n’est sans doute pas loin de penser que l’exercice du pouvoir façon Cerclon, n’est pas très éloigné de celui que nous vivons actuellement : « pour moi la social-démocratie c’est : souriez, vous êtes gérés ! […] Le risque du pouvoir moderne, c’est l’algorithme. […] Nous n’avons aucune autonomie sur ces systèmes. Plus encore que la société de contrôle, nous sommes désormais dans une société de la trace. […] la technologie informatique fait “écran au réel” et pourrait nous faire perdre la confrontation indispensable avec ce qui devrait être l’altérité : le rapport à la nature, à la condition humaine… […] Je n’ai pas la crainte du monde qui vient, mais je suis dans la vigilance » [Alain Damasio, “La science-fiction c’était mieux demain”, avec Guillaume Erner, France Culture, l’invité du matin | 26 oct. 2017].

La crainte des récits proposant une société de l’altérité, solidaire et protectrice, le rejet de toute transition, du “no futur”, conduit finalement la collapsologie à ne pas inscrire son imaginaire de l’effondrement dans le mouvement de l’Histoire, non seulement celle d’Homo sapiens, mais aussi celle de l’échelle du temps de la planète Terre et du monde du vivant, l’une n’allant pas sans l’autre. Ce qui amène à nous intéresser à cette Histoire en commençant par un récit de la mythologie.

Le mythe de l’apocalypse

La Bible contient nombre de prophéties annonçant la fin du monde pour cause de colère divine provoquée par l’iniquité humaine. Ainsi dans les Livres prophétiques, Isaïe prédit le mécontentement de Dieu à l’égard des humains : « Il arrive le jour de Yahvé, implacable fureur, ardente colère, pour réduire la terre en désert et en exterminer les pêcheurs […] Le soleil s’obscurcira dès son lever, la lune ne donnera plus sa lumière. Je vais punir l’univers de sa malice et les impies de leur crime. […] Levez les yeux vers le ciel, et regardez en bas sur la terre ! Les cieux se dissiperont comme une fumée, La terre s’usera comme un vêtement. Ses habitants mourront comme de la vermine. Mais mon salut sera éternel et ma justice n’aura pas de fin ». [chap. 13:13 et 51:6].  Dans le Nouveau Testament, Mathieu fait confirmer et préciser cette vision par Jésus s’adressant ainsi à ses disciples : « En vérité je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre, tout sera détruit […] “Dis-​nous : quand cela aura lieu, quel sera le signe de ton avènement et de la période finale du monde ?” […] On se dressera nation contre nation et royaume contre royaume et il y aura des famines et des tremblements de terre […] Beaucoup succomberont ; ce seront des trahisons et des haines intestines […] Par suite de l’iniquité croissante, l’amour se refroidira chez le grand nombre. Mais celui qui aura tenu bon jusqu’au bout, celui-là sera sauvé. » [chap. 24:1 à 13]. Cette vision eschatologique, si elle menace du pire ceux qui trahissent, haïssent…, “l’enfer c’est les autres” en quelque sorte, promet cependant l’accès au Royaume des cieux, là où les heureux élus, ceux qui auront su rester vertueux et justes, trouveront le grand amour.

Et survient le déluge [La Genèse, chap. II, 6-7-8], métaphore d’un effondrement on ne peut plus radical : « Yahvé vit que Deluge-1068x509la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée […] Et Yahvé dit : “Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j’ai créés, et avec les hommes les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel, car je me repens de les avoir faits. » La terre aurait été ainsi confrontée à une extinction massive d’une ampleur qu’elle n’a jamais connue. On retrouve ce mythe du déluge dans de nombreuses civilisations (grecque, chinoise, indou) mais à des périodes différentes. L’imagination des écrivains des textes sacrés devait être grande pour arriver à bâtir de telles légendes à partir d’évènements climatiques sans doute très importants mais limités géographiquement. On peut aussi se demander pourquoi Yahvé veut supprimer la quasi-totalité du monde animal vivant sur la terre, les bestiaux, les oiseaux peuvent-ils avoir en conscience de mauvais desseins ? Il n’est cependant pas fait mention du monde marin, serait-ce pour marquer un retour aux origines du vivant ? « Mais Noé avait trouvé grâce aux yeux de Yahvé […] “Fais-toi une arche […] entre, toi et toute ta famille, car je t’ai vu seul juste parmi cette génération. De tous les animaux tu prendras sept de chaque espèce, des mâles et des femelles« . Avec cette ménagerie, Noé – âgé de 600 ans ! – s’embarque, accompagné par ses trois fils et leurs épouses, pour une croisière qui se terminera en altitude à proximité du sommet du mont Ararat (en Turquie, d’origine volcanique, 5 160 m), la pluie incessante ayant fait monter le niveau des mers au point que « toutes les plus hautes montagnes furent couvertes ». Après cent cinquante jours de navigation, Noé, sa famille et tous les animaux qui l’accompagnent, retrouvent la terre ferme, à charge pour ses trois fils et leurs épouses (chacun peut en avoir plusieurs) de repeupler la Terre, les risques consanguins n’étant certainement pas connus par les auteurs de la Genèse ! Après ce grand nettoyage, on pourrait imaginer que les quelques humains restant vont entreprendre de construire un monde meilleur, mais Yahvé, réaliste et peut-être découragé, décide que désormais il se contentera d’assurer l’essentiel : « Je ne maudirai plus jamais la terre à cause de l’homme, parce que les desseins du cœur de l’homme sont mauvais dès son enfance ; plus jamais je ne frapperai les vivants comme j’ai fait. Tant que durera la terre, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus ». [La sainte Bible, traduction École biblique de Jérusalem, 1956, éd. Du Cerf, pour l’ensemble des citations], ce qui met à mal la philosophie de l’homme naturellement bon et de l’innocence enfantine.

Quel événement historique pourrait être à l’origine de ce mythe du Déluge ? Il est admis qu’une catastrophe de cette ampleur n’a pu concerner l’ensemble de la planète. Le déluge, source d’inspiration du récit biblique, a eu lieu au Moyen-Orient, mais pour l’instant il n’y a aucune certitude pour le dater : une première hypothèse propose vers l’an -7000 avant notre ère sur les bords de la mer Noire qui à cette époque était un lac d’eau douce, lac Pontique, protégé par l’isthme du Bosphore et à moins 150 m en dessous du niveau des mers. La Terre est alors dans une phase de réchauffement avec déglaciation importante (période interglaciaire en cours dite post würmienne commencée vers l’an -12000) entraînant une montée progressive du niveau des mers d’une centaine de mètres. La Méditerranée finit par submerger l’isthme du Bosphore devenu ainsi détroit, et transforme le lac en mer salée. Cette submersion a-t-elle été brutale genre tsunami, ou progressive ? Les chercheurs penchent plutôt pour une lente montée de l’eau avec recul de la côte sur un kilomètre provoquant d’importantes migrations de la population locale et de nombreux changements dans la biodiversité. Mais le grand écart de datation entre cet évènement et le début de l’écriture de la Bible vers l’an -900 (l’écriture, extension de la mémoire, a débuté vers l’an -3500 en Mésopotamie) n’est pas en faveur de cette hypothèse, la tradition orale sur plusieurs millénaires ne pouvant guère s’envisager. La deuxième hypothèse semble plus vraisemblable : vers l’an -1500, une période d’intense pluviométrie aurait provoqué de graves inondations dans les plaines du Tigre et de l’Euphrate avec une importante mortalité chez les humains et dans l’ensemble du monde animal terrien.

Depuis son début, le réchauffement climatique post würmienne, sans doute à l’origine du déluge rapporté par la Bible, a de multiples conséquences géographiques et écologiques. Ainsi vers l’an – 8000 le Doggerland, 17 600 km² (deux fois2007_dogger_re-engineered_satelite_photo_530 la Corse) de terre habitée située en mer du Nord, reliait l’Angleterre au continent Européen (la Manche n’était qu’un fleuve dans lequel se jetaient la Tamise et le Rhin). Ce territoire a été submergé par la montée du niveau de la mer du Nord et par un énorme tsunami provoqué par un effondrement maritime au large de la Norvège [cf. Jean-Paul Fritz, “Doggerland, le territoire englouti…”, L’Obs | 2 août 2018]. Cette alternance immersion -émersion de vastes surfaces de terre se déroulant sur de longues périodes, s’inscrit dans l’histoire de la Terre et génère de nombreux changements naturels pouvant être localement catastrophiques. Homo sapiens a-t-il l’intelligence d’en tenir compte en veillant à ne pas construire trop près des côtes, à ne pas épuiser la terre, à ne pas surexploiter les forêts, etc. ? Il semblerait qu’il ait tendance à décider du contraire, nous en reparlerons.

À cette même époque Homo sapiens commence lentement à se sédentariser (à partir de l’an -7000 en Europe) et à développer l’usage du feu de bois à usage industriel et agricole : fours de grande taille pour la poterie et la fonte des métaux ; vastes brûlis et déforestation par le feu pour dégager des terres cultivables. Avec l’accroissement des populations, le développement des villes et des techniques de transformation de la matière, cet usage ne fera que s’amplifier jusqu’à l’apparition du charbon, du pétrole et de l’agrochimie. Si la pollution par les feux de bois et par les brûlis est aujourd’hui admise et en partie réglementée, en revanche il est impossible de savoir, du moins à ma connaissance, quel impact elle a pu avoir avant le début de la société industrielle et dont les effets polluants sont, eux, bien connus.

Les approches visionnaires de l’effondrement ou de fin du monde qui viennent d’être évoquées, ne sont pas validées par les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Leur rapport 2018, “Scénarios d’émissions”, est certes alarmant, mais ils n’en dégagent pas pour autant une représentation apocalyptique digne de celles de nombreux auteurs de science-fiction. Récemment, Myles Allen, l’un des rapporteurs du GIEC, a précisé qu’il n’y a pas de date butoir : « arrêtons de dire qu’il va se passer quelque chose de grave en 2030. Des mauvaises nouvelles sont déjà en train de se dérouler et tous les demi-degrés de réchauffement comptent. Mais le GIEC ne dresse pas une limite à 1,5 °C au-delà de laquelle se déroulerait un Armageddon », c’est-à-dire ce qui serait la fin du monde dans l’ultime combat entre le Bien et le Mal. « Nous devons agir maintenant, et même si nous le faisons, nous ne sommes pas sûrs de réussir. Chaque année qui passe se traduit par 40 milliards de tonnes de CO2 en plus ». [Myles Allen « Pourquoi les manifestants doivent-ils se méfier de la rhétorique d’une panne climatique dans 12 ans ?” The Conversation | 18 avril 2019, en anglais]. Ce sont ces chiffres qui doivent alerter et ils devraient engager, surtout les pays riches, à prendre des décisions politiques drastiques – par exemple en matière de transports et d’usage des énergies fossiles — s’inscrivant dans ce qui est officiellement nommé transition écologique, dont l’un des porte-parole (non gouvernemental) les plus connus est Rob Hopkins, auteur de : « Manuel de transition. De la dépendance du pétrole à la résilience locale » [2008, éd. Écosociété & revue Silence]

La Terre, une planète du mouvement

La planète Terre existe depuis 4,6 milliards d’années et ce qu’elle était à ses débuts est très loin de ce qu’elle est aujourd’hui. Son itinéraire est en effet jalonné de multiples catastrophes naturelles, certaines ayant conduit à cinq extinctions massives (la sixième est peut-être en cours) dans le monde du vivant apparu il y a 3,5 milliards d’années. La cinquième est la plus connue avec la disparition il y a 66 millions d’années des dinosaures à l’exception d’une partie de ceux qui volaient, les oiseaux d’aujourd’hui en sont les descendants directs ! Pourtant à chaque extinction, le monde du vivant est reparti sur de nouvelles bases enrichies et dynamiques, par exemple les mammifères (Homo sapiens en est un) se sont surtout développés après la cinquième. Ce qui conduit à un double constat : aujourd’hui, nous ne serions peut-être pas là à nous interroger sur notre avenir d’humains si ces extinctions n’avaient pas eu lieu ; et toute espèce peut être conduite à être rayée du monde du vivant, l’espèce humaine étant sans doute plus protégée grâce à sa capacité à se projeter et à anticiper.

Soulignons également l’importance de l’alternance, repérée depuis plusieurs millions d’années (Cycles de  Milankovitch), entre des périodes glaciaires (l’épaisseur de glace a pu atteindre 2 400 m. dans la vallée de Chamonix !) et des périodes interglaciaires plus chaudes. Ces alternances ont entraîné de grands bouleversements : géologiques, dans la faune et la flore, dans les modes de vie des populations avec d’importants mouvements migratoires, tout particulièrement dans l’hémisphère nord. La durée moyenne d’une période interglaciaire est évaluée à environ 20 000 années, celle dans laquelle nous sommes en ce moment en serait donc approximativement à sa moitié, mais personne n’est en mesure de dire si l’alternance sera respectée, l’accélération du réchauffement pouvant modifier ce cycle ou bien la Terre en décider autrement. Dans sa préhistoire Homo sapiens ne se rendait pas compte de ces changements s’étalant sur des milliers d’années, il s’adaptait sur plusieurs générations et ses déplacements du nord au sud et inversement étaient indispensables à sa survie. Aujourd’hui, et depuis deux siècles, les climatologues sont à même de dater avec précision les variations du climat et d’en tirer des enseignements fiables dont Homo sapiens a semble-t-il du mal à tenir compte.

C’est ainsi que la Terre se sculpte à partir d’évènements sans aucune origine humaine (mouvements des plaques tectoniques par exemple) et qui peuvent être d’une grande violence. Homo sapiens n’a aucun pouvoir pour en modifier le cours, et s’il est désormais en mesure de les expliquer scientifiquement, la crainte que le ciel puisse lui tomber sur la tête ou que la terre s’effondre, demeure forte lors d’éruptions volcaniques et de tremblements de terre.

Des volcans explosifs

La plus connue des éruptions volcaniques est sans doute celle du Vésuve en 79. La ville depuis peu romaine de Pompéi vesuve_webet plusieurs autres cités proches, ont été ensevelies en quelques heures. Pline le Jeune en rend compte dans une lettre adressée à Tacite : “Un nuage part de la montagne ; par sa forme et son allure générale, il ressemble à un arbre et plus précisément à un pin parasol. Le nuage s’élève à une grande hauteur formant d’abord le tronc puis les branches qui partent de l’arbre.”  [“Pline à son cher Tacite, salut”, Plin. Εp. VI.16. Traduit par Publications du Centre Jean Bérard. Open Édition Books 1982]. En un jour Pompéi est recouvert, à l’exception des plus hauts bâtiments, par des tonnes de pierres ponces et de cendre ; le nombre de victimes sur environ 12 000 habitants est impossible à estimer. Herculanum, au pied du versant nord, échappe à la pluie de pierres et de cendre mais est ensevelie sous vingt-trois mètres de larve. Au-delà des clichés habituels sur la révolte de Gaïa ou la colère divine, Pompéi détruite (ne sera pas reconstruite), s’est figée dans un « instantané de la mort devenu évènement de savoir qui nous permet aujourd’hui de comprendre l’ordinaire des jours révélé par l’extraordinaire d’un jour où la vie fut anéantie », [Patrick Boucheron et Denis Van Waerebeke, “Quand l’histoire fait dates”, films documentaires Arte éditions 2017] ; pour autant la civilisation romaine n’en fut pas particulièrement affectée. Aujourd’hui le Vésuve reste actif et les quatre millions de personnes vivant à ses pieds ne semblent pas trop sans soucier, du moins en apparence, alors qu’une nouvelle grande éruption est estimée possible, « Quand ? Nul ne le sait… En attendant, ceux qui vivent sous sa menace aiment, mangent, dansent et prient (surtout San Gennaro), jouissant de chaque instant comme d’une éternité », [Jean-Paul Mari, “Naples : quand le Vésuve se réveillera…” GEO | 17 juin 2019]

Beaucoup plus récemment et avec plus d’intensité, le Pinatubo aux Philippines s’est violemment réveillé en 1991 après 500 ans de repos ; ses rejets (soufre, azote, chlore, monoxyde de carbone…) firent chuter la température terrestre de 0,6 °C entre 1991 et 1993. (Sources : Grégory Fléchet, Volcanologie, CNRS-le Journal | 17 nov. 2017]. Mais les deux éruptions les plus importantes de notre ère sont celles du Samalas et du Tambora :

Le Samalas (1257) : des recherches très poussées (abouties en 2010) à partir de carottes glaciaires (datation par le carbone 14) prélevées au Groenland et en Antarctique, complétées par des études de terrain, ont permis de localiser l’éruption gigantesque de ce volcan situé en Indonésie sur l’île de Lombok. Le monde vivant est exterminé sur cette île et en partie sur l’île voisine de Bali. Des rejets en gaz et poussière estimés à quarante km cube (ou quarante milliards de mètres cubes !) se propagent surtout au-dessus de l’hémisphère nord créant un voile dans l’atmosphère générant une diminution de l’ensoleillement, avec pour conséquences : net refroidissement du climat pendant au moins une année, destruction des récoltes de blé, famine, maladies infectieuses et accroissement de la mortalité, en particulier infantile. Cette éruption serait l’une des causes du début du “Petit Âge glaciaire” qui « correspond à une période climatique froide ayant affecté l’hémisphère nord entre le XIIIe et le XIXe siècle. Elle a été marquée par une importante avancée des glaciers, notamment en France. » [Quentin Mauguit, “Quatre éruptions volcaniques expliquent le Petit Âge glaciaire”, Futura-planète | 4 février 2012] ; en période interglaciaire les glaciers des Alpes ont atteint leur longueur maximale au début du XIXe siècle.

Le Tambora : l’éruption de ce volcan en Indonésie (île de Sumbawa) le 10 avril 1815 est considérée pour l’instant comme la plus gigantesque de notre ère : 100 à 200 km-cube sont éjectés (poussières, roches volcaniques, dioxine de soufre, aérosols…) sous forme d’une colonne de 44 km de haut, dont une grande partie compose un immense nuage de gaz et de poussière qui se répand dans l’atmosphère et la stratosphère en altérant durablement le rayonnement du soleil sur toutes les latitudes. Il s’en suit un bouleversement climatique sur trois années : ciel obscurci, baisse des températures : moyenne planétaire de -1 à – 2° pouvant aller jusqu’à – 5° dans certaines régions (Suisse par exemple), pluies abondantes, voire neige en basse altitude en plein mois d’août (30 cm à Genève), récoltes détruites, famine, épidémies…, catastrophes venant se surajouter au désastre économique et social laissé par les déconvenues napoléoniennes, Waterloo entre autres ; il s’en suit de nombreux soulèvements populaires violemment réprimés, avec des changements politiques qui s’annoncent.

Docteur Frankenstein

En Europe, 1816 est dénommée “année sans été”, « marquée par de très mauvaises conditions climatiques, avec de multiples conséquences en France et dans le monde. Dans l’Hexagone, le prix du blé explose… » [“Climat : 1816”, Météo France | 29 août 2016]. « Nous sommes avec Tambora, et ses conséquences tant météorologiques que frumentaires, devant un cas d’histoire mondialisée » [Le Roy Ladury, Trente-trois questions sur l’histoire du climat, 2010, Fayard]. Malgré son ampleur planétaire cette catastrophe naturelle n’a pas conduit pour autant à un effondrement systémique mondialisé.

1931-Frankenstein-v3-smallCette année 1816 privée d’été a-t-elle inspiré Mary Shelley lorsqu’elle a commencé à imaginer le personnage-clé de son premier roman ? Elle ne pouvait avoir connaissance de l’éruption du Tambora et de ses conséquences sur le climat, puisque ce lien de causalité n’a été établi qu’en 1875 [cf. Gillen d’Arcy Wood, L’année sans été, 2019, La Découverte]. Toutefois et même si elle vit dans un milieu aisé, elle a connaissance des dégâts économiques et sociaux de cette crise climatique majeure (son père, William Godwin, est un écrivain connu, libertaire et engagé pour la justice sociale). En mai 1816 elle décide de quitter Londres et se rend, avec son amant et futur époux le poète Percy Bysshe Shelley, au bord du lac Léman où elle séjourne en bonne compagnie, dont le célèbre poète anglais Lord Byron. Les pluies incessantes, les orages violents, l’obscurité, le froid…, confinent ces jeunes écrivains romantiques dans plusieurs demeures. Dans cette ambiance de fin du monde, Lord Byron propose que chacun imagine et écrive une histoire fantastique de quelques pages. C’est ainsi que Mary, 19 ans, amorce la rédaction de “Frankenstein ou le Prométhée moderne”, conte philosophique de science-fiction qui sera publié deux ans plus tard dans une première édition anonyme, puis en 1823 dans une version modifiée et signée.

Il est fréquent de lier ce chef-d’œuvre au dérèglement climatique dû à l’éruption du Tambora. Il est vrai que l’ambiance générale déprimante ne prête pas à l’optimisme et Mary Shelley semble confirmer ce lien dans la préface de la deuxième édition : « Chaque chose doit avoir un commencement […] et ce commencement doit être lié à quelque chose l’ayant précédé […] L’invention, admettons-le dans l’humilité, ne consiste pas à créer à partir du vide, mais du chaos ; le matériau doit d’abord être apporté, il peut donner forme à des substances obscures et informes ». Ce chaos, elle le ressent de plusieurs façons : déjà dans sa vie personnelle, elle a perdu en 1815 son premier enfant à l’âge de sept mois, elle vit avec un homme marié dont la femme est enceinte et va se suicider ; ensuite l’environnement climatique étant particulièrement hostile, il n’est pas toujours simple de trouver à se nourrir et à se protéger. Les causes de cette situation sont inconnues par tous, aussi les superstitions, les peurs ont tendance à prendre le pas sur la raison des Lumières. C’est sans doute pour cela que le roman de Mary, associant étroitement mort et renaissance dans un imaginaire fantastique, « questionne la place de l’humain en général, à un moment charnière de l’histoire où pour la première fois la science n’est plus vue uniquement comme source de progrès et où l’on craint que l’ombre n’émerge des Lumières. Que se passera-t-il si l’être humain parvient à contrôler la vie et la mort s’il dépasse sa condition, se croyant tout-puissant grâce à une science sans limite ? » [Christine Berthin, professeure, université Paris-Nanterre, “Frankenstein, une œuvre féministe ?” CNRS-le Journal | 7 août 2018]. Ainsi Mary Shelley, non seulement participe au lancement d’un genre littéraire nouveau, la science-fiction, mais préfigure également des questions posées par le Transhumanisme et l’intelligence artificielle actuellement très en vogue.

Lisbonne tremble

Quand Voltaire a écrit en 1756, “Poème sur le désastre de Lisbonne. Ou examen de cet axiome : tout est bien » [Œuvres tsunami lisbonnecomplètes, Garnier, 1877, tome IX], il a en mémoire le terrible tremblement de terre et le tsunami survenus à Lisbonne (et tout au long de la côte atlantique jusqu’au Maroc) le 1er novembre 1755, provoquant environ 50 000 morts et la destruction à 90 % de la ville. La façon dont était présentée et analysée cette grande tragédie le révoltait. À cette époque, un tel évènement se vivait sans doute telle une fin du monde, et faute de connaissances scientifiques suffisantes – les sciences physiques, tout particulièrement la sismologie étant encore balbutiantes — il fallait cependant en trouver les causes qui ne pouvaient qu’être divines. Et l’église catholique se chargeait d’énoncer abondamment une vision apocalyptique biblique de la colère du Dieu créateur, provoquée par les multiples comportements fautifs des humains. Voltaire ne supportait pas cette approche et le fit longuement savoir dans son poème :

« Philosophes trompés vous qui criez : “Tout est bien” / Accourez, contemplez ces ruines affreuses, / Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses, / Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés […] / Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes, / Direz-vous : “C’est l’effet des éternelles lois / Qui d’un Dieu libre et bon, nécessitent le choix ?” / Direz-vous, en voyant cet amas de victimes : / “Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ? / Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants / Sur le sein maternel écrasés et sanglants ? / Lisbonne, qui n’est plus, eut-elle plus de vices / Que Londres, que Paris, plongées dans les délices : / Lisbonne est abîmée, et l’on danse à Paris”.

Il développe cette approche dans “Candide ou l’optimisme” en 1759, ouvrage se terminant sur l’utopie de la Métairie, là où il convient de ”cultiver son jardin” pour s’éloigner de l’absurdité d’un monde qui est fait de guerres, de viols, d’injustices, de catastrophes naturelles…, mais qui pour autant ne s’effondre pas sinon localement.

Que nous disent les grandes catastrophes que nous venons d’évoquer ? De tout temps des phénomènes naturels de grande ampleur se produisent sans qu’Homo sapiens y soit pour quelque chose et il ne peut qu’en subir les conséquences dans son impuissance à les maîtriser. Certes il y a des effondrements massifs : le Tambora a perdu 1 000 mètres en altitude lors de l’éruption de 1815, Pompéi a été complètement détruite et pas reconstruite alors que Lisbonne l’a été, mais ces effondrements physiques restent localisés et n’entraînent pas fondamentalement de remise en cause systémique, sinon peut-être celle évoquée par Voltaire au sujet de l’Église.

Homo sapiens, quand il vit près de volcans actifs et malgré ses grandes connaissances, continue à s’en remettre aux divinités. Aujourd’hui, 700 millions de personnes habitent à proximité de volcans en constante activité, elles les sacralisent : portes de l’enfer ou demeures de dieux à craindre mais aussi à vénérer, nourrir… Car ces dieux s’ils détruisent, sont aussi à l’origine de terres fertiles, de sources d’eau chaude, d’énergie… Dans leurs recherches, plusieurs volcanologues tiennent compte de ces traditions et tentent de faire dialoguer sciences et pratiques sacrées ; ce qui logiquement devrait nous amener à mieux admettre et comprendre les grandes incertitudes liées aux façons dont nous occupons notre place sur terre et dont nous prenons soin de ce qui nous entoure [source : Vivre avec les volcans, film documentaire, coproduction Les-Bons-Clients et Arte France | 2019]. Haraldur Sigurðsson, volcanologue et géologue islandais dont l’activité professionnelle est en grande partie consacrée au Tambora, considère que ses recherches le conduisent à « une vraie leçon d’humilité. Cela nous rappelle que nous sommes bien peu de chose à côté des forces incroyables de la nature » [“Un été sans soleil”, documentaire réalisé par Elmar Bartlmae | Arte | 2005]

Belle histoire que cette relation d’Homo sapiens avec des forces qui le dépassent : « ‘histoire d’une relation fusionnelle, remontant à des milliers d’années. Une histoire faite de passion, de colère et de fascination. Un cycle infini de création et de destruction, de vie et de mort. C’est l’histoire des volcans et des hommes » [“Vivre avec les volcans”, op.cit.]

 La société industrielle menacée d’effondrement ?

Jared Diamond, reconnu mondialement comme théoricien de l’effondrement, cherche à approfondir les raisons qui ont fait que des sociétés disparaissent au fil du temps. Dans un ouvrage de référence [Effondrement, 2005, Gallimard], il analyse les disparitions de la population de l’Île de Pâques, des Vikings du Groenland, des Mayas du Mexique…, pour en fonder une théorie générale sur l’effondrement des sociétés et en particulier de la nôtre. Toutefois, Il n’évoque pas le Sahara qui, rappelons-le, bénéficiait il y a environ 5 000 ans d’un climat tropical favorable au développement d’une riche faune et flore permettant à une importante population de vivre sur place sans trop de difficultés. Il n’évoque pas non plus la chute de l’empire romain, aux multiples causes dont les dernières possibles sont évoquées par l’historien Kyle Harper pour qui climat et pandémies ont participé à cet effondrement : « On croyait que c’étaient les Germains, en fait ce seraient des germes. Ils auraient eu raison de Rome, de sa puissance et de son Empire. […] Remplacez-les par Yersinia pestis, bacille de la peste bubonique, et quelques autres bactéries et virus. Vous comprendrez alors autrement pourquoi, vers 650 de notre ère, un effondrement vertigineux a frappé le plus durable et le plus florissant empire de l’histoire occidentale. De 75 millions d’habitants, on passe à moins de la moitié. La cité de Rome comptait près de 700 000 habitants, elle n’en compta plus que… 20 000 ! » [Roger-Pol Droit, Le Monde | 5 janvier 2019].

Si ces disparitions ou changements sont bien réels, ils n’ont pas pour autant provoqué un effondrement systémique généralisé sur Terre, genre Déluge biblique. Pourtant, les collapsologues affirment que le principal objet de l’effondrement est, non la bourse, mais l’ensemble de la société industrielle mondialisée (telle que définit plus haut), avec comme causes principales le réchauffement climatique et la fin des énergies fossiles, base essentielle de l’industrie. Cependant cette société n’a-t-elle pas une capacité d’adaptation remarquable grâce en particulier à ce qui est nommé le progrès technique et ajoutons grâce aussi à une grande maîtrise de la finance internationale ? Certes il arrive que cette finance rencontre quelques difficultés (1929, 2008…), il est alors question d’instabilité, de crise, d’effondrement de la bourse…, mais elle s’en remet avec le temps en renforçant les inégalités et si nécessaire en puisant dans les caisses des États. [cf. Dominique Pilhon, “Peut-on comparer les grandes crises de 1873, 1929 et 2008 ?”, Idées économiques et sociales, 2013/4 N° 174].

En deux siècles la société industrielle a transformé une grande partie du monde en le faisant passer progressivement de l’agraire à l’urbain, du bois au charbon et au pétrole, de l’hippomobile à l’automobile…, le tout accompagné par une croissance démographique multipliée par 2,3 : +37 % entre 1600 et 1800 et +84 % entre 1800 et 2000, avec de plus en plus de pollutions de toutes sortes.

Généralement, il est fait mention de quatre “révolutions industrielles” jalonnant de nombreux changements dans le temps et l’espace de la société, avec chaque fois de nouveaux marqueurs dans les domaines de l’énergie, des technologies, de l’organisation du travail et social et plus généralement dans les modes de vie, certains auteurs parlent alors de “civilisation industrielle” :

  • la première au XVIIIe siècle : charbon, machines à vapeur, vers la mécanisation de la production industrielle et agricole et des transports (réseaux ferroviaires), urbanisation intensive,
  • la deuxième au milieu du XIXe siècle : nouvelles ressources en énergie : gaz, pétrole, électricité ; moteur à explosion, taylorisation, mouvements sociaux importants qui débouchent progressivement vers de nouveaux droits : temps de travail, congés payés, protection sociale…
  • la troisième vers le milieu du XXe siècle : énergie nucléaire, électronique, débuts de l’informatique et de l’automatisation,
  • la quatrième débute : intelligence artificielle, robotisation, connectivité, mobilité, mondialisation…, [cf. Abdelmalek Alaoui, “Ce que cache la IVe révolution industrielle pour les pays émergents”, World Economic Forum / Tribune Afrique | 26 mai 2019]

L’actuelle société industrielle va devoir s’adapter au passage des énergies fossiles aux renouvelables et prendre une part active dans la conception et la fabrication des nouvelles technologies. On peut considérer le secteur automobile comme le modèle de ces grandes mutations : « Comment la voiture, par son économie et par son utilisation quotidienne, peut-elle être repensée dans les années à venir ? Le secteur automobile est actuellement en pleine mutation, au croisement d’enjeux forts : politiques et économiques, environnementaux ou liés aux questions de mobilité. » [Benoît Bouscarel, “L’industrie automobile réussira-t-elle sa transformation ?” France Culture | 2 août 2019]. La Chine apparaît de plus en plus en principal leader de cette quatrième révolution : « Le Monde selon Xi-Jinping”, magistral documentaire de Sophie Lepault et Romain Franklin [production et diffusion Arte|18 déc.2018] est un exposé brillant – et un brin inquiétant – qui décrypte avec méthode et expertise la marche en avant de l’empire du Milieu. » [Etienne Labrunie, “Le Monde selon Xi-Jinping ou comment la Chine va dominer le monde”, Télérama | 17 déc. 2018]

La société industrielle a profondément évolué avec une série de mutations technologiques que l’on peut attribuer en grande partie à des découvertes scientifiques exceptionnelles. Il ne s’agit pas ici de débattre du bien ou mal fondé des choix politiques et économiques qui en résultent, mais de savoir si cette société est condamnée à s’effondrer sur elle-même à court terme, tel un mur en pierres sapé dans ses fondements ? Au regard de ces révolutions il semble difficile de se représenter la fin, souhaitée ou non, d’un système dont les capacités d’adaptation lui permettent de changer rapidement ses stratégies.

StarshipLa cinquième révolution sera-t-elle celle d’Elon Musk (voitures Tesla) qui veut coloniser Mars avec sahippomobile fusée phallique Starship ?

Ou bien celle d’Yves Cochet qui envisage un retour généralisé à la traction animale : « Pour les transports, il faut développer les hippomobiles, des voitures tractées par des chevaux » [Yves Cochet, 2018] ?

 

Entre imaginaire spatial et imaginaire sympa romantique, il y a peut-être des intermédiaires à trouver ?


Ce parcours, dans une partie de l’histoire récente d’Homo sapiens, donne quelques repères pas nécessairement les plus connus, mais choisis parce que je pense qu’ils font dates, dans le sens où l’entend l’historien Patrick Boucheron qui cherche à renouer « avec l’élan d’une historiographie de grand vent […] L’entrée par les dates permet d’évoquer des proximités pour les déplacer, ou au contraire de domestiquer d’apparentes incongruités […] Susciter le désir et l’inquiétude, ces deux moteurs du voyage. » [Patrick Boucheron (sous la direction de), Ouverture. Histoire mondiale de la France, 2017, Seuil]

Ce voyage interroge sur la place occupée par Homo Sapiens, non seulement sur la planète Terre, mais aussi dans l’Univers (cf. “Homo sapiens dans le buisson du vivant”, 2020) ou plus exactement sur la place qu’il cherche à se donner en cherchant à dominer le monde en transgressant certaines limites de l’espace et du temps, limites qu’il voudrait à tout prix abolir : Hélons Musk et ses fusées, les transhumanistes et leur recherche d’immortalité, n’ont-ils pas tendance à se rapprocher du docteur Frankenstein ? Homo sapiens a appris à construire, souvent avec art, mais aussi à détruire plus qu’il ne faut ; et s’il est certainement devenu savant, il arrive aussi que la sagesse lui fasse défaut.

Pour certains, la conséquence prévisible de ce manque de sagesse serait qu’il va à sa perte, “aller droit dans le mur” est une expression couramment employée. Cette perte se traduirait par un effondrement total imminent, pouvant conduire à la fin d’un monde, voire à la fin du monde. Demeure cependant l’incompréhension d’un manque de précision dans la définition du concept : quelle dimension historique et territoriale lui donner, pourrait-elle être planétaire ? Sauf exception d’une guerre nucléaire généralisée toujours possible, et sauf à accréditer le mythe du déluge, nous avons noté que la disparition d’une société ou l’engloutissement d’un territoire ont lieu localement et qu’il semble hasardeux d’y voir une apocalypse planétaire, sinon de façon prophétique. Ce qui n’élimine pas l’attention à porter aux multiples changements – climatiques mais aussi économiques, sociaux, culturels – qui balisent l’histoire d’Homo sapiens.

Mais rétorque-t-on, on n’est plus au niveau du local et le raisonnement doit être global puisque le système industriel et financier est mondialisé, et le réchauffement climatique tout autant ! C’est exact, mais je maintiens que la société industrielle me semble loin de s’écrouler, qu’on le veuille ou non ; ce qui ne doit surtout pas empêcher d’interpeller ses leaders pour les interroger sur leurs manières de faire société et de gouverner, et de chercher également à valoriser les multiples innovations de l’économie sociale et solidaire qui, elle aussi, fait société.

La mondialisation du réchauffement climatique est maintenant bien connue et tout doit être entrepris pour que les objectifs fixés par l’accord de Paris Cop 21 soient atteint. Osons imaginer que des politiques climatiques d’envergure soient décidées rapidement et permettent que le réchauffement soit maintenu d’ici 2030 au seuil du 1,5 °C envisagé par la COP 21. Eh bien malgré tout, et c’est le sens de l’alerte de Myles Allen [op.cit.], notre société, celle des Nations-Unies, doit s’attendre et se préparer à des changements importants qui adviendront sur deux ou trois générations, certains étant déjà en cours : fonte des glaciers, montée du niveau des mers, fortes tempêtes, périodes de sécheresse alternant avec des périodes humides… ; changements amplifiant les mouvements migratoires, les risques de famine, d’épidémies, la souffrance… Homo sapiens ne peut ignorer ces risques et doit entreprendre de les traiter localement et mondialement avec l’art et l’intelligence dont il peut faire preuve.

Naomi Klein, connue pour des prises de position engagées, a publié Plan B pour la planète : le New Deal vert [2019, Actes Sud] : « Les gens ont faim qu’on leur montre un futur dans lequel le monde ne s’effondre pas » dit-elle [Libération | 3 nov. 2019]. elle propose, inspiré du New deal de Roosevelt en 1933, un “Nouveau traité vert” : « vaste plan d’investissement dans les énergies renouvelables visant à endiguer le réchauffement climatique tout en promouvant la justice sociale. » [Isabelle Hanne, Libération op.cit.]. Ce projet prenant en compte une réalité complexe, est une belle manière de repositionner la société industrielle sur de nouvelles bases.

L’histoire d’Homo sapiens est aussi faite de mobilité. Venu d’Afrique il y a environ 40 000 ans, il a commencé à habiter l’actuel continent européen alors peuplé seulement de quelques milliers de Néandertaliens et de Dénisoviens. C’est sans doute une sécheresse prolongée et le manque de nourriture qui l’ont poussé à entreprendre ce voyage dont la grande importance ne nous échappera pas. Une fois installé en Europe, il a continué à bouger au gré des périodes climatiques et de son développement en nombre, pour parvenir peu à peu à se sédentariser. Ce parcours de peuplement peut amener à “évoquer des proximités pour les déplacer” [P. Boucheron op.cit.] : les origines d’Homo sapiens ne seraient-elles pas en effet à rapprocher d’événements se déroulant actuellement entre l’Afrique et l’Europe ?

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De quoi ce parapluie peut-il bien protéger ? Peut-être du mauvais temps qui s’annonce… et pourquoi pas de l’arrogante hubris d’Homo sapiens symbolisée ici par ces impressionnantes constructions du quartier d’affaires de la Part-Dieu à Lyon…

Photo ©Enna Pator

 

 

Compléments

  • “La collapsologie est politiquement inoffensive”, à propos du livre de Catherine et Raphaël Larrère,  Le Pire n’est pas certain – Essai sur l’aveuglement catastrophiste, Océane Segura | éd. Premier Parallèle / 2020 | Les Inrockuptibles / 19 sept. 2020
  • “La collapsologie, une impasse réactionnaire”, Stéphanie Treillet | Attac / décembre 2020
  • ”Pour une étude critique de la collapsologie”, Maxime Pauwels | The Conversation / 4 février 2021
  • “65% des Français croient à l’effondrement imminent de notre civilisation”, Fabienne Marion | UP Magazine / juillet 2021

Bibliographie

  • Le pire n’est pas certain. Essai sur l’aveuglement catastrophiste, Catherine et Raphaël Larrère | éd. Premier Parallèle / 2020
  • Aux origines de la catastrophe. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Pablo Servigne, Charlotte Luyckx, Raphaël Stevens | éd. Les Liens qui Libèrent / 2020
  • L’entraide, l’autre loi de la jungle, Pablo Servigne, Gauthier Chapelle | éd. Les Liens qui Libèrent / 2019
  • Comment l’Empire romain s’est effondré, Kyle Harper | éd. La Découverte / 2019
  • « Convention Cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques » | COP25 / 2019
  • Devant l’effondrement. Essai de collapsologie, Yves Cochet | éd. Les Liens qui Libèrent / 2019
  • Plan B pour la planète : le New deal vert, Naomi Klein | éd. Actes Sud / 2019
  • Vivre avec les volcans, documentaire Arte France / 2019
  • L’Agroécologie peut nous sauver, Marc Dufumier, Olivier le Naire | éd. Actes Sud / 2019
  • Scénarios d’émissions. Rapport spécial | Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) / 2018
  • Le Monde selon Xi-Jinping, Sophie Lepault, Romain Franklin | documentaire ARTE / 2018
  • Une autre fin du monde est possible, Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle | éd. du Seuil / 2018
  • Le Mal qui vient. Essai hâtif sur la fin des temps, Pierre-Henri Castel | éd. du Cerf / 2018
  • Histoire mondiale de la France, Patrick Boucheron (sous la direction de) | éd. du Seuil / 2017
  • Une histoire environnementale de l’humanité, Laurent Testot | éd. Payot / 2017
  • « Nous sommes au moment le plus dangereux de l’histoire de l’humanité » | Stephen Hawking | RT-France.com / 2 déc. 2016
  • Comment tout peut s’effondrer, Pablo Servigne, Raphaël Stevens | éd. du Seuil / 2015
  • L’Alimentation en otage, José Bové, Gilles Luneau | éd. Autrement / 2015
  • La Zone du dehors, Alain Damasio | éd. La Volte / 2013
  • Du feu et de l’eau, Anne-Marie et Michel Detay | éd. Belin / 2013
  • Les limites de la croissance dans un monde fini, Dennis Meadows, Donella Meadows, JorgenRanders | éd. Rue de l’Échiquier / 1972 et 2012
  • Trente-trois questions sur l’histoire du climat, Emmanuel Le Roy Ladurie | éd. Pluriel / 2010
  • Planète blanche. Les glaces, le climat, et l’environnement, Jean Jouzel, Claude Lorius, Dominique Raynaud | éd. Odile Jacob / 2008
  • Manuel de la transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale, Rob Hopkins | éd. Ecosociété et Silence / 2008
  • Un Été sans soleil, documentaire de Elmat Bartimae, produit par France 2 / 2005
  • Effondrement, Jared Diamond | éd. Gallimard / 2005
  • Entretiens avec René Dumont, (livre posthume) Martine Leca, éd. Le Temps des cerises, 2004
  • L’aveuglement, José Saramago | éd. du Seuil / 1997
  • Voici le temps du monde fini, Albert Jacquard | éd. du Seuil / 1991
  • L’Utopie ou la Mort, René Dumont | éd. du Seuil / 1973
  • La Bible | École biblique de Jérusalem | éd. du Cerf / 1956
  • De la Nature des choses, Titus Lucrèce / 80 av. J.-C | (traduction en français : André Lefèvre | Société d’éditions littéraires / 1899. Wikisource)
  • La Désobéissance civile, Henry D. Thoreau | 1849 | préface et notes par Michel Granger, (traduit par Nicole Mallet | éd. Le Mot et le Reste / 2018)
  • Catéchisme des industriels, Claude-Henri de Saint-Simon / 1823 (numérisé Gallica-BNF)
  • Du système industriel, Claude-Henri de Saint-Simon / 1821 (numérisé Gallica-BNF)
  • Frankenstein ou le Prométhée moderne, Mary Shelley | éd. Lackington, Allen & Co / 1818
  • Essai sur le principe de population, Thomas Malthus | 1798 (éd. française, Flammarion / 1992)
  • Poème sur le désastre de Lisbonne, Voltaire / 1756 (Œuvres complètes, Garnier 1877)
  • Pline à son cher Tacite, salut ! Pline le Jeune / 79 (traduction Centre Jean Bérard / 1982)

Apeirogon : Palestine – Israël

texte téléchargeable       vers page Palestine / Israël

ap_01Je termine la lecture de Apeirogon de Colum McCann, livre étrange dans sa conception à la fois récit historique et roman, mais enthousiasmant, émouvant. À sa parution en 2020 [éd. Belfond], la critique a été particulièrement élogieuse : « On le déguste avec éblouissement et gratitude [Florence Noiville, Le Monde | 19 août]… Un hymne éblouissant à la mémoire et à la paix [Carine Azzopardi, FranceInfo | 13 oct.]… Le Chant pour la paix [Didier Jacob, Nouvel Observateur | 14 oct.]… Un livre monumental [Guillaume Erner, France Culture Les invité du matin | 25 sept] ».

Seule Alexandra Schwartzbrod dans Libération émet quelque réserve : « L’idée est de montrer toutes les facettes d’un conflit multiple et les liens de cause à effet entre les tragédies, parfois même l’absurdité de ce conflit. Le procédé est intéressant, brillant, mais il entrave terriblement la lecture, bride le romanesque et finit par lasser » [“Colum McCann, heurts d’Apeirogon”| Libération |11 sept 2020]. En fait, je n’ai été ni entravé, ni lassé, mais vraiment étonné par une œuvre aux multiples facettes…

ap_0Le cœur de l’ouvrage c’est d’abord l’histoire bouleversante de l’Israélien Rami Elhanan, père de Smadar, 14 ans, tuée dans un attentat en plein centre de Jérusalem-Ouest le 4 septembre 1997 (cinq morts dont trois adolescentes), et du Palestinien Bassam Aramin, père d’Abir, 10 ans, tuée le 20 janvier 2007 par le tir d’un jeune soldat israélien se sentant menacé, alors qu’elle se rendait à son école à Beit Jala, ville proche de Bethléem en Cisjordanie.

Les deux hommes n’ignorent rien de la violence de la guerre : à 17 ans, Bassam a été emprisonné pendant sept ans pour actes jugés terroristes. À 23 ans, Rami a fait la guerre du Kippour dans une compagnie de chars en grande partie décimée, “là où on nous apprend à avoir peur des arabes”. Mais la mort de leur enfant a complètement bouleversé leur vie, leur façon de penser et d’agir.

Je reviendrai plus longuement sur cette grande page de l’histoire israélo-palestinienne après avoir évoqué l’originalité de la composition du livre. Déjà le titre surprend : l’apeirogon serait une figure géométrique sans limite ou plus exactement un polygone au nombre infini de côtés, ce que j’ai bien du mal à me représenter ! Toujours est-il que Colum McCann a utilisé ce mot trouvé, dit-il, “par hasard, venant de nul part et tellement mystérieux” [France-Culture, op.cit.], pour en bâtir mille-et-un fragments (ou chapitres parfois très courts), tel le conte arabo-persan “Les Mille-et-une Nuits”, dans lequel tout finit par s’enchâsser. C’est bien le cas aussi dans Apeirogon, mais c’est loin d’être toujours évident à saisir !

Ainsi le chapitre 6 est consacré au dernier repas d’ortolans de François Mitterrand le 31 décembre 1995, quelque jours avant sa mort : « Ce mets incarnait à ses yeux l’âme de la France », écrit C. McCann ; est-il outré par cette dégustation rituelle d’un tout petit oiseau interdit de chasse et qui s’achète clandestinement autour de 100 € pièce ? En tout cas je le suis ! et ne serait-il pas alors plus juste de dire : “braver l’interdit incarne l’âme de la France” ?

Mais je crois que l’enchâssement est à rechercher ailleurs que dans les transgressions coutumières d’un ancien président de la ap_03République. Les oiseaux, ortolans compris, tiennent une grande place dans Apeirogon : « Je n’étais pas tellement intéressé par les oiseaux jusqu’à ce que j’aille à Jérusalem […]. Israël et la Palestine c’est la deuxième autoroute au monde pour les migrations d’oiseaux […]. Ils survolent cet espace aérien. Et souvent, ils atterrissent sur le sol et ils apportent en quelque sorte les récits d’autres endroits à ce lieu particulier. Nous avons là le lieu de rencontre de trois continents l’Afrique, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie, lieu de rencontre des principales religions du monde […]. Oui, oui, il y a un conflit terrible et il y a énormément de tristesse. Il y a aussi une beauté incroyable là-bas. Je voulais capturer cette beauté à travers les formes de ces oiseaux migrateurs ». [France Culture | op.cit.].ap_04

Smadar avait accroché dans sa chambre une reproduction de la colombe de la paix de Picasso. « Ne laissez pas tomber le rameau d’olivier de ma main » [Yasser Arafat, assemblée générale des Nations-Unies |1974].

Je pourrais citer plusieurs autres fragments que je n’ai pas toujours su enchâsser dans le récit des deux pères sur lequel on revient toujours d’une manière ou d’une autre, et c’est là l’essentiel.

ap_05Bassam et Rami ont fait connaissance dans l’association Les Combattants de la paix : « Nous sommes un groupe de Palestiniens et d’Israéliens qui ont pris une part active au cycle de violence dans notre région : des soldats israéliens servant dans l’armée israélienne et des Palestiniens en tant que combattants luttant pour libérer leur pays, la Palestine, de l’occupation israélienne. Nous – au service de nos peuples, nous avons brandi des armes que nous nous sommes dirigées les uns contre les autres et que nous ne nous voyions que par des armes à feu – avons établi des combattants pour la paix sur la base des principes de non-violence ». [cf. également “Le long du mur, avec les Combattants pour la paix”| Camille Laurens, Gisèle Sapiro | Libération | 30 mai 2013]

Depuis, ces deux grands amis parcourent le monde pour raconter inlassablement, à des publics très divers, la mort de leur enfant, ap_06leur douleur et celle leur famille, les absurdités de la guerre en Palestine, et évoquer la parole et la non-violence comme seules armes possibles pour parvenir à la paix : « Nous vous demandons de retirer vos armes de nos rêves. Nous en avons assez, je dis, assez, assez […] La seule vengeance consiste à faire la paix. Nos familles ne font plus qu’une dans laap_10 définition atroce des endeuillés. Le fusil n’avait pas le choix, mais le tireur, lui, l’avait ». Le plus souvent ils sont accueillis chaleureusement, mais il arrive parfois qu’ils soient hués, traités de vendus, “terroriste un jour, terroriste toujours”… Comment peux-tu faire ça ? Tu soutiens des gens qui ont tué ta fille. Je ne comprends pas”…

Apeirogon m’a aussi permis de réactualiser des faits parfois oubliés. Ainsi, Rami est le mari de Nurit Peled Elhanan, dont le père Matti Peled (1923-1995), général de l’armée israélienne, après s’être illustré durant la “guerre des 6 jours” en 1967, était devenu militant pacifiste dénonçant l’absurdité de l’occupation d’une grande partie de la Cisjordanie et de Gaza.

Nurit, professeure de littérature à l’université hébraïque de Jérusalem, prix Sakharov en 2001, est connue comme une grande ap_07militante pacifiste. Aux obsèques de sa fille Smadar, elle refuse la présence des autorités israéliennes dont Benjamin Nétanyahou, pourtant ami d’enfance et d’études. Elle l’interpelle directement au téléphone : “Bibi qu’as-tu fait ?” puis l’accuse dans un long article publié par Le Monde Diplomatique en octobre 1997, et dans lequel elle ne mâche pas ses mots : « Et voilà : la plus monstrueuse parmi les monstruosités qu’on puisse imaginer a frappé notre foyer. Je répète donc aujourd’hui ce que j’ai dit, et avec encore plus de détermination, alors même que mes yeux ruissellent de larmes et que le visage mutilé de Smadar, notre petite et si belle princesse, est toujours là devant moi. Et j’ajoute : c’est la politique du premier ministre, “Bibi” Nétanyahou, qui a amené le malheur dans notre famille. […] Depuis trente ans, Israël a mené une politique désastreuse pour nous comme pour nos voisins. “Nous” avons occupé de vastes territoires, humilié et spolié des hommes et des femmes, détruit des maisons et des cultures. Et, par la force des choses, la riposte est arrivée. On ne peut pas tuer, affamer, boucler dans des enclaves et abaisser tout un peuple sans qu’un jour il explose. C’est la leçon de l’histoire. Mais “Bibi” n’a pas la moindre notion d’histoire. […] Il accusait mon père, partisan de la paix avec les Palestiniens, d’être un agent de l’OLP. En fait, “Bibi” est incapable de comprendre comment un homme peut être guidé par des idéaux de paix. […] Si l’on n’arrête pas cette folie, les flammes de la guerre consumeront tout ».

Mais comment arrêter cette folie ? En fin de lecture, je me suis demandé si la force de résister de manière non violente que ces familles israéliennes et palestiniennes puisent dans leur immense douleur, conduisait ou non à des changements dans la politique d’Israël à l’égard de la Palestine : “Bibi” est toujours là et même s’il est en difficulté et perd le soutien extravagant de D. Trump, la droite qu’il représente demeure obnubilée par l’idée d’aboutir à un État juif allant jusqu’au Liban, voire au-delà, et la gauche israélienne n’y voit plus très claire dans ses choix…

Et il y a le doute… exprimé par Daniela, amie de Smadar et blessée lors de l’attentat de 1997 ; elle échange avec Rami, non dans le livre mais dans un excellent film documentaire (à voir) : « je ne sais pas si ça vaut la peine de discuter. Je ne sais pas si ça nous mène à quelque chose. C’es décourageant. Je ne sais plus vraiment contre qui je suis en colère : contre le gouvernement israélien qui n’a pas réagi ? Contre les Palestiniens qui sacrifient leur vie ? Je ne sais plus contre qui je suis en colère… » [“Israël – Palestine les combattants de la paix”, documentaire réalisé par Shelley Hermon | France Télévisions | 2012]

Pour clore en gardant de l’espoir : Yigal et Araab, fils de Rami et Bassam, prolongent en public la mission de leurs pères : « Nous ne parlons pas de la paix, nous la faisons. Prononcer leurs prénoms [de nos sœurs] ensemble, est notre simple, notre unique vérité. »

Et une nouvelle récente peut renforcer cet espoir, en effet, pour la première fois dans l’histoire de l’occupation de la Palestine « une organisation israélienne, B’Tselem, dénonce un régime d’apartheid. L’organisation de défense des droits de l’homme israélienne accuse l’État d’entretenir un régime de suprématie juive entre le Jourdain et la Méditerranée. » [Louis Imbert, Le Monde | 12 janvier 2021 | rapport publié le 10 janvier en anglais]

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Références complémentaires

  • “Israël : les Palestiniens sont victimes d’un apartheid” | Amnesty International | février 2022
  • À propos de l’apartheid en Palestine, tribunes parues dans Le Monde en  septembre 2021 ; « Le terme “apartheid” permet de penser dans la durée l’asymétrie des relations israélo-palestiniennes », est le titre d’une tribune parue le 28 septembre et signée par un certain nombre de personnalités (dont Alain Gresh), en réponse à : « Antisémitisme : La question israélo-palestinienne ne doit pas être l’exutoire des passions primaires », autre tribune parue le 8 septembre, au contenu anhistorique et humiliant, signée par des personnalités (pas les mêmes !), dont on peut se demander ce que certaines font là…
  • Susan Abulhawa« Apeirogon : un autre faux pas colonialiste dans l’édition commerciale. Le dernier roman de Colum McCann mystifie la colonisation de la Palestine comme un conflit compliqué entre deux parties égales. »| Aljazeera-Opinion | 11 mars 2020
  • Raja Shehadeh, réponse à Susan Abulhawa : « Ce n’est pas l’affaire de Colum McCann dans son roman «Apeirogon» de fournir des solutions politiques au conflit. Il met en lumière d’une manière artistique très émouvante, l’humanité de deux individus, le père israélien qui a perdu un enfant tout comme il fait la perte du père palestinien. Comment pouvons-nous nous en offenser ? » [Mondoweiss | 3 juil. 2020 

Autres articles publiés

Virus, bactéries, épidémies, je vous…

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virus_01“Plonger au fond du gouffre. Enfer ou ciel, qu’importe ?

Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau”.

Baudelaire, Le Voyage. Les Fleurs du mal | 1857

Vivre avec ?

Bactéries et virus tiennent une place importante dans le monde du vivant [cf. “The biomass distibution on Earth” page 2]. Si les bactéries peuvent nuire (bacille de la peste…) elles ont aussi leur utilité, pour la digestion par exemple. En revanche le virus a nettement moins bonne presse : « Virus, étymologiquement parlant, c’est un jus mauvais, un poison, une puanteur, bref, quelque chose de pas vraiment sympathique. Et de fait, les virus sont responsables de maladies graves comme la grippe, Ébola, le SIDA, le SRAS… mais pour quelques espèces virulentes, combien d’autres vivent autour de nous, en nous, et ce certainement depuis l’origine du vivant ? Il y a plus de virus sur Terre que d’étoiles dans la galaxie. Les virus sont partout, et sont surtout beaucoup plus complexes qu’on ne l’imaginait, à tel point que l’on se demande, aujourd’hui, si les virus ne sont pas à l’origine de la vie, et s’il ne faudrait pas, eux aussi, les considérer comme des organismes vivants. » [Nicolas Martin, “Virus, il ne leur manque que la parole”, France-CultureLa méthode scientifique | 13 avril 2020].

Patrick Forterre est l’un des biologistes cherchant à démontrer les rôles essentiels des virus dans le développement des cellules virus_02humaines : « Les virus ne se résument pas aux particules virales que l’on détecte au microscope. Lorsqu’ils infectent une cellule, ils la détournent et en font transitoirement une chimère, qui joue sans doute un rôle clé dans l’évolution. » [“La cellule virale rouage de la vie”, Pour la science N° 469 | novembre 2016 | p. 42]. Si “L’usine virale” du vivant provoque des maladies dangereuses, elle aurait aussi grandement participé à l’histoire évolutive de l’humanité ; ainsi les enzymes de base, l’ADN, le placenta, la mémoire à long terme, la fusion des gamètes, le noyau cellulaire, en seraient bénéficiaires [Lionel Cavicchioli, “Nos ancêtres les virus”, Science et Vie N°1227 | 3 avril 2020]. L’humain existe donc en grande partie grâce aux virus ! Belle aventure biologique dont l’exploration est loin d’être terminée, mais le savoir suffit-il à nous réconcilier avec eux, surtout en pleine pandémie d’origine virale avec les peurs qu’elle provoque ? Un jour peut-être la recherche permettra d’identifier et de neutraliser les virus dangereux en amont de leur déclenchement épidémique, mais en attendant on doit faire avec…

L’actuelle pandémie du coronavirus soulève beaucoup d’interrogations à propos de ses origines, de son imprévoyance, de sa gestion sanitaire, de ses conséquences économiques et sociales… Mon propos n’est pas de revenir sur ces questions déjà abondamment développées, mais de rapprocher quatre situations épidémiques ou pandémiques échelonnées entre 430 avant notre ère et 2020. Ce qui ne veut pas dire que les épidémies n’existaient pas avant –il se dit même qu’elles pourraient être l’une des causes de la disparition complète de l’Homme de Néandertal il y a environ 25 000 années– et n’existeront pas après, le tout étant de savoir comment on cohabite avec elles…

Cette étude est située principalement dans trois villes symboles : Athènes capitale de la Civilisation grecque ; Florence capitale de la Renaissance italienne, et Marseille l’une des capitales du Bassin méditerranéen. Bien entendu les pestes et coronavirus dont il va être question, ne se cantonnent pas au périmètre de chacune de ces agglomérations, mais ces épidémies sont à l’origine d’écrits ou de prises de position qui font dates dans l’histoire. Dans des réalités de crise à la fois sanitaire, économique, sociale, culturelles, politiques… à l’évidence différentes les unes des autres mais aussi avec des points communs, cette exploration permet de dégager des invariants que l’on retrouve dans plusieurs de ces situations, à partir de récits historiques écrits ou dits par des acteurs-auteurs de l’époque.

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ATHÈNES, 430 avant notre èrevirus_05

Vaste cité fortifiée où vivent environ 240 000 personnes dont : 75 000 esclaves [l’esclave : “objet animé, instrument destiné à l’action”, selon Aristote], 30 000 étrangers (les métèques) et 40 000 citoyens hommes constituant la Polis et seuls ayant accès à la vie démocratique [cf. Pierre Salmon, “La population de la Grèce antique”| Bulletin de l’Association Guillaume Budé – Lettres d’humanité n° 18 | décembre 1959]. Sans droits, la plupart des esclaves et des étrangers vivent dans des zones d’habitation surchargées et sans hygiène, genre bidonvilles, terrain propice à la propagation rapide d’une épidémie. Ils en sont les principales victimes.

La peste (ou peut-être le typhus) envahit l’Attique en -430, alors que cette région subissait les effets dévastateurs de la guerre entre Sparte et Athènes commencée en -431, et provoquée par Sparte (ligue du Péloponnèse) pour résister au développement de l’impérialisme athénien (ligue de Délos) dans le Bassin méditerranéen (mer Égée surtout). Cette guerre s’est achevée -404 par la victoire de Sparte, cité-État beaucoup moins touchée par l’épidémie. Malgré des mesures de confinement, en particulier pour les quartiers pauvres, le nombre de morts s’élève à environ 80 000 personnes, dont Périclès, alors chef du gouvernement de l’Attique. Et déjà, des conspirationnistes étaient à l’œuvre : « les premiers atteints prétendirent que les Péloponnésiens avaient empoisonné les puits » [Thucydide].

virus_00Thucydide (465 – ≈400), considéré comme le fondateur de l’Histoire scientifique, est le grand témoin de la guerre et de la peste, lui-même atteint mais dont il guérit. Il en fait le récit dans Histoire de la guerre du Péloponnèse [traduction par Charles Zévort | éd. G. Charpentier, 1883 | source Gallica-BNF], œuvre unique en huit livres écartant toute lecture mythique de la réalité. Cette épidémie a joué un rôle important durant la guerre au détriment des Athéniens et Thucydide, en journaliste et historien avisé, évoque longuement les ravages de cette épidémie.

virus_07« Dès le commencement de l’été, les Péloponnésiens et leurs alliés vinrent avec les deux tiers de leurs contingents, comme la première fois, envahir l’Attique, sous le commandement d’Archidamos, fils de Zeuxidamos, roi des Lacédémoniens. Ils y campèrent et ravagèrent le pays. Ils n’y étaient encore que depuis peu de jours, quand la contagion se déclara parmi les Athéniens. On disait que précédemment, ce mal avait déjà éclaté en plusieurs endroits ; à Lemnos et ailleurs, jamais, cependant, on n’avait vu, en aucun lieu, peste aussi terrible et pareille mortalité parmi les hommes. Les médecins étaient impuissants contre la maladie : d’abord ils avaient voulu la traiter faute de la connaître, mais en contact plus fréquent avec les malades, ils furent d’autant plus maltraités. Tous les autres moyens humains furent également impuissants : prières dans les temples, recours aux oracles et autres pratiques du même genre, tout resta sans effet ; on finit par y renoncer au milieu de l’abattement général ».

Histoire de la guerre du Péloponnèse      EXTRAITS évoquant l’épidémie       TEXTE complet

FLORENCE, XIVe sièclevirus_08

Depuis le début du XIVe siècle l’Europe traverse une grave crise économique, sociale et politique. L’une des causes avancées est climatique avec le Petit âge glaciaire dont les effets sur l’agriculture sont catastrophiques : « La grande famine de 1314-1316 est la conséquence de plusieurs étés pourris consécutifs. La ceinture des perturbations atlantiques dérive plus au sud. Le foin ne sèche pas, les charrues s’embourbent, […] les semailles d’automne et de printemps sont ratées, les rendements du blé sont misérables […]. Il est possible qu’en 1348 le passage de la peste bubonique à une forme plus dangereuse, la peste pulmonaire, ait été influencé par la fréquente, froide et lourde pluviosité estivale des années 1340. » [Emmanuel Le Roy Ladurie, “Le climat : une profonde rupture”| Vie publique | 4 déc. 2019]

L’Italie est profondément touchée par cette tourmente. Ce qui n’empêche pas des seigneurs de guerroyer pour mettre la main sur les nombreuses communes républicaines indépendantes de l’Italie du Moyen-Âge et dans lesquelles s’est affirmé le “Popolo” (population urbaine n’appartenant pas à la noblesse), la cité-État de Florence en est l’un des fleurons. Mais cette ville d’art est traversée par une succession de crises : krach financier, rivalités de pouvoir, insurrections populaires… [cf. Jean Boutier, Yves Sintomer, “La République de Florence (XIIe-XVIe siècle). Enjeux historiques et politiques”| Revue française de science politique vol. 64 | 2014].

En 1348 la peste envahit toute l’Europe et arrive à Florence sur un terrain propice à un rapide développement : forte concentration urbaine, environ 100 000 habitants, pauvreté, famine, pollutions diverses… Elle provoque la mort d’environ 50 000 personnes en quatre ans.

virus_09Dans Le Décaméron [traduction par Francisque Reynard | éd. G. Charpentier, 1884 | source Gallica-BNF], écrit entre 1349 et 1352, Jean Boccace (1313-1375) fait brièvement le récit de l’épidémie. Il est conteur et ce volumineux ouvrage, sous forme de nouvelles, est avant tout destiné à relater les dix journées de confinement volontaire de sept jeunes femmes et trois jeunes hommes, aristocrates ou grands bourgeois florentins fuyant la peste en se réfugiant avec serviteurs et servantes dans un château distant de la ville. Cet éloignement et l’insouciance de leurs jeux intellectuels et érotiques, sont des caractéristiques, parmi d’autres, que l’on retrouve dans les crises épidémiques. Boccace se sent malgré tout obligé de faire mention des conséquences de la peste, il s’en excuse presque.

« Chaque fois, très gracieuses dames, que je considère en moi-même combien vous êtes toutes naturellement compatissantes, je reconnais que le présent ouvrage vous paraîtra avoir un commencement pénible et ennuyeux, car il porte au front le douloureux souvenir de la mortalité causée par la peste que nous venons de traverser, souvenir généralement importun à tous ceux qui ont vu cette peste ou qui en ont eu autrement connaissance. […] Et de vrai, si j’avais pu honnêtement vous mener vers ce que je désire par un chemin autre que cet âpre sentier, je l’aurais volontiers fait. Mais, qu’elle qu’ait été la cause des événements dont on lira ci-après le récit, comme il n’était pas possible d’en démontrer l’exactitude sans rappeler ce souvenir, j’ai été quasi contraint par la nécessité à en parler.

Je dis donc que les années de la fructueuse Incarnation du Fils de Dieu atteignaient déjà le nombre de mille trois cent quarante-huit, lorsque, dans la remarquable cité de Florence, belle au-dessus de toutes les autres cités d’Italie, parvint la mortifère pestilence qui, par l’opération des corps célestes, ou à cause de nos œuvres iniques, avait été déchaînée sur les mortels parla juste colère de Dieu et pour notre châtiment ».

Le Décaméron             EXTRAITS évoquant l’épidémie                 TEXTE complet

MARSEILLE, XVIIIsiècle

En 1720, sous la régence de Philippe d’Orléans dans l’attente que le futur Louis XV soit en âge de gouverner, la France est dans une période de transition et d’instabilité politique, avec un fort endettement provoqué par les dépenses somptuaires sous le règne de Louis XIV. Elle sort à peine de la guerre avec l’Espagne, à laquelle est venue s’ajouter la “conspiration de Pontcallec”, véritable guerre civile provoquée par la noblesse bretonne réclamant l’indépendance de la Bretagne. Ces évènements ont mobilisé nombre de militaires et d’importants moyens financiers.

Le climat en Europe est encore sous l’influence du Petit âge glaciaire avec de grands écarts de températures. Ainsi, dans les Alpes, les glaciers continuent de progresser et peuvent mettre en péril des villages alpins : « la paroisse devint toujours plus inculte à cause des glaciers qui avancent sur leur terre, en faisant des grands débordements d’eau en vidant leur lac, et même il y a plusieurs villages qui sont en grand danger ». [Supplique des Chamoniards, cité par Emanuel le Roy Ladurie, “Climat et récoltes aux XVIIe et XVIIIe siècles”| Annales économies, sociétés, civilisations N° 3 | 1960 ]. Et plusieurs étés caniculaires (1718, 1719…) ont également mis à mal les récoltes céréalières et ont été meurtriers : « Les canicules du XVIIIe siècle ont été oubliées mais elles sont terriblement meurtrières : celle de 1719 a tué plus de 400 000 personnes en France, soit 2 % de la population de l’époque. » [Thibault Laconde, “Vagues de chaleur : hier et aujourd’hui”| Énergie et développement | 25 juil. 2018]

Crise politique, économique et financière, climat, conflits armés…, l’ambiance générale n’est certainement pas apaisée quand la virus_10peste arrive à Marseille le 25 mai 1720, débarquant du navire “Le Grand Saint-Antoine” en provenance du Levant et chargé d’étoffes et de coton ; plusieurs matelots et le médecin du bord en sont morts pendant la traversée. La mise en “petite quarantaine” du navire (dix jours alors qu’il en aurait fallu au moins quarante) n’empêche pas la propagation rapide de l’épidémie : « Les quartiers déshérités et les plus anciens sont les plus touchés. Se propageant à partir des quartiers italiens à proximité du port, la peste s’étend rapidement dans la cité où elle entraîne entre 30 000 et 40 000 décès sur 80 000 à 90 000 habitants, puis dans toute la Provence » [“Peste de Marseille (1720)”| Wikipédia]

Jean-Baptiste Bertrand (1670 – 1752) médecin de la ville, est très engagé dans la lutte contre la contagion, à l’encontre de certains de ses collègues affirmant que cette maladie n’était pas épidémique. Lui-même atteint et guéri, profite de sa convalescence pour écrire : Relation historique de la peste de Marseille en 1720 [éd. Pierre Marteau | 1721 | Wikisource].

« C’est ici la vingtième peste et la plus cruelle de toutes celles qui ont désolé Marseille, et dont les historiens font mention. […] La plus ancienne arriva quarante-neuf ans avant Jésus-Christ […]. L’utilité de cet ouvrage se présente d’elle-même, tant pour Marseille, que pour les autres villes. On y verra la manière dont la peste se glisse et s’introduit dans un lieu, comment elle s’y développe et s’y répand. Par quels progrès elle parvient à ce dernier degré de violence, où elle fait tant de ravages, comment elle diminue et finit insensiblement, quelles en sont les suites. On y apprendra à se méfier de ses commencements captieux qui trompent presque toujours la vigilance des magistrats, et à prévenir, par de sages précautions prises à l’avance, le trouble et les désordres qu’elle traîne après elle. Enfin Marseille y verra ce qu’elle doit craindre, et les mesures qu’elle doit prendre, si jamais le Seigneur voulait encore l’affliger de ce terrible fléau, et les autres villes y trouveront à profiter de son exemple. »

Relation historique de la peste de Marseille en 1720     EXTRAITS            TEXTE complet

MARSEILLE, XXIsièclevirus_11

Quand l’épidémie du coronavirus se déclare, on ne peut dire que le pays France soit au firmament de l’apaisement tant souhaité, au point d’en faire un objectif politique (par exemple : “Pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique”| Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018). La société est en fait jalonnée de façon peu rassurante par l’accroissement des inégalités et de la pauvreté, avec les mouvements sociaux virulents qui en découlent, par le réchauffement climatique ; enfin par la guerre, non contre un virus (mauvais choix sémantique du président de la République !) mais contre la nébuleuse du terrorisme d’un islam radicalisé, tant sur le territoire français : opération Sentinelle avec 7 000 soldats, qu’à l’étranger : opération Barkane dans le Sahel, surtout au Mali avec un engagement terrestre de 5 000 militaires.

On retrouve donc les mêmes constats socio-politiques que lors des périodes précédentes. À l’évidence, il est impossible d’établir un lien de causalité avec les épidémies ; mais celles-ci, quand elles arrivent, trouvent un terrain favorable à leur expansion, et vont aussi amplifier les difficultés sociétales existantes.

Sans faire de longs développements sur l’actuelle pandémie du coronavirus aux conséquences vécues quotidiennement par chacun d’entre nous, on peut toutefois noter que Marseille, avec trois siècles d’écart, polarise à nouveau l’attention avec de grands débats entre experts, surtout médecins, sur la manière d’appréhender une épidémie et de la traiter. Rappelons ce que Jean-Baptiste Bernard écrivait en 1720 : « Si on trouve que les uns et les autres reviennent un peu trop souvent sur la scène, on doit cependant considérer que dans une tragédie de peste, les médecins sont les principaux acteurs, et par conséquent qu’ils y doivent jouer les plus longs rôles. », propos tout à fait transposables en 2020.

Dès le début du coronavirus, Didier Raoult, médecin spécialiste en microbiologie et maladies infectieuses à Marseille, occupe le devant de la scène médiatique. À l’entrée de son fief, “l’Institut hospitalier universitaire Méditerranée Infection”, une citation d’Horace : “J’ai achevé un monument plus durable que l’airain”, et une banderole : “Soutien au Pr Didier Raoult. Tous ensemble, restons vigilants pour que nos médecins préservent la liberté de prescrire” [Gilles Rof, “Au cœur de l’IHU, la forteresse de Didier Raoult”| Le Monde| 2 déc. 2020].

Didier Raoult cherche à relativiser la portée réelle de la pandémie et fait de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine la base du traitement de la maladie. Ses nombreuses prises de position orales et écrites, sont à l’origine de multiples discussions scientifiques mais aussi politiques, surtout pendant la première vague au printemps 2020. Et il suffit de parcourir Wikipédia pour s’en rendre compte ; outre la page de D. Raoult, en voici deux significatives : “Didier Raoult : problème de neutralité” et “Controverse scientifique sur l’hydroxychloroquine dans la lutte contre le covid-19”. Plusieurs autres sujets : le port du masque, le confinement, le couvre-feu, les taux de mortalité… donnent également lieu à de sévères controverses : « Les gens qui meurent sont des gens qui ont des espérances de vie très très courtes. D’ailleurs il y a un très joli travail qui vient d’être fait par l’Institut national de la démographie qui montre que la baisse de l’espérance de vie pour l’instant dans le courant de l’année 2020 n’est pas significativement différente des mouvements qu’on a vus depuis dix ans. Parfois on gagne deux mois, parfois on perd deux mois. La mortalité, à part chez les gens qui ont une très faible espérance de vie, est très faible, comme nous l’avons observé depuis le début. » [Didier Raoult, 14 sept. 2020 | Cité par Cédric Mathiot, Est-il vrai que le covid n’a eu qu’un impact mineur sur l’espérance de vie des Français, comme l’affirme Didier Raoult ?”| Libération]

Tout cela pourrait bien participer au développement de la méfiance à l’égard des politiques et des scientifiques. Les réseaux sociaux en sont les généreux amplificateurs et l’émotion aurait alors tendance à prendre le pas sur la raison, à l’origine des peurs et des complots entretenus par certains médias. L’affaire du film documentaire “Hold up” en est l’illustration : « La manière dont le film chemine, nous emmène dans un univers où il assume complètement le dévoilement d’un complot mondial. […] Tout est à charge, dans une direction, et c’est là où ça pose problème. Il s’agit de prendre le contrôle du champ d’expérience de celui qui regarde. Ce champ d’expérience […] est abîmé par une conjonction de phénomènes qui sont incontestables : une crise sanitaire qui n’en finit pas, plein de bugs, dans la gestion de cette crise, une crise économique qui prend des formes latentes, avec des inégalités qui se creusent. On a une défiance vis-à-vis des institutions depuis très longtemps. Tout ceci crée un matériel qui est exploité dans le documentaire pour prendre le contrôle de toutes ces inquiétudes, de tous ces doutes, de toutes ces questions que se posent naturellement les gens dans leur confinement. […] Ce qui est scandaleux, c’est de ne pas donner aux gens les moyens de construire la critique réflexive de ce qui leur est présenté. » [Francis Chateauraynaud, “En quoi « Hold-up » est-il un documentaire complotiste ?”| France Culture – Les idées claires | 18 novembre 2020

Les invariants d’une épidémie à l’autrevirus_12

Rapprocher quatre épidémies/pandémies qui font dates dans l’histoire de l’humanité, ne veut pas dire qu’elles sont identiques dans leurs origines, leur déroulement ou leur traitement, les variables ne manquent pas tant s’en faut. Déjà, pour les trois premières il s’agit de peste d’origine bactérienne et la science de la vaccination était encore loin d’exister (le premier vaccin celui contre la rage, a été découvert par Louis Pasteur en 1885) ; alors que la quatrième est provoquée par un virus. Cette dernière est loin d’atteindre les niveaux de mortalité des précédentes, grâce aux améliorations apportées aux services de santé depuis deux siècles. Cependant, en parcourant les récits qui racontent ces épidémies, des éléments demeurent peu ou prou constants, c’est-à-dire des invariants inter-épidémies et inter-époques. Sans aucune prétention à l’exhaustivité, voici ceux que j’ai notés en les reliant à l’actualité :

  • Imprévisibilité et imprévoyance avec sous-équipement en locaux, en personnel soignant, en matériel médical…
    • Elle fondit tellement à l’improviste” [Athènes].
    • Pour en guérir, il n’y avait ni conseil de médecin, ni vertu de médecine qui parût valoir” [Florence].
    • Se méfier de ses commencements captieux qui trompent presque toujours la vigilance. […] Les sources des secours humains taries” [Marseille 1720].
    • “On n’a nulle part où aller”, face au coronavirus, les SDF galèrent” [Thibault Vetter, Christophe de Barry | Reporterre | 24 mars 2020
    • “Droite et gauche reprochent au gouvernement son imprévoyance et une absence d’anticipation” [Thibaut le Gal, 20 Minutes | 27 oct. 2020]
  • Divergences médicales
    • D’abord, ils (les médecins) avaient voulu la traiter faute de la connaître, mais en contact plus fréquent avec les malades, ils furent d’autant plus maltraités” [Athènes].
    • L’ignorance des médecins ne sut pas reconnaître de quelle cause il (le mal) provenait et, par conséquent, n’appliquèrent point le remède convenable” [Florence].
    • “Il faut se calmer, plus on s’affole, moins on soigne bien les gens […] En termes de mortalité, le coronavirus n’est pas pire que la grippe ».[Marseille, Didier Raoult | Cnews |19 août 2020]
  • Commerces en difficulté
    • La contagion fait cesser le commerce dans une ville ; elle semble y dissoudre la société” [Marseille 1720]
    • “Confinement : le cri d’alerte des commerçants” | France-Info | 15 nov. 2020]
  • Mouvements migratoires et épidémievirus_13
    • De la campagne vers la ville : “affluence de ceux qui vinrent de la campagne à la ville. […] sans maisons, ils périssaient en foule” [Athènes].
    • De la ville vers la campagne : “Beaucoup d’hommes et de femmes abandonnèrent la cité […] et cherchèrent un refuge dans leurs maisons de campagne ou dans celles de leurs voisins [Florence].
    • En 2020, lors du premier confinement l’INSEE estime à 200 000 le nombre de résidents parisiens ayant quitté la capitale pour séjourner à la campagne [Emma Donada, “Combien de Parisiens ont quitté la capitale au moment du confinement ?”| Libération | 8 avril 2020]
    • “La revanche des campagnes” [Benoît Bréville | Le Monde diplomatique | déc. 2020
  • Rituels funéraires impossibles
    • “Les lois suivies jusque-là pour les funérailles furent mises en oubli” [Athènes].
    • les honneurs de la sépulture défendus” [Marseille 1720].
    • “Les funérailles à l’heure du Coronavirus : Une horreur totale » [Marianne Klaric | RTBF-Belgique | 2 nov. 2020]
    • “La deuxième vague de Covid-19 vue de l’hôpital Bichat : « Voir une dernière fois le visage, cela n’est malheureusement pas possible »” [Chloé Hecketsweiler | Le Monde | 24 nov. 2020]
  • Références au divin
    • En voyant mourir indistinctement tout le monde, on jugeait la piété et l’impiété également indifférentes” [Athènes].
    • Parvint la mortifère pestilence qui, par l’opération des corps célestes, ou à cause de nos œuvres iniques, avait été déchaînée sur les mortels parla juste colère de Dieu. […] C’est en vain qu’on organisa, non pas une fois, mais à diverses reprises, d’humbles prières publiques” [Florence].
    • Le culte divin suspendu, les Temples fermés […] Messe basse, que l’on continuait de dire à la porte des églises” [Marseille 1720].
    • “Coronavirus : Dieu, facteur de contamination massif” [Inna Shevchenko | Charlie Hebdo | 4 avril 2020
    • Appels à la prière devant les églises : Ces manifestations sont autorisées, donc les policiers ne peuvent pas légalement verbaliser, défend l’association Pour la messe” [France-Info | 13 nov. 2020]
    • “De la peste, de la famine et de la guerre, délivre-nous, Seigneur !” [litanies des Saints, citée par Jean-Louis Schlegel dans “La religion au temps du coronavirus”| revue Esprit | mai 2020]
  • Hédonisme débridévirus_14
    • cette maladie inaugura un redoublement d’iniquités : les voluptés qu’on ne recherchait autrefois qu’en secret, on s’y abandonnait maintenant sans honte” [Athènes].
    • D’autres affirmaient que boire beaucoup, jouir, […] et rire et se moquer de ce qui pouvait advenir, était le remède le plus certain à si grand mal” [Florence].
    • À la plus triste désolation, (s’opposaient) les jeux, les plaisirs, les festins” [Marseille 1720].
    • Les élèves de l’école de police de Nîmes ont organisé une fête clandestine dans le parking de l’établissement, après le couvre-feu” [France-Info | 2 nov. 2020].
    • “Pour les fêtards du samedi soir, le besoin de lâcher prise l’emporte sur la peur du virus… Plaisir coupable ?” [Samuel Laurent, Alexandre Pedro |Le Monde | 28 nov. 2020]

virus_15Ces sept invariants ne sont sans doute pas les seuls et des lecteurs attentifs à l’histoire des épidémies pourront compléter. J’en retiens surtout les difficultés rencontrées à prendre soin, faute de connaissances, de moyens, de temps… auxquels s’ajoutent des rivalités de pouvoir entre experts et entre politiques. Tout cela reste d’une grande actualité malgré les progrès réalisés dans le domaine sanitaire et du droit. Le droit à la santé est en effet inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme: “Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille…” (art. 25) ; cependant les inégalités de l’accès aux soins demeurent importantes : ”Ici et là-bas, la santé est un droit fondamental et pourtant…” [Médecins du monde, La Santé avant tout | 2020]. Le vaccin contre le covid-19, bientôt opérationnel, va-t-il bénéficier d’un label “pour tous” quel que soit le pays ?

Vaccination et néolibéralisme

« Le Covid-19 a révélé l’extraordinaire potentiel de l’intelligence scientifique collective et la pauvreté de l’intelligence morale […] En un an, nous avons précisé tous ses aspects cliniques. Ce virus est responsable d’une maladie complexe qui peut toucher tous les organes avec une fréquence très inhabituelle […] En un an, nous avons mis au point plusieurs vaccins efficaces […] Mais le Covid-19 est aussi un échec dramatique, économique, politique et social […] Les pays pauvres touchés par le Covid manquent de tout et ils n’ont quasiment pas été aidés. […] Les pays pauvres peu touchés par le Covid ont vu s’effondrer les aides qu’ils reçoivent des pays riches. Les programmes financiers, alimentaires et sanitaires se sont taris avec le repli des pays donateurs, tétanisés par leur incapacité à contrôler la pandémie sur leur territoire. Le VIH, la tuberculose et les parasitoses ont explosé après des années de reflux timides » [Gilbert Deray, néphrologue et pharmacologue, “Covid-19 : il n’y a eu aucune collaboration mondiale sanitaire compassionnelle, mais une compétition malsaine”| Le Monde | 7 déc. 2020]

Lorsque le 9 novembre 2020 les groupes pharmaceutiques Pfizer et BioNTech annoncent triomphalement que leur vaccin est Healthcare cure concept with a hand in blue medical gloves holdiefficace à 90 %, Le Monde.fr titre le même jour : “Covid-19 : Pfizer annonce que son candidat-vaccin est efficace à 90 %, les Bourses s’envolent” (ce titre a été modifié sur internet dès le lendemain avec suppression de la référence boursière). Effectivement elles se sont toutes envolées : par exemple Paris gagne 7,57 %, plus forte progression depuis mars, et l’action Pfizer augmente de 7,68 %, belle réussite saluée comme il se doit par les marchés financiers [Le Monde avec AFP | 9 nov. 2020]. Rapprocher ainsi dans un titre une réussite médicale et un succès boursier peut surprendre, enfin un peu, car en parcourant la soixantaine de commentaires de cet article, trois seulement partagent mon étonnement et se demandent si une question de santé publique est affaire de bourses !

Le même jour, le PDG de Pfizer vend à Wall Street 132.508 titres au prix de 41,94 dollars, soit 5,6 millions de dollars (4,76 millions d’euros). La vice-présidente de cette même entreprise revend également 43.662 titres pour 1,8 million de dollars [France-Info avec AFP | 11 nov. 2020]. Là, les commentaires (142) sont généralement beaucoup plus acerbes, certains parlant même de ”délit d’initié”.

Un autre exemple récent, lié au covid-19, fait état de négligence de la part de la Communauté européenne. Il s’agit du remdésivir, un antiviral coûteux (aux États-Unis, 2 000 euros pour un traitement complet en six doses) mis au point par le laboratoire américain Gilead Sciences, et présenté comme un remède miracle contre le covid-19. Plusieurs pays se précipitent pour passer commande, la CEE en fait partie : « Début octobre, la Commission européenne a annoncé avoir signé un important contrat avec le laboratoire d’un montant d’un milliard d’euros, permettant aux pays membres de sécuriser leur accès au Remdésivir, et débouchant sur des commandes effectives » [Libération | 25 nov. 2020]. Il s’agit d’un contrat-cadre pour 500 000 traitements, mis à la disposition des États-membres, à charge pour eux de passer commande et d’en assurer le paiement. Plusieurs ont donné suite, mais pas la France !

virus_17Cependant, en février 2020 l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avait lancé une vaste enquête internationale : “Essai clinique Solidarity de traitements contre la COVID-19”, afin d’en évaluer l’efficacité. Et mi-octobre l’OMS communique les premières conclusions : « Les résultats préliminaires de l’essai clinique Solidarity, coordonné par l’Organisation mondiale de la Santé, indiquent que les schémas thérapeutiques à base de remdésivir, d’hydroxychloroquine, de lopinavir/ritonavir et d’interféron semblent avoir peu ou pas d’effet sur la mortalité […]. D’une manière générale, tant que les preuves ne sont pas suffisantes, l’OMS déconseille aux médecins et aux associations médicales de recommander ou d’administrer aux patients atteints de la COVID-19 ces traitements dont l’efficacité n’est pas démontrée, et la prise de ces médicaments en automédication ».

En fait, Gilead était au courant du pré rapport de l’OMS dès la fin du mois de septembre, c’est-à-dire avant la signature du contrat avec l’U-E (8 octobre) et avant l’autorisation pour l’utilisation du remdésivir aux États-Unis (22 octobre), la revue Science en fait mention : « Le “très, très mauvais aspect” du remdésivir, le premier médicament covid-19 approuvé par la FDA (administration américaine d’agrément des médicaments) ». Enfin, le 28 octobre la société Gilead annonce que la vente du remdésivir lui a rapporté 873 millions de dollars en trois mois ! Depuis, trente-cinq pays de l’U-E ont signé avec Gilead ; il leur est « désormais impossible de renoncer à leur commande, ni de renégocier le prix durant les six prochains mois. D’après notre enquête, au moins 640 000 doses ont déjà été achetées » [Le Monde | 27 nov. 2020]

La bourse ou la vie ? [cf. Eloi Laurent, Et si la santé guidait le monde ? |éd. Les-Liens-qui-Libèrent | 2020]. Dans un système virus_18boursier où le marché domine, les inégalités internationales sont amplifiées par la crise du covid-19. Les pays à bas revenus, Africains en particulier, sont confrontés à de sérieuses restrictions dans le traitement d’épidémies récurrentes : “la plupart des programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme ont été perturbés par le covid-19” [enquête du Fonds mondial |juin 2020]. Ces pays ne pourront pas acquérir suffisamment de doses pour vacciner un maximum de leurs habitants, et vont donc devoir s’en remettre au bon vouloir d’États “protecteurs” et de fondations d’entreprises, avec le “donnant – donnant” qui en résulte inévitablement.

La bienveillance, source d’apaisement, est devenue un marqueur politique très tendance [cf. Évelyne Pieiller “La tyrannie de la bienveillance”| Le Monde diplomatique | déc. 2020]. Pourquoi pas, mais il m’est impossible de l’envisager à l’égard des grands dirigeants d’un système qui fait d’une partie de la santé un objet de surenchère spéculative. Quelles solutions serait-il alors possible de proposer ?

Dans l’urgence, pourquoi, à l’initiative de l’OMS, les laboratoires producteurs des vaccins (il y a 237 projets de vaccins dans le monde) ne se réuniraient-ils pas pour mettre en place sur l’ensemble de la planète une répartition des doses de façon équitable, sans exclusion et quoiqu’il en coûte ? Au-delà, et si l’on veut bien considérer la santé comme un bien commun universel et public, afin que l’article 25 de la “Déclaration universelle des droits de l’Homme” soit vraiment une réalité, peut-on faire l’hypothèse que les laboratoires pharmaceutiques décident, déjà en France, de sortir de la cotation boursière, pour devenir de réelles “sociétés à mission”, “objet d’intérêt collectif”, au même titre par exemple que certaines grandes mutuelles de santé et d’assurances : MAIF, MGEN… sont à but non lucratif et s’en portent très bien. Serait-ce une utopie de plus ? Mais après tout, le grand libéral économiste Adam Smith ne proposait-il pas de considérer l’éducation et les soins comme faisant partie des fonctions régaliennes d’un État, au même titre que la sécurité intérieure/extérieure et la justice ? [Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations”, livre V, 1776]

Bactéries, virus, épidémies je vous…

Ce parcours documentaire conduit à bon nombre d’interrogations. Ce qui ne doit pas empêcher de dire : “je vous ai compris !”. Du moins un peu mieux… Ce que je retiens surtout, c’est la fonction à la fois utile et nuisible des bactéries et des virus. On doit inévitablement vivre avec, tout en faisant preuve d’un peu plus de prudence lors des emballements épidémiques inévitables, et également de… modestie ! Dans la grande histoire de la planète Terre, quand Homo sapiens a décidé, il y a quelque douze mille ans, de se confiner (se limiter avec) en se domestiquant (domus : la maison) et en domestiquant une partie du vivant [cf. Jean-Paul Demoule, “Le confinement une longue histoire”| France Culture-Concordance des temps | 10 oct. 2020], il a tendance à prendre quelque peu la “grosse tête” en imaginant qu’il parviendrait, à tort, à maîtriser et dominer le monde du vivant auquel bactéries et virus participent tout aussi activement.

virus_19La représentation du vivant comme un buisson sphérique est un message : « De même qu’il n’y a aucun point privilégié à la surface d’une sphère, il n’y a aucun rameau particulier ou privilégié dans ce buisson du vivant. Le trajet (en rouge) qui va de l’ancêtre commun LUCA (Last Universal Common Ancestor) à Homo Sapiens n’a rien de plus ni rien de moins que les millions d’autres. » [Pierre Thomas « Comment et pourquoi représenter l’arbre phylogénétique du vivant ? La réponse du Musée des Confluences de Lyon »| Planet-Terre / ENS Lyon | 6 avril 2015]. Les différents domaines du buisson interférent entre eux, de multiples rameaux naissent, se développent, et meurent, rien n’est définitivement figé.

Le schéma proposé par Pierre Thomas ne fait pas mention des virus, et ne sachant trop s’ils doivent être intégrés ou non au monde du vivant, je les ai ajoutés de façon quelque peu excentrée en maintenant un lien avec le buisson ; font-ils bande à part en colonisateurs plus ou moins malveillants, ou bien en lanceurs d’alertes ? [cf. “Virus quand tu nous tiens…”]

“Il ne leur manque que la parole !” titre Nicolas Martin au début de ce document ; s’ils l’avaient, nous diraient-ils “Attention, vous allez trop loin !” ? Doit-on alors considérer les épidémies comme des rappels à l’ordre ? C’est l’un des sens que cherche à leur donner le philosophe Emanuele Coccia : « Tout virus est la démonstration que la vie que nous considérons comme nôtre n’est pas à nous : elle peut à tout moment devenir la vie d’un autre, même de l’être biologiquement et anatomiquement le plus éloigné, le virus, qui peut s’installer dans notre corps et devenir son seigneur. […] Tout virus nous apprend à ne pas mesurer la puissance d’un être vivant sur la base de ses équipements biologiques, cérébraux, neuronaux. Il casse aussi notre étrange narcissisme : dans l’anthropocène, nous continuons à contempler notre grandeur, même négativement, et nous nous magnifions dans nos puissances malignes, destructrices… “Regardez comme nous sommes puissants” » [Libération, 13 mars 2020].


Compléments

“Le rêve de perfection transforme nos États de droit en États policiers ». Après les discours musclés annonçant l’éradication du terrorisme, voici les discours savants sur le « Zéro Covid ». Et toujours la même obsession sécuritaire, le même rêve d’un monde sans risque, sans crime et sans maladie. On s’en réjouirait si l’on ne savait avec quelle facilité le rêve d’un monde parfait peut tourner au cauchemar des sociétés de la peur.” Mireille Delmas-Marty | Le Monde | 1er mars 2021

« Les vaccins contre le Covid-19, nouvelle arme diplomatique de la Chine« . Stratégie du “donnant-donnant” ? « En multipliant les accords bilatéraux et en vendant ses vaccins à prix modique dans les pays émergents, Pékin cherche à étendre son influence politique et à renforcer ses intérêts économiques. » Frédéric Lemaître, Sophie Landrin, Benjamin Barthe, Philippe Mesmer, Brice Pedroletti et Bruno Meyerfeld Le Monde | 18 décembre 2020  (dossier bien construit, mais réservé aux abonnés !)

Les positionnements de l’ONU et de l’OMC : « l’OMC a rejeté la proposition de suspension des brevets sur la thérapie anti-Covid-19 présentée par l’Inde, l’Afrique du Sud, le Kenya et l’Estawini. Cette décision est d’une gravité exceptionnelle dans un contexte de pandémie mondiale nécessitant le vaccin POUR TOUS et dans TOUS LES PAYS. Les intérêts qui dérivent de la marchandisation du vivant, priment. »  Université du Bien commun | 15 novembre 2020

Politique mondiale commune publique contre la pandémie du Covid-19 ? « l’Assemblée Générale de l’ONU a convoqué les les 3 et 4 décembre 2020, une Session Spéciale sur la pandémie de Covid-19 au niveau des chefs d’État et de gouvernement. Il a fallu plus d’un an de discussions pour surmonter l’opposition de certains États, notamment les États-Unis de l’ancien président Donald Trump. La tenue de cette Session Spéciale (la 37e de l’histoire de l’ONU) constitue une occasion unique pour la définition et la mise en œuvre des actions communes au plan mondial de lutte contre la pandémie dans l’assurance du droit à la vie et à la santé de tous les habitants de la Terre. »  Agora des habitants de la Terre | 10 novembre 2020

« La longue histoire des épidémies ». Une approche exhaustive des épidémies depuis 430 avant notre ère : « On a des raisons de croire que l’agriculture et l’élevage ont fourni des conditions de choix aux virus et bactéries pour s’attaquer aux humains. Des populations sédentaires, plus nombreuses, en contact permanent avec des animaux d’élevage et pratiquant le commerce avec d’autres populations sédentaires sont forcément propices à la contagion. » Alain CaracoL’INFLUX- B.M. Lyon | 27 avril 2020


Documentation

  • Barnérias Pierre et al. Hold-up | film documentaire | novembre 2020
  • Barnéoud Lise, “Covid-19 : comment Gilead a vendu son remdésivir à l’Europe”| Le Monde | 27 nov. 2020
  • Bar-On Yinon M., Phillips Rob, Milo Ron, “Distribution de la biomasse sur terre”| Université de New-Jersey et PNAS | 19 juin 2018
  • Bertrand Jean-Baptiste, Relation historique de la peste de Marseille en 1720 | éd. Pierre Marteau | 1721 | Wikisource
  • Boccace Jean, Le Décaméron [traduction par F. Reynard | éd. G. Charpentier, 1884 | source Gallica-BNF
  • Boulé Gérard, “La conspiration de Pontcallec”| Istor Ha Breiz | 21 janvier 2007
  • Boutiez Jean, Sintomer Yves, “La République de Florence (XIIe-XVIe siècle). Enjeux historiques et politiques”| Revue française de science politique 64 | 2014
  • Bréville Benoît, “La revanche des campagnes”| Le Monde diplomatique | déc. 2020
  • Cavicchioli Lionel, “Nos ancêtres les virus”| Science et Vie N°1227 | 3 avril 2020
  • Chateauraynaud Francis, “En quoi « Hold-up » est-il un documentaire complotiste ?”| France Culture – Les idées claires | 18 novembre 2020
  • Coccia Emanuele, Métamorphoses | éd. Rivages | 2020
  • Cohen Jon, Kupferschmidt Kai, “Le “très, très mauvais aspect” du remdésivir, le premier médicament covid 19 approuvé par la FDA”| revue Science | 28 oct. 2020
  • Dagorn Gary, “Covid-19 : comment fonctionnent les futurs vaccins”| Le Monde | 4 déc. 2020
  • Demoule Jean-Paul, Préhistoires du confinement | Gallimard | 2020
  • Deray Gilbert, “Covid-19 : il n’y a eu aucune collaboration mondiale sanitaire compassionnelle, mais une compétition malsaine”| Le Monde | 7 déc. 2020
  • Donada Emma, “Combien de Parisiens ont quitté la capitale au moment du confinement ?”| Libération | 8 avril 2020
  • Duloutre Sylvain, “Ce que peut nous apprendre l’étude du Petit Âge Glaciaire”| note | mai 2010
  • Dupont Marion, “L’État au grand défi des épidémies”| Le Monde | 23 oct. 2020
  • Faure Sonya, Vécrin Anastasia, “Emmanuèle Coca : « Les virus nous rappellent que n’importe quel être peut détruire le présent et établir un ordre inconnu »”| Libération | 13 mars 2020
  • Ferrari Laurence, “Didier Raoult : « plus on s’affole, moins on soigne bien les gens »”| Cnews | 19 août 2020
  • Fonds mondial, “La plupart des programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme ont été perturbés par le COVID-19”| enquête | 17 juin 2020
  • Forterre Patrick et al., De l’inerte au vivant : une enquête scientifique et philosophique | éd. La Ville brûle | 2013
  • Forterre Patrick, “La cellule virale rouage de la vie”| Pour la science N° 469 | novembre 2016
  • FranceInfo, “Covid-19 : le PDG de Pfizer a vendu un lot d’actions le jour de l’annonce de l’efficacité de son vaccin”| reportage | 11 nov. 2020
  • FranceInfo et AFP, “Appels à la prière devant les églises”| reportage | 13 nov. 2020
  • Gaffarel Paul, marquis de Duranty, La peste de 1720 à Marseille et en France. D’après des documents inédits | éd. Perrin et Cie | 1911 (source : Gallica-BNF)
  • Gesbert Olivia, “Eloi Laurent : La France a privilégié à chaque fois une vision étroite de la croissance économique au détriment de la santé”| France Culture-La grande table idées | 29 oct. 2020
  • GEO, “Coronavirus : les virus, une histoire vieille comme le monde”| note | 11 mars 2020
  • Hecketsweiler Chloé, “La deuxième vague de Covid-19 vue de l’hôpital Bichat : « Voir une dernière fois le visage, cela n’est malheureusement pas possible »” | Le Monde | 24 nov. 2020
  • Ikonicoff Román, “Oui, les virus sont bien des êtres vivants !”| Science & Vie| oct. 2015
  • Jacquet Stéphan, Depecker Caroline, “Les virus, piliers de la vie marine” | Pour la Science N°104| 8 juillet 2019
  • Klaric Marianne, “Les funérailles à l’heure du Coronavirus : Une horreur totale » | RTBF-Belgique | 2 nov. 2020
  • Laconde, Thibault, “Vagues de chaleur : hier et aujourd’hui”| Énergie et développement | 25 juil. 2018
  • Laurent Eloi, Et si la santé guidait le monde ? L’espérance de vie vaut mieux que la croissance | éd. L.L.| 2020
  • Laurent Samuel, Pedro Alexandre, “Pour les fêtards du samedi soir, le besoin de lâcher prise l’emporte sur la peur du virus”| Le Monde | 28 nov. 2020
  • Lehmann Christian, “Didier Raoult, général Boulanger de la médecine”| Libération | 1erjuin 2020
  • Le Monde et AFP, “Pfizer et BioNTech annoncent que leur candidat-vaccin contre le Covid-19 est efficace à 90 %”| reportage | 10 nov. 2020
  • Le Roy Ladurie Emmanuel, “Climat et récoltes aux XVIIe et XVIIIe siècles”| Annales économies, sociétés, civilisations N° 3 | 1960
  • Le Roy Ladurie Emmanuel, “Le climat : une profonde rupture”| Vie publique | 4 déc. 2019]
  • Maguet Olivier, La Santé hors de prix : l’affaire Sovaldi | éd. Raisons d’agir | 2020 [synopsis]
  • Martin Nicolas, “Virus, il ne leur manque que la parole”| France-CultureLa méthode scientifique | 13 avril 2020
  • Mathiot Cédric, “Est-il vrai que le covid n’a eu qu’un impact mineur sur l’espérance de vie des Français, comme l’affirme Didier Raoult ?”| Libération | 14 septembre 2020
  • Médecins du monde, ” Ici et là-bas, la santé est un droit fondamental et pourtant…”| rapport | 2020
  • Menant François, L’Italie des communes (1100 – 1350) | éd. Belin | 2003
  • Neumayer Sophie, “Nîmes : une fête clandestine dans une école de police”| France Info | 2 novembre 2020
  • Notat Nicole, Senard Jean-Dominique, “L’entreprise, objet d’intérêt collectif”| rapport de mission | 2018
  • Observatoire des inégalités, Rapport sur les inégalités en France”| 2019
  • Observatoire des inégalités, Compas, Rapport sur la pauvreté en France”| 2018
  • OMS, “Essai clinique Solidarity de traitements contre la COVID-19”| rapport | octobre 2020
  • Paichard Léo, “Confinement : le cri d’alerte des commerçants” |France-Info | 15 nov. 2020
  • Pezet Jacques et al., “Remdésivir : comment les pays européens ont dépensé des centaines de millions d’euros pour un traitement contesté par l’OMS”| Checknews-Libération | 25 nov. 2020
  • Pieiller Évelyne, “La tyrannie de la bienveillance”| Le Monde diplomatique | déc. 2020
  • Raoult Didier, Épidémies : vrais dangers et fausses alertes | éd. Michel Lafon | 2020
  • Richaud Guillaume, “La peste et le corona (1720, 2020)”| Hune de Canebière | 2020
  • Rof Gilles, “Au cœur de l’IHU, la forteresse de Didier Raoult”| Le Monde | 2 déc. 2020
  • Saib Ali, “Les virus comme moteurs de l’évolution”| Futura Santé |21 sept. 2015
  • Salmon Pierre, “La population de la Grèce antique”| Bulletin de l’Association Guillaume Budé – Lettres d’humanité n° 18 | déc. 1959
  • Schlegel Jean-Louis, “La religion au temps du coronavirus”| revue Esprit | mai 2020
  • Selosse Marc-André, “La richesse de la biologie commence au cœur du quotidien”| The Conversation | 25 nov. 2020
  • Shevchenko Inna, “Coronavirus : Dieu, facteur de contamination massif” | Charlie Hebdo | 4 avril 2020
  • Smith Adam, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations | 1776
  • Thomas Pierre, « Comment et pourquoi représenter l’arbre phylogénétique du vivant ? La réponse du Musée des Confluences de Lyon »| Planet-Terre / ENS Lyon | 6 avril 2015
  • Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse [traduction par Charles Zévort | éd. G. Charpentier, 1883 | source Gallica-BNF
  • VanlangenhoveLes invariants de l’histoire et de l’ethnologie”| Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques, tome 63 | 1977
  • Velut Stéphane, L’hôpital, une nouvelle industrie – Le langage comme symptôme | Gallimard | 2000
  • Vetter Thibault, De Barry Christophe, “On n’a nulle part où aller”, face au coronavirus, les SDF galèrent” | Reporterre | 24 mars 2020
  • Wikipédia, plusieurs références, indiquées dans le texte

Consortages et communs en Pays Alpin

Cet article fait partie d’un dossier publié en juin 2020 par la revue Logo-Nature-et-Progres

LA VOIX DES COMMUNS


Biens communs, communs, ces deux concepts possèdent une longue histoire, en particulier dans les montagnes des Alpes du nord. Voyage du Moyen-Âge à nos jours au travers de plusieurs expériences.

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Aux XIe et XIIe siècles, de nombreuses vallées alpines sont progressivement occupées par des seigneuries laïques et religieuses qui cherchent à développer l’agriculture et le pastoralisme sur l’adret, ou versant du soleil, de ces vallées, y compris en altitude. Le processus économique est relativement simple : les seigneurs, quand ils manquent de main-d’œuvre, cèdent aux nombreux monastères de la région des forêts et des terres en friche ou exploitées par des paysans descendants des Romains, premiers occupants de ces vallées, peu avant notre ère. Le droit coutumier, y compris celui de “l’emmontagnage” (montée en alpage l’été) pratique déjà ancienne, est alors bafoué par la colonisation et l’accaparement de terres, de forêts…, plus par la force que par la négociation.

moineLes moines, étroitement liés aux comtes, princes et évêques de la féodalité, sont fort loin de l’image mythique du “bon moine[1] défricheur de terres alpines, prenant grand soin du pauvre paysan sans terre, à qui ils ne font pourtant que très rarement appel, les monastères entrepreneurs ayant leur propre main d’œuvre : les frères convers parfois recrutés parmi les paysans exclus des terres conquises. Avec le temps, ces communautés ou communs monastiques deviennent de véritables seigneuries sur de vastes territoires pouvant occuper plusieurs vallées. Ce qui fait que « les Alpes médiévales ne sont pas un espace de liberté au centre d’une Europe féodale. L’air de la montagne ne rend pas libre, non plus qu’il ne porte à l’égalité, n’en déplaise à Jean-Jacques Rousseau ! »[2] [Nicolas Carrier, 2003]. Ne serait-ce pas encore le cas de nos jours ?

Les albergements

Aux XIVe et XVe siècles, certains monastères éprouvent de la difficulté à recruter des frères convers et ils doivent, non sans regret, passer la main. Ils ont alors recours à l’albergement (pratique qui n’est pas propre aux Alpes) ou abergement : « Aberger prend, dès le deuxième quart du XIIIe siècle, le sens général de donner à cens, de remettre un bien immobilier à un individu moyennant certaines prestations, et l’abergement désigne le contrat qui règle les conditions de cette remise […] (qui) s’applique indifféremment à la concession de terres, de bois, de maisons, d’alpages, de cours d’eau, pour une durée perpétuelle et moyennant une introge (redevance) annuelle« [3] [Pierre Duparc, 1964]. Dans les Alpes, ces abergements sont souvent attribués collectivement à des paroisses, seule entité communale au Moyen Âge, ou à des hameaux de montagne, parfois de grande taille, ce qui oblige les habitants à s’organiser pour les gérer. [voir Charte albergement Vallorcine en 1264]

Si un abergement collectif ne peut être considéré comme pleinement autonome, il préfigure cependant la future commune ; dans certains cas, une communauté villageoise pouvait en effet être amenée à décider de la construction, sur le périmètre de l’abergement, de biens immobiliers : canaux d’irrigation, moulins, fours, étables… qu’elle devait ensuite gouverner et entretenir. Certains de ces abergements se transformeront en communes, plusieurs en gardant trace dans leur toponyme : Abergement-la-Ronce dans le Jura, Le-Grand-Abergement dans l’Ain…

Le consortage

Un grand saut dans le temps nous conduit en Tarentaise. L’environnement alpin n’est pas nécessairement celui des représentations édéniques que l’on peut garder de radieux avalanche_Granierséjours de vacances. Des contraintes climatiques et leurs conséquences (neige, froid, avalanches, inondations…) imposent une vie rude aux paysans alpins, au point qu’il est quasi impossible d’agir seul : « En montagne, tu ne peux t’en sortir seul, le collectif est une nécessité« [4] [René Chenal, agriculteur]. C’est avant tout cette nécessité qui a conduit dans les années 1970 huit jeunes agriculteurs (“les Huit”) d’un petit village de la Tarentaise, à créer un Groupement Agricole d’Exploitation en Commun (GAEC) : « Les GAEC ont pour objet la mise en valeur en commun des exploitations des agriculteurs associés et de permettre la réalisation d’un travail en commun. Ils peuvent également avoir pour objet la vente en commun du fruit du travail des associés » [loi n°62-917 du 8 août 1962]. Les trois occurrences du mot commun dans cette courte définition indiquent clairement ce qui doit être recherché par les associés regroupés statutairement en société civile agricole avec un maximum de dix personnes comme sociétaires.

“Les Huit” ont une double motivation : maintenir d’une part dans leur village le pastoralisme montagnard ancestral, mais en grande difficulté (fermes non reprises…), et d’autre part, le moderniser en matériel et dans sa gestion : « À notre époque, il n’est plus possible d’attacher des hommes et des femmes, 24 heures sur 24, 365 jours par an, à une exploitation agricole. Ce sont pourtant là les exigences de l’élevage traditionnel quand il est individuel. La solution collective permet une meilleure gestion de la main-d’œuvre en assurant, par rotation, la présence auprès du troupeau« [5] [René Chenal]. Leur GAEC devient le “GAEC du Consortage” en référence à des pratiques collectives qu’ils ont découvertes dans le Valais Suisse lors de rencontres inspirantes pour leur propre création.

Partager ensemble le même sort

Dans le Valais, consortage peut se traduire par “partager ensemble le même sort”. Il s’agit d’un véritable art des communs remontant au Moyen Âge : « Des siècles durant, les consortages ont organisé la vie économique paysanne du Valais, au moyen de manuels bissesjuridiques et d’ordonnances. Ils réglementaient en particulier l’usage des biens communs comme l’eau, les forêts et les alpages. Les consorts étaient aussi responsables de la construction et de l’entretien des infrastructures communes : bisses[6] (canaux d’irrigation), sentiers, aménagement d’alpages ou encore fours à pain »[7] [Consortages en Valais, 2012].

Il s’agit de gérer au mieux des ressources en quantités limitées, tout particulièrement: l’eau, la forêt, les alpages, dans un cadre juridique complexe où sont reliés propriétés privées, coopératives et services publics, en vue d’une administration collective renforçant « une forme de solidarité, une unité entre les membres et le sentiment de responsabilité envers les biens communautaires »[8]. C’est bien, semble-t-il, la meilleure manière pour éviter une “Tragédie des biens communs”[9], titre d’un rapport écrit par l’américain Garrett Hardin dans lequel il souligne l’usage abusif, donc destructeur d’un bien commun si on lui laisse un total libre accès, que ce soit l’eau, un pâturage, une forêt… La seule solution possible pour cet écologue est libérale : privatiser tous les biens communs et les placer sur le marché. Elinor Ostrom[10] (prix Nobel d’économie en 2009) a démontré le contraire en parcourant le monde à la découverte de nombreuses expériences en gouvernance collective de biens communs.

Le choix du consortage n’élimine cependant pas tous les risques et les conflits d’intérêts, aussi des mises au point sont régulièrement nécessaires. Ce fut le cas par exemple pour le Consortage de Zinal, grand hameau de montagne du Valais, en décembre 1571 : ”les commissaires des probes hommes de la communauté de Chinai s’étant réunis, ont adopté les ordonnances […] pour le maintien de leur communauté vu les dommages causés par la dévastation des biens, tant communs que privés, des forêts et possessions, à la suite d’irrégularités et d’inconvenances de certains »[11] [Ignace Mariétan, 1953]. Les statuts « assurant l’ordre à l’intérieur, et la protection contre toute pression extérieure«  sont approuvés en assemblée générale.

Les assemblées générales de consorts

Les consortages constituent un modèle de vie démocratique. Un habitant peut être consort dans la mesure où il possède au moins un pré de fauche sur le territoire du fruit communvillage, siège du consortage. Les assemblées générales des consorts sont fréquentes. Elles abordent toutes les questions concernant la gestion des biens communs. Elles ont lieu dans la chapelle ou l’église du village, le dimanche après l’office religieux, et parfois même, au cimetière si le temps le permet, « comme pour bien marquer les correspondances unissant les morts aux vivants et la terre au ciel et pour affirmer la valeur d’une action politique traditionnelle mûrissant les vertus du passé ; sous la direction des majors et syndics, l’assemblée approuve à mains levées, souvent à l’unanimité« [12] [Grégoire Ghika, 1954]

Dans chaque consortage, deux fonctions de police sont exercées à tour de rôle par des consorts élus : les procureurs chargés de la surveillance des biens communs et du prudhommesrecouvrement de l’argent provenant des ventes du fruit commun (productions laitières, bois…) et des amendes infligées aux fautifs ; les prud’hommes chargés du bornage des prés et des pâturages et de l’organisation des “corvées” d’intérêt général tel l’entretien des chemins, des bisses, des fours à pain, des alpages.

Aujourd’hui, dans le Valais, « les consortages remplissent encore une fonction importante sur le plan juridique, économique, écologique et social. […] Des biens communs comme l’eau, le sol, les semences doivent être considérés comme patrimoine commun. […] Ils doivent être contrôlés collectivement. […] Le système de consortage pourrait devenir un modèle de gestion durable de la nature et de l’environnement » [13]. [Consortage en Valais 2012]

GAEC du Consortage et Groupement pastoral de Plan Pichu

C’est bien cela qui a inspiré “les Huit” du Versant du soleil en Tarentaise. Maintenir l’élevage laitier en montagne a permis de sauver une grande partie de l’activité pichu_3économique de leur village de 360 habitants grâce au remembrement volontaire de terres agricoles jusqu’alors très dispersées ; ainsi qu’au développement et à la mécanisation de la traite d’un troupeau de vaches tarines, solides montagnardes et réputées pour la qualité de leur lait destiné à la fabrication du fromage Beaufort. Le GAEC du Consortage [pour en savoir plus sur le GAEC], une fois installé dans ses murs, s’est relié à d’autres communs :

  • Un groupement pastoral  [loi du 3 janv. 1972 titre II] en coopérative, regroupant plusieurs éleveurs de la vallée et assurant la gestion du vaste pâturage d’été de Plan Pichu, propriété de deux communes voisines. Le Beaufort est fabriqué sur place et le même système de “corvées” que dans les consortages du Valais assure l’entretien.
  • Une coopérative laitière garante du fruit commun le Beaufort (affinage, qualité, vente, rétribution…), en gestion directe par les éleveurs.
  • Le Syndicat de défense du Beaufort : assure la valorisation et le développement du fruit commun : « On explique toute l’histoire collective de l’AOP (appellation d’origine protégée). Elle existe parce que ce sont des gens qui ont su travailler ensemble. […] C’est une dynamique qui ne doit pas mourir, on doit rester dans cet esprit du collectif  » [un jeune éleveur, 2006].

pichu_2Cet “esprit du collectif ” constitue la base des consortages et des communs, dans le cadre d’une agriculture montagnarde, certes modernisée, mais qui garde des racines solidement ancrées à un terroir où l’élevage est un atout économique important. Cette production est régulièrement mise en difficulté par le développement d’un tourisme qui peut être envahissant, en tout cas, très éloigné de la démarche « en communs » autour de ressources considérées comme des biens communs, mais pas par tout le monde ! Le développement de cette démarche, s’il est souhaité par de nombreuses associations, telle Nature et Progrès, demeure cependant incertain. Serait-ce par manque d’une volonté politique commune ?


Notes

  1.  Mouthon Fabrice, “Moines et paysans sur les alpages de Savoie (XIe-XIIIe siècles) : mythe et réalité”, Cahiers d’histoire 46-1 | 2001
  2.  Carrier Nicolas, “Les communautés montagnardes et la justice dans les Alpes nord-occidentales à la fin du Moyen-Âge”, Cahiers de recherches médiévales N°10, 2003
  3.  Duparc Pierre, “Les tenures en hébergement et en abergement”, Bibliothèque de l’école des chartes, 1964
  4. Chenal René, entretiens en juillet 2014
  5. Chenal René, Le Versant du soleil : un nouvel art d’aménager, 1991, éd. Académie de la Val d’Isère
  6. Bisses du Valais : canaux d’irrigation. Dans certaines régions de France il s’agit de béals
  7. Collectif, “Consortages en Valais”, Wikivalais, 2012
  8.  ibid.
  9.  Hardin Garrett, “La Tragédie des communs”, revue Science, 1968
  10. Ostrom Elinor, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, 1990 | éd. française De Boeck, 2010
  11. Mariétan Ignace, “Le consortage de Zinal”, Bulletin de la Murithienne Sion, 1953
  12. Ghika Grégoire, “Les statuts de la commune de Zinal en 1571”, Annales valaisannes, 1954
  13. Collectif, op.cit.

Voir également :


Vers bibliographie “communs et économie sociale et solidaire”


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Homo sapiens dans le buisson du vivant

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“Qui ne sait pas d’où il vient, ne sait pas où il va”, Victor del Árbol, 2006

  • LE BIG BANG
  • LE VIVANT
  • LE BUISSON DU VIVANT
  • UNE PLANÈTE INACHEVÉE
  • HOMO SAPIENS ET SES COUSINS LES SINGES
  • TOUMAï, LUCY et TURKANA BOY
  • DE HOMO HABILIS À HOMO SAPIENS
  • RÉFÉRENCES

Dans la trilogie “Effondrement | Hubris | Alternatives” que nous étudions, il semble utile d’ouvrir une page évoquant l’histoire de la Terre et de l’humanité pour tenter de repérer comment a pu se développer l’étrange paradoxe d’Homo sapiens : intelligence ô combien créative d’une part, pouvoir et violence démesurés d’autre part. Ce paradoxe ne semble pas être d’origine et il est le propre d’une seule espèce devenue dangereusement invasive parmi celles vivant sur la planète Terre, un jour peut-être découvrira-t-on d’autres galaxies avec des planètes habitées où les façons de vivre seraient plus paisibles que les nôtres.

En attendant, les découvertes relativement récentes faites par de nombreux chercheurs astrophysiciens, biologistes, historiens, archéologues… permettent de se faire une meilleure idée de la grande complexité systémique de l’Univers d’une part, de la planète Terre et de ses habitants d’autre part. Depuis peu en effet, « l’archéologue dispose d’une palette presque infinie de moyens d’investigation. Les instruments de la physique et de la chimie modernes lui ont permis d’inventer des méthodes de datations absolues qui viennent compléter les chronologies relatives obtenues par la stratigraphie. Le recours aux techniques de la biologie moléculaire ouvre des perspectives immenses pour la compréhension de l’histoire des populations anciennes » [Alain Schnapp, 2018]. Ces “antiquaires” explorent, creusent, observent avec beaucoup de patience pour nous éclairer sur la préhistoire et l’histoire d’Homo sapiens, ainsi nommé dans son sens générique : humus, la terre, étant la racine latine d’homo, et sapiens se traduisant par sage, intelligent…

Cette exploration, à l’échelle des temps géologiques puis humains, s’inspire de la façon dont l’historien Patrick Boucheron procède : « renouant avec l’élan d’une historiographie de grand vent […] L’entrée par les dates permet d’évoquer des proximités pour les déplacer, ou au contraire de domestiquer d’apparentes incongruités […] de susciter le désir et l’inquiétude, ces deux moteurs du voyage ». Ce qui permet d’envisager une histoire globale “fabrique de la mémoire” [2017] dans laquelle le désir d’une humanité radieuse et l’inquiétude pour l’avenir de la planète Terre, deviennent les moteurs d’un voyage d’abord planétaire puis beaucoup plus terre-à-terre. Ce récit loin d’être exhaustif, doit cependant permettre de se rendre compte qu’Homo sapiens est un simple soupir dans la frise chronologique de l’univers et de la planète Terre : « la présence de l’homme occupe un espace si ténu que c’en est fascinant et troublant, un soupir dans les temps géologiques! » [Monica Sabolo 2017].

LE BIG BANG

Tout aurait commencé il y a quelques milliards d’années avec ce qu’il est généralement admis de nommer le Big Bang, sauf bien entendu si l’on se réfère au créationnisme. Mais parler de commencement est déjà inexact puisqu’on ne sait rien sur un possible avant, sinon de façon purement imaginaire dont la croyance en dieux : « Pourquoi faudrait-il qu’il y ait une origine à l’univers ? Cette idée n’a pas d’encrage réel, et dire qu’il n’y avait rien avant le Big Bang n’a pas de sens, quelles preuves a-t-on d’un néant ? Et on préfère croire plutôt que dire : on ne sait pas ! » [Hubert Reeves, 2020]

echelle temps geo

Le Big Bang, daté sans trop de contestations vers 13,7 milliards (Ga) d’années, ne signifie pas nécessairement le début de l’Univers qui garde une part de mystère et butte, peut-être même pour l’éternité, sur le réputé mur de Planck, « auquel sont associées une énergie, une longueur et une durée ; il représente ce qui nous barre aujourd’hui l’accès à l’origine de l’univers, si origine il y a eu. Il incarne en effet la limite de validité ou d’opérativité des concepts de la physique que nous utilisons : ceux-ci conviennent pour décrire ce qui est passé après lui, pas ce qui a eu lieu avant lui ; ainsi nos représentations habituelles de l’espace et du temps perdent toute pertinence en amont du mur de Planck » [Étienne Klein, 2013].

En fait le Big Bang ne conclut en rien la recherche sur l’origine de l’Univers, à supposer qu’il y ait eu un début ! Il s’agit d’un modèle théorique puisque « l’expérience est non observable. La naissance de l’Univers n’a eu lieu qu’une fois ! Il est impossible de refaire l’expérience […] (alors que) le protocole opératoire de la physique consiste à tenter d’inférer des lois à partir de l’observation de régularités lors de la réitération d’expériences similaires. […] Cette histoire est notre histoire. Elle est ce qu’on croit être le moins mauvais récit de nos origines. Elle est le cadre dans lequel se déploie ou se déplie notre physique. […]  Elle ne s’achève pas ici » [Aurélien Barrau, 2019].

Le Big Bang est donc simplement, si l’on peut dire, un marqueur hypothétique signifiant le point de départ de l’expansion dynamique de l’Univers en perpétuelle évolution, et là on entre dans le domaine de l’observable. D’abord magma sans cohérence, il a fallu neuf milliards d’années pour que celui-ci se structure avec la formation de galaxies (dont la Voie lactée) puis de systèmes composés d’étoiles et de planètes dont la constitution provient de la collision de poussières (surtout du fer) issues de la Voie lactée : les nuages moléculaires. L’assemblage de la planète Terre aurait duré entre 15 et 30 millions  (Ma) d’années, cette datation est imprécise car controversée. La Terre peut nous paraître grande mais en fait à l’échelle de l’Univers elle est loin de l’être : 13.000 km de diamètre, comparativement : 3.500 km pour la Lune, 120.000 pour Saturne, 1.400.000 pour le Soleil, 3.800.000 pour Véga… .

À ses débuts la Terre est une boule de feu avec une température estimée à 4.700 degrés. Puis, en quelques millions d’années, elle se refroidit sensiblement, ce qui rend peu à peu possible l’apparition de l’eau, des premières bactéries et enfin de l’indispensable photosynthèse (vers 2,5 Ga), permettant le remplacement dans l’atmosphère de la tendance dominante méthane par la tendance actuelle majoritairement azote et oxygène. Désormais le vivant peut prendre son essor, se développer en traversant de monumentales périodes de crise type extinctions massives ; cinq ont été recensées à partir d’environ  450 Ma, la plus importante étant celle du Permien-Trias il y a  250 Ma d’années ; la plus connue étant la cinquième vers 65 Ma, à l’origine de la disparition d’une grande partie des dinosaures. La sixième, dite de l’anthropocène, serait en cours. « À chaque fois, ces extinctions ont permis l’émergence de nouvelles formes de vie, toujours plus diverses et florissantes. Les extinctions massives jouent donc un rôle déterminant dans la diversification des formes vivantes » [Christophe Magdelaine, 2019]. Lors de ces crises certaines espèces de vertébrés ont réussi à les traverser avec une grande faculté d’adaptation, c’est le cas par exemple de la tortue apparue il y a 210 Ma, et elle est toujours là ! Il suffit donc de partir à point, avec cependant aujourd’hui une arrivée risquée car sous la menace du prédateur Homo sapiens, pourtant bien plus jeune et très petitement installé tout en bas de l’échelle : 0.002 % de l’ensemble ou 0.009 % du temps du vivant. Une autre manière de représenter la place d’Homo sapiens est d’imaginer une journée de 24 heures débutant par le Big Bang à 00 : 00 : 00, apparaissent ensuite :

  • le système solaire (dont la Terre) à 15 : 56 : 30
  • l’eau à 16 : 28 : 02
  • le vivant à 17 : 46 : 52
  • la faune et la flore à 23 : 07 : 27
  • les premiers homininés à 23 : 59 : 16
  • et enfin Homo sapiens à 23 : 59 : 58.

Dans ces 24 heures, Homo sapiens a deux secondes d’existence, ce qui est bien le temps d’un soupir ! Il devrait y réfléchir avec une bonne dose d’humilité et se demander « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi existons-nous ? Pourquoi cet ensemble particulier de lois et pas un autre ? Nous affirmons qu’il est possible de répondre à ces questions tout en restant dans le domaine de la science et sans recourir à aucun être divin » [Stephen Hawking, Léonard Mlodinow, 2011].

ciel etoileSi nous sommes-là, la tête dans les étoiles et les pieds sur terre, c’est avant tout grâce à des molécules complexes qui se sont constituées à partir d’atomes également complexes, tel le carbone. Ces atomes ne se forment qu’au sein des très grosses étoiles, et pour que l’on trouve du carbone un peu partout dans l’univers, il est nécessaire que ces étoiles aient explosé en fin de vie pour se disséminer. L’apparition de la vie sur terre est donc liée à au moins une génération d’étoiles précédées d’autres étoiles ayant vécu le temps d’une vie d’étoiles (de l’ordre de dix milliards d’années pour une étoile tel le soleil) et devenues elles-mêmes « poussières d’étoiles » : « Du chaos initial issu du Big Bang, le jeu subtil des lois de l’univers tire une succession de structures toujours plus délicates et complexes : particules, atomes, molécules, cellules, êtres vivants, puis pensants : tous les fruits de la gestation cosmique » [Hubert Reeves, 2008].

Une découverte récente permettrait de faire la connaissance de la toute première molécule post Big Bang : « Une molécule ionisée formée à partir de l’hélium suggérait une solution à l’énigme de la formation des premières étoiles. On vient de montrer que cette molécule pouvait effectivement se former dans des conditions similaires à celles régnant au moment où les premiers atomes neutres ont commencé à naître, 380.000 ans après le début du cosmos observable. Cette molécule pourrait même avoir été la première à se former à ce moment-là ». [Laurent Sacco, 2019]

Bien que l’exploration de l’Univers soit loin d’être achevée, elle permet cependant de mieux comprendre notre existence cosmique : si nous sommes sur Terre, c’est que des lois physiques et chimiques planétaires l’ont rendu possible, et la place de la Terre est de l’ordre de l’idéal  : « sa distance au Soleil est très exactement ce qu’il faut pour que l’eau puisse être en surface aussi bien liquide que solide ou gazeuse ; un peu plus près, elle n’était que vapeur, un peu plus loin, que glace » [Albert Jacquard, 1991]. Toutefois, de tout temps, les légères modifications de son axe de rotation (Cycles de Milankovitch) peuvent entraîner d’importantes variations climatiques sur de longues durées, avec alternance de périodes glaciaires, d’une durée de 80.000 à  100.000 années avec baisse du niveau des mers, jusqu’à -120 m, et interglaciaires, plus courtes et bien plus chaudes, avec remontée du niveau des mers due à la fonte des glaces et au réchauffement d’une partie du permafrost (ou pergélisol) qui en dégelant délivre de grandes quantités d’eau, mais aussi de méthane (gaz à effet de serre hyper actif). Vers 13.000 ans avant notre ère, la Terre est de nouveau entrée dans une période interglaciaire toujours en cours, mais, fait nouveau, depuis plus de deux siècles le facteur climatique de l’activité humaine modifie des données naturelles avec le risque majeur d’un dérèglement accéléré et d’envergure.

LE VIVANT

adn_origine-vie_cnrsExtraordinaire a été le passage de l’inerte au vivant il y a environ 3,5 milliards d’années. Ce grand récit demeure en partie énigmatique rendant complexe une définition scientifique de la vie bien que ses indispensables composantes sont connues : l’eau (là où la vie a débuté, toute chose vivante en contient), l’oxygène, le carbone (atome basique fondamental), la cellule. Mais comment s’opère vraiment la transition du physico-chimique au biologique, comment s’élabore les « structures macromoléculaires complexes telles que les protéines, l’aptitude à mobiliser l’énergie nécessaire à la synthèse et au maintien de cette organisation, la capacité à se reproduire ou se multiplier plus ou moins à l’identique… […] Auto-organisation, métabolisme, reproduction et évolution forment ainsi le socle sur lequel repose la plupart des définitions actuelles de la vie » [Christophe Malaterre, 2008]. Capacité à se reproduire, certes, mais aussi à mourir, relation absolument indispensable pour que la vie puisse continuer : « L’être vivant apparaît, s’accroît, décline et meurt, [c’est] le tourbillon vital » [Claude Bernard, 1878]. Mais il arrive que ce tourbillon vital soit remis en question et certains, généralement fortunés, envisagent de le contourner pour être moins mortels, et pourquoi pas immortels. Ray Kurzweil, directeur de la logistique chez Google, est l’un des chantres les plus connus de ce qui est désormais appelé le “Transhumanisme” ou “Homme augmenté”, vaine utopie ou dystopie ? [cf. « Transhumanisme : de l’illusion à l’imposture » | CNRS-Le Journal | août 2018]

LE BUISSON DU VIVANT

La phylogénétique (généalogie des espèces) du vivant est complexe et il m’est impossible de l’expliciter ici en détail. Ce sont sans doute les travaux du biologiste Carl Woese qui ont permis de mieux la comprendre. Il a introduit les archées comme corps intermédiaires entre les bactéries et les eucaryotes, ces trois domaines formant une sphère avec en son centre l’ancêtre commun universel LUCA (Last Universal Common Ancestor). On doit au Musée des Confluences à Lyon une fort belle sculpture de Samba Soussoko “Le Buisson du vivant”, métaphore annotée par Pierre Thomas (géologue, Planet Terre).

buisson du vivantLe vivant est parfois représenté sous forme d’un arbre, ce qui tend à établir une hiérarchie avec Homo sapiens au sommet, alors que « Représenter l’arbre du vivant comme un buisson sphérique porte un message : de même qu’il n’y a aucun point privilégié à la surface d’une sphère, il n’y a aucun rameau particulier ou privilégié dans ce buisson du vivant. Le trajet qui va de LUCA à Homo Sapiens (trajet surligné en rouge par anthropocentrisme) n’a rien de plus ni rien de moins que les millions d’autres, ceux allant de LUCA à Saccharomyces cerevisiae, ou de LUCA à Deinococcus radiodurans, par exemple » [Pierre Thomas, 2015]. Les trois domaines du buisson interférent entre eux, et au fil du temps de multiples rameaux naissent, se développent, et meurent…, rien n’est définitivement figé, le vivant étant à la fois création et destruction.

Le monde animal vertébré apparaît chez les eucaryotes, là où la biologie se complexifie et conduit, certainement pas de façon linéaire, vers le rameau des hominoïdes, puis vers celui des homininés, enfin vers celui du genre Homo. Si ce dernier rameau n’est pas à privilégier plus qu’un autre, il va falloir cependant l’isoler pour développer ses différentes branches. Et, de façon plus symbolique, l’histoire révèle qu’Homo sapiens, seule branche homo à demeurer vivante, et à partir du moment où il a pu se dire “je pense donc je suis”, va tout faire pour chercher à se distinguer dans tous les sens du terme : se rendre différent, se montrer, s’élever au-dessus des autres…

UNE PLANÈTE INACHEVÉE

trappLes cinq extinctions déjà évoquées, ont eu pour principale cause une activité volcanique massive s’étalant sur plusieurs milliers d’années. De nombreux trapps en sont les témoins ; il s’agit de dépôts de roches basaltiques pouvant aller jusqu’à 12.000 mètres d’épaisseur répartis sur de grandes superficies (par exemple les trapps du Deccan sont équivalents à la surface de la France). Ces éruptions étaient très toxiques par rejets massifs de gaz carbonique et de méthane provoquant une disparition importante de la biodiversité, et une pollution des océans par une surabondance de métaux lourds (antimoine, arsenic, mercure…) générant leur appauvrissement en oxygène. Ces imposantes catastrophes dans l’histoire de la Terre pourraient-elles se produire de nos jours avec une telle ampleur ? Rien ne s’y oppose et tout demeure possible y compris de la part de volcans éteints tels ceux du Massif Central !

Les grandes catastrophes, volcaniques ou autres, conduisent souvent à des mythes dans lesquels Homo sapiens est mis en accusation pour cause de comportements déviants : violence guerrière, corruption, abus de pouvoir, hédonisme sans limite… et les dieux punissent ces débordements parfois dans l’anéantissement. Ce qui donne lieu à de grands récits mythologiques : le Déluge a déjà été évoqué dans “Critique de l’effondrement”, on peut ajouter par exemple, l’Atlantide, ce continent supposé disparu relaté par Platon dans ses Dialogues  Timée et Critias. “La Nuit des temps” de René Barjavel, roman de science-fiction dans lequel des savants explorateurs découvrent en Antarctique, sous 900 mètres de glace, les traces d’une ancienne civilisation vieille de 900.000 ans ! Ces mythes, tendance catastrophe souvent liée à une réprobation divine, cherchent à expliquer l’inexplicable et à conjurer une possible désespérance du connu, manière aussi pour Homo sapiens de se réassurer de ses errements déraisonnables ?

Si les extinctions massives mettent à mal la biodiversité, elles n’ont cependant jamais conduit à une disparition totale du vivant, puisque chaque fois, dans une étonnante dynamique, la biodiversité s’est renouvelée avec une faune et une flore souvent différentes et génétiquement enrichies. En serait-il de même aujourd’hui si l’on admet que la sixième extinction est en cours de façon beaucoup plus rapide que les précédentes du fait de l’activité humaine ? « Les extinctions d’espèces sont des étapes naturelles de l’évolution de la biosphère. Elles permettent l’émergence et la diversification de nouvelles formes par libération des biotopes [bases des écosystèmes]. Mais aujourd’hui, pour la première fois dans toute l’histoire de la vie depuis son apparition, une espèce, l’Homo sapiens, modifie les processus naturels et cause l’extinction en masse d’autres espèces » (Sylvie Crasquin, 2009]. Que va-t-il se passer dans un processus naturel qui s’étale généralement sur plusieurs millions d’années mais qui, actuellement, se trouve projeté en hyper accéléré sur un peu plus de deux siècles ? Personne n’est en mesure de vraiment le prévoir sinon de façon tout à fait hypothétique ou prophétique ;il en va de même pour un retour possible à une période glaciaire dans X années.

Cette capacité de renouvellement de la biodiversité interroge l’expression “monde fini” devenue courante en particulier dans le langage des auteurs traitant de la décroissance : « Celui qui pense qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste » [Kenneth Boulding, 1989]. Cette fin serait cependant à préciser : fin du monde, fin d’une époque, fin d’un modèle ? Ou bien plus sûrement fin des réserves en ressources fossiles, par exemple il resterait en consommation constante : ≈50 ans pour le pétrole et ≈60 pour le gaz, (source : Science et vie 15 avril 2020) soit deux générations, ce qui est peu. Cette réalité incontournable va obliger Homo sapiens à revoir complètement ses sources d’énergie et les façons de les utiliser.

La fin de l’ère de l’énergie fossile ne signifie pas pour autant que la construction de la Terre est achevée, puisque, au même titre que l’univers, elle bouge et se modifie en permanence, les éruptions volcaniques, les tremblements de terre, les tsunamis en sont des témoins actifs. Notre regard limité de terriens peut donner l’impression d’une géographie immuable des continents, ce n’est qu’une apparence. Ceux-ci se sont en effet regroupés à plusieurs reprises, par exemple avec le Gondwana (600 Ma), ou le supercontinent de la Pangée (300 Ma), puis séparés à partir de –160 Ma en évoluant vers l’actuelle configuration tout en continuant à dériver, ce qui fait que l’Australie se rapproche de l’Asie et que le continent africain pourrait se séparer de sa corne à l’Est… Donc au lieu d’évoquer une finitude, il semble préférable de parler changements et limites : limite des ressources fossiles, limite des surfaces habitables et cultivables, limite du peuplement, limite de la croissance…, puisque « Pour l’humanité il n’y a pas d’ailleurs. […] Les hommes ont pu longtemps raisonner comme s’ils ne rencontraient pas de limites. Aujourd’hui, ils doivent constater qu’elles existent bel et bien, et que, dans de nombreux cas, ils les ont atteintes » [Albert Jacquard, 1991].

Peut-on prendre la mesure du vivant, qu’est-ce qu’il représente sur terre ? En 2017 aux États-Unis, trois scientifiques ont cherché à évaluer le poids de la masse carbone du vivant, “The biomass distribution on Earth”.

poids biomasse_1Le poids total de la biomasse carbone, indépendamment de la teneur en eau, est de 545 gigatonnes-carbone (GtC), se répartissant ainsi (principaux résultats) : végétal 83 % ( 450 GtC), bactéries 13 % (70 GtC), virus inclus ici dans le vivant 0,04 % (0,2 GtC), monde animal 0,4 % (2 GtC) dont les humains (0,06 GtC), ces derniers ne représentant que 0,01 % du total [rapport complet en anglais. Cf. également Pascal Combemorel, Planet-Vie | 2018]. C’est une nouvelle confirmation de la toute petite place occupée par Homo sapiens dans le système terrestre, il ne fait guère le poids dans la biomasse, y compris comparativement aux virus.

Supernova_SN_2005

supernova SN 2005ke vue depuis le télescope spatial  Swift

L’avenir biologique et géologique de la Terre n’est guère prévisible sur du long terme et la seule certitude que nous ayons est celle de l’évolution de l’astre solaire qui en explosant, destinée de toute étoile, deviendra d’ici quelques milliards d’années une supernova, ce qui mettra fin à toute vie sur la Terre si celle-ci existe encore. D’ici là, Homo sapiens tiendra-t-il le coup, aura-t-il su continuer à bénéficier des apports génétiques et culturels du “buissonnement” sans rechercher à tout prix à en modifier le cours ? « Notre vision de l’évolution de l’homme a évolué. Quand, dans les années 1960, j’ai commencé à étudier les plus anciennes formes préhumaines et humaines, il était admis que leurs fossiles étaient ceux de nos ancêtres. On pensait alors que plus un fossile préhumain était ancien, plus l’animal associé ressemblait à un grand singe. Or le registre fossile montre aujourd’hui que, à de nombreuses reprises dans le passé s’étendant de quatre à un million d’années, plusieurs espèces préhumaines et humaines ont foulé en même temps le sol de la planète » [Bernard Wood, 2014].

HOMO SAPIENS ET SES COUSINS LES SINGES

Dans le buisson du vivant par quels chemins, dans le temps et l’espace, Homo sapiens a fini par se retrouver le seul vivant de son genre ? « Aussi loin que nous remontions dans notre longue histoire évolutive, nous constatons la coexistence de plusieurs espèces humaines […]. Il en était encore ainsi au temps des premiers hommes, il y a deux millions d’années, comme auparavant, au temps des australopithèques, il y a plus de trois millions d’années, voire aux origines de notre lignée » [Pascal Picq, 2016].

darwin1Il est désormais reconnu qu’Homo sapiens appartient à la famille des grands singes et n’en descend pas, c’est pourquoi des auteurs l’appellent Singe dans leurs écrits : « avec une majuscule initiale, métaphore qui qualifie l’acteur principal de cette odyssée, la collectivité humaine » [Laurent Testot, 2017], voulant ainsi marquer notre appartenance à un rameau commun datant d’à peu près 40 millions d’années. En 1859, Charles Darwin, avec la publication de L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, démontre que finalement nous sommes singes et non créatures divines : « Nous pouvons au moins aller aussi loin par rapport au monde matériel, pour apercevoir que les faits ne se produisent pas par une intervention isolée du pouvoir divin, se manifestant dans chaque cas particulier, mais bien par l’action de lois générales ». Darwin a bouleversé l’opinion et ses représentants religieux, ce qui aurait fait dire à la femme de l’archevêque de Worcester : « Ainsi, l’homme descendrait du singe ! Pourvu que cela ne soit pas vrai. Mais si cela devait l’être, prions pour que cela ne se sache jamais ! » [cité par Pascal Picq, 2017].

Grâce à de nombreuses découvertes archéologiques et biologiques, de nombreux chercheurs ont brillamment prolongé les recherches de Darwin, dont Michel Brunet, Yves Coppens, Jean-Jacques Hublin, Pascal Picq et Laurent Testot, qui me sont apparus comme les plus accessibles. Cette longue histoire me semble être celle d’une vaste cousinade rassemblant les trois grandes familles homininés présentées dans le tableau ci-après, avec comme plus proche cousin d’Homo sapiens le chimpanzé au génome identique à 98,8 %, ainsi « notre humanité réside dans 1,2 % de nos gènes. Il fallait être homme pour classer l’espèce humaine dans une autre famille que le chimpanzé » [Jean-Jacques Hublin, 2008]. 1,2 % c’est bien peu, pourtant ce pourcentage a permis, et continue de permettre à Homo sapiens de se distinguer : “faire l’homme” avec plus ou moins d’intelligence, plutôt que “faire le singe”, ou bien encore les deux à la fois ?

buisson homoDans ce tableau ne figurent que les lignées les plus significatives ; la marge d’erreurs dans l’échelle du temps peut être à +/- 100 000, jusqu’à Homo erectus, ensuite elle se réduit. Ces données sont à lire avec prudence, car pratiquement chaque année de nouvelles découvertes peuvent sensiblement modifier l’Histoire. En l’état actuel de la recherche, la séparation du genre “Homo” avec les autres grands singes (panina, gorilles…) aurait débuté il y a environ sept millions d’années en Afrique du Sud, de l’Est (vallée du grand Rift) et un peu plus au Nord (Tchad).

Comment s’est opérée dans le temps et l’espace la structuration corporelle, cérébrale et cognitive d’un grand singe, parmi d’autres hominoïdes, aboutissant à Homo sapiens ? De grandes inconnues demeurent dans ce long processus, il semble cependant admis que les importants changements climatiques (alternance glaciation / périodes interglaciaires) ont eu beaucoup d’influence, transformant en savane sur de longues périodes des pans entiers de la forêt tropicale. Ce qui aurait poussé plusieurs grands singes à passer progressivement de la quadrupédie à la bipédie pour pouvoir se déplacer à terre. Leur morphologie s’est adaptée au fur et à mesure : les pattes avant deviennent bras en se raccourcissant, la taille augmente, la boite crânienne se développe, le cerveau prend du volume, la mâchoire et la dentition se transforment pour arriver à mastiquer de nouvelles nourritures dont la viande crue. À terme, le genre homo va perdre la faculté de se mouvoir avec agilité dans la canopée des forêts encore existantes, là où les singes continuent à se nourrir avec des fruits et du feuillage, mais aussi à trouver refuge pour se protéger de prédateurs carnivores. Toute la lignée Homo est ainsi confrontée à la recherche de nouveaux moyens pour enrichir sa nourriture afin de répondre à une demande d’énergie corporelle accrue par plus de mobilité et par le fonctionnement d’un cerveau (utilisateur de 25 % de l’énergie corporelle) de plus en plus volumineux. Cela peut paraître relativement logique et simple, mais plusieurs millions d’années ont été nécessaires, avec nombre d’accidents de parcours, pour qu’Homo sapiens commence à exister en Afrique vers l’an 300 000 avant notre ère. Des figures emblématiques jalonnent cette histoire.

TOUMAÏ, LUCY et TURKANA BOY

erg_djourabLe crâne de Toumaï, “Espoir de vie” en langue Gorane, a été découvert en 2001 au Tchad dans la région devenue en grande partie désertique du Djourab. C’est une équipe de paléontologues Tchadiens et Français, dont Michel Brunet, qui est à l’origine de cette rencontre. L’examen attentif du crâne a permis de le dater avec précision. Ces travaux conduisent à faire de Toumaï un membre éminent de la grande famille des Sahelanthropus tchadensis et il devient l’emblème des homininés. Cette place est cependant controversée car pour l’instant il est impossible de vraiment savoir si Toumaï se déplaçait debout. Si tel était le cas, le critère bipédie n’est cependant pas suffisant pour en faire le premier porte-parole de la lignée homininés puisqu’il arrive que certains grands singes l’utilisent pour se déplacer au sol : « La bipédie n’est donc pas une évolution mais un trait commun à tous les hominidés. Cette faculté n’est pas utilisée par tous à la même fréquence, mais elle est commune. […] Chez les hominidés, cette aptitude s’est amplifiée au fur et à mesure du temps pour devenir chez les hommes modernes l’unique moyen de locomotion, ce n’est donc pas un trait de différenciation » [Yvette Deloison, 2009]. Un fémur a bien été trouvé auprès du crâne mais on ne sait pour l’instant s’il appartient à Toumaï. Pour autant Michel Brunet argumente qu’un fémur ne peut en aucun cas contredire ses conclusions : « La capacité crânienne de l’ordre de 360-370 cm³, équivalente à celle des chimpanzés actuels, la denture […], la face relativement raccourcie et la base du crâne (avec un trou occipital en position déjà très antérieure et une face occipitale très inclinée vers l’arrière), montrent que l’hominidé tchadien appartient bien au rameau humain, et non à celui des chimpanzés ou des gorilles » [2005]. Précisons que Toumaï mesurait ≈1,20 m, et pesait ≈30 kg.

HadarUn peu plus tôt, en 1974, Lucy était entrée dans le pinacle des grandes découvertes de la paléontologie. Elle a vécu vers l’an 3.200.000 avant notre ère dans une tribu d’homininés de la famille des Austrolopithecus. Elle est donc bien plus jeune que Toumaï. Cette découverte en Éthiopie par des chercheurs (dont Donald Johanson, Maurice Taieb et Yves Coppens) qui étaient fans des Beatles, d’où le nom de Lucy en référence à la chanson “Lucy in the Sky with Diamonds” ! Cette découverte d’ossements constituant la moitié du squelette de la même personne introduit le genre féminin ; car avant Lucy, il n’était question que de l’homme, et « Là, tout d’un coup, la femme surgit sur le terrain » [Claudine Cohen. 2003], ce qui fait peut-être de Lucy la toute première féministe ! Toutefois son genre serait sujet à caution, ce qui n’empêche pas qu’elle « demeure la figure ancestrale de l’humanité alors que la découverte de Toumaï lui a ôté le privilège de l’antériorité » [Claudine Leduc, 2006]. Lucy mesure 1,10 m et pèse 30 kg, sa capacité crânienne de 450 cm3 est plus importante que celle de Toumaï. Les australopithèques « ne se sont pas encore totalement libérés du milieu arboricole […] ils consomment surtout des fruits et des pousses produits par des buissons et des arbres. […] [Leurs mains] possèdent des caractéristiques anatomiques et biomécaniques qui indiquent une capacité à la saisie de précision [Jean-Jacques Hublin, 2018]. Lucy n’a vécu que vingt-cinq ans et serait morte des suites d’une chute du haut d’un arbre, avec fracture symptomatique de l’humérus droit. On fera de cette chute le symbole de la bipédie qui va progressivement conduire certains hominoïdes à perdre de leur habilité à se mouvoir dans les arbres tout en gagnant en mobilité et en habileté manuelle.

lac_turkanaEn 1984, Turkana Boy est découvert au Kenya où il a vécu il y a 1,8 Ma à proximité du lac Turkana dans la vallée du grand Rift. Son squelette, presque complet, n’a pas vraiment permis de fixer son âge avec précision, entre 10 et 12 ans suivant les experts.  En revanche il n’y a aucun doute pour sa taille et son poids : 1,60 m. 50 kg, avec des jambes plus longues et des bras raccourcis. Il appartient à la lignée Homo erectus, son corps ressemble de plus en plus au nôtre et ne permet plus de déplacements acrobatiques dans les arbres. Son volume crânien, 880 cm3, commence à être important, avec développement des aires pariétales et temporales dédiées au langage, et du front, siège du cerveau social.

Toumaï, Lucy, Turkana boy et leurs tribus respectives étaient certainement loin d’imaginer d’où ils venaient et ce qui allait advenir de leur descendance. Leur cheminement va aboutir à un être qui, en prenant conscience de lui-même, c’est-à-dire “savoir que l’on sait”, va acquérir la capacité de se penser, de penser les autres, d’imaginer, de modifier le cours des choses, du moins en partie…

À la fin de la période allant de 2,5 à 1,8 Ma, la nombreuse famille des australopithèques, pourtant bien implantée du Sud au Nord Est de l’Afrique, va progressivement s’éteindre, faute peut-être d’une adaptation aux changements climatiques alternant glaciations et périodes interglaciaires : « Après la Grande Coupure, le climat de la terre s’est considérablement refroidi, au point de parler des âges glaciaires. Cette tendance générale n’est ni linéaire ni régulière. L’histoire évolutive des hominoïdes suit ainsi ces fluctuations climatiques et environnementales, se déployant avec succès dès qu’une période plus chaude favorise l’expansion des forêts, en proie aux plus grandes menaces quand les milieux forestiers régressent aux cours des périodes plus froides » [Pascal Picq, 2016].

Cette disparition laisse place libre au genre Homo, sans doute plus résistant aux fluctuations climatiques. Plusieurs lignées vont se succéder, avec des temps communs, et avec chaque fois une nécessaire amélioration des capacités physiques et intellectuelles pour mieux s’adapter aux changements survenant dans l’environnement.

DE HOMO HABILIS À HOMO SAPIENS

Habilis est le premier grand singe australopithèque reconnu à ce jour comme fondateur du genre Homo. Un peu plus de deux millions d’années ont été nécessaires pour parvenir à Sapiens qui va gagner : 45 cm en taille, 35 kg en poids et autour de 1.000 cm3 en volume crânien, alors que son cousin chimpanzé a peu évolué au fil du temps (aujourd’hui : 1,20 m, 55 kg et 450 cm3)

frise homo

Source : Hominidés.com

En l’état actuel de la recherche anthropologique, il ressort qu’Homo erectus est à l’origine d’un grand tournant de l’Histoire. Avec 1 000 cm3 de boîte crânienne il franchit un seuil symbolique, en a-t-il pris la grosse tête ? En tout cas, si la taille du cerveau n’induit pas nécessairement l’intelligence, la multiplication des neurones et la complexification de l’encéphale ont cependant permis au genre Homo de développer un processus complexe de conscientisation. Cela s’est traduit dans plusieurs changements-clés dont le seul moteur est la nécessité vitale de s’adapter à un environnement changeant, références morales et politiques n’ayant sans doute encore aucun sens. Découvrons ces changements grâce aux chercheurs déjà cités, en tenant compte d’une part d’extrapolation puisque tous les modes de vie d’Homo erectus n’ont pas laissé de traces observables.

Homo erectus devient entrepreneur : il apprend à modifier la forme des objets en taillant la pierre pour parvenir à des silex bifaces pour trancher, racler… et en utilisant le bois pour en faire des massues, puis des javelots aux pointes en os ou en pierre… : « Pour la première fois, […] un être a osé changer la nature d’un objet pour l’utiliser à son profit. Aucune autre espèce n’a pour le moment partagé cette audace […] C’est le premier signe d’une histoire culturelle. C’est un couple homme-outil qui se met en place« . Progressivement les outils s’améliorent et se diversifient, « bénéficiant chaque fois des connaissances qui avaient présidé à la fabrication des précédents » [Yves Coppens, 2006].

Homo erectus devient chasseur coopératif : quand la forêt s’éloigne, voire disparaît, quand le climat devient plus sec en Afrique lors des périodes de grande glaciation, Homo erectus doit adapter sa nourriture en devenant de plus en plus carnivore pour trouver des ressources énergétiques plus rapidement assimilables que des fruits et des plantes se faisant rares et moins riches en protéines. La viande est également une ressource alimentaire inépuisable que l’on trouve partout et en toute saison. Homo erectus est d’abord charognard, peut-être même anthropophage, mais la concurrence avec de nombreux prédateurs le conduit à apprendre la chasse qu’il pratique sous forme de battues en poursuivant une bête isolée pour l’épuiser. Ces battues, sur de longues distances, ne pouvaient être que collectives pour se relayer à la course et finir par encercler l’animal afin de l’achever et le transporter vers le campement.

migration_homo_sapiensHomo erectus devient explorateur : lors de changements climatiques sur de longues périodes, « plusieurs espèces s’éteignent […], certaines autres s’en vont en totalité ou en partie, d’autres arrivent et d’autres enfin se transforment sur place » [Yves Coppens, 2006]. Contrairement à d’autres rameaux, Homo erectus ne s’est pas éteint et a compris qu’il devait s’en aller, du moins une partie d’entre eux, pour continuer à vivre, devenant vraisemblablement le premier à s’éloigner de l’Afrique. Il lui fallait en effet suivre les migrations des espèces animales dans lesquelles il trouvait l’essentiel de sa nourriture et de ses vêtements. Ces mouvements migratoires ont commencé il y a environ deux millions d’années, vers l’Asie et surtout en direction du Nord de l’Afrique, de l’actuelle Égypte ; puis un peu plus à l’Est jusqu’en Géorgie (site de Dmanissi où a résidé son cousin Homo Georgicus) ; et enfin vers le Sud de l’Europe de l’Ouest (Italie, péninsule Ibérique, Périgord) non couvert de glace, mis à part le massif des Alpes dont les glaciers très épais (jusqu’à 3.000 m. d’épaisseur) peuvent s’étendre jusqu’à l’actuelle vallée du Rhône et s’arrêter au niveau de Sisteron. En période de réchauffement Homo erectus et ses cousins remontent vers le Nord de l’Eurasie et cette alternance continue, avec des retours possibles en Afrique pour de nouvelles rencontres amoureuses ou orageuses… Il ne peut être question de parler pour le moment de colonisation puisque les tribus nomades ne se fixent que temporairement sur un territoire souvent limité à une grotte et ce qui l’entoure, les espaces de chasse sont communs, le bornage, l’enclosure viendront bien plus tard.

feuHomo erectus devient Prométhée : la découverte de l’usage du feu est un événement révolutionnaire ! Révolution dans le sens d’un apport culturel, technique… de grande ampleur entraînant d’importants changements dans le monde du vivant. Homo erectus et ses concitoyens connaissent les dangers que représentent les feux de forêts et de savanes provoqués par la foudre ou les éruptions volcaniques fréquentes dans la région du grand Rift ; ils en ont peur et ne peuvent que les fuir. Pourtant vers 1,7 Ma, ils se rendent compte que si le feu détruit, il peut aussi protéger, réchauffer et ils apprennent à l’allumer eux-mêmes, la célèbre expression “On va mettre le feu !” date peut-être de cette époque… La cuisson de la viande apparaît un peu plus tardivement avec des barbecues de voisinage. Le feu rassemble et facilite la communication verbale, ce qui aurait amorcé la construction du langage symbolique.

libye 023Bien plus tard, les rituels autour de la mort vers -500.000, puis l’art rupestre vers -75.000 enrichiront la vie culturelle du genre Homo.

Ces événements, dont l’ensemble des fondements sont loin d’être tous connus, préfigurent une grande aventure humaine débutée en Afrique et en Eurasie par Homo erectus. Peu à peu Néandertal (“Premier à corder”) et Denisova prendront sa place en Europe, se rendant même en Sibérie. Ils débroussaillent ainsi le terrain pour l’arrivée d’Homo sapiens venant d’Afrique avec armes et bagages vers -40.000. Ce dernier finira par les supplanter, non sans recueillir au passage quelques gènes néandertaliens. Pourquoi la lignée néandertalienne s’est-elle éteinte il y a environ 25.000 ans, alors qu’Homo néandertal semble plus costaud physiquement qu’Homo sapiens ? Toutes les hypothèses sont possibles : épidémie, famine, climat, isolement, génocide… ? Mais logiquement, elles ne pourront être vérifiées, donc à ce sujet l’Histoire en restera là. « S’il fallait résumer en quelques lignes l’histoire de l’humanité du Paléolithique, on pourrait ne retenir que deux trajectoires essentielles : d’une part, celle de la nette réduction de la diversité biologique de l’homme, dont Homo sapiens sort lauréat ; d’autre part, celle de la diversification de ses comportements et de ses pratiques culturelles, qui touche divers registres fondamentaux ; gestion territoriale, techniques de chasse… sans parler de nouvelles formes de langage avec l’art des images et l’usage des symboles » [François Bon, 2018].

Avec nos schémas de pensée contemporains, Il est difficile de se représenter le déroulement de ces événements dans le temps et l’espace. Ainsi une tribu décidant de suivre une trace animale, n’avait déjà aucune idée de là où elle allait aboutir. Ensuite, les premiers partants n’étaient pas ceux qui parviendraient au terme de l’aventure, puisque ces migrations se déroulaient sur plusieurs générations. Aujourd’hui tout va beaucoup plus vite et les mobilités ont le plus souvent des destinations connues, par exemple les migrants “clandestins” atteignent, et encore pas toujours, non sans beaucoup de mal, leur objectif au bout d’un à trois ans d’après leurs témoignages. Ce qui fait qu’entre l’Homo erectus et l’Homo sapiens d’aujourd’hui beaucoup plus conscient et savant, les représentations du temps et de l’espace ont certainement beaucoup changé.

Là où nous en sommes dans le parcours du genre Homo sur quelque 100.000 générations, un marqueur saute aux yeux : “nous sommes tous des Africains” [Michel Brunet, 2016]. Nos ancêtres Homo erectus et Homo sapiens en venant d’Afrique, ont inauguré les mouvements migratoires incessants des millénaires qui suivront. Cette réalité est le fondement même de la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants approuvée par l’ONU en 2016 : « Depuis que le monde est monde, les hommes se déplacent, soit pour rechercher de nouvelles perspectives et de nouveaux débouchés économiques, soit pour échapper à des conflits armés, à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire, à la persécution, au terrorisme ou à des violations des droits de l’homme, soit enfin en réaction aux effets négatifs des changements climatiques, des catastrophes naturelles (dont certaines sont liées à ces changements) ou d’autres facteurs environnementaux. En fait, nombreux sont leurs déplacements qui sont motivés par plusieurs de ces raisons ». Dans les temps présents, l’incertitude qui pèse sur le monde peut rendre difficile l’acceptation de nos origines et de leur diversité, alors que l’étude de la Préhistoire et de l’Histoire conduit à reconnaître que c’est la non-migration qui demeure l’exception et qui le restera inévitablement pour toutes les raisons évoquées dans la Déclaration de l’ONU.

Tout cela est confirmé par l’exploration scientifique de notre ADN : « Après un petit détour sur ce qui “fait” ou non l’Homme en nous comparant à nos plus proches cousins les chimpanzés, nous verrons comment depuis notre aventure hors d’Afrique […] nous avons conquis la planète. Cette épopée, qui s’est effectuée au gré des mélanges et migrations, semblait à jamais inaccessible, bien qu’inscrite dans notre ADN. Or il est désormais possible de lire dans notre code génétique à livre ouvert et de remonter progressivement dans le passé. » [Évelyne Heyer, 2020]


Une longue étape, débutée avec le Big Bang il y a 13,7 milliards d’années, nous a conduits à peu près vers l’an 30.000 avant notre ère. Peut-on en conclure que « Tout ce qui existe dans l’Univers est le fruit du hasard et de la nécessité » ? Cette citation est attribuée au philosophe matérialiste grec Démocrite (vers 400 avant notre ère) et précurseur des réputés physiciens et astrophysiciens contemporains : Aurélien Barrau, Albert Einstein, Stephen Hawking, Hubert Reeves… Ils nous permettent de mieux comprendre une relativité peu hasardeuse du temps et de l’espace dans l’Univers, et il y a une certaine logique dans le déroulement historique des grands événements que nous avons survolés jusqu’ici. L’on pourrait en déduire que “nécessité fait loi”, pourtant le pourquoi et le comment de l’élan qui a conduit à la vie, puis à l’humanité, sont encore loin d’être complètement connus.

“Nous approchons de l’instant qui serait celui de l’ultime et définitif commencement, du tout premier élément comme du tout premier humain, mais nous devons constater que plus nous croyons l’atteindre, plus il se dérobe, remplacé par un autre, plus ancien, dont il faudra trouver l’origine. Ainsi sommes-nous stimulés par toujours plus d’informations, de plus en plus précises, complexifiant nos connaissances quant à ce qui nous précède et nous a engendrés. Soumis aux aléas d’un savoir qui n’est jamais définitif, si irréprochable que soit la rigueur scientifique, pouvons-nous raisonnablement espérer un jour atteindre cet ultime commencement ? » [Musée des Confluences, 2014]

Homo sapiens, bien que minuscule dans l’Univers et ne pesant pas lourd dans la biomasse terrestre, est un maillon essentiel de cette grandiose Histoire, il est en effet le seul du buisson du vivant à pouvoir la raconter et l’expliquer. Il demeure aussi l’unique représentant du genre Homo, sans doute grâce à une faculté hors du commun d’adaptation à un environnement changeant, en particulier pour causes climatiques dues aux légères variations du mouvement orbital de la petite planète Terre autour du soleil.

Mais en l’an 30.000 avant notre ère on est encore très loin des pollutions provoquées par l’activité d’Homo sapiens ! Pour se nourrir ces changements l’obligent à bouger en suivant les déplacements lointains des espèces animales dont la viande riche en protéines, devient la base de son alimentation, mais pourra-t-elle le rester ? Chasseur-cueilleur, il demeure encore bien intégré au buisson du vivant dont il suit les rythmes naturels sans chercher à en changer le cours, sinon peut-être quand il devient entrepreneur et modifie la nature de certains objets (pierre, bois, ossements…) et quand il commence à découvrir tout l’intérêt que représente la domestication du feu, véritable révolution préfigurant d’autres à venir. Il a encore beaucoup à découvrir, à apprendre, à créer… mais pas toujours en “sapiens”…, c’est ce que nous aborderons prochainement en constatant que le Progrès (évolution de la civilisation) peut conduite à l’hubris. Le désir d’un équilibre naturel harmonieux et l’inquiétude devant l’absurde du pouvoir excessif et invasif d’Homo sapiens, resteront les motivations pour continuer ce voyage qui nous rapprochera rapidement du monde contemporain.

equilibre et absurde


Références

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  • Coppens Yves, Le Présent du passé. L’Actualité de l’histoire de l’Homme | 2009 | éd. Odile Jacob
  • Crasquin Sylvie, “La limite Permien–Trias : La crise majeure du monde vivant”, CNRS – UPMC Paris | 12 mai 2009.
  • Darwin Charles, L’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle | 1859 et 1873 | éd. C. Reinwald
  • Del Árbol Victor, Le Poids des morts | 2006/2020 | éd. Actes Sud
  • Deloison Yvette, “La bipédie humaine – ancestrale – initiale – originelle”, Hominidés.com | 2009
  • Deloison Yvette, Préhistoire du piéton. Essai sur les nouvelles origines de l’homme | 2004 | éd. Plon
  • Graeber David, Wengrow David, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité | 2021 | éd. Les Liens qui Libèrent
  • Graeber David, Wengrow David, « Comment changer le cours de l’histoire », Le Grand Continent | 14 juin 2018
  • Harari Yuval Noah, Sapiens. Une brève histoire de l’humanité | 2011/2015 | éd. Albin Michel
  • Hartenberger Jean-Louis, Une brève histoire des mammifères | 2001 | éd. Belin
  • Hawking Stephen, Mlodinow Léonard, Y a-t-il un grand architecte dans l’univers ? | 2011 | éd. Odile Jacob
  • Heyer Évelyne, L’Odyssée des gènes | 2020 | éd. Flammarion
  • Hublin Jean-Jacques, L’hominisation et les sociétés de chasseurs-cueilleurs. Dans Une histoire des civilisations, sous la direction de Jean-Paul Demoule et autres | 2018 | éd. La Découverte – Inrap
  • Hublin Jean-Jacques, avec Bernard Seytre, Quand d’autres hommes peuplaient la Terre. Nouveaux regards sur nos origines | 2008 et 2011 | éd. Flammarion
  • Jacquard Albert, Voici le temps du monde fini | 1991 | éd. du Seuil
  • Klein Étienne, Le temps (qui passe ?) | 2013 | Bayard éditions
  • Leduc Claudine, présentation du livre de Claudine Cohen, “La femme des origines. Images de la femme dans la préhistoire occidentale” | Clio, Histoire‚ femmes et sociétés, N°23 | 13 nov. 2006
  • Magdelaine Christophe, « Les extinctions massives de la biodiversité », Notre planète.info | 13 sept. 2019
  • Malaterre Christophe, “Expliquer les origines de la vie : structures et schèmes explicatifs”, Noesis | 2008
  • Mariani Jean et Tritsch Danièle, « Transhumanisme : de l’illusion à l’imposture », CNRS le Journal | 31 août 2018
  • Maurel Marie-Christine, Les Origines de la vie | 2017 | éd. Le Pommier
  • ONU, “Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants”. Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 19 sept. 2016
  • Picq Pascal, Premiers hommes | 2016 | éd. Flammarion
  • Picq Pascal, Au commencement était l’homme | 2009 | éd. Odile Jacob
  • Picq Pascal, Lucy et l’obscurantisme |2007 | éd. Odile Jacob
  • Reeves Hubert, « Petits voyages dans le cosmos », avec Étienne Klein, La conversation scientifique – France-Culture | 22 fév. 2020
  • Reeves Hubert, Poussières d’étoiles | 2008 | éd. Le Seuil
  • Sabolo Monica, Summer| 2017 | éd. Jean-Claude Lattès
  • Sacco Laurent, “La plus grande extinction massive de tous les temps”, Futura Planète | 7 avril 2020
  • Sacco Laurent, “La première molécule à s’être formée après le Big Bang détectée dans l’espace”, Futura-Sciences | 23 avril 2019
  • Schnapp Alain, Face au passé, une courte histoire. Dans Une Histoire des civilisations, sous la direction de Jean-Paul Demoule et autres | 2018 | éd. La Découverte – Inrap
  • Testot Laurent, Une histoire environnementale de l’humanité | 2017 | éd. Payot
  • Thomas Pierre, « Comment et pourquoi représenter l’arbre phylogénétique du vivant ? La réponse du Musée des Confluences de Lyon », Planet-Terre / ENS Lyon | 6 avril 2015
  • Thomas Pierre, « L’origine de la vie, le regard d’un géologue, conférence | 15 avril 2021
  • Wood Bernard, « Le buissonnant rameau humain », Pour la science N°445 | 23 oct. 2014

Bibliographie : socialisme, autogestion…

biblio

Cette bibliographie non exhaustive est issue d’une étude politique portant sur une partie de l’histoire du socialisme dans son oscillation permanente entre, d’une part, réformes d’un système économique et social à l’origine de grandes inégalités dans la redistribution de la richesse qu’il génère, et, d’autre part, révolutions cherchant à renverser ce système pour le remplacer par un autre imaginé juste, sans classes sociales, libertaire…

Si ce voyage débute au XVIe siècle (Thomas More), il ne prend cependant sa vitesse de croisière qu’au XIXe siècle avec le socialisme utopique (Cabet, Fourier, Godin, Owen, Saint-Simon, Thoreau…), le socialisme libertaire (Bakounine, Proudhon…), le socialisme marxiste scientifique (Bernstein, Engels, Marx, Lénine, Trotski…). Puis au XXe avec le socialisme des conseils ouvriers, (Gramsci, Rosa Luxemburg…), le socialisme autogestionnaire tendance marxiste ou (et) libertaire (Castoriadis, Gorz, H. Lefebvre…) et le socialisme réformiste, républicain, humaniste (Blum, Jaurès, Mounier, Ricoeur, Rocard…). Enfin au XXIe, avec beaucoup d’interrogations sur l’avenir du socialisme, jusqu’à envisager sa disparition ! et sans qu’apparaisse vraiment une pensée le renouvelant. Cependant, ne pourrait-on percevoir dans certains signes, l’émergence d’un socialisme “rose-vert” dans lequel les concepts d’économie sociale et solidaire et de “communs” (objets d’une autre biblio) occuperaient une large place, et avec le climat comme référence centrale, sans nécessairement s’effondrer ou entrer en trans…humanisme ? C’est sans doute encore trop tôt pour que cette hypothèse puisse se vérifier…

De nombreux liens internet permettent d’accéder à des documents (libres de droits) jalonnant une histoire riche en rebondissements, les guerres de 1870 et du XXe siècle en étant souvent l’origine.

Bibliographie présentée traditionnellement par auteurs, mais un classement par dates de parution peut faciliter le repérage d’ouvrages et de nombreuses problématiques transversales. “Quand l’Histoire fait dates” est l’approche privilégiée de l’historien Patrick Boucheron : « renouant avec l’élan d’une historiographie de grand vent […] L’entrée par les dates permet d’évoquer des proximités pour les déplacer, ou au contraire de domestiquer d’apparentes incongruités […] de susciter le désir et l’inquiétude, ces deux moteurs du voyage ». [Histoire mondiale de la France | Seuil | 2017]

vers biblio classée par dates de parution

Faire des propositions de lecture ? voir formulaire en fin de page. Indiquer : titre et sous-titre / auteur / éditeur / date de parution / éventuellement lien internet.

téléchargement pdf

  • Ageron Charles-Robert. L’Algérie des français | Seuil | 1993
  • Alleg Henri. La Question | éd. de Minuit | 1958
  • Alphandéry Claude (dir.) « Pour une autre économie. 60 propositions pour changer de cap »| Alternatives économiques-poche N° 46bis | nov. 2010 (Labo de l’ESS)
  • Alternatives économiques, « Écologie, crises, mondialisation… Marx l’incontournable »| dossier N° 13 |2018
  • Alternatives économiques, « Les campagnes sont de retour »| dossier N° 16 | 2018
  • Amis de Tribune socialiste, « 50 ans plus tard… le réalisme c’est toujours l’utopie »| colloque | 2010
  • Antonini Bruno, « Esquisse d’une théorie du dépérissement du capitalisme »| Nouvelles Fondations | 2006
  • Appel de Hanovre, « Conférence des villes durables »| Maires européens | fév. 2000
  • Arendt Hannah. Essai sur la révolution | Gallimard | 1967
  • Assemblée Nationale, « Loi sur l’interruption volontaire de grossesse »| débats parlementaires | 1974
  • Association fraternelle des instituteurs. « Programme d’éducation »| 1849 (Gallica BNF)
  • Association internationale des travailleurs,  « Procès de l’A.I.T. »| compte-rendu | 1870 (Gallica BNF)
  • Association internationale des travailleurs, « Manifeste inaugural« | Archives internet des marxistes | 1864
  • Attard Isabelle, Comment je suis devenue anarchiste | Seuil | 2019
  • Aubin Claire, Jourdain-Menninger Danièle, « Évaluation des politiques de prévention des grossesses non désirées et de prise en charge des interruptions volontaires de grossesse suite à la loi du 4-7-2001 »| IGAS | oct. 2009
  • Audier Serge, Léon Bourgeois. Fonder la solidarité | éd. Michalon | 2007
  • Auroux Jean, « Le droit des travailleurs »| rapport | 1981
  • Badie Bertrand, Vidal D. (dir.) Un monde d’inégalités | La Découverte | 2016
  • Badiou Alain, Gauchet Marcel, Que faire ? Dialogue sur le communisme, le capitalisme et l’avenir de la démocratie Gallimard | 2014
  • Bailly Jean-Paul (rapporteur), « Le temps des villes : pour une concordance des temps dans la cité »| Avis du Conseil économique et social | mars 2002
  • Bakounine Michel, Catéchisme révolutionnaire | 1865 (Libro Véritas)
  • Banerjee A. Duflo Esther, Économie utile pour des temps difficiles | Seuil | 2020
  • Banque de France, « Le surendettement des ménages »| rapport | 2020
  • Barbier René, « Un grand penseur contemporain : Cornélius Castoriadis »| Le Journal des chercheurs | 2006
  • Bard Christine, Bertin G. (dir.) Figures de l’utopie hier et aujourd’hui | PUR | 2014
  • Barraqué Bernard et autres, « Eau : le rôle méconnu de Michel Rocard »| Développement durable et territoires Vol. 8 N°3 | Nov. 2017
  • Barras Béatrice, Chantier ouvert au public | éd. REPAS | 2008
    • Moutons rebelles. Préface de J-F. Draperi | éd. REPAS | 2003
  • Baudelot Christian, Establet Roger, L’école capitaliste en France | Maspéro | 1971
    • L’école primaire divise | Maspéro | 1975
  • Bekaert Xavier, Anarchisme, violence et non-violence : petite anthologie de la révolution non-violente chez les principaux précurseurs et théoriciens de l’anarchisme | éd. du Monde libertaire | 2005

  • Ben Bella Ahmed, « Ainsi était le Che »| Le Monde diplomatique | oct. 1997
    • La filiation maudite. Critique de la raison occidentale | éd. Archipress | 1986
  • Bergougnioux Alain, Grunberg Gérard, L’ambition et le remords : les socialistes français et le pouvoir (1905-2005)  éd. Fayard | 2005
  • Bernard Régis (et al.), Chronique ordinaire d’un lycée différent | L’Harmattan | 2007
  • Bernstein Eduard, Socialisme théorique et social-démocratie pratique |Stock | 1900
  • Berque Augustin, « Le rural, le sauvage, l’urbain »| Études rurales N°187 | 2011
  • Berstein Serge, « Léon Blum, un intellectuel en politique »| Histoire@politique |2008
  • Bilis Michel, Socialisme et pacifistes ou l’impossible dilemme des socialistes (1933-1939) | éd. Syros | 1979
  • Billaudot Bernard, « Une vision institutionnaliste-historique de l’État social »| CNRS-Université Paris 1 | 2006
  • Blanquart P. Une Histoire de la ville pour repenser la société | La Découverte |1997
  • Blanqui Louis-Auguste, « Le toast de Londres. Avis au peuple »| Archives internet des marxistes | 1851
  • Blondiaux Loïc, « La Démocratie participative »| ENS Lyon | janvier 2018
    • Le nouvel esprit de la démocratie | Seuil | 2008
  • Blum Léon, Commentaires sur le programme d’action du Parti socialiste | Hachette | 1919 (Gallica BNF)
    • « Discours au 18e Congrès de la SFIO Tours. »| Fondation Jean Jaurès | 1920
    • Les Congrès ouvriers et socialistes français | Bibliothèque socialiste | 1901 (Gallica BNF)
    • Le Socialisme démocratique. Scission et unité de la gauche | Denoël | 1946 (Université du Québec)
  • Bodinaux François, Plasman Dominique, Ribourdouille Michèle, « On les disait Pétroleuses… »| note | 2005
  • Bouchardeau Huguette, Pas d’histoire les femmes… | éd. Syros | 1977
  • Boucheron Patrick, Riboulet Mathieu, Prendre dates. Paris 6 janvier-14 janvier 2015 | éd. Verdier | 2015
  • Boucheron Patrick (dir.), Histoire mondiale de la France | Seuil | 2017
  • Boukharine Nikolaï Ivanovitch, « Les problèmes fondamentaux de la culture »| Fondation Gabriel Péri | 3 avril 1936
  • Boulbina Seloua Luste, « 1954, Pierre Mendès France et les indépendances : Indochine, Tunisie, Algérie »| Sens public | 2006
  • Boulouque Sylvain, « 1920 : retour sur le Congrès de Tours »| Fondation Jean Jaurès | 9 décembre 2010
  • Bourdet Yvon, La délivrance de Prométhée | éd. Anthropos | 1970
  • Bourdieu Pierre (dir.), La misère du monde | Seuil | 1993
    • La Distinction. Critique sociale du jugement | éd. de Minuit | 1979
  • Bourdieu Pierre, Passeron Jean-Claude, La reproduction. Éléments pour un système d’enseignement | éd. de Minuit |1970
    • Les Héritiers : les étudiants et la culture | éd. de Minuit | 1964
  • Bourguignon Pierre, « Sarcelles les 50 ans du grand ensemble »| Association des maires Ville et Banlieue | 2006
  • Bourquelot Françoise, Mathieu Nicole, « Paroles de Bernard Lambert : un paysan révolutionnaire »| Strates mai 1981
  • Bourg Dominique, Le marché contre l’humanité | éd. PUF | 2019
    • (dir.), Inventer la démocratie du XXIe siècle. Assemblée citoyenne du futur | éd. L.L.L. | 2017
  • Bourgeois Léon, Solidarité | éd. Armand Colin | 1896 (Gallica BNF)
  • Branciard Michel, « Du socialisme démocratique au socialisme autogestionnaire »| Aujourd’hui n° 41 | 1980
    • Histoire de la CFDT. Soixante-dix ans d’action syndicale | La Découverte | 1990
  • Bronner Luc, La Loi des guettos | éd. Calmann-Lévy | 2010
  • Brouet Pierre, Trotsky | éd. Fayard | 1988
  • Brunner Anne, Maurin Louis, « Rapport sur les inégalités en France »| Observatoire des inégalités | 2019
  • Cabet Étienne,. Voyage en Icarie | éd. Le Populaire | 1848 (Gallica BNF)
  • Cacérès Bénigno, Histoire de l’éducation populaire | Seuil | 1964
  • Cachin Marcel, « discours au 18e Congrès de la SFIO. Tours »| Fond J. Jaurès | 1920
  • Caillé Alain, Laville J.L. « Actualité de Karl Polanyi »| Revue du Mauss N° 29 |2007
  • Camus Albert, Actuelles III. Chroniques algériennes 1939-1958 | Gallimard | 1958
  • Castel Robert, « Salariat ou revenu d’existence ? Lecture critique d’André Gorz »| La Vie des idées | 6 déc. 2013
  • Castoriadis Cornélius, Capitalisme moderne et révolution | éd. 10/18 | 1979
    • Domaines de l’homme. Les carrefours du labyrinthe II | Seuil | 1986
    • Pouvoir, politique, autonomie. Les carrefours du labyrinthe III | Seuil | 1990
    • Fait et à faire. Les carrefours du labyrinthe V | Seuil | 1997
    • « Sur le programme socialiste »| Socialisme ou barbarie N° 10 | 1952
  • Cerqueus Damien,  Garnier-Lavalley Mickaël. Dix raisons d’aimer (ou pas) l’éducation populaire | éd. L’Atelier | 2010
  • Chancel Lucas, Insoutenables inégalités. Pour une justice sociale et environnementale | éd. Les Petis Matins | 2017
  • Chapuis Robert,Les chrétiens et le socialisme | Calmann-Lévy |1976
    • Si Rocard avait su… Témoignage sur la Deuxième gauche | L’Harmattan | 2007
  • Charte d’Aalborg, « Charte des villes européennes pour la durabilité »| Conférence européenne | mai 1994
  • Chaudy Michel, Faire des hommes libres | éd. Repas | 2008
  • Chauveau Sophie, « Les espoirs déçus de la loi Neuwirth »| Clio. Histoire‚ femmes et sociétés N°18 | 2003
  • Chávez Hugo, « Le socialisme est la voie du salut de la planète »| Sommet ONU Copenhague | déc. 2009
  • Chébaux François, À l’école de la parole : les jeunes et la loi à l’école de la Neuville | L’Harmattan | 2006
  • Cheurfa Madani, Chanvril Flora, « 2009-2019 : la crise de la confiance politique »| SciencePo-Cevipof | 2019
  • Chevet Brigitte, Brennilis, la centrale qui ne voulait pas s’éteindre | Produit par Vivement lundi | 2008 (DVD)
  • Chollet Mona, « L’urbanisation du monde »| Le Monde diplomatique-Manières de voir N° 114 | 2010
  • Clerc Denis, Déchiffrer l’économie | éd. La Découverte, 19e édition | 2020
    • La paupérisation des Français | éd. Armand Colin | 2010
    • « L’idée d’un revenu d’existence : une idée séduisante et… dangereuse »| Comprendre N° 4 | 2003
  • Cohn-Bendit Gabriel, Lettre ouverte à tous ceux qui n’aiment pas l’école | éd. Little big man | 2003.
    • Nous sommes en marche | Flammarion | 1999
    • « Lettre ouverte à Alain Savary, camarade ministre de l’Éducation nationale »| Libération 20 juin 1981
  • Collectif, 18 millions de bonnes à tout faire | éd. Syros | 1978
  • Collectif, Boimondau, 10 années d’expérience communautaire | 1951
  • Collectif, « Les situationnistes et l’autogestion »| Le Vent dans les steppes | 1982
  • Collectif, Lip au féminin | éd. Syros | 1977
  • Collectif, « Manifeste des 60 ouvriers »| Archives internet de marxistes | 1864
  • Collectif, « Manifeste des 121. Déclaration sur le droit à l’insoumission dans la guerre d’Algérie »| magazine Vérité-Liberté | 1960
  • Collectif, Procès de l’Association internationale des travailleurs | A.I.T.| 1870 (Gallica BNF)
  • Collectif Comm’un, Habiter en lutte. ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Quarante ans de résistance | éd. le Passager clandestin | 2019
  • Collonges Lucien (dir.) Autogestion hier aujourd’hui demain | éd. Syllepse | 2010
  • Colson Daniel. Petit lexique philosophique de l’anarchisme | éd. Librairie générale française | 2001
  • Commune de Paris, « Archives des communiqués » | 1871 (Gallica BNF)
  • Conseil Économique, Social et Environnemental, « Convention Citoyenne pour le Climat. Les propositions de la Convention »| rapport final | 26 juin 2020
  • Coquery Vidrovitch Catherine, Les routes de l’esclavage | Albin Michel | 2018
  • Cordellier Serge, « JAC-F MRJC et transformation sociale. Histoire de mouvements et mémoires d’acteurs »| MRJC déc. 2008
  • Cos Rafaël, Les programmes du Parti socialiste. Sociologie politique d’une entreprise programmatique (1995-2012) éd. Dalloz | 2019
  • Cour des comptes, « La politique de la ville, rapport au Président de la République » | rapport | Fév. 2002
  • Crépeau Yvan, Le Pouvoir à prendre | éd. Syros | 1976
  • Dalotel Alain, Paule Minck, communarde et féministe | éd. Syros | 1968
  • Daniel André, « Le lycée expérimental de Saint-Nazaire »| Place publique N° 9 | 2008
  • Debord Guy, La Société du spectacle | éd. Buchet-Chastel | 1967 (Université du Québec)
  • Debray Régis, Du bon usage des catastrophes | Gallimard | 2011
    • Bilan de faillite | Gallimard | 2018
  • Declercq Gilbert, Syndicaliste en liberté | Seuil | 1974
  • De Gaulle Charles, « Discours de Brazzaville » | 30 janvier 1944
  • De Gouge Olympe, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne | 1791 | (Wikisource)
  • Deguara Samuel, « Conditions d’émergence de la Confédération paysanne »| Quaderni N°56 | janvier 2005
  • Delalande Nicolas, La Lutte et l’Entraide. L’âge des solidarités ouvrières| Seuil| 2019
  • Delmas Chantal (et al.), « Appropriation sociale. Autogestion, coopératives, communs »| Espaces-Marx | 2013
  • Demoule Jean-Paul, Garcia Dominique, Schnapp Alain (dir.), Une histoire des civilisations. Comment l’archéologie bouleverse nos connaissances | La Découverte | 2018
  • Depaquit Serge, Renouveler la démocratie… oui mais comment ? | éd. ADELS | 2005
    • « Rosa Luxemburg, ou les exigences de l’émancipation politique »| note | 2010
  • Derrion Michel-Marie, Constitution de l’industrie et organisation pacifique du commerce et du travail éd. Librairie Durval | 1834 (Gallica-BNF)
  • Desbrousses Hélène, « L’apport de Marx à la théorie de l’État »| Nouvelle Fondation N° 5 | 2007
  • Desroche Henri. Histoires d’économies sociales. D’un Tiers-État aux Tiers-secteurs (1791-1991) |éd. Syros | 1991.
    • La société festive | Seuil | 1975
  • Dogan Mattei, « La classe politique prise de panique en Mai 68 : comment la guerre civile fut évitée ? »| Sens public  2009
  • D’Ortoli Fabienne, Amram Fabrice, Fernand Oury, un homme est passé |Produit par Frémeaux et associés | 2010 (DVD)
  • Draperi Jean-François. Godin inventeur de l’économie sociale | éd. REPAS | 2008
  • Dravet Henri, Gosselin Roger, Les tanneurs ont la peau dure |éd. UD CFDT | 1975
  • Drulovic Milojko. L’autogestion à l’épreuve des faits. Préface de M. Rocard | éd. Fayard | 1973
  • Duhamel Éric, « L’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance, un parti charnière »| Pouvoirs N°76 | 1996
  • Dumont René, « Quand le feu est à la maison, la grange peut attendre ! »| Tribune socialiste N°631 | 22 oct. 1974
  • Dumez Yannick, Les tanneurs ont la peau dure | Produit par le Moulin à Images | 2009 (DVD)
  • Engels Friedrich, Socialisme utopique et socialisme scientifique | Archives internet marxistes | 1880
  • Fabre Auguste, Robert Owen, un socialiste pratique. Introduction de Charles Gide | éd. de l’Émancipation | 1896 (Gallica BNF)
  • Fanon Frantz, Les damnés de la terre | éd. Maspéro | 1961
  • Fay Victor, L’autogestion : une utopie réaliste | éd. Syllepse | 1996
  • Faye Jean-Pierre, Fišera Vladimir, La révolution des conseils ouvriers, 1968-1969 | éd. Robert Laffont | 1978
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  • Fourel Christphe, Lettre à G. André Gorz en héritage | éd. Le Bord de l’eau | 2017
    • (dir.). André Gorz un penseur pour le XXIe siècle | éd. La Découverte | 2009
  • Fourier Charles, Le nouveau monde industriel et sociétaire | éd. Bossange | 1829 (Gallica- BNF)
    • Pièges et charlatanisme des deux sectes : Saint-Simon et Owen |éd. Bossange |1831 (Gallica- BNF)
  • Fremeaux Isabelle et Jordan John. Les sentiers de l’utopie | éd. La Découverte | 2011
  • Frémeaux Philippe, Réinventer le progrès, Entretiens avec Laurent Berger et Pascal Canfin | éd. Les Petits Matins | 2016
  • Fretel Anne, « L’État social, une réponse politique et démocratique à la question sociale »| CNRS-Université Paris 1 2006
  • Frappat Pierre. Grenoble le mythe blessé | éd. Alain Moreau | 1979
  • Friot Bernard, « Un point de vue marxiste sur l’État social »| CNRS | 2006
  • Gaffard Jean-Luc (et al.), Le Temps retrouvé de l’économie | éd. Odile Jacob | 2020
  • Georgi Frank (dir.). Autogestion la dernière utopie | éd. de la Sorbonne | 2003
  • Georgi Frank, L’Autogestion en chantier. Les gauches françaises et le “modèle” yougoslave (1948-1981) | éd. de l’Arbre bleu | 2018
  • Gerland Bernard, Ma guerre d’Algérie | éd. Golias | 2003
  • Gide André, Retour de l’U.R.S.S | Gallimard | 1936
  • Gide Charles, Principe d’économie politique | éd. L. Larose | 1894 (Gallica BNF)
  • Girard René, La violence et le sacré | Grasset | 1972
  • Godin Jean-Baptiste. La richesse au service du peuple le Familistère de Guise | 1875 (numérisé Google)
    • Mutualité nationale contre la misère | éd. Guillaumin | 1883. (Gallica BNF)
    • Mutualité sociale et association du capital et du travail | éd. Guillaumin | 1880 (Gallica BNF)
    • Solutions sociales | éd. Guillaumin | 1871 (Gallica BNF)
  • Gombin Richard, Les socialistes et la guerre : La S.F.I.O. et la politique étrangère française entre les deux guerres mondiales | éd. Mouton | 1970
  • Gomez Michel, Mai 68 au jour le jour | éd. L’Esprit frappeur | 1998
  • Gonick Larry, Kasser Tim, Hyper capitalisme | éd. Seuil-Delcourt | 2018
  • Gore Albert. Sauver la planète Terre : l’Écologie et l’Esprit humain | A. Michel | 1993
  • Gori Roland, La fabrique des imposteurs | éd. L.L.L. | 2013
  • Gorz André, Le socialisme difficile | Seuil | 1967
    • Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme | éd. Galilée | 1980
    • Capitalisme socialisme écologie | éd. Galilée | 1991
    • Critique de la division du travail | Seuil | 1973
    • Les chemins du Paradis | éd. Galilée 1983
    • Misère du présent richesse du possible | éd. Galilée | 1997
    • « Revenu garanti et postfordisme »| Ecorev | décembre 2006
  • Graber Frédéric, Locher Fabien (dir.), Posséder la nature. Environnement et propriété dans l’histoire éd. Amsterdam | 2018
  • Gramsci Antonio, Textes,1917-1934 (Université du Québec)
  • Grenelle I Loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement
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    • (Bien) communs, quel avenir ? Un en enjeu stratégique pour l’ESS | éd. Yves Michel | 2016
    • “Algérie : colonialisme, indépendance, autogestion”| note | 2011
    • « Quand le Gouvernement et le Parti socialiste s’embourbent à Notre-Dame-des-Landes »| blog | 2012
    • « La Commune de Paris, 1871 »| note | 2011
    • « “Futur désirable” et “Désir d’avenir” en politique »| note | 10 mars 2017
    • « Michel Rocard et la Deuxième Gauche. Une page de l’histoire du Socialisme en France : de l’autogestion aux (biens) communs ? »| note [ 2019
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