Immigration et loi

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« Le zinzin médiatique et le vertige électoral de quelques-uns ont fait perdre le Nord à tout le monde. À peine prononcé le mot migrant ou immigré que “Liberté – Égalité – Fraternité” se transforme, par fainéantise ou idéologie, en “peur – indifférence – humiliation et répression” » [Sébastien Nadot. Député de 2017 à 2022, président de la commission d’enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d’accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France | Assemblée nationale, novembre 2021]

Un énième projet de loiPour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration” a été présenté au Conseil des ministres le 1er février 2023 par la Première ministre et les ministres de l’Intérieur, du Travail et de la Justice ; notons que les ministères des Solidarités, de la Santé et de l’Éducation Nationale n’en sont pas signataires. Sa conception a été inspirée par quatre avis ou rapports récents émis par : (1) l’Assemblée nationale : a) rapport d’enquête nov. 2021, sans aucun doute le plus ouvert à la recherche de politiques innovantes pour l’accueil des immigrés, mais sans la présence de députés de droite dans la commission d’enquête, b) avis oct.2022 | (2) le Sénat : rapport mai 2022, reconnu comme le plus “inspirant” | (3) la Cour des comptes : rapport janv. 2020. Une concertation avec associations et ONG de défense des droits des exilés a eu lieu en nov. 2022 sans vraiment de résultats : « Les concertations ont été faites sur la base de supports PowerPoint, c’était très frustrant, on survolait le sujet. Pour nous, c’est le point zéro de la discussion. » [Delphine Rouilleault, directrice de France Terre d’asile | Libération 5 déc. 2022]

Ce projet a été ajourné le 22 mars 2023 par décision présidentielle. Il sera “réagencé” en plusieurs propositions de lois. Un “saucissonnage” qui ne modifiera en rien les intentions premières du gouvernement : « Notre pays a besoin de concorde et de sérénité sur les questions d’immigration, et ce n’est clairement pas le chemin que nous prenons aujourd’hui.» [Delphine Rouilleault, directrice de France Terre d’asile, Le Monde | 23 mars 2023]

Les fonctions des ministres signataires indiquent déjà clairement les intentions de la loi : d’une part maîtriser les flux migratoires par des contrôles plus stricts des clandestins et des demandeurs d’asile, là il s’agit de “faire du chiffre”, en particulier en matière de OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) ; d’autre part, intégrer par le travail et la maîtrise de la langue française, “conditions sine qua non” pour obtenir un titre de séjour pluriannuel. « En un mot : nous visons l’efficacité, les mesures utiles et les effets concrets » [Élisabeth Borne, Débat sur la politique d’immigration, discours à l’Assemblée nationale | 6 déc. 2022], tout cela ayant déjà été affirmé lors des nombreuses précédentes lois. Ce projet, s’il aboutit, entraînera d’importantes modifications dans le “Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile” (CESEDA)

Parler d’immigration et d’intégration en France ou ailleurs, c’est parler de “l’étranger” et donc inévitablement distinguer le “eux” du “nous” : « La France n’y a pas échappé bien sûr, et cela d’autant moins qu’elle s’est précocement affirmée comme une terre d’immigration. L’étranger qui m’intéresse, ce n’est pas tant l’étranger de passage, à qui l’hospitalité est due, que celui qui prétend s’installer et devenir de la sorte un proche » [Laurent Dornel, Les représentations des étrangers au XIXe siècle. L’altérité en spectacle 1789-1918, éd. PUR, 2015]. Cette distinction, tant qu’elle n’est pas reconnue et déconstruite, peut conduire à altérer nos représentations de l’immigré pouvant aller jusqu’à le considérer comme un envahisseur qu’il conviendrait alors de rejeter.

L’Europe “terre d’immigration” ?

02Reportons-nous vers l’an 45000 avant notre ère sur le territoire sans frontières de l’actuelle Europe, pour un récit à la fois historique et légendaire. Nous sommes en pleine période glaciaire et seule la partie Sud de ce continent est suffisamment tempérée pour permettre aux humains de vivre de chasse et de cueillette. À ce moment-là, seules les tribus Néandertaliennes ont l’habitude depuis 350.000 années de se déplacer en Eurasie au gré des alternances glaciation / réchauffement (sur de très longues amplitudes à l’échelle des temps géologiques). Ces terres du Sud sont couvertes de forêts riches en gibiers de toutes sortes. Au fil de leur histoire, les Néandertaliens ont acquis des techniques de chasse qui les rendent capables de tuer des animaux de grandes tailles, “l’éléphant antique” par exemple. Ils ont également inventé la corde tissée avec des fibres d’écorce. Leurs tribus se développent et se multiplient avec peut-être la conscience d’être les seuls occupants de ce vaste territoire.

Aussi c’est avec étonnement qu’ils constatent l’arrivée d’hommes, de femmes et d’enfants quelques peu différents : plus grands, plus minces, à la peau peut-être plus foncée. Qui sont-ils ? D’où viennent-ils ? Doit-on construire des murs pour se protéger ? Il est cependant impossible que les nouveaux arrivants puissent faire le récit de leur très longue aventure débutée sans doute depuis plusieurs siècles, faute de repères spatio-temporels pour identifier et nommer leur parcours ; de plus ils ne parlent pas les mêmes langues ! On découvrira bien plus tard qu’il s’agit d’homo sapiens — dernière branche restante de la lignée des hominines— venant d’Afrique subsaharienne où il devenait difficile de se nourrir pour cause de sécheresse. Après de très longues étapes, ils parviennent enfin sur un territoire où le gibier abonde, et là ils déposent armes et bagages. Ils peuvent être aussi porteurs de quelques virus ou bactéries dont eux-mêmes seraient immunisés, mais pas les Néandertaliens, ce qui aura son importance dans l’avenir. La légende raconte que la chasse devient à certains endroits l’objet de rivalités tribales et il arrive que les Sapiens soient localement victimes de rejets, voire d’agressions physiques, ce qui n’est pas impossible car l’examen de leurs ossements a fait apparaître des traces de fractures, y compris à la tête.

Mais cette légende dit aussi que les Néandertaliens ont une organisation politique savante capable de réguler les situations difficiles. Pour cela, ils réunissent une fois par an – les trajets sont longs– pendant au moins l’équivalent de huit jours, une assemblée composée de 150 délégués désignés par les fédérations tribales des différentes régions de l’actuelle Europe du sud, hommes et femmes étant à parité. Pour faciliter la communication entre eux, alors que les dialectes locaux peuvent être très différents, ils sont parvenus à inventer un langage commun fait de gestes et de sons.

Cette Assemblée souveraine, dénommée Organisation des Tribus Unies (OTU), a mission d’étudier les questions d’intérêt général et d’envisager des solutions en votant lois et règlements à la majorité absolue. Les débats peuvent être passionnés mais sont modérés par des sages de grande expérience, ce qui permet d’éviter invectives, injures, voire bras d’honneur ! Un exécutif, composé d’un président élu au suffrage universel et de ministres choisis parmi les délégués ayant fait allégeance au président, est chargé de mettre en œuvre les lois élaborées et votées par l’OTU. Mais le Président a parfois des velléités autocratiques et, par exemple à propos des immigrés Sapiens, veut imposer sa loi en instituant une OQT, ou Obligation de Quitter le Territoire, applicable aux “mauvais étrangers”, à l’exception d’un petit nombre de “bons étrangers” compétents, seuls à pouvoir bénéficier d’un titre de séjour pour travailler dans des ”métiers en tension” manquant de mains-d’œuvre qualifiée, c’est le cas présentement pour l’artisanat fabriquant des silex double face et des lances ! Mais l’OTU n’accepte pas ce dictat et, après de longs débats, adopte à 80% une Résolution dite “Déclaration de l’OTU pour les réfugiés et les immigrés” (extraits) :

  • « Depuis que le monde est monde, les hommes se déplacent soit pour échapper à des conflits armés, à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire, soit en réaction aux effets négatifs des changements climatiques, des catastrophes naturelles (dont certaines sont liées à ces changements) ou d’autres facteurs environnementaux. En fait, nombreux sont leurs déplacements qui sont motivés par plusieurs de ces raisons.
  • Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique. Nous rappelons les obligations nous incombant interdisant toute discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion.
  • Nous combattrons avec tous les moyens à notre disposition les mauvais traitements et l’exploitation dont sont victimes d’innombrables réfugiés et migrants en situation vulnérable.
  • La diabolisation des réfugiés ou des migrants porte profondément atteinte aux valeurs de dignité et d’égalité de chaque être humain auxquelles nous sommes attachés.
  • La diversité enrichit chaque société et contribue à la cohésion sociale. Aussi nous reconnaissons les droits fondamentaux de tous les réfugiés et migrants, quel que soit leur statut.
  • Nous sommes déterminés à trouver des solutions durables et à long terme. Nous nous engageons à fournir toute l’aide nécessaire aux réfugiés de manière qu’ils puissent subvenir aux besoins essentiels dans les principaux secteurs vitaux que sont le logement, l’alimentation, l’eau et les soins ».

La Résolution ainsi votée, s’impose en droit constitutionnel à l’exécutif qui ne peut que l’accepter ou démissionner ! C’est ainsi que les Sapiens ont pu s’installer tranquillement dans le sud, ou s’ils le souhaitaient continuer leur cheminement beaucoup plus vers l’Est où ils rencontrèrent le peuple des Dénisoviens, cousins très proches des Néandertaliens.

Si l’assemblée de l’OTU est complétement imaginaire, La Déclaration qu’elle est supposée avoir voté, est loin de l’être ; elle est en effet totalement inspirée par celle que l’Assemblée générale des Nations-Unies a approuvée le 19 septembre. 2016, sous le nom de “Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants”, les États-Unis se sont empressés de s’en désengager en décembre 2017. En France elle est peu connue du grand public et le législateur ne s’y réfère pas à ma connaissance.

Le métissage une nécessité

Il est impossible de savoir comment s’est déroulée au fil des siècles la cohabitation Sapiens-Néandertaliens. La seule certitude est 03à rechercher dans notre génome dont le séquençage révèle qu’il y a eu hybridation et métissage résultant de relations amoureuses, culturelles… Mais des paléoanthropologues ont constaté que Homo Néandertal a fini par s’éteindre complétement vers 25000 avant notre ère, pour des raisons qui ne peuvent être que des hypothèses : combats meurtriers, épidémies, replis dans des petites tribus fermées sur elles-mêmes ? Cependant, ne peut-on aussi considérer que ce métissage enrichissant aurait conduit Néandertaliens et Sapiens à se rassembler dans une même lignée qui, en se développant et en se métissant à de nombreuses occasions et non sans violence parfois, aurait progressivement étendu sa territorialité au fil des millénaires, pour finalement s’imposer partout sur la planète Terre comme seul représentant des hominines ?

Ce récit historique, pour une part légendaire , cherche simplement à rappeler que notre histoire d’Homo sapiens européen a débuté par une hybridation entre deux lignées humaines migrantes venues d’Afrique à des dates très espacées ; de nombreux autres métissages ont suivi. Des scientifiques considèrent les migrations comme indispensables à l’espèce humaine, ce que précise, par exemple, Évelyne Heyer (biologiste) : « Dans toutes les espèces, animales ou végétales, la migration est nécessaire. Une espèce ou un groupe qui reste isolé s’appauvrit génétiquement au fil des générations. Les migrations sont fondamentales pour maintenir la diversité génétique, et pour bénéficier, par chance, de mutations qui permettront de résister à de nouveaux pathogènes ou de nouvelles conditions d’existence. » [“Avec votre ADN, je peux raconter des choses sur l’histoire de l’humanité” | Libération 16 septembre 2020, à propos de son livre L’Odyssée des gènes, Flammarion, 2020].

Ainsi l’appréciation de la portée des migrations nécessite de se référer à une échelle du temps importante, plusieurs siècles sans doute ; ce qui rend quelque peu vain tout discours se centrant exclusivement sur l’actualité immédiate des migrations pouvant être présentées comme de graves dangers, tel celui du “grand remplacement” porté, entre autres, par l’écrivain Renaud Camus à l’origine de « la théorie complotiste du “grand remplacement” » [Ivanne Trippenbach, Le Monde, 3 novembre 2021] et reprise politiquement par Éric Zemmour.

Cependant, s’il est important de connaître l’histoire de l’ADN de notre espèce, il n’est pas absolument nécessaire d’en refaire tout le parcours depuis l’association Néandertal-Sapiens, même s’il est riche d’enseignements. L’histoire de France plus récente, celle que les livres scolaires nous racontent, permet en effet de comprendre que la formation des populations, leurs brassages et leurs modifications proviennent essentiellement de vastes mouvements migratoires, souvent violents et aux conséquences géopolitiques imprévisibles. Ainsi, les Francs, les Huns, les Wisigoths… venus des contrées du Nord aux IVe et Ve siècles de notre ère, ont colonisé l’Europe, ce qui a provoqué la chute de l’Empire romain occidental. Puis, plus tard sur le territoire français, il y a eu les Omeyyades, les Anglais, les Prussiens, les Allemands… Inversement la France a développé avec violence son propre empire colonial en Afrique, en Asie… Aujourd’hui les mouvements de population sont beaucoup plus paisibles du moins en France, c’est en effet loin d’être le cas dans une bonne partie du monde avec près de 90 millions de personnes déracinées, majoritairement pour cause de guerres [cf. aperçu statistique 2021, UNHCR]

Descendants d’immigrés ?

Dans un passé récent il était courant de rechercher dans son arbre généalogique un nom avec particule, signe possible d’un parent lointain ayant pu appartenir à la noblesse. Aujourd’hui il serait plutôt de bon ton de se découvrir descendant de paysans, et pourquoi pas d’immigrés, en remontant si nécessaire sur de nombreuses générations, pour ensuite le signifier avec une certaine fierté quand cette recherche est positive. L’actuel ministre de l’Intérieur, Gérald Moussa Darmanin, en est l’exemple type, son grand-père maternel est Moussa Ouakid né en Algérie en 1907.

Moussa Ouakid a été adjudant-chef dans l’armée française et pendant la Deuxième guerre mondiale il est résistant dans les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) ; à la Libération il s’installe dans le Nord de la France où il se marie. Quand l’Algérie devient indépendante en 1962, il conserve la nationalité Française. Peut-on alors identifier ce grand-père vénéré comme un immigré venu d’un pays étranger ? Pas vraiment jusqu’à l’indépendance de l’Algérie en 1962, « parce qu’il se trouve que l’Algérie, c’est la France, parce qu’il se trouve que les départements de l’Algérie sont des départements de la République française » [François Mitterrand, ministre de l’Intérieur, discours à l’Assemblée nationale | 12 novembre 1954]. En référence à cette partie de l’histoire de l’Algérie, Moussa Ouakid ne peut donc être qu’un “immigré de l’intérieur” passant d’une région à l’autre de la France, comme cela se produit régulièrement pour bon nombre de Français.

Mais G. Darmanin n’a cure de cette distinction et, sans l’avoir connu vivant, il voue à son grand-père combattant pour la France, une admiration sans borne et il en fait un immigré à part entière : « Grand honneur, pour le petit-fils d’immigré que je suis, d’être nommé ministre de l’Intérieur de notre beau pays » tweet-il le jour de sa nomination. Et il fait de cette histoire personnelle un modèle d’assimilation pour les immigrés dont certains : « essayent de s’intégrer […], de fonder une famille et de fabriquer “d’excellents petits Français” » déclare-t-il [Le Monde, 2 nov. 2022], sous-entendu “tel que je le suis devenu !”

Cette recherche de liens peut conduire à des estimations hasardeuses selon les sources, type « 80 % des Français auraient un lien avec l’immigration sur cinq ou six générations », ce qui ne peut être probant, l’identification à trois générations n’étant plus possible à partir de 60 ans. Les organismes officielles de statistiques — INSEE et INED – se limitent donc pour la 3ème génération à la tranche d’âge de 0 à 59 ans. Ce qui donne pour la population 2020 (65,3 millions d’habitants) en France métropolitaine [source : INSEE Première N° 1910 | juillet 2022] :

  • personnes immigrées vivant en “logement ordinaire” : 5,8 millions soit 9 % de la population
  • Descendants de 2egénération ayant au moins un parent immigré : 7,5 millions, 12 % de la pop.
  • Descendants de 3egénération ayant au moins un grand-parent immigré : 4,8 millions, soit 10 % des moins de 60 ans

Si l’on applique la tranche 0 à 59 ans à l’ensemble des résultats, un bon tiers de cette population a un lien à l’immigration sur trois générations, c’est-à-dire qu’elles sont soit : immigrées (12 %), descendantes d’immigrés de 2e génération (16 %) ou de 3e génération (10 %)

Cette étude INSEE se limitant aux personnes immigrées vivant en logement ordinaire, c’est-à-dire dument recensées, ces résultats sont donc partiels et il manque :

  • ceux dont on cause le plus… les “clandestins” qui par définition sont difficilement quantifiables ; il existe cependant des estimations qui d’après Mustapha Harzoune, [historien, Musée de l’histoire de l’immigration 2022] vont de 400 000 à 900 000 “sans-papiers” dont 38 000 demandeurs d’asile en attente d’une réponse à leur dossier
  • les étudiants étrangers : 400 000 en 2022 [Campus France]
  • les immigrés dans les territoires d’outre-mer, La Guyane et Mayotte tout particulièrement : 100 000 en situation régulière [cf. “L’immigration dans les départements d’Outre-mer, ministère de l’Intérieur | 2020]

Ainsi en 2021-2022 « 7,0 millions d’ immigrés vivent en France, soit 10,3 % de la population totale, dont 2,5 millions, soit 36,0 % d’entre eux, sont français, ayant acquis la nationalité française depuis leur arrivée en France […] La population immigrée en France progresse en effectif et en pourcentage de la population. », par exemple en 1921, 1,4 million soit 3 % [“L’essentiel sur… les immigrés”, INSEE | août 2022]

Voir également le rapport récent de l’INSEE “Immigrés et descendants d’immigrés en France” [mars 2023] « Une situation des descendants d’immigrés plus favorable que celle des immigrés ».

Quand on évoque les flux migratoires, il est surtout question de l’immigration et de ses problématiques, mais il y a aussi une émigration importante. En effet la France “exporte” entrepreneurs, techniciens, ingénieurs, sportifs, étudiants, militaires et… retraités ! Le ministère des Affaires étrangères estime leur nombre au 1er janvier 2023 à environ 2,5 millions dont la moitié en Europe (l’inscription au Registre des Français établis hors de France n’est pas obligatoire). Ils sont installés à l’étranger de façon durable : 73,5 % des inscrits (1,7 million) le sont depuis plus de cinq ans dans la même circonscription consulaire. Ils élisent vingt-trois parlementaires (onze députés et douze sénateurs).

Les retraités installés durablement à l’étranger méritent une attention particulière. Au 1er janvier 2022, parmi les 15 millions de personnes percevant une retraite de base au régime général, 1,1 million (soit 7,4 %) résident dans un pays étranger [source : CNAV]. Pour bon nombre d’entre elles il s’agit d’un retour au pays d’origine – tout particulièrement en Afrique du Nord, en Espagne et au Portugal – d’autres, non d’origine immigrée, veulent vivre leur retraite dans un pays ensoleillé, le Portugal étant l’une des destinations privilégiées. Ainsi plusieurs milliers de retraités sont installés principalement sur la côte Sud région de l’Algarve : vie moins chère, avantages fiscaux et tranquillité : « La vie est douce. C’est calme, apaisé, sans agressivité […] Le Portugais est plus respectueux des règles, Ils ont le respect de l’autorité. Personne ne bouge quand la police vous arrête […] C’est une région pour les gens qui en avaient assez. Il y a en France une dérive ethnique insupportable […] la France est devenue aussi violente que le Brésil », témoignent-ils. Dérive ethnique ? alors que pas une des personnes interrogées ne connaît le portugais…mais les Portugais parlent français alors « pas besoin de faire un effort ! » Mais un restaurateur portugais s’étonne : « Vous laissez toute la famille alors qu’il vous reste cinq ans à vivre pour payer moins d’impôts, mais c’est quoi cette mentalité ? » [Elsa Conesa, reportage, Le Monde | 1er mars 2023]


Que disent tous ces chiffres ? Le seul élément objectivable est l’écart entre les flux, le nombre d’émigrés est en effet très inférieur à celui d’immigrés. Est-ce trop, pas assez ? Quels seuils pourraient permettre de le dire ? Si les statistiques sont utiles pour un état des lieux, elles n’apportent pas pour autant des réponses qui sont sans doute à rechercher dans les fondements de notre société, le premier étant que nous sommes tous et toutes cousins et cousines ! Dans une exploration généalogique de l’ADN de tout individu, on trouve en effet « une branche vers le Moyen-Orient, une zone qui se ramifie elle-même vers la corne de l’Afrique. Ce raisonnement s’étend même sur les continents les plus éloignés comme l’Australie et l’Amérique. Ainsi de proche en proche, nous récupérons des ancêtres venus de toute la planète et mécaniquement tous les ancêtres de ces ancêtres. En plusieurs milliers d’années l’humanité a tissé sur Terre une énorme toile d’araignée génétique. Il est vertigineux d’imaginer que nous avons tous, dans nos lointains grands-parents, à la fois un Chinois cultivateur de riz, un Sibérien éleveur de rennes et un Africain chasseur d’éléphants ! » [Évelyne Heyer, La vie secrète des gènes, Flammarion, 2023]. Ce qui devrait nous rendre humbles et prudents dans nos affirmations identitaires, mais aussi fiers de participer à cette grande aventure de l’humanité.

Boucs émissaires ?

Cependant des raisonnements scientifiques de qualité ne parviennent pas à renverser dans l’opinion une fâcheuse tendance à faire 04des immigrés des boucs émissaires, surtout semble-t-il dans les moments de grande crise sociétale : « On l’appelait “le barbare”, “le métèque”, “le Rital” ou “le bicot” ; on l’appelle aujourd’hui “le sans-papiers”, le “fraudeur” de l’asile ou la “racaille” de banlieue. Depuis que la France a ouvert ses portes à l’immigration, à la fin du XIXe siècle, “l’autre”, qu’il s’agisse d’un nouveau venu ou d’un descendant de migrants, revêt nombre de visages – mais tous, ou presque, sont négatifs. Les Italiens de 1880, les Polonais de 1930, les Algériens de 1960 ou les Maliens de 2020 sont souvent accusés de constituer une menace pour la cohésion sociale, une concurrence sur le marché du travail, voire un péril pour la patrie » [Anne Chemin, “Depuis le XIXᵉ siècle, l’immigré en bouc émissaire des crises franco-françaises| Le Monde, 3 fév. 2023]. Cette menace est cependant à nuancer lors des guerres et en fonction des pays d’origines des réfugiés.

Ainsi, pendant la Première guerre mondiale, l’armée française, “militaire” étant devenu un “métier en tension”, recrute dès 1915 des milliers d’Africains, le plus souvent sous la contrainte, pour renforcer le corps d’armée des Tirailleurs Sénégalais ; ils furent 135 000 à défendre le territoire français, positionnés en première ligne, en particulier à Verdun ; 30 000 y trouvèrent la mort. Le récent film à succès Tirailleurs de Mathieu Vadepied, avec Omar Sy dans le rôle principal, montre ce recours à cette main-d’œuvre étrangère, à l’époque cela n’avait pas provoqué la moindre opposition : « Pour faciliter les recrutements – l’Afrique étant pensée comme un réservoir quasiment inépuisable de soldats par certains décideurs militaires – toute une série d’avantages comme des primes, des emplois réservés ou encore un accès facilité à la citoyenneté furent promis. Mais dans les faits, à la fin de la guerre, l’administration coloniale fit tout pour préserver le statu quo et peu d’Africains bénéficièrent de ces mesures. » [Martin Mourre, chercheur, | IRIS, 8 fév. 2023]

Accueil sélectif ?

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La guerre en Ukraine a provoqué une envolée de l’accueil en urgence de nombreuses personnes  : « C’est l’honneur de la France d’avoir accueilli 108 000 Ukrainiens depuis le 24 février 2022, sous le statut de protection temporaire. » [Élisabeth Borne, Première ministre, op.cit]. Dans un rapport récent, la Cour des comptes fait mention pour l’année 2022 de : 115 000 réfugiées d’Ukraine accueillies en France (75 % des adultes sont des femmes, 30 % de l’ensemble sont des enfants) ; la création de 87 000 places en hébergement d’urgence ; une dépense de 634 millions d’euros… [“L’accueil par l’État des réfugiés d’Ukraine en France en 2022”, Cour des comptes | fév. 2023]. Sans aller jusqu’au “quoiqu’il en coûte”, on doit cependant constater qu’il est possible de mobiliser très rapidement d’importants moyens quand il y a urgence, mais celle-ci peut être relativisée en fonction de données géopolitiques et les mobilisations furent par le passé loin d’être les mêmes lors des conflits en Syrie, en Afghanistan, au Soudan…

Ce pan de l’histoire de l’immigration devrait être inspirant pour l’actuel gouvernement. Mais bien au contraire, il n’en tient pas compte dans ses attendus, pas plus qu’il ne tient compte d’évènements bien plus anciens, dont celui de la rencontre Néandertal-Sapiens ! Dans l’exposé des motifs du projet de loi il est pourtant fait référence à l’histoire : « La France est fière d’être un pays d’immigration ancienne et riche de ce que cette immigration lui a apporté », et la Première ministre le confirme « La France est et restera fidèle à sa tradition d’asile », mais elle introduit aussitôt de sérieuses restrictions : « il est légitime de se poser la question de notre politique migratoire : dire qui on veut, qui on peut accueillir, et qui on ne veut pas, qui on ne peut pas accueillir. » [Élisabeth Borne, op.cit]. Et le ministre de l’intérieur surenchérit « Si je devais résumer, je dirais qu’on doit désormais être méchants avec les méchants et gentils avec les gentils » [Gérald Darmaninop.cit].

Ainsi pour l’actuel gouvernement, la France doit choisir des étrangers “gentils”, pouvant mettre au monde “d’excellents petits français”. Ajoutons d’autres éléments figurant dans le projet : capables d’apprendre rapidement le français, sinon pas de titre de séjour pluriannuelle, capables de travailler dans des “métiers en tension” ; ne commettant pas d’actes délictueux sinon : « Leur rendre la vie impossible » précise Gérald Darmanin [op.cit] et dans ce cas, le principe de la “double peine” s’applique, c’est-à-dire sanction pénale suivie de l’obligation de quitter le territoire français [cf. “Le livre noir de la double peine”, La Cimade | 3 mars 2023]

Le droit à la protection temporaire (DPT), appliqué pour les réfugiés Ukrainiens, « a été créé en 2001, au lendemain du conflit en ex-Yougoslavie, lorsque, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a été confrontée à des déplacements massifs de personnes résultant d’un conflit en Europe » [Amnesty International, mars 2022]. C’est une décision du Conseil de l’Union Européenne afin de protéger les étrangers qui fuient massivement leur pays ou leur région d’origine et qui ne peuvent pas y retourner, en raison notamment d’un conflit armé, de violences ou parce qu’ils sont victimes de violations graves et répétées des droits de l’homme. Le DPT est attribué pour une période d’un an et peut être prolongé de deux ans au maximum ; Il est à distinguer du statut de réfugié [cf. Service Public.fr]. Il facilite l’obtention rapide d’un titre de séjour et l’accès à : une aide financière dans l’attente d’un emploi, un logement, des soins, l’éducation et la formation.

Notons que c’est la première fois en 2022 que le DPT a été appliqué, et bien que décrété en 2001, il ne le fut pas, par exemple, pour les Afghans ou bien les Erythréens…, Claire Rodier, juriste au GISTI, en déduit qu’« une véritable politique d’accueil est une nécessité, l’exemple ukrainien montre qu’elle est possible. Elle doit être fondée sur l’accès inconditionnel au territoire de toutes celles et ceux qui demandent protection aux frontières de la France et de l’Europe, sans présupposé lié à leur origine, ni distinction arbitraire entre “migrants” et “réfugiés”, sur la mise à l’écart de tout dispositif coercitif au profit d’un examen attentif et de la prise en charge de leurs besoins, et sur le respect du choix par les personnes de leur terre d’asile, à l’exclusion de toute répartition imposée » [“Migrants” de l’Océan Viking, ׅ“réfugiés” d’Ukraine : quelle différence ? | Libération, 15 novembre 2022]

Un énième projet de loi

Mais les intentions énoncées par Claire Rodier, en particulier l’inconditionnalité de l’accueil des étrangers quel que soit leur statut, sont loin d’avoir inspiré le projet de loi “Pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration”. Ce projet sera sans doute amandé lorsqu’il sera débattu à l’Assemblée nationale et au Sénat, mais il est certain qu’il ne sera pas modifié sur le fond malgré les critiques émises par de nombreuses associations :

  • ACAT : Péril sur le droit d’asile !
  • Amnesty International : Un énième texte dangereux
  • Collectif d’organisations : Appel pour une politique migratoire d’accueil
  • Fasti : Mobilisons-nous contre la loi Darmanin !
  • Forum réfugiés : Asile et immigration : un projet de loi qui présente des reculs inquiétants
  • France Fraternités : Le projet de loi immigration fragilise les libertés des étrangers
  • France Terre d’asile : Un nouveau texte restrictif pour les droits des demandeurs d’asile
  • GISTI : Tout savoir sur la future loi “asile et immigration”
  • La CIMADE : Politique d’expulsion : des déclarations du gouvernement qui sèment la confusion
  • Ligue des droits de l’Homme : L’UCIJ refuse toujours la loi “immigration-asile” même découpée
  • MRAP : Les lois sur l’immigration : un acharnement très politique

Cette nouvelle loi dans sa forme actuelle, ou réajustée, sera la vingt-neuvième depuis 1980, ce que l’historien Mustapha Harzoune souligne en titrant : « lois sur l’immigration, un mille-feuilles législatif » [Musée de l’histoire de l’immigration | janvier 2023]. Preuve, s’il en est besoin, de la grande difficulté à définir une politique d’accueil non restrictive des droits humains fondamentaux : « Depuis 30 ans, les textes relatifs à la politique migratoire de la France se succèdent et ont toujours les mêmes conséquences : le recul des droits des personnes exilées et la détérioration de leurs conditions d’accueil. Ce nouveau projet de loi présente donc peu de surprise dans sa manière d’appréhender une situation qui continue au fil des décennies d’être considérée, à tort, comme un “problème” ou une “question à régler” » [Amnesty International, 7 fév. 2023].

Si les réserves faites au projet sont multiples, deux retiennent particulièrement l’attention de nombreux juristes :

  • la quasi suppression de la collégialité judiciaire à la Cour nationale du droit d’asile [6] (CNDA) –exception faite des affaires présentant une “difficulté sérieuse”– : un seul magistrat au lieu de trois actuellement dont un issu du Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (HCR) veillant au respect des décisions de l’ONU garantissant les droits des réfugiés (Convention (1951) et Protocole (1967) relatifs au statut des réfugiés]. Pourtant les audiences de la CNDA, note la défenseure des droits Claire Hédon, « abordent régulièrement des situations douloureuses, voire très intimes, lorsque la demande d’asile est, par exemple, liée à des situations telles que des sévices subis, le refus d’un mariage forcé ou la pénalisation de l’homosexualité. Un regard collégial est absolument nécessaire pour apprécier ces situations dans toute leur complexité. Le recours au juge unique vide de sa substance le délibéré qui constitue un gage d’impartialité de la justice. Le principe doit demeurer la collégialité, et le juge unique l’exception. Inverser cette logique est un risque majeur. » [Avis du Défenseur des droits n°23-02 |23 fév. 2023].

La CNDA est une juridiction administrative statuant sur les recours formés contre les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le projet de loi prévoit la création de chambres territoriales

  • en cas de rejet d’une demande d’asile, le projet prévoit une décision quasi automatique d’“une obligation de quitter le territoire français” (OQTF), ce qui aboutirait à « un mélange de genres inédit » entre OQTF / expulsion d’un étranger hors de France” / “interdiction du territoire français” (ITF). « Si la protection de l’ordre public est un objectif à valeur constitutionnelle, il n’est ni certain, ni démontré qu’un régime exceptionnel de restrictions des droits des étrangers soit nécessaire et justifié pour l’atteindre ». [Claire Hédon, op.cit].

Le titre de séjour temporaire lié à un travail dans les “métiers en tension” est le seul point du projet qui est considéré comme une avancée puisqu’il permettrait de régulariser un certain nombre de travailleurs étrangers actuellement sans papier : « Le nouveau titre aura l’avantage de permettre l’accès à tous les métiers en tension, sans solliciter une nouvelle autorisation de travail à chaque fois. On fait entrer la régularisation par le travail dans le plein droit. » [Simon Mauvieux, Céline Mouzon, Alternatives économiques | 24 janvier 2023]

Mais de nombreuses réserves sont rapidement apparues. Ainsi Clément Viktorovitch, journaliste à Radio France, souligne qu’il s’agit là d’une « conception purement instrumentale de l’immigration […] Les (immigrés) sont présentés comme des outils, évalués à l’aune de l’intérêt qu’ils présentent pour la nation. Ceux qui veulent rester doivent pouvoir démontrer une utilité directe, immédiate, matérielle. Les autres doivent repartir ». Puis, reprenant les propos tenus par le ministre de l’Intérieur “On veut ceux qui bossent, on ne veut pas ceux qui rapinent”, il fait remarquer que cette représentation méprisante reste « centré sur une opposition entre bons et mauvais étrangers » [“Nouveau projet de loi sur l’immigration : un humanisme de façade ?” FranceInfo “Entre les lignes” | 11 décembre 2022].

La droite politique et son extrême ont fait connaître leur profond désaccord. Elles estiment en effet que ce titre conduira à une régularisation massive de “sans papier” : « Comme nous n’arrivons pas à expulser les immigrés faisant l’objet d’OQTF, les deux ministres (Intérieur et Travail) proposent de régulariser les étrangers en situation irrégulière au motif qu’ils pourraient pourvoir des métiers en tension. C’est une forme de supercherie pour aller vers la régularisation. » Éric Ciotti, tweet | 3 novembre 2022]. Ce rapprochement OQTF / métiers en tension, pour le moins étrange, entretient l’idée que tout acte de délinquance commis par un immigré ne peut conduire qu’à l’expulsion, or être “sans papier” c’est déjà être considéré comme hors la loi, donc à priori expulsable !

Mais pour Najat Vallaud-Belkacem, présidente de France Terre d’Asile, il doit être encore possible en France que « les exigences 06d’efficacité et d’humanité se rencontrent. Efficacité : notre pays a besoin de travailleurs venus d’ailleurs pour occuper des emplois comme pour contribuer à payer nos retraites. Humanité : nous nous honorons à les traiter dignement, qu’ils aient été chassés de chez eux ou qu’ils soient simplement à la recherche d’un avenir meilleur. Voilà, c’est aussi simple que cela » [Tribune, Libération | 24 mars 2023].

Autrement dit, si l’on voulait vraiment être accueillant des immigrés, quel que soit leur statut ou leur non-statut, on devrait chercher, non pas à multiplier des lois de plus en plus contraignantes, mais au contraire à construire un système permettant à chaque étranger de trouver une place, temporaire ou non, respectueuse des droits fondamentaux. Puisque cela a été possible sans restriction pour les nombreux réfugiés Ukrainiens, avec une forte mobilisation, non seulement de l’État et des collectivités locales, mais également de la société civile, pourquoi ce ne le serait pas pour tous et toutes ? En fait, ce projet de loi, comprenant de nombreuses mesures d’exception, contredit le droit commun alors que «  l’objectif légitime […] d’assurer la meilleure protection de l’ensemble des personnes présentes sur le territoire devrait préférentiellement se faire via la mobilisation des outils pénaux de droit commun, lesquels permettent d’assurer une réponse pénale uniforme quelle que soit la nationalité de la personne concernée » [Claire Hédon, op.cit.].

07Faut-il singulariser, voire stigmatiser des personnes arrivant sur le territoire français épuisées par de longs périples aux multiples dangers en les identifiant avant tout comme “clandestins”, possiblement “profiteurs”, “envahisseurs”, ou autres qualificatifs désobligeants ? Faut-il les enfermer dans des “Centres de rétention administratif” (CRA) très contraignants ? [cf. “Les Centres de rétention deviennent chaque jour un peu plus des zones de non-droit”, La Cimade | 3 mars 2023]. Faut-il accepter que des personnes vivent dans le plus grand dénuement, dépendant totalement de l’aide d’associations bienveillantes, certaines de ces personnes n’ayant pas d’autres choix que de dormir sous tente en plein hiver ? [cf. “En plein Paris, des centaines de jeunes migrants campent devant le Conseil d’État”, InfoMigrants | 6 déc. 2022].

Peut-on tolérer qu’un navire humanitaire, l’Ocean-Viking, affrété par l’ONG SOS-Méditerranée, avec 234 migrants à son bord secourus en Méditerranée, ne puisse trouver un port pour accoster et soit contraint à trois semaines d’errance, l’Union européenne, et tout particulièrement la France et l’Italie, n’arrivant pas à se mettre d’accord sur la façon d’accueillir ces migrants ? La France a finalement fait un geste par « dignité et humanité, dans un cadre sécurisé et fermé » [ministère de l’Intérieur] et le navire a pu accoster à Toulon le 11 novembre 2022 : « Si la France a, finalement, sauvé l’honneur en acceptant que l’Ocean-Viking accoste à Toulon, […] l’impuissance européenne à mettre en œuvre les droits humains qui la fondent historiquement – en l’occurrence la sauvegarde de 234 vies, dont celles de 57 enfants – est extrêmement préoccupante. » [éditorial, Le Monde | 12 novembre 2022].

08« Chaque passager du bateau de migrants qui a fait naufrage dimanche (26 février 2023) à l’aube près des côtes de Calabre, dans le sud de l’Italie, avait un nom, une famille, une terre d’origine. Mais pour certains d’entre eux, dont le corps ne sera jamais retrouvé et les proches jamais informés, l’histoire et l’identité qui leur étaient propres ont disparu dans l’anonymat des eaux agitées de la Méditerranée, qui a englouti leur rêve d’une existence plus digne, plus sûre et plus prospère sur le sol européen.» [Frédéric Autran, journaliste, Libération 26 février 2023]

On pourrait poursuivre longtemps ce questionnement… Mais il en ressort déjà que les mesures d’exception décidées par la France et l’Union européenne ne sont certainement pas la meilleure façon d’accueillir des personnes étrangères en errance et le plus souvent en danger. Que devient alors la devise de la République Liberté Égalité Fraternité figurant dans l’article 2 de la Constitution, l’article 1 précisant que « La France est une République indivisible […]. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Actuellement cette égalité n’a pas cours et seule l’action solidaire et constante d’associations et d’ONG permet de faire en sorte que les migrants aient au moins les mêmes droits que les étrangers admis officiellement à vivre en France [cf. Quels sont les droits des étrangers ? Vie publique]. Et ce, pour aller à l’encontre de mesures « de plus en plus restrictives de plusieurs pays européens pour interdire l’accès à leur territoire et les opinions qui les sous-tendent sont sans effet sur le développement des flux migratoires. Mais il y a de plus en plus de morts sur les routes de l’immigration, en particulier en Méditerranée. » [Catherine Wihtol de Wenden, Christian Jouret, “Europe. Mortelles errances des politiques migratoires”, OrientXXI | 7 décembre 2022].

Tel tout ministre de l’Intérieur se respectant, Gérald Darmanin veut faire “sa” loi immigration… « Quelle est la nécessité d’un nouveau texte de loi alors que l’encre des décrets du précédent n’est pas encore sèche ? » note Pierre Henry, président de l’association France Fraternités [Libération | 5 déc. 2022]. Et cette précipitation ministérielle n’apparaît souhaitable ni à de nombreuses associations, ni à la défenseure des droits, et donc avant toute nouvelle réglementation, il y aurait à définir ce que l’on entend par “France, pays d’immigration”. Comment admettre que nous sommes issus de migrations, fils et filles de nos vénérables ancêtres Néandertaliens et Homo-sapiens ? Comment faire place à d’autres que soi ? Comment penser l’hospitalité sans que celle-ci puisse être considérée comme un délit, comme ce fut le cas pour Cédric Herrou (relaxé, Cour de cassation, mars 2021) Martine Landry (relaxée, Parquet d’Aix en Provence, juillet 2020)… « Que devient un pays, on se le demande, que devient une culture, que devient une langue quand l’hospitalité peut devenir, aux yeux de la loi et de ses représentants, un crime ? […] Les frontières ne sont plus des lieux de passage, ce sont des lieux d’interdiction, des seuils qu’on regrette d’avoir ouverts, des limites vers lesquelles on se presse de reconduire.» [Jacques Derrida, Plein Droit N°34 | avril 1997].  Cf. également : La fin de l’hospitalité, Guillaume Le Blanc, Fabienne Brugère [Flammarion, 2017]

Mais ces interrogations se heurtent à un mur d’incompréhension entre la parole des associations et, selon Achille Mbembe, celle 09des porteurs « du rêve hallucinatoire d’une communauté sans étrangers » [Politiques de l’inimitié, La Découverte, 2016], alors que, pour ce même auteur, il s’agirait de « pouvoir circuler et séjourner librement dans le monde », les frontières ne faisant que « diviser et causer la peur d’être envahi ». La société devient ainsi « imprévisible et paranoïaque » [Pour un monde en commun, avec Séverine Kodjo Grandvaux et Rémy Rioux, Actes Sud, 2022] et va à la recherche de boucs émissaires pour conjurer ses peurs.

Le dépassement de cette opposition solidement ancrée dans l’opinion est compliqué. Les discussions du projet de loi (ou des projets) à l’Assemblée nationale, habituellement faites d’invectives, ne le permettront pas. Mais des associations recherchent d’autres approches, c’est le cas pour Désinfox-Migrations : « Nous luttons contre la désinformation pour contribuer à un débat public mieux informé sur les migrations et l’intégration, à un moment où la manipulation des faits migratoires est un enjeu majeur dans les démocraties, notamment en Europe. »

À l’initiative de cette association 400 scientifiques déclarent dans une tribune qu’« il est urgent de remettre de la raison et du débat démocratique dans le traitement des questions de migration », et ont appelé, sur le modèle de la Convention citoyenne pour le climat, à la création d’une “Convention citoyenne sur la migration” pour permettre « d’organiser un débat construit et bien informé sur une question hautement inflammable ». [Le Monde | 27 février 2023]. J’ajoute : à la condition que le gouvernement et les Parlements en acceptent vraiment les conclusions pour décider de la loi. Plusieurs Conventions simultanées, une par Région par exemple, donneraient encore plus d’assises à un tel projet. Je crains cependant que ces scientifiques ne soient pas entendus…

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Documentation complémentaire

  • “L’essentiel sur les immigrés et les étrangers”, données clés, INSEE | août 2022
  • Guide du demandeur d’asile en France, Direction des étrangers, ministère de l’Intérieur | sept. 2020
  • Cour nationale du droit d’asile (CNDA), rapport d’activité 2022
  • Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), rapport d’activité 2021
  • Règlementation juridique du droit d’asile, Dublin III 2013 | analyse : Wikipédia
  • “Migrations internationales et développement”, résolution, Nations-Unies | 21 déc. 2016
  • Nouveau pacte sur la migration et l’asile, Union Européenne | communiqué, septembre 2021
  • Projet de loi immigration, avis, Conseil d’État | 26 janvier 2023
  • “Projet de loi asile et immigration : décryptage”, La Cimade | 3 mars 2023
  • Projet de loi contrôler l’immigration…, décryptage, France Terre d’Asile | mars 2023
  • “Darmanin et Dussopt sur le projet de loi “immigration” : « Nous proposons de créer un titre de séjour métiers en tension »”, Le Monde | 2 novembre 2022
  • “Métiers en tension”, avis, Conseil économique, social et environnemental | 12 janv. 2022
  • “Le titre de séjour “métiers en tension”, une avancée sous conditions”, Simon Mauvieux, Céline Mouzon| Alternatives économiques, 24 janv. 2023
  • “Les questions que pose le titre “métiers en tension”, Claire Rodier | Alternatives économiques, 20 février 2023
  • Institut Convergences migrations : La question des migrations crée un clivage dans le débat public et au sein de la société. L’Institut expérimente des dispositifs pour permettre un meilleur dialogue entre les chercheurs, les acteurs de terrain et les citoyens”
  • Border Violence Monitoring Network. Ce site documente les renvois forcés et les violences policières aux frontières de l’UE (en anglais)
  • “Le Livre noir de la double peine : le constat d’un mensonge”, Collectif  | mars 2006
  • “Les camps d’étrangers, nouvel outil de la politique migratoire de l’Europe”, Claire Rodier | revue Mouvements N°30, 2003
  • “La détention par défaut : comment la Grèce et l’UE généralisent la détention administrative des migrants”, OXFAM | 16 nov. 2021
  • “La construction de murs aux frontières de l’Europe est-elle vraiment un rempart contre l’immigration irrégulière ? Franceinfo | 6 janvier 2022
  • “Sans-papiers : les travailleurs exploités de l’État”, Libération | 5 décembre 2022
  • “La France est très loin d’avoir pris sa part sur l’immigration”, François Héran | Libération, 1ermars 2023
  • Immigration : le grand déni, François Héran, Seuil, 2023. “l’indispensable livre”, Jacques Lancier, Le Club de Médiapart | 10 mars 2023
  • Étrangers : de quel droit ? Danièle Lochak, éd. PUF, 1985
  • L’odyssée des gènes, Évelyne Heyer, biologiste, Flammarion, 2020
  • La vie secrète des gènes, Évelyne Heyer, Flammarion, 2022
  • Xénophobie business : A quoi servent les contrôles migratoires, Claire Rodier, juriste au GISTI, La Découverte, 2012
  • Migrants & réfugiés, Claire Rodier, La Découverte, 2018
  • Les Nouvelles Frontières de la société française,  Didier Fassin (direction), La Découverte, 2010
  • Figures de l’Autre – Perceptions du migrant en France 1870-2022Catherine Wihtol de Wenden, CNRS éditions, 2022
  • Hospitalité, Jacques Derrida, séminaire, 2 tomes, Seuil, 1995-1996 
  • “Qu’est-ce que l’intégration ?” Abdelmalek Sayad, revue Hommes et Migrations n°1182, déc. 1994
  • “La santé des migrants : notes pour une généalogie”, Didier Fassin, La Santé en action N° 455 | mars 2021
  • “L’inaction du gouvernement face aux discriminations en France”, Amnesty international | mars 2023
  • “Situation des droits humains dans le monde”, rapport | Amnesty international, mars 2023
  • “Mobilisation citoyenne, la force de l’indignation”, dossier | SOS Méditerranée, février 2022
  • “Délit de solidarité. Cédric Herrou , Martine Landry”, Amnesty international | mars 2018
  • “Les travailleurs immigrés, victimes oubliées de la réforme des retraites”, Maya Elboudrari, Alternatives économiques | 15 mars 2023
  • L’Auberge des Migrants est sur le terrain auprès des exilés à Calais et ses environs
  • Entretien avec François Guennoc, vice-président de l’Auberge des Migrants, Alternatives économiques | 26 oct. 2020
  • “La Convention citoyenne : une innovation démocratique ?” débat, La Grande Conversation | 2021-2022

Documents post publication

  • Centres de rétention administrative, rapport de situation année 2022, collectif d’associations | avril 2023
  • “Immigration et population étrangère en France : quelles sont les statistiques utilisées ?”, Vie publique | avril 2023
  • “Asile et migration: le Parlement européen confirme les principaux mandats de réforme”, communiqué | 20 avril 2023
  • Dossier Le Monde, immigration : économie, régularisation, accueil, Méditerranée | avril 2023
  • “Immigration et délinquance : réalités et perceptions”, Arnaud Philippe, Jérôme Valette, CEPII | avril 2023
  • “Migrants, le 115 de la débrouille : Paris, des tentes d’exilés dans des locaux de start-up”, Libération | 10 avril 2023
  • Dossier Politis, “France, terre hostile” : identité, haine, accueil | avril 2023
  • “Immigration : nos frontières sont-elles « des passoires » ? Clément Viktorovitch, FranceInfo | 16 avril 2023
  • “L’immigration, ce grand tabou (de la gauche)”, Adelaïde Zulfikarpasic, Fondation Jean Jaurès | 11 avril 2023
  • “Décryptage : projet de loi “Immigration et intégration”, dossier, Institut Convergences Migrations | mars 2023
  • “Politique d’immigration – La maîtrise des flux migratoires”, dossier | Vie publique  mars 2022
  • “La politique d’immigration dans le contexte européen”, note | Vie publique  mars 2022
  • “Migrants en situation de vulnérabilité et santé”, rapport, la Santé en action | mars 2021
  • “Migration and Asylum”, rapport, Commission européenne | septembre 2021
  • “Les étrangers imaginés par le droit constitutionnel. Analyse culturelle comparée des jurisprudences colombienne et étatsunienne”, Louis Imbert, SciencesPo-Cogito | 16 novembre 2020
  • “Déconfiner les politiques migratoires: lacunes et biais des débats scientifiques”, Hélène Thiollet, SciencesPo-Cogito |  novembre 2020
  • “Migration, salaire et emploi : un aperçu de la recherche”, Hélène Thiollet et Florian Oswald, SciencesPo-Cogito |  novembre 2020
  • “1974 et la fermeture des frontières. Analyse critique d’une décision érigée en turning-point”, Sylvain Laurens, Politix N°82 | 2008 
  • “Le “ministère symptôme” : retour sur 40 ans de bégaiement au sein de l’État français”, Sylvain Laurens | Savoir/Agir 2007/2 / éd. du Croquant
  • “Frères migrants. Déclaration des poètes, Patrick Chamoiseau | éd. du Seuil / Institut du Tout-Monde | décembre 2016

Fractures Françaises et confiance politique

Ipsos, Le Monde, l’Institut Montaigne, le Cevipof-SciencePo, et la Fondation Jean-Jaurès publient régulièrement “Fractures françaises. Confiance politique”. Ces enquêtes offrent une vitrine bien utile des ressentis de l’opinion publique et de ses préoccupations,  l’environnement s’imposant de plus en plus dans les préoccupations des Français et des Françaises :

Autres ressources

Une affaire de moutons au XIIIe siècle

 

Élisabeth IMBERT, autrice

Postface : Pierre Thomé | Contributions : Gilles Avocat et René Chenal
Première édition en 2008 / Sarl Alpes Offset Peyron 05600 Guillestre

Texte téléchargeable


Élisabeth Imbert, décédée en juin 2022, est historienne de formation. Elle a été à l’origine, avec Albert Manuel, du musée et de l’association du Patrimoine à Saint-Paul-sur-Ubaye qu’elle a animés pendant seize ans. Mariée à un berger éleveur de moutons né dans une famille vivant dans le village depuis plusieurs siècles, elle est imprégnée de la culture locale depuis une soixantaine d’années. Avec ses compétences d’historienne et sa passion pour la vallée de l’Ubaye, elle a conduit une recherche approfondie pour analyser un manuscrit du Moyen-Âge relatant un procès à Saint-Paul-sur-Ubaye, et faire le lien entre passé et présent.

Ce mémoire est une reprise de la première édition en 2008, en hommage à Élisabeth Imbert et aux bergers et bergères des montagnes.

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Procès d’un conflit d’usage à Saint-Paul-sur-Ubaye (Hautes-Alpes)

Élisabeth Imbert

Introduction : un procès à Saint-Paul-sur-Ubaye en 1287

Un manuscrit, ancien document le plus connu évoquant Saint-Paul-sur-Ubaye, renseigne sur l’un des 01aspects importants de la vie de ce village au Moyen-Âge. Il s’agit d’un rouleau de parchemin de trente centimètres de large sur un peu plus de cinq mètres de long, écrit en 1287 en bas latin lors d’un procès retentissant. Propriété de la commune de Saint-Paul, il est dans un assez bon état de conservation.

Transcrit et traduit par Madame Wojciechowski, grâce à l’initiative de Madame Jacqueline Ursch, directrice des Archives Départementales de Digne, il a fait l’objet de plusieurs recherches, dont un mémoire en maîtrise d’histoire médiévale réalisé par Nicolas Portalier, université d’Aix-en-Provence en 2002.

L’étude qui suit est d’abord destinée aux habitants de ce village et aux personnes intéressées par son patrimoine et sa vie actuelle. Son but est de sortir de l’ombre ce beau document et de mettre en valeur une histoire humaine évoquant un conflit d’usage entre des paysans de Saint-Paul et des bergers venus de plus au sud. Ces derniers conduisaient un important troupeau de moutons vers les pâturages du territoire de la communauté de Saint-Paul. Cela peut sembler un incident plutôt banal, mais son importance est bien réelle puisque la Cour du Comte de Provence s’en est mêlée et beaucoup de personnes ont été amenées à se déplacer dans les difficiles conditions de l’époque pour venir témoigner.

Ce document remarquable a échappé à la destruction et a été conservé précieusement par la communauté de Saint-Paul pendant 700 ans ; il a été déposé récemment aux archives départementales des Hautes-Alpes (cote E. dépôt 193/24). Sa présentation est faite d’après le regard d’une personne qui d’abord le découvre, ensuite essaye de mieux le comprendre dans le contexte du XIIIe siècle, et enfin tente un rapprochement avec le XXIe siècle.

1. Un évènement conflictuel

Saint-Paul, 6 juin 1286 : dix-sept hommes doivent répondre d’accusations et sont à cette fin convoqués dans l’église du lieu. C’est en effet là (ligne 27 du manuscrit) que le tribunal siège. C’était le seul endroit où les habitants d’un village pouvaient, à cette époque, se réunir nombreux. Pour ce faire, une grande toile était tendue entre la nef et le chœur afin d’isoler l’espace sacré.

Ces hommes, pour la plupart paysans, prêtent serment et sont invités à s’expliquer. D’autres personnes, susceptibles d’éclairer le débat, sont également appelées à témoigner. Un notaire tient lieu de greffier. Quel drame a donc bien pu se produire pour que soient dépêchés, sur ordre de la Cour du Comte de Provence, le juge de Seyne (bourg situé entre Embrun et Digne-les-Bains) et les notaires de Barcelonnette ? (La Cour, centre administratif du Comté, est située à Aix-en-Provence).

Dans les faits, il s’agit d’une grave affaire de moutons. L’élevage ovin tient une grande place dans la vie économique et sociale de la communauté de Saint-Paul où pratiquement tout est organisé autour de cette activité d’élevage. Le long manuscrit qui résulte du procès en est un témoignage exceptionnel.

Que s’est-il réellement passé ?

Deux bergers, venus de loin, ont conduit un important troupeau de moutons vers des alpages communaux de Saint-Paul et ont été repoussés par des hommes arrivés en nombre. Ces bergers n’ont pas du tout apprécié l’accueil qui leur a été réservé et se sont plaints auprès de la Cour, car ils avaient reçu de cette dernière, et même de certains seigneurs de Saint-Paul, l’autorisation de venir faire paître sur les riches pâturages de cette communauté.

La Cour n’a pas non plus apprécié cette situation, car le Comte suzerain lève des taxes sur la transhumance, à savoir un droit de péage et le “pasquerium”, redevance importante sur les troupeaux étrangers pour droit de pacage : une brebis sur 45 (ligne 40 du manuscrit).

Les accusés, auteurs de cette violente exclusion, sont interrogés au cours de quatre audiences les 6 et 7 juin, le 29 juillet et le 3 août 1286. Les séances, en présence de nombreux témoins, sont houleuses et font aussi beaucoup écrire les trois notaires qui se relaient.

Le 7 juin, le crieur public (chargé des déclarations officielles) fait, au nom du Comte de Provence, une annonce menaçante : ceux qui désormais se hasarderont à renouveler un tel acte contre des bergers étrangers à la communauté devront payer une amende de 25 livres, ce qui est beaucoup. Les habitants de Saint-Paul ne semblent pas des plus troublés par cette annonce et ils seront une centaine à se rassembler près de l’église lors des prochaines audiences pour manifester leur opposition.

Quelles accusations portent les bergers Pierre Laydet et Raymond Marie ?

Ils expliquent qu’ils ont été fort contrariés par l’accueil qu’il leur a été fait, car ils sont venus en toute bonne foi sur le territoire de Saint-Paul avec l’autorisation de la Cour pour faire paître leur troupeau sur les alpages communaux. Ils sont donc arrivés avec leurs dix-sept “trentaines” de moutons (une trentaine représente le nombre habituel de moutons d’un troupeau familial) et là, plusieurs hommes menaçants les ont chassés par la force. Un certain Pierre Braman se serait même avancé vers eux avec une lance ! En plus, on leur a pris une brebis dégustée ensuite au domicile d’Isoard Ardoyn ! Il s’agit de « moutonner l’aver », pratique coutumière destinée à éloigner les contrevenants [1]. Ils sont repartis par le chemin qui leur a été désigné, la traverse de Tournoux. Ce chemin est pénible et ils ont été très gênés par la nuit. Bref, ces pauvres bergers, mis dans un grand embarras, se plaignent de l’important préjudice qui leur a été causé, aussi demandent-ils au juge d’être sévère.

Que répondent les accusés ?

Quarante “trentaines” de moutons, disent-ils, et non dix-sept comme affirmé par les bergers, sont venues paître sur des alpages de Saint-Paul sans autorisation de cette communauté. Ils les ont donc chassés tout en confisquant une brebis pour la déguster (ligne 80 du manuscrit). C’est de leur propre autorité qu’ils ont défendu leur territoire et leur droit. Ils affirment qu’ils ne le regrettent en rien et qu’ils recommenceront à la prochaine occasion.

Si tous plaident coupables, en ce sens qu’ils reconnaissent les faits, ils se disent également non coupables en expliquant qu’ils sont dans leur droit en faisant valoir deux raisons majeures : leur survie économique et les coutumes de la communauté :

  1. Si des brebis étrangères viennent paître sur les communaux de Saint-Paul, eux-mêmes n’auront plus assez d’herbe pour leurs propres troupeaux, c’est une question vitale. Le Comte, ajoutent-ils, serait également perdant, car si les habitants de Saint-Paul ne pouvaient plus continuer à vivre sur ce territoire, ils finiraient par le déserter et ne paieraient donc plus d’impôts.
  2. Depuis des temps immémoriaux la coutume veut que les troupeaux “étrangers” soient chassés quand leurs maîtres n’ont pas une autorisation de pâturer délivrée par la communauté de Saint-Paul. Cette autorisation n’a été ni demandée ni accordée lors de cet événement, donc il semblait légitime de s’en prendre à des intrus.

Les bergers sont-ils dans leur bon droit ?

Plusieurs constats ressortent du manuscrit :

  • Le troupeau est entré légalement selon le droit officiel de la Cour du Comte de Provence, mais sans l’autorisation de la communauté concernée.
  • Il ne s’agit pas de quelques bêtes venant de communautés limitrophes, mais d’un troupeau important originaire du sud, sa localisation exacte n’est toutefois pas indiquée.
  • Les deux bergers n’ont fait aucune mention à des précédents pour justifier leur installation sur des pâturages communaux de Saint-Paul, est-ce que cela voudrait dire qu’il n’existait pas de jurisprudence connue sur laquelle ils auraient pu se référer ?
  • Il est clair que les paysans de Saint-Paul et les deux bergers ne parlent pas le même langage, les premiers s’appuient sur un droit coutumier fort ancien et les seconds sur le droit civil défini par le Comté de Provence. Les deux se contredisant, et sans compromis possible, un recours en justice devenait indispensable.

2. La grande enquête de 1287 et le jugement

Le juge n’étant pas satisfait par les auditions des accusés et des plaignants, ordonne une enquête complémentaire “pour que sa sentence ait plein effet” précise-t-il (ligne 11 du manuscrit). Est-ce pour donner à son jugement plus de poids auprès de la Cour du Comte dont il peut craindre une réaction négative ?

Un bon avocat pour les accusés de Saint-Paul

Toujours est-il que le 11 juin 1287 Antoine Braman, avocat des accusés, s’exprime à nouveau dans l’église, en présence du notaire Jean Gaydon qui sert de greffier. Son plaidoyer, tout en faveur des agriculteurs et des maîtres de Saint-Paul, va servir de canevas à un questionnaire qui va être soumis à plusieurs témoins directs ou indirects du conflit. Les questions portent essentiellement sur les coutumes de la communauté de Saint-Paul concernant l’acceptation ou le rejet de troupeaux en transhumance : de quand datent-elles ? Qui en est garant ? Qui est habilité à gérer les alpages communaux ? Comment réagissent les habitants de Saint-Paul ?

Les témoins retenus par Antoine Braman (ligne 12 du manuscrit) sont invités à s’exprimer. Ils sont 54, de Saint Paul (14), mais aussi de Tournoux (8), du Châtelard (4), de Meyronnes (3), de Vars (24), et même un de Barcelonnette. Hormis ce dernier, tous viennent donc de communautés limitrophes.

Dans le manuscrit beaucoup de témoignages sont brièvement résumés tant ils se recoupent. Certains ont toutefois été recueillis avec plus d’attention quand il s’agit par exemple de personnalités locales influentes, tels le chevalier Albert, Ponce Cagon, notaire… Ce dernier confirme que les bergers incriminés n’ont pas demandé l’autorisation aux habitants de Saint-Paul. Si cela avait été le cas, il l’aurait su “car lui-même est du conseil” (ligne 200 du manuscrit). Il estime que la Cour du Comte de Provence et les deux bergers doivent être condamnés.

Que disent les témoins ?

Les témoignages, presque unanimes, confirment dans l’ensemble les observations d’Antoine Braman. J’évoque simplement ceux me paraissant significatifs de quelques désaccords :

  • Il ressort une impression de flou quant aux alpages communaux. Â l’exception des paysans de Saint-Paul, les témoins des communautés voisines n’ont pas connaissance de ces “biens communs. Et même Ponce André, de Saint-Paul, ne sait pas “où chacun peut amener faire paître”. Maître Albert déclare que “les pâtures communes ont toujours appartenu aux hommes de Saint-Paul” (ligne 380 du manuscrit). Il évoque “cette terre que l’on dit n’appartenir à personne, et n’avoir jamais été cultivée”.
  • Concernant les dates de début des mesures d’exclusion des troupeaux venant d’ailleurs, les réponses varient beaucoup, cela va de trois ou quatre ans pour certains, à plus de 100 ans pour Raymond Bellon de Meyronnes et Jan Assa de Vars, “Cent ans et plus” est souligné dans le manuscrit, une indication dans la marge indique l’importance de ce témoignage.
  • Arnulphe Graygola de Vars rapporte les “façons barbares” que des hommes de Saint-Paul utilisent pour chasser des troupeaux étrangers. Guillerm Chabran, également de Vars, l’aurait constaté dix ou onze fois. Le terme de “combat” entre bergers et paysans de Saint-Paul est attesté par Maître Albert de Saint-Paul, Jean Vial de Tournoux, Pierre Gaymar de Barcelonnette ; mais il est rejeté par Ponce Cagon et Giraud Robert de Saint-Paul, ce dernier déclare : “c’est inventé, comme d’habitude”. Les autres témoins n’en disent rien.

Le verdict est rendu le 17 août 1287. Le juge Giraud Ferret “ayant vu les défenses et les accusations, absout les accusés, à la suite de l’instruction” (ligne 11 du manuscrit). Les arguments des accusés et des témoins ont donc été probants et les deux bergers sont déboutés. Rassurés, les habitants de Saint-Paul restent donc décideurs de l’usage des alpages de la communauté. Le procès a été long et il est fort à parier que dans les chaumières il a été question de ces événements pendant de longs mois. Et à la Cour d’Aix-en-Provence le jugement a certainement fait l’objet de longues discussions qui vont conduire, dix ans plus tard, à l’édiction d’une Charte pour le « terroir » de Saint-Paul.

3. La Charte de 1297

Elle est conservée aux Archives Départementales des Bouches-du- Rhône. Son contenu découle des événements de Saint-Paul de 1287. En effet, par décision de la Cour d’Aix-en-Provence, un arrangement est signé avec cette communauté et il est décidé “dun échange entre le sénéchal de Provence au nom de la Cour royale et le syndict (le maire actuel) de la communauté de St-Paul du diocèse d’Embrun, par lequel le dit syndict donnera au dit sénéchal les droits que ladite communauté a aux terres et seigneuries des Gleisolles, de Tournoux et de Meyronnes. Et ledit sénéchal donne au dit syndict la faculté de ne mettre ni nourrir aucun troupeau étranger dans le terroir de St-Paul” (Cote B 403). Ainsi la communauté de Saint-Paul a obtenu, dix ans après le procès, ce à quoi elle reste très attachée : la liberté de gestion de ses alpages.

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4. L’évènement dans son contexte du XIIIe siècle

Cadre politique et économique

En cette fin du XIIIe siècle l’Occident médiéval connaît une grande prospérité économique commencée au début du XIIe siècle. Ces deux siècles sont une période d’un relatif calme politique avec la fin des invasions et sans grandes épidémies. La population s’accroît et il faut la nourrir. C’est l’époque où les agriculteurs des Alpes dessinent par leur travail les paysages que nous connaissons aujourd’hui, ils sont les “jardiniers de la montagne”. Par nécessité vitale, ils réduisent la forêt ; le bois, principale source d’énergie, est aussi l’un des matériaux de base pour l’habitat. Ils développent ainsi les surfaces de terres cultivables, souvent pentues et empierrées. Les pierres, ramassées une par une, sont entassées dans des “clapiers(clapiers paysans à distinguer des clapiers d’origine glaciaire) qui existent encore aujourd’hui. Ils creusent des canaux (biefs, béals, bisses…selon les régions) pour irriguer les champs à fourrages.

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En 1232 le Comte de Provence, Raymond Béranger, avait décidé d’affirmer son pouvoir sur le territoire de Barcelonnette en édictant une Charte. Il est difficile de savoir si la vallée de l’Ubaye avait déjà fait l’objet d’un tel projet, mais c’est, semble-t-il, avec cette Charte qu’elle est vraiment rattachée à un pouvoir centralisé. Sur quelles racines locales cette Charte se greffe-t-elle ? Comment ce pouvoir est-il ressenti : lointain, protecteur, pesant ? Il n’y a pas vraiment, à ma connaissance, suffisamment d’éléments pour répondre à ces questions. On sait cependant que les impôts locaux ont pris de l’ampleur, Charles d’Anjou successeur de Raymond Béranger en 1246, sous le nom de Charles Ier., en étant le grand promoteur.

Les impôts

Dans le manuscrit il est question de trois impôts levés par les seigneurs locaux qui se chargent de leur répartition et de leurs utilisations :

  • le pasquerium sur les moutons
  • le pasquerium sur les fromages (pasquerium de caseis), n’existait plus en 1287.
  • les droits de péage : les bergers “fautifs” avaient dû s’en acquitter.

Le Comte étant seigneur local, participe à cette répartition. Suzerain de toute la Provence, il est aussi détenteur du “majus dominium”, c’est-à-dire le pouvoir de décider de la justice, de l’armée, de la circulation des personnes et des biens ; à ce titre, il perçoit donc des taxes supplémentaires et fait appliquer des obligations :

  • la queste : impôt direct (équivalent de la taille, en vigueur jusqu’à la Révolution),
  • le fruit des amendes de haute justice,
  • la cavalcade : obligation de fournir des hommes pour l’armée,
  • l’albergue : obligation de loger et nourrir les troupes du roi.

La population de Saint-Paul au XIIIe siècle

On peut se faire une idée approximative de la population de Saint-Paul à partir du nombre de foyers fiscaux ou feux. En 1319, 192 feux payaient la queste. Sur une base vraisemblable de quatre personnes par foyer fiscal, on obtient 770 habitants, auxquels il faut ajouter les feux non soumis à cet impôt (feux d’albergue et pauvres). On parvient ainsi à une estimation entre 1 000 et 1 500 habitants (les paroisses de Tournoux, vingt-sept feux soumis à la queste, et des Gleyzolles, ne sont pas rattachées à Saint-Paul à cette époque). En comparaison Barcelonnette comprenait 420 feux imposables. (D’après “La démographie provençale du XIIIe au XVIe siècle” par Édouard Baratier)

Une population hiérarchisée

Le manuscrit fait état de plusieurs catégories sociales :

  • Les Domini ou seigneurs, ce sont eux qui lèvent les droits féodaux. Le titre de Dominus peut être également donné à des personnalités locales.
  • Les Dominores ou propriétaires terriens, souvent appelés “maîtres” dans la traduction de Madame Wojciechowski.
  • Les Homines ou paysans. Ils ne possèdent que rarement des terres et doivent alors en louer aux seigneurs moyennant redevances. À Saint-Paul, le Comte de Provence, propriétaire d’un bon tiers du territoire, était le principal bailleur.

Dans le paysage rural montagnard, trois zones à usages différents sont à distinguer

  • Le fond des vallées, parfois étroit et inondable, n’est guère utilisable pour l’agriculture. Des événements récents restent dans la mémoire des Saint-Paulois : les inondations de 1957, avec l’impossibilité de circuler dans les gorges de la Reyssole ; les très importants dégâts causés par les débordements de l’Ubaye dans la nuit du 29 au 30 mai 2008, ou bien encore le débordement du Riou-Sec à l’entrée des gorges de la Reyssole en plein été 2015. Ces événements permettent de se représenter les grandes difficultés que pouvaient rencontrer au Moyen-Âge les habitants de la haute vallée de l’Ubaye en cas de catastrophe naturelle.

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  • Les pentes desservies par des chemins muletiers entretenus par les passages répétés des voyageurs et des cultivateurs. C’est là où se trouvent les hameaux et les terres cultivables.
  • En altitude les alpages pour les estives, non accessibles à l’époque par des chemins : “troisième zone hors des chemins” est-il précisé (ligne 104 du manuscrit). Ce sont les pâturages communs à une Paroisse (village) et parfois convoités par d’autres, comme le procès l’a révélé.

Mais à qui appartiennent réellement les pâturages d’été ? Qui en dispose ? Qui décide de leur utilisation : les paysans de Saint-Paul, la Cour du Comte de Provence, les seigneurs du lieu ? Il semblerait qu’il n’y avait pas de réponse claire avant le procès. C’est sans doute pour mieux justifier auprès de la puissante Cour de Provence sa décision et les conséquences qu’elle aura à l’avenir dans ce type de litige, que le juge a imposé la grande enquête de 1287 conduisant à la Charte de 1297. Et, au fil des siècles, les habitants de Saint-Paul ont donc eu tout intérêt à conserver précieusement le manuscrit du procès comme preuve écrite de leur bon droit.

5. Saint Paul, une communauté forte et solidaire

L’existence de la communauté de Saint-Paul est attestée vers 1200 (cf. l’Atlas historique de Provence, sous la dir. de E. Baratier, G. Duby, E. Hildesheimer | éd. Armand Colin | 1969). À cette époque le Comté de Provence est en pleine réorganisation et de nombreuses Chartes administratives sont promulguées : Seyne en 1223, Barcelonnette en 1232, Selonnet en 1238… Saint-Paul a un conseil : Ponce Cagon, notaire, déclare lors de l’enquête que lui-même est membre “du conseil comme plusieurs autres(ligne 200 du manuscrit). Il précise que si ce conseil joue un rôle certain dans la gestion des pâturages, il s’intéresse aussi à bien d’autres problèmes. Les modes de désignation des membres de ce conseil ne sont pas précisés [2].

La communauté sait gérer les conflits

Les événements relatés par les témoins portent en fait sur trois conflits différents impliquant la communauté de Saint-Paul :

  • avec leurs voisins des communautés limitrophes Il s’agit de simples incidents pour l’utilisation des pâturages communaux auxquels les protagonistes sont manifestement habitués depuis fort longtemps. Ces conflits locaux devaient vraisemblablement se régler par des échanges de bons procédés entre voisins, chacun devant finalement y trouver son compte.
  • avec des bergers venus d’ailleurs pour faire paître dans les alpages d’altitude de la communauté. Dans ce cas, en revanche, le compromis semblait impossible et les paysans de Saint-Paul se sentaient démunis, ce qui peut expliquer leur agressivité.
  • avec le pouvoir central de la Cour du Comte de Provence. C’était le plus risqué car l’adversaire était puissant ; ce qui a sans doute motivé l’importante mobilisation locale pendant le procès.

Les deux derniers conflits se sont terminés à l’avantage de la communauté de Saint Paul. On peut s’étonner de voir les paysans de villages voisins, ceux qui ont été chassés en d’autres temps par ceux de Saint-Paul, venir témoigner en faveur de ces derniers. Mais, si les paysans de Vars, de Tournoux, du Châtelard, de Meyronnes… pouvaient être en conflit avec ceux de Saint-Paul pour l’utilisation des pâturages, ils se sont rassemblés malgré tout face à deux adversaires communs : les bergers “étrangers” et la Cour du Comte de Provence. Cette solidarité est fondée sur une culture et des intérêts économiques locaux à défendre collectivement.

Les paysans et les maîtres de Saint-Paul se sentent chez eux. Ils revendiquent leur territoire, ils le cultivent et le développent, c’est leur richesse et ils en ont tous besoin. Ils veulent décider de l’usage de leur “bien commun”. Ce qui fait que tous les habitants, quel que soit leur statut social, sont mobilisables et c’est leur force. Ainsi, parmi ceux qui ont chassé les bergers “étrangers”, se trouvent un seigneur-maître, Pierre Braman, et un clerc, Giraud Désiré (le clerc travaille dans un office notarial ; il sait écrire et rédiger ; il connaît le latin). D’autres seigneurs défendent également les accusés et tous déclarent que ceux-ci sont dans leur droit. Et si Hugo Ardoyn, l’un des accusés, affirme hautement qu’il ne regrette rien de ce qu’il a fait, c’est qu’il se sait soutenu par tous les Saint-Paulois.

Cette communauté a trouvé un avocat de grande qualité en la personne d’Antoine Braman, dont les plaidoiries ont conduit à l’acquittement de tous, et ont servi de base à la grande enquête de 1287. Et c’est sans doute à Saint-Paul que pour la première fois en Provence est publié un manuscrit rendant compte d’un procès mettant fin à un important conflit d’usage.

6. Le cadre géographique du conflit

Différents témoignages permettent de situer les lieux où les événements se sont déroulés.

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Les alpages recherchés par les deux bergers

Rappelons que ce troupeau comprenait au moins dix-sept trentaines (510 têtes de bétail) selon leurs déclarations, voire quarante (1 200 têtes de bétail) d’après Antoine Braman, l’avocat.

Il ne s’agissait donc pas de l’intrusion du petit troupeau d’un voisin proche, mais de l’arrivée d’une importante transhumance. Ayant besoin de grandes surfaces d’herbage, le troupeau ne pouvait être conduit que dans des alpages de moyenne altitude, c’est-à-dire des estives communales, comme l’ont affirmé plusieurs témoignages, Maître Albert, par exemple, a parlé des “pâtures communes”.

L’origine géographique des témoins venus soutenir les paysans de Saint-Paul, confirme cette localisation. Sur les cinquante-trois témoins presque la moitié venait de Vars ; les “Varcincs” (habitants de Vars) étaient donc très concernés. Ils n’avaient pas du tout intérêt à voir arriver de grands troupeaux transhumants dans des pâturages sur lesquels ils avaient, de leur propre aveu, parfois l’habitude de venir faire paître avec ou sans l’autorisation des habitants de Saint-Paul ! L’affaire s’est ainsi déroulée vers les alpages des vallons de l’Infernet ou du Crachet proches du territoire de Vars. Par ailleurs, d’après les huit témoins de Tournoux, les paysans de cette communauté avaient également un accès relativement facile à ces deux vallons par le chemin de la Traverse et on peut estimer qu’ils utilisaient aussi ces riches pâturages. Les différents cadastres de Saint-Paul précisent également qu’un certain nombre d’habitants de Tournoux étaient propriétaires ou locataires de parcelles au bas de ces vallons et le long du chemin de la Traverse. Ainsi Varcincs et Tournousquins avaient tout intérêt à empêcher la venue de grands troupeaux.

De quels hameaux sont venus les hommes qui ont repoussé les bergers ?

Les deux vallons jouxtent les hameaux du Mélézen sur le territoire de Saint-Paul. Ces alpages étaient considérés comme un “commun” prioritairement réservé à l’usage des paysans de ces hameaux. Ces derniers étaient donc les plus concernés et furent sans aucun doute les premiers à réagir en voyant arriver les deux bergers et leur troupeau.

7. Qu’en est-il aujourd’hui à Saint-Paul ?

En plus de sept siècles les choses ont beaucoup changé dans cette commune. La montagne a bougé avec plusieurs tremblements de terre (le dernier date d’avril 2014 avec une magnitude de 5,3 sur l’échelle MSK) ; des inondations catastrophiques le long de l’Ubaye, ont aussi quelque peu modifié le paysage. Enfin l’environnement économique et social n’est vraiment plus le même :

  • Population réduite à 200 habitants permanents au lieu d’environ 1 500 au XIIIe siècle. Il y a cependant de nombreuses résidences secondaires (210)
  • Le climat a évolué : à la fin du XIIIe siècle débute le “petit âge glaciaire” avec d’importantes chutes de neige entraînant l’extension des glaciers, des inondations, des famines, auxquelles s’ajoute un peu plus tard la peste noire… Alors que le XXIe est nettement marqué par le réchauffement dont les conséquences sur l’agriculture commencent à être perceptibles, et auxquelles le covi19 est venu s’ajouter !
  • Il reste huit agriculteurs-éleveurs (dont quatre en ovins), alors qu’ils devaient être autour de 150 au moment du procès, mais avec des surfaces d’exploitation beaucoup plus réduites que les actuelles.
  • La baisse de l’activité agricole locale a favorisé un important développement du pastoralisme de transhumance avec location des alpages communaux, ce qui permet des recettes fiscales intéressantes pour la commune. Durant les mois d’été différents troupeaux peuvent atteindre jusqu’à 22 000 têtes de bétail, accompagnés par de nombreux bergers professionnels et de quelques patous !
  • Développement du tourisme montagnard : alpinisme, randonnées d’été et d’hiver, ski de fond, pêche…
  • Les conflits d’usage ont changé de nature : si les bergers de la transhumance sont désormais accueillis sans problème dans des limites convenues, en revanche les touristes peuvent être à l’origine de quelques tensions provoquées par la détérioration de clôtures, ou mal refermées, et surtout par les chiens patous devenant agressifs si les randonneurs ne veillent pas à s’éloigner des troupeaux et à les contourner. Le plus souvent ces conflits se règlent à l’amiable, mais des recours en justice existent parfois.

De nombreux touristes, grands admirateurs de la splendeur des Alpes, ignorent tout de la nécessaire présence des “jardiniers de la montagne”, ces paysans en charge avec leurs troupeaux de l’entretien des prés et des alpages de la vallée et en altitude. Cette activité indispensable, pourtant non rémunérée, permet d’éviter des friches aux conséquences catastrophiques : avalanches, incendies… Le territoire de Saint-Paul est classé à 80 % “Natura 2000”, le rapport de cette habilitation fait état d’une “Zone exceptionnelle pour sa qualité et sa diversité liées notamment à une géologie diversifiée (calcaire, calcaire marneux, dolomie, silice, roches vertes…). Ensemble de systèmes herbacés avec une gamme complète de pelouses subalpines et alpines calcicoles. Il offre en outre un complexe de lacs oligotrophes d’altitude et de zones humides de grande qualité.” [rapport Natura 2000]

07Brec de Chambeyron


Notes

  1. Au Moyen-Âge “la confiscation du bétail est une pratique systématique. C’est ce qu’on appelle “moutonner l’aver” en Provence, et plus au nord “pignoter le bétail”. L’enlèvement est presque toujours suivi d’une consommation collective. C’est un véritable rite qui manifeste la solidarité de la communauté contre l’adversaire commun”, Carrier Nicolas, Mouthon Fabrice, Paysans des Alpes : Les communautés montagnardes au Moyen Âge | éd. PUR | 2010 | avant-propos 
  2. Pour en savoir plus, cf. Carrier Nicolas, Mouthon Fabrice, op.cit. « comment les communautés rurales des Alpes ont atteint à la fin du Moyen-Âge à la maturité politique, au point de construire parfois des confédérations capables de faire jeu égal avec les pouvoirs princiers ». (avant-propos)

Postface

Pierre Thomé

Élisabeth Imbert présente avec enthousiasme un manuscrit du XIIIe siècle dont l’intérêt historique est évident, déjà pour les habitants d’une belle vallée des Alpes, ensuite pour son apport à l’actuelle réflexion sur les biens communs et leur gestion, la montagne pouvant être un territoire favorable à leur mise en œuvre.

Le procès évoqué dans ce manuscrit met en évidence une problématique complexe : par qui et comment sont définies les règles d’usage d’un bien commun, ici des pâturages communaux : les éleveurs non-propriétaires réunis dans une organisation qui leur est propre ? Une administration politique centralisée et éloignée des réalités locales, Communauté Économique Européenne, et sa PAC par exemple ? Ou bien encore une structure, type société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), regroupant de façon collégiale éleveurs, élus locaux, administrations d’État ? Ces questions sont abordées par de nombreux agriculteurs et auteurs-chercheurs (cf. Bibliographie “(Biens) Communs et économie sociale et solidaireet auront peut-être un jour prochain des réponses législatives…

Le village de Saint-Paul-sur-Ubaye, au fil des siècles, a toujours gardé une activité pastorale locale avec des agriculteurs qui ont cependant tendance à se faire rares, ce qui est un réel problème, mais aussi avec une importante transhumance d’été originaire de Provence. Pour ses habitants, si cette activité est un apport non négligeable pour l’économie de la vallée, elle l’est aussi pour la préservation d’un écosystème montagnard grâce à la présence de troupeaux à nette majorité ovins. Cependant des écologistes, certainement de bonne volonté mais rarement habitants de la vallée et paysans, font valoir qu’il y a une surexploitation de l’espace agreste mettant à mal ce bien commun qui devrait, selon eux, être maintenu dans son état primaire. Ils considèrent que pendant les trois mois de l’été de trop nombreux troupeaux, non seulement tondent les alpages, mais pèlent littéralement la montagne en n’y laissant que quelques mauvaises herbes dont les bêtes ne veulent pas. De plus les déjections de ces dernières seraient également à l’origine de la mauvaise qualité bactériologique de l’eau potable dans des villages alpins. C’est ce que développe le biologiste naturaliste Pierre Rigaux dans “Le pastoralisme est-il bon pour la montagne ?” [Défi écologique | 2018].

Ces risques ont fait l’objet d’une analyse de l’américain Garrett Hardin en 1968, titrée “La tragédie des communs”. Selon lui, des pâturages laissés en libre accès, conduirait à leur surexploitation par les éleveurs et donc à leur destruction à plus ou moins brève échéance. Il en déduit que seule la privatisation complète de ces pâturages ou leur étatisation, permettrait d’éviter cette tragédie. Quelques années plus tard l’économiste américaine Elinor Ostrom [1] (prix Nobel d’économie en 2009), a démontré le contraire en faisant état de gestions communes d’alpages par des éleveurs rassemblés dans une organisation dont ils ont la maîtrise ; par exemple en France, un Groupement pastoral [“Mise en valeur pastorale”, articles R113-1 à R113-12 du Code rural et de la pêche maritime]. Ces éleveurs définissant eux-mêmes les règles de leur fonctionnement, dont les limites d’accès, pour un usage maîtrisé de pâturages communs, ou communaux quand des collectivités locales en sont propriétaires. Notons ici les proximités syntaxiques entre commun, commune, communauté, ce dernier concept étant utilisé pour évoquer le village au Moyen-Âge (ou paroisse, dénomination utilisée pratiquement jusqu’à la Révolution de 1789 pour désigner le territoire de la commune actuelle).

Mais aujourd’hui, ni les habitants de Saint-Paul, ni les éleveurs de la transhumance estiment qu’ils surexploitent les alpages, bien au contraire ; Élisabeth Imbert en est porte-parole : “Bien que décriés par certains, les moutons sont heureusement bien là, entretenant les paysages de montagne, témoignant de la présence d’une activité pastorale importante, […] jetant comme un pont entre le XIIIe siècle du manuscrit et le XXIe”.

08Parcourant régulièrement ces alpages au début de l’été, j’ai constaté que l’herbe y demeure abondante et fleurie. Les seuls changements peuvent concerner le manteau neigeux en altitude (cf. l’écart entre 2004 et 2021 au même endroit et à la même date), et des ravines aux tracés modifiés au gré des ruissellements (pluie et fonte de la neige), mais peut-être aussi par les déplacements des troupeaux.

Mais revenons brièvement au XIIIe siècle. Si les deux bergers venus du sud n’étaient pas les bienvenus à Saint-Paul, ce n’était pas du fait qu’ils soient étrangers à la communauté de Saint-Paul, mais parce que leur utilisation de pâturages se faisait sans l’autorisation des habitants de cette communauté, ceux-ci revendiquant un droit coutumier d’usage prioritaire. Ce qui fait que ces bergers, bien qu’autorisés par le pouvoir administratif centralisé, ont été considérés localement comme des intrus ou “passagers clandestins”, expression utilisée par Elinor Ostrom pour signifier que dans l’usage collectif d’un bien commun des personnes peuvent s’immiscer plus ou moins clandestinement en cherchant à tirer profit de ce bien au détriment des utilisateurs en droit.

Les loups (espèce protégée), sans doute bien plus nombreux au XIIIe siècle qu’ils ne le sont aujourd’hui dans les Alpes (le département des Hautes-Alpes est cependant fortement impacté par leur présence), peuvent être aussi vécus comme des passagers clandestins recherchant trop facilement et abusivement une alimentation à portée de mâchoires, il faut donc s’en protéger, mais comment ? Les éleveurs et leurs bergers sont confrontés à l’interdiction partielle de tuer le loup (cf. “Plan national d’action 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage” | ministères de la transition écologique et de l’agriculture) et s’ils la transgressent, ils risquent de se retrouver au tribunal ; alors que, “Sans que cela ne traduise une hostilité systématique vis-à-vis du loup, le droit à défendre son troupeau est considéré par les professionnels de l’élevage comme légitime et nécessaire pour diminuer la prédation” [Boisseaux Thierry, Galtier Bertrand,Difficultés du pastoralisme liées au loup dans les Hautes-Alpes” | rapport au Ministère de la transition écologique et solidaire | mars 2020]. Ce même rapport précise : “En 2019, dans le département des Hautes-Alpes, la prédation exercée par le loup a suscité de grands mécontentements au sein de la profession agricole […] La prégnance du loup nuit à une réflexion d’ensemble de la filière sur son organisation et sur son avenir perçu comme incertain”.

Toujours dans ce même rapport la crainte d’une disparition quasi-totale du pastoralisme montagnard est longuement exprimée. Pour les éleveurs “Une telle perspective est incompréhensible dans la mesure où le modèle d’agriculture qu’ils représentent, leur paraît correspondre aux attentes d’une part croissante de la société : une agriculture avec des unités modestes ; une production de qualité, qui privilégie des circuits courts de distribution, qui n’utilise pas de produits phytosanitaires, qui ponctionne une nourriture saine de façon équilibrée dans les alpages et qui contribue à l’entretien et au maintien de paysages menacés par la déprise agricole, et à la préservation d’un certain type de biodiversité.

Les éleveurs et leurs représentants savent cependant que la diminution de leur nombre, dans ce département comme dans beaucoup d’autres en France, depuis plusieurs décennies, n’est pas la conséquence du retour du loup, même si celui-ci contribue à fragiliser ceux qui restent. Certains regrettent que la présence du loup et les problèmes qu’il pose, s’ils sont bien réels, n’occultent d’autres questions tout aussi fondamentales pour la filière et son futur.”

Cette analyse est confirmée par les premiers résultats du dernier recensement agricole qui viennent d’être publiés, l’évolution de la majorité des indicateurs est en effet négative entre 2010 et 2020. Période pendant laquelle la France a perdu 100 000 exploitations agricoles (-21 %) ; il en reste 389 000 sur le territoire métropolitain, avec une moyenne de 69 hectares en surface cultivée par exploitation (14 ha de plus qu’en 2010) ; mais globalement la surface agricole utilisée (SAU), actuellement de 26,7 millions d’hectares (environ 50 % du territoire métropolitain), a perdu 233 000 ha.

Depuis les années 1950 l’agriculture a évolué vers des concentrations à tendance agroindustrielle [2] avec beaucoup moins d’agriculteurs en exercice et à la profession fortement déconsidérée. La politique agricole européenne (PAC), prête une attention toute relative aux “petits” agriculteurs, en particulier ceux qui cherchent à orienter leurs productions vers le biologique. La réforme en cours de la PAC confirme cette tendance : “Nouvelle PAC : l’Autorité environnementale donne un avis négatif sur le Plan Stratégique National [3] [Actu Environnement | 2 novembre 2021]. Lire également la lettre ouverte au président de la République : “Demande de réorientation forte du Plan Stratégique National afin que les aides de l’éco-régime soutiennent les pratiques agricoles en proportion des bénéfices réels pour l’environnement” | signée par 40 ONG et associations | septembre 2021.

L’agriculture montagnarde aurait-elle tendance à emprunter les mêmes chemins ? Il serait en tout cas regrettable que cela l’amène à perde le fil de l’histoire des “jardiniers des montagnes” mise en valeur par l’étude d’Élisabeth Imbert. Alors que, “Au fil des siècles, les communautés pastorales ont forgé une expérience et un savoir uniques sur la manière de maintenir un équilibre subtil entre des ressources fondamentales – l’herbe et l’eau – qu’elles savent valoriser durablement par des activités productives. Elles ont appris d’expérience qu’elles dépendent de la bonne santé du milieu qu’elles partagent avec leurs animaux.” [Turquin Olivier et al. “Une histoire d’avenir” [Grande histoire des alpages | 2017]


Notes

  1. Ostrom Elinor, Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles |1990 et 2010 pour la traduction, éd. De Boeck.
  2. cf. Leclair Lucile, “De la ferme familiale à la firme internationale. L’agro-industrie avale la terre” | Le Monde diplomatique / février 2022
  3. La réforme de la PAC prévoit de rendre obligatoire pour chaque État-membre, l’élaboration d’un document unique (le PSN), pour cinq années de programmation, à présenter à la Commission, en vue de son approbation par cette dernière.

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Contributions

Gilles Avocat agriculteur-éleveur (retraité) de brebis, Beaufort (73) | 14 fév.2022

La terre pour qui dans le Beaufortain ?

Très intéressante l’histoire de St Paul, mais au Bersend (hameau de la commune de Beaufort) les prédateurs n’habitent pas bien loin… Il y a quelques décennies seulement, on dénombrait dans le Beaufortain 522 fermes [1] de tailles souvent très modestes, et dont la propriété était la plupart du temps aux mains des paysan-nes qui les faisaient vivre (cela était moins v rai pour les alpages) La reprise de ces fermes était souvent assurée dans le cercle familial restreint, de parents à enfants.
Aujourd’hui ce paysage a totalement changé, il reste 107 fermes environ soit à peu près 158 paysan-nes en comptant les associé-es de GAEC [2], on voit que la restructuration a été très forte ce qui implique que les paysan-nes ne sont plus propriétaires de la totalité des terres qu’ils-elles travaillent, et qu’en majorité ce sont des terres en location.
C’est donc une donnée qu’il faut absolument prendre en compte car l’on voit bien que le monde NON PAYSAN, suivant ses choix, est aussi un acteur incontournable dans la répartition du foncier agricole.
Lorsqu’une ferme s’arrête, c’est un peu de tristesse, comme un souffle suspendu, le temps qui se fige, des femmes des hommes qu’on ne verra plus arpentant champs et pâtures au milieu d’un troupeau qui n’existera plus ; mais ça sera aussi de la convoitise, pour d’autres qui rêvent de grandeur, avec comme souvent le piège de plus d’investissements, plus de matériel, plus de bêtes, et au final besoin de plus de terre.
La transmission d’une ferme quand vient l’heure de la retraite, demande beaucoup de préparation, des années de réflexion sont souvent nécessaires, un temps de travail en commun pour la transmission peut être utile, tout cela dépend beaucoup de la volonté des « cédants ».
Alors, ça marche ou pas ! S’il n’y a pas de reprise que deviendront les terres ? Au final ce sont toujours les propriétaires qui décident à qui elles seront louées, même si l’administration a un rôle d’arbitrage au travers « des autorisations d’exploiter ». Cette décision dépendra beaucoup de l’état d’esprit des propriétaires et s’ils sont du côté des partageux, leur choix se fera avec un regard qui répond au mieux à ces questions :
• Qui en a le plus besoin ?
• Une petite ferme qui verra son assise économique confortée par un peu plus de terre ?
• Une ferme qui donne du travail à beaucoup de monde ?
• Une ferme dont les pratiques sont porteuses d’avenir ?
• Une ferme qui recherche l’autonomie ?
L’agriculture paysanne et l’agriculture biologique peuvent donner de vraies réponses à ces questions.
Ou alors … alors…, se laisser porter par la pensée libérale conservatrice, qui fera rentrer d’autres critères comme : « Ah on est bien un peu parent » ou encore « s’ils sont gros c’est qu’ils sont compétents, qu’ils savent travailler… » Dans ce cas, on verra encore des grosses fermes s’agrandir, et être confortées dans leur fuite en avant… On voit donc bien que du côté des propriétaires leur choix peut vraiment être déterminant et une pensée collective pour aborder ces problématiques pourrait être intéressante pour demain.
Un départ à la retraite récent a démontré que des changements de locataires se sont faits sans débat collectif, avec des situations de pression entre paysans, et au final une répartition du foncier qui n’est pas allé à celles ou ceux qui en ont le plus besoin.
Du point de vue des paysan-nes il n’y a pas de structure locale collective existante, mais des pistes pourraient être explorées, comme la création d’une inter-syndicale, avec par exemple la participation du Groupement inter-communal de développement agricole [3], des représentants des communes… qui pourraient avoir un rôle d’arbitrage. Même si ce type de démarche n’a pas de réalité officielle aujourd’hui, cela pourrait être l’occasion de créer un espace commun aussi bien aux propriétaires qu’aux locataires.
Ainsi nous pourrions arriver à considérer que la terre devienne un jour un bien commun malgré des usages différents. L’expérience de la Foncière « Terre de liens », qui achète des terres pour les louer à des agriculteurs et agricultrices qui veulent s’installer, est un exemple qui va bien dans ce sens. Et cela introduit que l’alimentation ne peut plus rester uniquement dans la sphère paysanne et devienne un enjeu global de société.


Notes

  1. 522 fermes en 1971 et 806 en 1955 source : « Évolution des systèmes d’exploitation en Beaufortain » RGA (recensement général agricole)
  2. GAEC : Groupement Agricole d’Exploitation en Commun. Source : Chambre d’agriculture, estimation 2018-2019
  3. GIDA du Beaufortain : antenne de la chambre d’agriculture ; les techniciens y tiennent des permanences dont secrétariat des abattoirs, service de remplacement, CUMA.

René Chenal, agriculteur-éleveur (retraité) de bovins, à Granier, Versant du Soleil la Côte d’Aime (73) 

Qu’en est-il du pastoralisme montagnard en Tarentaise ?

« Une affaire de moutons » est un document émouvant de l’histoire montagnarde. Pour ce qui est du procès, du rejet des bergers venus du sud sans doute au service de riches propriétaires, de l’abus de pouvoir des puissants régionaux et de leurs relais locaux (pléonasme), rien que de très ordinaire. Le monde est monde.
On peut comprendre ces communautés montagnardes qui ont ouvert, dans ces territoires aux ressources limitées et au fil des siècles, à force de travail collectif, les pâturages de l’étage alpin en les gagnant non sur la forêt mais sur les ligneux (plantes à tiges en faisceaux, type arcosses ou aulnes verts ; sont vite envahissantes). Ils en ont fait des communs tellement éloignés des égoïsmes des habituels exploiteurs qui de tout temps ont parasité l’histoire des hommes. La survie des populations paysannes, nombreuses en cette fin du XIIIe avant d’être dramatiquement réduites par la peste noire, exigeait de préserver les terres à foin et à céréales situées en-dessous des forêts. Surcharger ces terres avec les troupeaux indigènes aurait signifié entamer leur potentiel, d’où les estives.
Aujourd’hui, la situation sur les alpages à ovins serait moins tendue. La production, grâce à l’investissement millénaire, reste, pour l’instant encore, abondante mais les ouvriers de moins en moins nombreux.
Quant à la situation du pastoralisme à ce jour dans les Alpes du Sud, qu’en serait-il si elles n’accueillaient pas les troupeaux de la plaine ? Ils valorisent, aux côtés des troupeaux locaux devenus plus rares, les pâturages, qui, sinon, seraient dégradés par l’envahissement des ligneux et autre végétation de fermeture.
Et sur l’autre point évoqué par Pierre Thomé, quel procès faire à l’envahisseur (le loup) revenu en cette fin de millénaire, lui qui attire de la part des éleveurs ou de la part de ses adeptes le même rejet ou la même position de défense.
Pour les éleveurs, n’existe plus désormais, la paix et la relative sérénité qu’ont connues bergères, bergers et troupeaux au cours du siècle dernier. Et cela avec des conséquences qu’ignorent souvent les défenseurs inconditionnels du prédateur. Il est pourtant essentiel, dans ce domaine comme dans d’autres, d’analyser l’ensemble des répercussions sur le vivant des positions prises parfois hors d’une connaissance précise du contexte global :
− Conséquences sous évaluées du stress permanent des bergers, bergères et animaux
− Angoisse ou éloignement des visiteurs sur les parcours alpins par crainte des gardiens nouvellement introduits par obligation réglementaire
− Coût indécent des mesures de protection
À titre d’exemple (local mais l’universel est le local sans barrières), ce qui s’est produit sur le territoire de nos villages de Haute Tarentaise :

  • Les troupeaux ovins locaux ou accueillis, venus du Sud étaient, au cours du XXe siècle, étaient laissés en libre pâture, ce qui n’excluait pas le gardiennage, dans les sommets non valorisés par les vaches ou les génisses. Libres et dispersés, ils pâturaient les zones les plus fragiles, les plus pentues et les plus éloignées, de jour comme de nuit à la fraîche, sans grand danger puisqu’ils se déplaçaient sans les risques que fait courir une conduite groupée contraignante. Dans leurs déplacements libres, ils traçaient, à l’identique des courbes de niveau, des milliers de chemins de traverse tellement appréciés par les randonneurs, et qui, l’hiver, retenaient la neige dans ces pentes raides. Ils choisissaient la flore la meilleure dont ils dispersaient les graines dans leurs déjections, sur l’ensemble du pâturage. Ajouté à cela, les repos, sur de multiples replats individuels, répartissaient idéalement la fumure, évitant la stérilisation des zones les plus délicates que sont sommets et pentes lessivés par les orages et le ruissellement de la fonte des neiges. Mais en vingt ans :
  • Les propriétaires des petits troupeaux locaux qui les gardaient par passion du patrimoine ou comme
    activité complémentaire, ont abandonné face aux attaques du prédateur.
  • Les éleveurs professionnels ont dû se soumettre à la conduite dictée par la présence des loups qui impose celle des “réglementeurs”, qui sont aussi les relais des payeurs que nous, heureusement solidaires, nous sommes tous !
  • Non seulement surveillance ou accompagnement mais guidage des troupeaux, c’est à dire déplacements contraints souvent avec chiens, d’animaux regroupés, donc risques majeurs de chutes, parfois collectives, dans les pentes raides, s’il y a affolement. Et, en conséquence, choix de guidage des troupeaux vers des zones à moindre risque, surpâturage éventuel de ces zones, abandon des sommets et des fortes déclivités où, pourtant, la flore est meilleure parce que plus variée et souvent plus tardive. Et fin de la pâture à la fraîche donc d’un certain bien-être animal. Conditions de travail des bergères et bergers largement détériorées.
  • Parcs de nuit obligatoires, à la surface nécessairement réduite. Sur des replats bien sûr, rares par nature en montagne et donc surchargés en fumure et piétinement, au fil des années, et définitivement impropres à la pâture. Fumure trop concentrée et donc néfaste aux dépens de l’ensemble de l’alpage.
  • Parcs souvent installés dans les zones basses, les bergères et bergers ne disposant pas d’hélicoptères au quotidien pour le transport des filets électrifiés vers les sommets, et leurs conditions de vie et de travail étant déjà suffisamment rudes (qui sait, avec des drones les choses peuvent évoluer…)
  • Chemins de traverses beaucoup plus rares qui se comblent, ne retiennent plus la neige et, pour les zones de grand passage, cheminements plus profonds qui cèdent en retenant des volumes de neige plus importants et provoquent des ravinements sans précédents.
  • Chiens de protection qui n’ont pas toujours le sens des nuances.
  • Stress permanent des bergères, bergers et des troupeaux avec, pour conséquences, la raréfaction des vocations et la diminution des résultats économiques. Sans compter le drame humain face aux atteintes du vivant et, cela se conçoit parfaitement, du vivant proche tel que le troupeau et le patrimoine. 

Dans nos alpages, les bergères et bergers, les troupeaux ne sont pas là en prédation de passage. Ils offrent un surcroît de vie, une permanence homme et animal, une valorisation du territoire qu’aucun autre système ne peut apporter. Ils sont, dans nos sommets, à l’été, lumière au petit matin et à la nuit qui tombe. Ils poursuivent l’histoire multimillénaire de l’élevage nomade dans un monde que l’enclosure menace et où elle sévit de plus en plus en particulier dans l’élevage mais aussi chez nous humains. Cette histoire est patrimoine irremplaçable de l’humanité.


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Présidentielle 2022, une victoire à la Pyrrhus

Un deuxième tour le 24 avril 2022, pas vraiment surprenant ?

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Des observations factuelles agrémentées de quelques commentaires…  écrits après avoir écouté « Je veux Vivre » par Arno et Sofiane Pamart… est-ce inspirant ?

Première obs : 58,5% des suffrages valablement exprimés pour E. Macron, ce qui confirme la tendance observée depuis 1965 d’une correspondance à ±3% entre le résultat du vote et le dernier sondage réalisé avant le deuxième tour  (cf. Voter blanc, quelle signification?) En 2022, le dernier sondage IPSOS du 22 avril (personnes certaines d’aller voter sur un échantillon de 12.129 personnes) indiquait : 56,5% soit une différence de deux points, et un taux d’abstentions de 27,5%, alors qu’il est en réalité de 28. Abstentionnistes (plus nombreux qu’en 2017) et votes blancs et nuls (moins nombreux) s’équilibrent d’une élection à l’autre (cf. ci-dessous), et n’ont pas eu d’influence sur l’écart du résultat final ; les “castors”, mis en confiance par la solidité de leur grand barrage, auraient pu alors se faire moins peur ! « Je dis à Emmanuel Macron que les castors sont fatigués » [Éric Piolle, maire de Grenoble | Actu Grenoble | 11 avril 2022]

Les données ci-dessous présentent des résultats calculés sur les inscrits et non sur les votes valablement exprimés, ce qui permet une représentation plus juste de la réalité.

Deuxième obs : comparaison 2017 et 2022
presidentielle2022_resultats* les absentions sont plus nombreuses : +2,6%, et arrivent en deuxième position
* les votes blancs et nuls sont moins nombreux : -2,4%
Ce que fait que le total abstentions+blancs+nuls est quasi identique (34 et 34,2%) pour les deux élections.
Le vote blanc, bien que plus signifiant politiquement que l’abstention, demeure sous exploité ! Il conviendrait alors de lui donner plus de sens qu’une simple comptabilité, en faisant en sorte qu’il soit pris en compte, tel un candidat, dans les suffrages exprimés ; ce qui conduirait à une baisse, pouvant être significative, des pourcentages des candidats personnes physiques. Qu’arriverait-il si le candidat « Vote blanc » était en tête, voire serait majoritaire, tel dans « La Lucidité » de José Saramago ? Cette question ne mériterait-elle pas d’être abordée plus nettement ? [Cf. “Que changerait la reconnaissance du vote blanc?” | Le Monde | 11 avril 2017]

Troisième obs : E. Macron perd 5,1% des voix entre 2017 et 2022. Et avec 38,5% des inscrits il est bien loin d’une majorité absolue. Ses « grands » soutiens ont pourtant affirmé : « Nous avons une majorité de Français qui font confiance à notre président » (Richard Ferrand, France 2) « Cette victoire est large«  (Éric Dupont-Moretti, Champ de Mars) « Un choix net qui donne un mandat solide à E. Macron et à sa majorité«  (Bruno le Maire, Champ de Mars). Or il n’y a ni majorité des Français, ni victoire large et encore moins de choix net et de majorité élue ! En fait, E. Macron a une faible assise électorale, et de surcroit en partie due aux “castors”. Il n’y a donc pas de quoi pavoiser et d’envisager un climat « apaisé » pour les cinq années à venir. Mais de là à lui faire un procès en illégitimité ne me semble pas des plus astucieux, d’autant plus que J-L. Mélenchon, premier à y faire mention dès les résultats connus, a commis une erreur en déclarant que E. Macron est élu avec moins d’un tiers du corps électoral, or 38,5 c’est quand même plus qu’un tiers de 100 !

Quatrième obs : le résultat de M. le Pen , 27,3% avec une progression de 5% en cinq ans, est inquiétant et devra être analysé minutieusement. Pourquoi en est-elle là et comment y est-elle parvenue ? Quelques pistes :

  • « Résultats présidentielle : quel est le profil des électeurs d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen et des abstentionnistes ? » [infographie FranceInfo | 25 avril 2022].
  • « Depuis 2002, comment le parti de Marine Le Pen a amélioré son score au second tour de la présidentielle » [Léa Sanchez et Raphaëlle Aubert, Le Monde | 25 avril 2022]
  • Je trouve étonnant son « succès » en milieu rural qui est généralement peu concerné par les « troubles » insécurisants du milieu urbain. Une journaliste du Monde s’est rendue dans la Sarthe, département solidement ancré à droite, pour y rencontrer des maires et des électeurs de petites communes. « Telle Brûlon (1.550 habitants) où M. le Pen arrive en tête au 1e tour avec 32,2% et obtient 50,5% au deuxième. Pourtant, pour le maire, cette commune a “tout ce qu’il faut d’aménités, loin d’être abandonnée : des emplois, une maison médicale avec sept médecins, une France services, des commerces, des écoles neuves… Les gens sont peut-être bien localement, mais il y a une rupture avec les politiques nationales, un ras-le-bol qui a besoin de s’exprimer.” […] Un paradoxe que souligne aussi le maire de Fercé-sur-Sarthe (590 habitants), à 20 km. D’un côté, un village “apaisé”, des administrés qui “font société”, s’investissent dans leur vie locale… De l’autre, un vote RN qui l’aura emporté à 59,3% au second tour. […] Pour le maire, “Après la crise des “gilets jaunes”, on a pu penser qu’il y avait une prise de conscience gouvernementale. Il y a eu des débuts de réponses, mais ça reste malgré tout éloigné et dilué.” […] A Brûlon, Séverine et Pascal… ont donné leur voix à Marine Le Pen, “pour la retraite, le pouvoir d’achat, ses mesures pour les jeunes”, notamment l’exonération d’impôt pour les moins de 30 ans, eux qui ont des fils vingtenaires. “On vote maintenant à l’inverse de ce que votaient nos parents”, note Pascal, qui s’est fait sermonner par son père, ancien chauffeur routier, tradition communiste Lutte ouvrière. Pascal est mécanicien dans un garage, Séverine est assistante maternelle à domicile. Ils ont trois enfants. » [Camille Bordenet, “Est-ce qu’au vu du score du RN dans nos zones rurales ils vont se réveiller à Paris ?” | Le Monde | 24 avril 2022].

Les témoignages de Séverine, de Pascal, et de plusieurs autres dans un dossier réalisé par Libération, ne sont-ils pas un début de réponse aux questions du début de cette observation ? « Les campagnes de la Somme ont voté, hors Amiens, à 61% pour Marine Le Pen. Alors, on fait quoi ? On les abandonne au RN ? Non, on relève le gant, ici et ailleurs. Sur le papier, électoralement, je suis mort ! Et pourtant, on va ressusciter, et pourtant, à la fin, c’est nous qu’on va gagner ! » [François Ruffin | 28 avril 2022]

Cinquième obs : que reste-t-il de notre démocratie représentative ? La progression des abstentions pour toutes les élections, exception relative pour les municipales, est une réalité du XXIe siècle et rien n’a vraiment été trouvé pour l’enrayer. Ce qui fait que des hommes et des femmes peuvent être élus sans sourciller avec des scores de 20-25% des inscrits, à quelle représentativité peuvent-ils alors prétendre ? Jusqu’à présent l’élection présidentielle avait échappé à l’érosion, mais elle progresse avec 28% au deuxième tour ; au premier elle est devant tous les candidats : 26,3% avec une progression de 4,1% par rapport à 2017. Certes on est encore loin des 50% des élections européennes de 2019, mais faut pas désespérer ! Il y a donc bien une crise sérieuse de la démocratie représentative et les partis politiques ne savent trop comment y répondre : vote obligatoire ? Vote en semaine ? Proportionnelle ? Valorisation du vote blanc ? seuil minimal en nombre de voix pour être élu ? etc.
« Quand, en démocratie, la moitié de l’opinion vote pour des partis antisystème ou s’abstient, la Constitution mérite d’être révisée », Marie-Anne Cohendet, professeure en droit constitutionnel [à lire dans Le Monde | 28 avril 2022]

Sixième obs : L’avenir en commun de l’Union populaire va-t-il se réaliser lors des élections législatives ? C’est loin d’être acquis, déjà parce que le clan du président élu a un avantage certain qu’il est difficile d’inverser, depuis que les législatives ont été couplées à la présidentielle cela ne s’est pas produit. Ensuite, les résultats de toute la gauche au premier tour de la présidentielle ne prêtent pas à un grand optimise ! Tout à fait sommairement, on peut dégager quatre grandes tendances dans l’électorat (pourcentages sur inscrits au premier tour) :
* droite : LREM + Les Républicains + Lassalle = 25,8%
* extrême droite : R N + Zemmour + Dupont-Aignan = 23,3%
* gauche : Union populaire + Verts + PCF + PS+ NPA + LO = 23%
* abstentions + Blancs + Nuls (ABN) = 27,9%
Si, tout à fait arbitrairement, on applique ces taux pour l’attribution des sièges (577) à l’Assemblée nationale on obtient : Droite 149 députés / extrême droite 134 / Gauche 133 / ABN 161
Donc une assemblée ingouvernable avec des ABN qui devraient normalement être les plus représentés ! Bien entendu la réalité des législatives sera toute autre, mais cette représentation quelque peu farfelue laisse présager les difficultés que vont rencontrer les candidats aux législatives pour parvenir à une majorité stable. Si par exemple, les abstentionnistes se rendent en nombre aux urnes, pour quelle tendance voteront-ils ? Mais il s’agit déjà de les convaincre de ne pas préférer la vraie campagne du printemps à une campagne électorale pas super motivante…

Le Président de la République, dans son discours du Champ de Mars (24 avril) au soir de sa réélection, a appelé à être « bienveillant et respectueux » dans une France « apaisée » et s’est engagé à « l’invention collective d’une méthode refondée » afin de ne « laisser personne au bord du chemin ». Mais je me demande si dans cette recherche d’apaisement plutôt utopique, il ne vaudrait pas mieux élire une Assemblée majoritairement « Union populaire » donc avec un Premier ministre et un gouvernement issus de ses rangs, on y gagnerait sans doute quelque tranquillité au moins un bout de temps…  On essaye ? 

plantuEt pour clore de façon apaisée : Belle-Île en avril, avec le commentaire de la photographe Claire : « Tant de beauté, ça frôle l’impertinence… »

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Voter blanc, quelle signification ?

En ces temps d’élections nationales, le deuxième tour de la présidentielle est un bis, puisque les deux candidats restant sont les mêmes qu’en 2017. J’aurais souhaité un tout autre cas de figure, mais les circonstances ont fait que Jean-Luc Mélenchon est troisième bien que son score soit  supérieur de 9% (+652.569 voix) à celui de 2017, il était alors allié au PCF. Sa concurrente Marine le Pen a également progressé de 6% (+455.337 voix) malgré la présence de l’histrion Zemmour, ce qui aurait pu la désavantager. Alors pour qui voter ou ne pas voter au deuxième tour ?

Front Républicain ou non, j’ai beaucoup de difficulté à me faire à l’idée de déposer un bulletin en faveur du candidat Macron, représentant une politique néolibérale que je n’approuve pas, tant ses conséquences inégalitaires, en France et dans le monde, me paraissent contraire à l’esprit fondateur des droits de l’Homme [cf. Dan Edelstein et Thérence Carvalho, Cahiers Jean Moulin | novembre 2020]. . Et je ne vois pas pourquoi et comment E. Macron serait amené à changer cette représentation, peut-être « Préhistoire du futur qui explore sans relâche l’infinité des mondes possibles et les débâcles où ils conduisent l’humanité. » [série de Benjamin Abitan, France culture | 13 avril 2022]. Certes il peut s’adapter, comme il l’a fait entre deux tours avec son insistance sur le climat et l’écologie, il peut discuter de quelques aménagements, et emprunter à Philippe Poutou une citation de Gramsci : « Nos vies valent plus que vos profits », ou à Jean-Luc Mélenchon « l’Avenir en commun« , mais globalement il restera sous la pression constante des grands lobbys internationaux qui demeurent les invariants de la conduite du monde.

C’est pour ces raisons qu’il m’est impossible de voter E. Macron, et ce d’autant plus qu’il ne craint rien ! Dans la dernière enquête électorale 2022 IPSOS (15-18 avril, pour SciencePo, le Monde, Fondation Jean Jaurès ; échantillon de 7.563 personnes se déclarant certaines de voter) les deux candidats sont séparés par un écart de douze points (marge d’erreur ±1,1) :  Macron 56% / Le Pen 44% ; en janvier 57 / 43.  À quatre jours du deuxième tour un tel écart ne permet pas d’envisager une « remontada » inattendue et ce qui est possible au foot, ne l’est pas pour des élections ! Il s’agit d’un choix définitif pour 86%, par adhésion  pour 57% des votants Macron.

Il semble donc tout à fait possible de ne pas apporter une caution implicite au candidat Macron. Reste à savoir comment exprimer une opposition aux deux candidats. Abstention et vote blanc ou nul n’ont pas  la même signification : l’abstention a de nombreuses motivations, certaines n’ayant rien de politique ; en revanche le vote blanc est un geste délibéré qui peut signifier un profond désaccord avec les projets des candidats. En 2017 il représentait au premier tour 1,4% (660.000 voix) des inscrits et au second 6,4% (3.021.500 voix). Ce résultat, qui fut très peu commenté, n’est pourtant pas négligeable, même s’il est encore très loin des 80% de votes blancs évoqués par José Saramago dans son roman « La Lucidité » [Seuil | 2006]…

C’est une fable politique qui se déroule dans « la capitale non spécifiée d’un pays dirigée par un la-lucidite_saramagoparti conservateur et de tradition religieuse — on peut deviner à un endroit qu’il s’agit du Portugal — Elle est frappée d’une “épidémie” de votes blancs qui surpassent les suffrages exprimés ; le gouvernement décrète l’état de siège pour que les citoyens de la ville “récupèrent la raison” ». [Wikipédia]

« Des milliers de personnes de tous âges, toutes idéologies et toutes conditions sociales confondues, ont compris que voter blanc n’est pas s’abstenir. Elles manifestent à nouveau leur mécontentement à l’égard des partis et de la politique et refusent de prendre part à une mascarade qui légitime le pouvoir établi : cette fois-ci, ce sera 80% de votes blancs. Une véritable révolution » [Ramón Chao, ”Il reste la possibilité de voter blanc” | Le Monde diplomatique | avril 2007]

Dans cet ouvrage, José Saramago (prix Nobel de littérature en 1998) met en évidence un paradoxe de la démocratie représentative : dans l’opposition “riches” | “pauvres”, ce sont toujours les premiers qui sortent vainqueurs des élections et exercent le pouvoir dans le sens de leurs intérêts, alors qu’ils sont ultra minoritaires en nombre, et d’une élection à l’autre les “pauvres”, pourtant bien plus nombreux, demeurent privés d’expression et de pouvoir.

Pendant la campagne de l’élection présidentielle quels candidats se sont souciés des « gens de peu » [Pierre Sansot, Les gens de peu | PUF | 2009] ? C’est presque une évidence de noter que le pouvoir d’achat est la toute première préoccupation pour 70% des Français, très loin devant la santé (30%), la guerre et l’environnement (27%) [total supérieur à 100, trois réponses possibles |  enquête électorale IPSOS, op.cit.]. À l’examen il apparaît que Jean-Luc Mélenchon, Marine le Pen et Fabien Roussel se sont les plus exprimés à ce sujet, en insistant sur les conditions de vie difficiles de beaucoup de leurs concitoyens et en l’évoquant dans leur programme et leurs conférences. Mais ils ne seront pas en mesure de le mettre en œuvre, sauf, bien entendu,, si J-L. Mélenchon parvenait à devenir Premier ministre, grâce à des élections législatives gagnantes pour la gauche, objectif loin d’être atteint !

« La fable de José Saramago dit dans un langage fantastique, sarcastique et parodique la vision conspirative du pouvoir politique, le cynisme de dirigeants et leur violence ultime — et ce, comme bien des penseurs avant lui, dans le langage plus abstrait de la philosophie politique. En dévidant l’écheveau des potentialités d’une hypothèse apparemment aussi insignifiante que le vote blanc, il offre cependant une formulation littéraire de ce que Max Weber a nommé en langage sociologique la “domestication des dominés”  » [Alain Garrigou, “La peste blanche” | Le Monde diplomatique |15 juin 2020]

Si J. Saramago s’en prend à un mode de représentation politique aux résultats qui conduisent à maintenir de profondes inégalités, ne serait-ce que pour se faire entendre, il ne s’oppose pas cependant au concept même de démocratie, sous réserve que « Si nous ne trouvons pas un moyen de la réinventer, on ne perdra pas seulement la démocratie, mais l’espoir de voir un jour les droits humains respectés sur cette planète. Ce serait alors l’échec le plus retentissant de notre temps, le signal d’une trahison qui marquerait à jamais l’humanité » [José Saramago, “Que reste-t-il de la démocratie ?” |  Le Monde diplomatique | août 2004]

Concernant l’actuelle élection présidentielle, je ne crois pas me tromper en affirmant que les jeux sont faits et qu’il est inutile d’ajouter des voix à un candidat dont est loin de partager les objectifs politiques et la manière dont il exerce le pouvoir.

Un tableau permet de se rendre compte que les écarts entre un dernier sondage et le résultat du vote du deuxième tour sont minimes ceci pour toutes les élections présidentielles de la Ve République. 

elections presidentielles-5eme-republique_ecarts sondages-votes-deuxieme-tour


Il n’y a aucune raison pour que cette tendance ne soit pas confirmée dimanche, même si M. le Pen fait 10 ou 15 points de plus qu’en 2017, pourquoi en est-elle là, et pourquoi est-elle là ? La question mérite grande attention, mais cette élection n’est que le reflet d’une longue mise en scène depuis plusieurs années.  le taux d’abstention sera sans doute identique à un ou deux points près.
E. Macron sera donc élu dimanche mais avec quelle marge ? Il a  beaucoup « dragué » ces derniers jours (à Figeac entre autre) pour asseoir sa légitimité en obtenant le plus de points possibles, type J. Chirac en 2002 (82%), tout en répétant à l’envie que « rien n’est joué », ce qui est largement repris par les médias.
C’est pourquoi il ne me paraît pas souhaitable de « trop » encourager le vote Macron afin qu’il ne s’imagine pas, à tord, qu’il bénéficie d’un grand appui populaire pour « réconcilier la bienveillance et l’ambition » ! (à Figeac, vendredi 22 avril)  et parvenir à ce que les grandes métropoles et la ruralité fassent « bloc » [Le Monde 22 avril 2022) Tout un programme!

Résultats du vote deuxième tour le 24 avril 2022 : Macron : 58,6%, Le Pen : 41,4%, abstention : 28%. Soit deux points d’écart avec les dernières estimations IPSOS.


Compléments

Vote utile ?

Voter Emmanuel Macron est-ce utile ? Réflexion à propos d’une bien étrange campagne…

Texte téléchargeable

election_2007

L’histoire peut-elle se répéter ?

J’ai entendu récemment des relations proches, plutôt tendance gauche, exprimer leur intention de voter Emmanuel Macron dès le premier tour de l’élection présidentielle ! Au deuxième passe encore en vertu d’un front républicain d’opposition à M. le Pen si elle y figure, mais dès le premier, c’est plutôt surprenant. J’en ai frémi, traversé par les émotions qui seraient en ce moment les plus éprouvées par la population française : peur, colère et désespoir [enquête sociologique de Stewart Chau, L’Opinion des émotions | éd. Fondation Jean Jaurès | mars 2022], puis j’ai cherché à comprendre…

Dans une démocratie une élection, même si elle est fortement personnalisée comme c’est le cas pour la présidentielle, est un temps privilégié pour la mise en conflit des projets politiques présentés par les candidats et les candidates. Ils sont douze cette année pour la présidentielle, dont six représentent différents courants de la gauche. Mais il se dit haut et fort que la distinction droite / gauche n’a plus de sens ; et la faiblesse actuelle des intentions de vote au premier tour, avec un total de l’ordre de 28 % pour l’ensemble de la gauche, peut être interprétée comme un désaveu. Ce dont profite E. Macron qui, depuis 2017, se fait le chantre d’une nouvelle façon de se représenter la scène politique : « “Le clivage droite-gauche ?” C’est complètement dépassé !” Qui n’a entendu cette sentence, dans le poste ou sur les estrades, au temps béni des élections ? Et plus encore depuis qu’Emmanuel Macron a brandi le slogan […] “ni de droite ni de gauche” […] Et pourtant… D’où vient l’erreur ? De ce que, souvent, comme en économie, les commentateurs mélangent l’offre et la demande, (alors que) nos concitoyens savent très bien s’ils sont de droite, de gauche ou sans affinités précises. Ce positionnement idéologique est un marqueur profond de l’identité sociale d’un individu » [Janine Mossuz-Lavau, Pierre Henri Bono (chercheurs à SciencesPo-Cevipof, “Ni gauche ni droite ? Bien au contraire” | Libération | 23 sept. 2020]. Ce qui est confirmé par la dernière enquête “Fractures françaises” : 67 % des Français estiment que de vraies différences persistent entre la gauche et la droite [IPSOS pour Le Monde / Fondation Jean Jaurès / SciencesPo-Cevipof | 9ème éd. | 27 août 2021] (1).

Cela n’empêche pas des personnalités socialistes, pourtant ex-ministres importants, voire Premier ministre, dans des gouvernements de gauche – Jean-Pierre Chevènement, Jean-Yves le Drian, Élisabeth Guigou, Marisol Touraine, Manuel Valls — de faire allégeance au jupitérien E. Macron, plus sans doute au nom d’un supposé principe de réalité que par ambition politique. Je trouve qu’il est désolant de sortir ainsi de l’histoire du socialisme, d’ailleurs complétement ignorée par E. Macron. “Du passé faisons table rase” ? En tout cas plusieurs de mes connaissances, des séniors principalement, semblent l’envisager en choisissant de voter “utile” dès le premier tour, non pour un candidat de la gauche, mais pour l’actuel président. Ils évoquent comme raisons, d’une part la guerre à l’est de l’Europe, d’autre part la mondialisation de l’économie, comment l’expliquer ?

1. la grande inquiétude provoquée par la guerre en Ukraine.

Ce sentiment serait partagé par 86 % des Français se disant très inquiets (34 %) ou plutôt inquiets (52 %) [sondage IPSOS pour Fondation Jean Jaurès / Le Monde / SciencesPo-Cevipof, “enquête électorale 2022, vague 8” | 24 mars 2022] (2). La crainte que ce conflit s’étende au-delà des frontières de l’Ukraine est partagée par 80 % ; cette extension engagerait de facto l’OTAN à riposter, l’usage de part et d’autre d’armes nucléaires dites “tactiques” devenant une possibilité pour 70 %. Joe Biden, en visite à Varsovie le 26 mars, a assuré que « l’article 5 du traité de l’OTAN, stipulant que l’attaque contre un pays membre est une attaque contre tous, constituait un “devoir sacré” pour les États-Unis. […] Pour l’amour de Dieu, cet homme ne peut pas rester au pouvoir » a-t-il précisé… [Le Monde | 26 mars 2022] ; mais je doute fort que cet amour divin puisse mettre fin à la guerre et renverser “le dictateur” Poutine aux nombreuses motivations à la fois personnelles et politiques, dont celles de reconstruire un empire et de s’approprier les grandes ressources énergétiques (gaz surtout) de la mer Noire côté Ukraine, vers l’ile des Serpents.

Pour les personnes inquiètes parmi mes relations, seul E. Macron aurait le pouvoir et les capacités suffisantes pour maîtriser la situation et influer sur son cours. Ainsi la peur « pousserait les citoyens à se mettre sous la protection du bouclier présidentiel » [Françoise Fressoz, le Monde | 29 mars 2022] Ce qui est confirmé par le sondage IPSOS [24 mars 2022, op.cit.] : à la question “Faites-vous confiance à E. Macron pour prendre les bonnes décisions dans les jours et les semaines qui viennent concernant la guerre en Ukraine ?” 61 % des personnes interrogées répondent OUI. En revanche, seulement 29 % se disent satisfaites de l’ensemble de l’action du Président de la République; ce qui indique clairement que l’appréciation de la politique globale du président-candidat, ne peut porter uniquement sur la façon dont il traite de l’actuel conflit en Ukraine.

Président en même temps de la France et de l’Europe, E. Macron cherche depuis deux mois à démontrer, en se mettant en scène parfois de façon spectaculaire, que lui-même est indispensable pour maintenir en paix la Communauté européenne [cf. également “Macron et le tragique de répétition” | Libération | 2 avril 2022]. Il semble y parvenir en évitant de ne pas couper les ponts avec Vladimir Poutine, et avec l’idée que l’action diplomatique qu’il conduit principalement avec l’Allemagne, permettra d’éviter le pire : « J’ai choisi de rester en contact autant que je le peux avec le président Poutine, pour chercher, sans relâche, à le convaincre de renoncer aux armes » [2 mars 2022, cité par le Monde du 29 mars 2022]. Le politologue Tristan Guerra en déduit que « L’enjeu de la guerre en Ukraine conforte indubitablement Emmanuel Macron dans sa position de favori de l’élection, sans pour autant rebattre toutes les cartes de l’élection, mais en renforçant plutôt les dynamiques existantes. Le président sortant bénéficie de l’inquiétude que le conflit militaire entre l’Ukraine et la Russie peut susciter parmi les électeurs, tant sur les aspects de sécurité nucléaire que concernant les conséquences économiques ou la peur de l’extension du conflit. Plus l’inquiétude liée à ce conflit est forte, plus Emmanuel Macron en tire des bénéfices. » [Tristan Guerra, “L’effet du conflit Russo-Ukrainien dans la course à l’Élysée” | Fondation Jean Jaurès | 16 mars 2022]

Pour autant, les qualités diplomatiques du Président de la République peuvent-elles transformer à elles seules une élection en quasi plébiscite où le vote porte plus sur la personnalité du candidat que sur son programme ? C’est en apparence ce qui semble se dessiner avec une demande pour 79 % des personnes interrogées d’un “vrai chef en France pour remettre de l’ordre” [Fractures Françaises, 2021. | op.cit.]. E. Macron en aurait semble-t-il le profil, puisque pour 65 % % des Français il a l’étoffe d’un président et peut faire face à une crise grave (économique, sanitaire, internationale, attentat) [sondage IPSOS 24 mars 2022, op.cit.] résultat très au-dessus de celui des autres candidats qui se situent entre 15 (Y. Jadot) et 39 % (M. le Pen), le manque d’expérience dans l’exercice d’un pouvoir national, surtout en temps de crise, étant un handicap insurmontable.

Mais poursuit T. Guerra : « Sauf montée en intensité du conflit, la guerre en Ukraine n’éclipse pas tous les autres enjeux présents dans la tête des électeurs, les préoccupations liées à la vie quotidienne, comme le pouvoir d’achat, sont encore très importantes pour des électeurs qui gardent un œil sur des enjeux domestiques. » C’est ce que nous allons aborder avec la deuxième raison évoquée pour un vote E. Macron dès le 1er tour.

2. L’économie mondialisée suppose de grandes compétences pour sa gestion

On peut trouver du sens à cet argument avancé par plusieurs personnes pour justifier leur vote favorable au candidat de la République en Marche dès le 1er tour. En effet, E. Macron a effectivement une solide expérience dans ce domaine : banquier d’affaires, puis ministre de l’économie pendant deux ans dans un gouvernement à majorité socialiste. Mais avait-il seulement connaissance, à l’époque, des intentions de son président François Hollande déclarant lors de son investiture : « Avant d’évoquer mon projet, je vais vous confier une chose. Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire quel est mon adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, et pourtant il gouverne ! Cet adversaire, c’est le monde de la finance » [François Hollande  discours du Bourget 22 janvier 2012]. Ce que E. Macron semblait avoir compris une fois président : « Penser les règles du monde de demain, c’est-à-dire ces équilibres, où l’on permettra que cette mondialisation qui, de toute façon, est là, ne soit pas exempte de toute règle, parce qu’elle devient alors la propriété de quelques-uns, et parce qu’elle devient alors l’ennemie de nos propres intérêts. C’est toute cette nouvelle responsabilité qui est la nôtre et qui doit nous conduire à définir philosophiquement et juridiquement les règles de ce nouveau monde. Le livrer seulement à l’intérieur de nos frontières à une réflexion juridique serait insuffisant, c’est au niveau européen et international que nous devons mener ce combat, en éclaireurs » [Discours du Président de la République à l’ouverture de la conférence des ambassadeurs | 29 août 2017]

Ainsi il y a peu, l’un faisait de la finance son adversaire, l’autre en faisait un possible ennemi… Mais, pendant ces dix ou cinq années, il semblerait bien que les gouvernances tant de gauche que de droite se soient accommodées de cette réalité économique mondiale qui demeure peu maîtrisée et profondément inégalitaire. Le dernier rapport d’Oxfam en fait on ne peut plus la démonstration, l’économiste indienne Jayati Ghosh en a écrit l’avant-propos (extraits) : « La pandémie nous a rappelé une dure réalité : un accès inégal aux revenus et aux opportunités est non seulement source de sociétés injustes, détraquées et malheureuses, mais tue littéralement des gens. Au cours des deux dernières années, des personnes sont mortes après avoir contracté une maladie infectieuse parce qu’elles n’avaient pas reçu de vaccins à temps, alors que ces vaccins auraient pu être produits et distribués plus largement si la technologie avait été partagée. Elles sont mortes parce qu’elles n’ont pas reçu les soins hospitaliers essentiels ou l’oxygène dont elles avaient besoin à cause de pénuries dans des systèmes de santé publique sous-financés. […] Elles sont mortes de désespoir, accablées par la perte de leurs moyens de subsistance. […] Et pendant cette hécatombe, les personnes les plus fortunées au monde se sont enrichies comme jamais et certaines des plus grandes entreprises ont réalisé des bénéfices sans précédent. » [Oxfam, “Les inégalités tuent” | janvier 2022]

L’épidémie du coronavirus est un très bon analyseur social d’un système qui conduit le monde depuis au moins trois siècles et dans lequel la richesse produite est en grande partie accaparée par une toute petite minorité. Celle-ci se rassure en parlant “ruissellement” (la richesse produite, plus par la spéculation que par le travail, est en grande partie réinjectée dans l’économie par la consommation et l’investissement plutôt que par l’impôt et les taxes, ce qui serait favorable à l’emploi, mais n’est pas vraiment démontré) : « Jupiter, après avoir gravi l’Olympe et trouvé demeure à l’Élysée, voulut aussitôt combler les hommes, leur apporter croissance et prospérité. Il avait son idée. (mais) Le ruissellement n’est ni une théorie ni une réalité. C’est une grosse vanne. Les dieux se moquent des hommes, on le sait depuis Homère. » [Antoine de Ravignan, “Parlez-vous l’éco ? Le ruissellement” | Alternatives économiques N° 414 | juillet 2021].

Logiquement, cette théorie du ruissellement est validée par les sympathisants LR et LREM, qui estiment à 70 % que « plus il y a de riches, plus cela profite à l’ensemble de la société », alors qu’à gauche ce résultat atteint au maximum 29 % (P.S.), [Fractures françaises 2021, op.cit.] ; nouvel indicateur confirmant que la distinction droite / gauche est encore bien présente dans l’opinion. Le magazine Alternatives économiques [dossier “Présidentielle : le retour du clivage droite-gauche” | avril 2022] en souligne également les différences en comparant les programmes des candidats, ainsi :

  • « Flambée des prix de l’énergie, revalorisation du SMIC : où trouver son ou sa candidate du pouvoir d’achat ? Réponse : plutôt à gauche. Les baisses de cotisations proposées par la droite sont autant de manques à gagner pour la protection sociale, qui risque d’en faire les frais »
  • « Pour faciliter les installations et relocalisations des entreprises, les candidats misent à droite su la baisse de la fiscalité, tandis que ceux de gauche veulent investir et conditionner les aides »
  • « Le dernier quinquennat a creusé les inégalités. Et seuls certains candidats proposent des mesures susceptibles d’inverser la tendance. À gauche, tous les candidats souhaitent le retour de l’ISF. À droite, aucune réforme du barème de l’impôt sur le revenu n’est envisagée »
  • « Le renforcement des services publics est au programme de tous les candidats de gauche. À droite et à l’extrême-droite les services publics se lisent d’abord dans les politiques sécuritaires »

Ces quelques comparaisons confirment bien que les projets politiques “droite / gauche” ne peuvent être confondus et qu’il convient d’y prêter attention au moment de voter.

Les conséquences observables en France d’un système néolibéral avec un supposé ruissellement, sont nombreuses, citons simplement l’une des dernières dont on parle abondamment : le groupe Orpea gestionnaire de façon lucrative de nombreux Ehpad, avec un slogan, “La vie continue avec nous”, particulièrement trompeur tant les dysfonctionnements y sont nombreux. Ils ont été révélés par le journaliste Christophe Castanet dans son livre Les Fossoyeurs [janvier 2022, éd. Fayard] et confirmés par une double enquête de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’Inspection générale des finances (IGF), dont le rapport « considère qu’Orpea poursuit en priorité un objectif de performance budgétaire qui contribue à la mauvaise qualité de vie des résidents et des soins qui leur sont prodigués. » [Béatrice Jérôme, Le Monde | 21 mars 2022]. Il s’en suit qu’une partie de l’argent public (en provenance de l’État et des Départements) est reversé en dividendes à des fonds de pension américains qui constituent une bonne part du capital d’Orpea. Optimiser les couts, c’est-à-dire “faire plus avec moins” est également la stratégie développée en France depuis plusieurs années pour les hôpitaux publics dans lesquels, entre 2017 et 2020, 17 600 lits ont été supprimés, donc y compris pendant la pandémie (source : Statistique annuelle des établissements de santé, réalisée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques, rattachée au ministère de la santé).

L’exemple d’Orpea met en évidence une question d’ordre politique : des services publics médico-sociaux peuvent-ils être confiés à des entreprises lucratives pour des porteurs de capitaux externes dont le seul intérêt est de faire du profit et de percevoir des dividendes ? Je ne le pense pas et suis loin de partager la grande envie de privatisation dans tous les domaines publics voulue par Monsieur Macron et son gouvernement actuel ou futur.

Cependant en politique, économie et environnement ne sont pas les seules variables, d’autres domaines – protection sociale, culture, éducation, santé… — moins planétaires, dépendent beaucoup de décisions nationales et donc de choix dans l’utilisation des impôts. On peut donc espérer… avec Jayati Ghosh, qui conclut ainsi son avant-propos [Oxfam 2022 [op.cit.] : « Il est désormais indispensable de changer de cap. Nous avons bien sûr besoin de solutions systémiques, comme inverser les privatisations désastreuses de la finance, des connaissances, des services publics et collectifs, ainsi que des biens communs de la nature. Mais aussi de politiques fiscales accessibles qui taxent la fortune et les multinationales. Nous devons enfin démanteler les inégalités structurelles de genre, d’origine ethnique et de caste qui alimentent les disparités économiques. Ce document incisif et pertinent d’Oxfam démontre clairement que si les inégalités sont mortelles, des solutions sont à notre portée. Moyennant une mobilisation publique et un imaginaire collectif plus forts, tout est encore possible. »

Cet imaginaire existe et je l’ai rencontré dans deux cadres économiques qui ne fonctionnent pas, sauf exceptions, dans le système capitaliste boursier dont on vient d’entrevoir les méfaits, il s’agit de l’économie sociale et solidaire d’une part, des très petites entreprises d’autre part. Que représentent dans l’économie réelle ces deux secteurs d’activité, souvent au fait de l’innovation et créateurs d’emplois ?

L’économie sociale et solidaire (ESS)

  • rassemble : les coopératives, les associations loi 1901, les fondations, les mutuelles santé et assurances à but non-lucratif, Les entreprises commerciales d’utilité sociale (loi “Hamon” du 31 juillet 2014)
  • représente : 200 000 entreprises, 2,4 millions de salariés, soit 14 % de l’emploi du privé, 10 % du PIB (résultats 2019, sources : ministère de l’économie et des finances)

Par expérience, je pense que l’ESS est un domaine davantage porté par la gauche.

Les très petites entreprises (TPE), et micro entreprises, comprenant moins de 10 salariés, chiffre d’affaire annuel inférieur à 2 millions d’euros

  • rassemblent : artisans — principalement dans le bâtiment, le transport — et commerçants toutes branches
  • représentent : 1,4 million entreprises, 3 millions d’actifs dont 2,1 millions de salariés, 9 % du PIB (résultats 2018, source : INSEE)

Notons également qu’une majorité de Français paraissent sensibles à l’économie de proximité : en effet 82 % font confiance aux petites et moyennes entreprises, et seulement 45 % aux grandes entreprises [Fractures françaises, 2021 [op.cit.]

Ces vastes domaines, favorables à l’initiative imaginative, à d’autres façons de travailler moins hiérarchisées, à l’emploi… peuvent-ils se développer grâce à des politiques qui leur seraient favorables ? C’est en tout cas ce qu’ils souhaitent beaucoup dans leurs appels respectifs aux candidats des élections nationales 2022 :

Cette économie de proximité non boursière représente pour l’instant environ 20 % du PIB, ce qui est loin d’être négligeable. Elle ne doit pas cependant être regardée uniquement dans sa signification comptable, elle pose en effet une question cruciale : peut-on vivre sans le capitalisme spéculatif mondialisé que certains considèrent comme le seul système économique possible ?

La réponse est évidemment oui, puisque, en France, plusieurs millions de personnes le vivent quotidiennement, mais en restant en partie dépendantes des marchés mondiaux pour certaines de leurs fournitures en matières premières et pour d’éventuelles exportations. Une partie de ces marchés pourrait-elle être davantage régulée, le modèle du commerce équitable pourrait-il être inspirant ? Notons enfin que l’économie circulaire a été récemment mise en valeur par la Commission européenne : « Changer nos modes de production et de consommation: le nouveau plan d’action pour l’économie circulaire montre la voie à suivre pour évoluer vers une économie neutre pour le climat et compétitive dans laquelle les consommateurs ont voix au chapitre » [déclaration | 11 mars 2022]. Ce vaste projet ambitieux sera-t-il à même de bouleverser les habitudes inégalitaires du marché mondial ?

C’est aux politiques de répondre à ces questions, d’où l’importance à accorder au vote en cherchant qui et quels partis politiques abordent frontalement ces problématiques systémiques ; je pense que la gauche de gouvernance y est nettement plus sensible que la droite néolibérale représentée par le candidat Macron. Ce sont des choix importants et seul le premier tour d’une élection, en proposant un large éventail de projets politiques, permet vraiment de les faire. Dans ce cadre “le vote utile” n’a aucune raison d’être, alors que lors du deuxième tour la question peut évidemment se poser.


« La paix vous la voulez profondément. […]. Et pourtant, dans cet immense et commun amour de la paix, les budgets de la guerre s’enflent et montent partout d’année en année, et la guerre, maudite de tous, redoutée de tous, réprouvée de tous, peut, à tout moment, éclater sur tous. D’où vient cela ? »       Jean Jaurès  “Le capitalisme porte en lui la guerre” | discours à l’Assemblée nationale 7 mars 1895


[1] sondage réalisé auprès de 983 personnes constituant un échantillon représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. Interrogées par internet du 25 au 27 août 2021. Marge d’erreur à ± 2 %

[2] sondage réalisé auprès de 13 269 personnes, constituant un échantillon national représentatif de la population française, inscrite sur les listes électorales, âgée de 18 ans et plus. Interrogées par internet du 21 au 24 mars 2022. L’ampleur de l’échantillon réduit la marge d’erreur à ± 0,8 %.

Élections 2022, une affaire d’histrions ?

Les campagnes électorales ont-elles besoin d’histrions ?

 Éphémère histrion qui sait son rôle à peine,
Chaque homme, ivre d’audace ou palpitant d’effroi,
Sous le sayon du pâtre ou la robe du roi,
Vient passer à son tour son heure sur la scène.
               Victor Hugo, Odes, IV, 14 | © 2021 Dictionnaires Le Robert

Sans aucune intention d’exhaustivité, quelques pistes pour alimenter la réflexion dans une campagne électorale qui se déroule de bien étrange façon… 

Texte téléchargeable

L’histrion Zemmour

« C’était, à Rome, un saltimbanque grotesque, assez populaire faute de mieux et auquel un talent vulgaire mais réel valait une réputation d’assez mauvais aloi. La tradition s’éteignit dès qu’apparurent des auteurs inspirés. Et l’histrion ensuite est devenu ce mauvais acteur, mi bateleur d’estrade, mi charlatan de foire, avant que le souvenir se dissipe pour ne plus laisser place qu’à l’insulte suprême faite à un comédien.
Je trouverais le mot charmant si l’actualité française ne l’avait relevé de sa désuétude. C’est bien un histrion politique qu’on voit s’agiter sur l’extrême droite de la scène. Le dénoncer comme tel ne suffit pas, d’abord parce que l’Histoire, de Néron à Hitler, nous a appris à nous méfier de ce genre de personnages facilement tragiques, ensuite parce que, comme à Rome il y a plus de vingt siècles, il ne débarrassera la scène que lorsque les politiques se seront montrés aptes à donner de bonnes réponses aux besoins que sa présence exprime. »
[Michel Rocard, Le cœur à l’ouvrage, Seuil, 1987]

Bien entendu M. Rocard ne parle pas en 1987 d’E. Zemmour, mais de J-M. Le Pen. On peut toutefois facilement actualiser son propos  et se demander de qui Zemmour pourrait bien être le bouffon-histrion, si ce n’est peut-être de candidats plus « vertueux » cherchant à se maintenir “premier” ou bien parvenir à être “second” afin d’être opposé au “premier” lors du second tour. La dispersion des voix à droite et l’extrême droite pourrait bien favoriser l’émergence d’un candidat de la gauche comme “second”, sous réserve que celle-ci se regroupe quelque peu : « Avec Zemmour, le seuil d’entrée au second tour a baissé. Il y a une perspective de victoire écologiste et sociale. On peut gagner. » [Yannick Jadot, Le Monde | 21 nov. 2021]  « Éric Zemmour coupe le vote RN en deux, ce n’est pas inintéressant. Il fait baisser le niveau de qualification pour le deuxième tour. » [Olivier Marleix, député LR, Le Monde | 22 nov. 2021].  Alors, “vive Zemmour ! ”? et hypothétique victoire à la Pyrrhus…

En attendant quelles pourraient être les réponses à opposer à ce nouvel histrion mis en valeur par certains médias grand public et qui imprime fortement le début de la campagne ? L’ignorer en se taisant ? L’invectiver ? « M. Zemmour assène des contre-vérités, assène des messages de haine, des messages racistes, des messages antisémites […] J’en appelle à ce que cette élection présidentielle soit une vraie élection présidentielle avec un vrai débat […] et pas un débat que cette candidature d’un guignol. » [Anne Hidalgo, Libération | 31 oct. 2021]. Saine colère, mais avec quelle portée dans l’opinion, alors qu’« une gauche atomisée, donc faible, subit l’agenda des autres. Aujourd’hui celui d’Éric Zemmour, ravi de se faire traiter de “guignol” par une adversaire politique de gauche et donc de rester au centre du jeu présidentiel » [Lilian Alemagna, Libération | 31 oct. 2021].

zemmour affichesPeut-on alors imaginer que les grands médias décident enfin de mettre cet histrion transformant l’histoire à sa façon, face à d’authentiques scientifiques, historiens, anthropologues…, par exemple :

  • l’historien Gérard Noiriel, auteur de plusieurs ouvrages traitant de l’immigration, du racisme et du nationalisme : « Ce n’est pas l’histoire, mais M. Zemmour qui, depuis des années, “ressert les mêmes plats”, nourris des mêmes obsessions, des mêmes insultes. On peut donc se demander pourquoi ses écrits sont relayés par beaucoup de journalistes avec autant de complaisance. La première raison tient évidemment au fait qu’il est puissamment soutenu par tous ceux qui préfèrent qu’on focalise le débat public sur l’islam ou l’immigration, plutôt que de mettre en cause les privilégiés de la fortune ou de dénoncer l’aggravation des inégalités sociales. » [G. Noiriel, “Éric Zemmour tente de discréditer tous les historiens de métier” | Le Monde | 29 sept. 2018]
  • l’anthropologue de la génétique, Évelyne Heyer, auteure de « L’Odyssée des gènes » [éd. Flammarion, 2020]. « Dans toutes les espèces, animales ou végétales, la migration est nécessaire. Une espèce ou un groupe qui reste isolé s’appauvrit génétiquement au fil des générations. Les migrations sont fondamentales pour maintenir la diversité génétique, et pour bénéficier, par chance, de mutations qui permettront de résister à de nouveaux pathogènes ou de nouvelles conditions d’existence. » [“Avec votre ADN, je peux raconter des choses sur l’histoire de l’humanité” | Libération 16 sept. 2020] œuvres.
  • le démographe Hervé Le Bras, auteur de plusieurs ouvrages de référence : « Ceux qui nourrissent le fantasme d’une société homogène, destinée à protéger les Français de “souche” et à prévenir la destruction de la nation qu’ils prédisent, sont prêts aux mesures les plus attentatoires aux droits humains » [H. Le Bras, “Les adeptes de la théorie du “grand remplacement” semblent suivre la trace des totalitarismes du XXe siècle” | Le Monde  | 3 oct. 2021]

À l’évidence il appartient aux médias d’organiser de telles confrontations “grand public” en « prime time » et sur des durées conséquentes, c’est de leur responsabilité. Leurs taux d’audience en pâtiraient ils ? Bien au contraire semble-t-il, puisque le 23 septembre dernier à 20h45, le débat entre Jean-Luc Mélenchon et Éric Zemmour sur BFMTV a réalisé un ”carton” avec 3,81 millions téléspectateurs et une part d’audience de 19%, en tête des chaînes télé aux mêmes heures (source Médiamétrie)

En attendant :

  • la Fondation Jean Jaurès a publié un excellent dossier : « Zemmour : idéologie, image, électorat » : « Il n’est plus possible de se contenter d’une dénonciation morale ou d’une dénonciation juridique d’Éric Zemmour– quand bien même l’une et l’autre disposeraient de solides fondements. Il n’est plus possible de concentrer ses critiques sur les médias ou les sondages – qui créeraient une “bulle” artificielle. Il est aujourd’hui indispensable de prendre la percée d’Éric Zemmour au sérieux, c’est-à-dire de la comprendre pour pouvoir mieux la combattre. Tel l’objet de ce dossier » [Gilles Finchelstein | oct. 2021]. Lire également : « Éric Zemmour : un discours qui libère la parole extrémiste » | Jean-Yves Camus | 4 nov. 2021
  • « Le grand remplacement », de quoi s’agit-il ? Dossier constitué de plusieurs articles parus dans Le Monde | 2019-2021
  • « Immigration : que répondre à votre beau-frère qui croit au « grand remplacement » ? » | Baptiste Legrand, L’Obs | 9 janv. 2017
  • « La “remigration”, fantasme des identitaires » | Luc Cédelle, Le Monde | 23 nov. 2021
  • « Radioscopie du zemmourisme » | Fondation Jean-Jaurès | 23 mars 2022

Enquêtes électorales 2022 IPSOS

Pour mieux comprendre les logiques de la décision électorale et dans la perspective des élections présidentielle et législatives de 2022, l’Enquête électorale française, mise en place dans le cadre d’un partenariat entre la Fondation Jean Jaurès, Ipsos, le Cevipof et Le Monde, suit un panel de plus de 10 000 Français pendant plusieurs mois, jusqu’à juin 2022.

  • vague 1 | avril 2021
  • vague 2  | octobre 2021 | analyses dans Le Monde
  • vague 3 | décembre 2021
  • vague 4 | janvier 2022 | analyse Fondation Jean Jaurès
  • vague 5 | février 2022 | le pouvoir d’achat : priorité écrasante | « La France des satisfaits »  Jérémie Peltier / Fondation Jean-Jaurès
  • vague 6 | mars 2022 | Mélenchon, le retour | « Qui déteste qui en politique » Jérémie Peltier / Fondation Jean-Jaurès
  • vague 7 | mars 2022 | le pouvoir d’achat première préoccupation, devant la guerre et le climat
  • vague 8 | mars 2022 | Emmanuel Macron grand favori : « ce qui s’explique par son image – ou, pour être plus précis, par son image relativement à celles des autres candidats. S’agissant de la gestion de la guerre en Ukraine, une majorité de Français (64%) lui fait confiance et, surtout, lui fait bien davantage confiance qu’à n’importe quel autre candidat. Et s’agissant des principaux traits d’image, c’est lui toujours qui, de loin, a le plus “l’étoffe d’un président de la République” mais est aussi le “sympathique”. Gilles Finchelstein / Fondation Jean-Jaurès | 28 mars 2022
  • vague 9 | étrange campagne…« À l’approche du premier tour de l’élection présidentielle, les risques d’un scrutin incertain » | Le Monde | 6 avril 2022
  • vague 10 | « Marine Le Pen, une banalisation et une crédibilisation inachevées », Gilles Finchelstein / Fondation Jean-Jaurès | 20 avril 2022
  • intentions de vote deuxième tour élection présidentielle 2022 | IPSOS Le Monde | 22 avril 2022
  • vague 11 (législatives) | « L’union de la gauche, une dynamique et des zones de flou« , Gilles Finchelstein / Fondation Jean-Jaurès | 23 mai 2022  
  • vague 12 (législatives)« La destruction du système partisan », Gilles Finchelstein / Fondation Jean-Jaurès |  8 juin 2022
Autres ressources : 
  • « J’irai voter blanc au premier tour » : à Roanne, le reflet d’une campagne présidentielle terne | Le Monde | 24 février 2022
  • « Le bien-être en France« , rapport 2021 / Mathieu Perona, Claudia Senik | Cepremap | 15 avril 2022 
  • « Le sentiment d’insécurité en France à la veille de l’élection présidentielle de 2022« , Antoine Jardin, Julien Noble | Fondation Jean Jaurès | 19 avril 2022
  • « Dans la tête des abstentionnistes, à l’écoute de ceux qui se taisent« , Raphaël Llorca, Laurence de Nervaux | Fondation Jean Jaurès | juin 2022
Voir également  : article “Fractures françaises et confiance politique


L’ADN de l’Humanité

Ou comment s’opposer aux idées et projets Zemmou…riens, grâce à la génétique…

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Des livres peuvent particulièrement retenir notre attention avec l’envie de le faire savoir, c’est mon cas pour L’Odyssée des gènes (Flammarion 2020) écrit par Évelyne Heyer, biologiste de formation et qui enseigne l’anthropologie génétique. Ce titre peut faire penser à une fiction, mais nous sommes loin des mythes d’Homère ou de Stanley Kubrick (2001, l’Odyssée de l’espace) ! On est en fait de plain-pied dans le réel de l’histoire de l’aventure humaine racontée de façon alerte et tout à fait compréhensible – même sans vraiment de connaissances en biologie – par une scientifique passionnée de recherche sur l’ADN : « Après un petit détour sur ce qui “fait” ou non l’Homme en nous comparant à nos plus proches cousins les chimpanzés, nous verrons comment depuis notre aventure hors d’Afrique, (commencée) il y a plus de 100 000 ans, nous avons conquis la planète. Cette épopée, qui s’est effectuée au gré des mélanges et migrations, semblait à jamais inaccessible, bien qu’inscrite dans notre ADN. Or il est désormais possible de lire dans notre code génétique à livre ouvert et de remonter progressivement dans le passé. »

« J’ai commencé à travailler sur des populations humaines et, dès les premiers travaux, j’ai réalisé qu’on ne odyssee gene_editedpouvait saisir la diversité humaine qu’en intégrant la culture, la langue, les habitudes. […] J’ai croisé très vite la génétique et les sciences humaines. […] C’est en se confrontant à la différence que l’on retrouve l’universel dans l’humain. J’ai la chance dans mon travail d’allier la science à la rencontre des autres » [“Évelyne Heyer : les gènes, une machine à remonter le temps” | France-Culture, La grande Table Idées par Olivia Gesbert | 13 oct. 2020]

De cet enseignement d’Évelyne Heyer, j’ai retenu deux points clés :

  • « Malgré l’ubiquité de notre espèce, c’est celle qui possède le niveau de diversité génétique le plus faible : nous sommes tous identiques à 99,9 %», et de la même origine africaine…
  • « Dans toutes les espèces, animales ou végétales, la migration est nécessaire. Une espèce ou un groupe qui reste isolé s’appauvrit génétiquement au fil des générations. Les migrations sont fondamentales pour maintenir la diversité génétique, et pour bénéficier, par chance, de mutations qui permettront de résister à de nouveaux pathogènes ou de nouvelles conditions d’existence. » [“Avec votre ADN, je peux raconter des choses sur l’histoire de l’humanité” | Libération 16 septembre 2020]

Ces deux points parmi d’autres et dont l’étayage est solide, devraient normalement permettre de déconstruire toutes les idéologies xénophobes, racistes et discriminantes véhiculées par Éric Zemmour, la famille Le Pen et consorts. À la condition toutefois qu’ils puissent être développés publiquement à grande échelle, ce qui est loin d’être le cas. En effet, la parution du livre d’Évelyne Heyer à l’automne 2020 n’a pas provoqué un déferlement médiatique : hors les articles dans des revues scientifiques, j’ai compté une dizaine de recensions dans les journaux et radios “grand public” et pas une seule émission télévisée. Un an plus tard, E. Zemmour, à l’occasion de la parution de son dernier livre “La France n’a pas dit son dernier mot”, en obtient au moins dix fois plus ! Les médias devraient être beaucoup plus attentifs à cette grande inégalité de traitement de l’information et faire en sorte que ce qu’ils mettent en avant ne soit pas exclusif.

Je note cependant que France Inter a réussi à capter l’attention de ses auditeurs du samedi avec une heure “Sur les épaules de Darwin” pendant laquelle Jean-Claude Ameisen développe avec humour et poésie des thématiques proches de celles d’Évelyne Heyer. Cette émission peut dépasser le million d’auditeurs ! Et son contenu est régulièrement publié en livres ; dans le dernier tome, Sur les épaules de Darwin : Retrouver l’aube, [France Inter / Les liens qui libèrent | 2014], J-C. Ameisen évoque l’importance des apports de la recherche en génétique.

Qu’est-ce qui pourrait bien empêcher que d’autres radios et chaînes de télévision grand public s’inspirent de ce genre d’émission, au lieu de favoriser outrageusement des personnages qui ne cherchent qu’à développer et entretenir les peurs les plus archaïques ?

“Qui ne sait pas d’où il vient, ne sait pas où il va”, Victor del Árbol, Le Poids des morts | 2006 | Actes Sud


Pour compléter  :

  • Homo sapiens dans le buisson du vivant” avril 2020
  • Génétique, métissage et pathogènes, du Néandertal au Covid-19” | France Culture | 13 oct. 2021. Avec Lluis Quintana Murci, généticien, auteur de : Le Peuple des Humains. Sur les traces génétiques des migrations, métissages et adaptations | 2020 | éd. Odile Jacob

Critique de la notion d’effondrement global

 

 

texte téléchargeable
des informations complémentaires figurent en fin d’article

soleil

 

« Soldes / Ce soir le monde est en solde / J’ai compté mes points / j’suis gold / Tout doit disparaître […] / Déstockage imminent / Nos lointains reflets bradés dans le couchant / En trois fois sans frais ça reste commerçant / Tout doit disparaître » [Niang Mahmoud Tété, chanteur]

 

En ces temps de bouleversements climatiques de nombreux propos jalonnent l’opinion en affirmant de façon péremptoire qu’un effondrement global est imminent : « La fin de notre monde est proche. Une ou deux décennies, tout au plus. Cette certitude qui nous habite désormais, et qui a bouleversé nos croyances et nos comportements, est le résultat d’observations scientifiques nombreuses et variées sur l’évolution du système Terre » [Yves Cochet, Pablo Servigne, Agnès Sinaï. « Face à l’effondrement, il faut mettre en œuvre une nouvelle organisation sociale et culturelle », Le Monde.fr | 22 juillet 2019].

S’il est indéniable que le réchauffement climatique dépasse les normes habituelles et qu’il y a péril en la demeure, pour autant doit-on dramatiser à l’extrême, apeurer ? Yves Cochet, Pablo Servigne… n’en sont plus au stade des hypothèses, mais de l’affirmation d’une vérité qui semble les habiter telle une croyance ; véritable profession de foi certes respectable, mais difficile à rapprocher des travaux de scientifiques évaluant, analysant, discutant et cherchant à informer l’opinion et les décideurs politiques. Mais ces derniers semblent avoir bien du mal à se dégager de la pression action climatde lobbies internationaux défendant des intérêts tout autre que la sauvegarde de la planète, ce qui ne les empêche pas d’applaudir chaleureusement Greta Thunberg lors du Forum économique mondial 2009 de Davos, tout en utilisant 1 500 jets privés pour s’y rendre ! « Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous agissiez comme si notre maison était en feu, parce qu’elle l’est », leur a-t-elle lancé [Le Monde.fr | 22 janv.2019].

L’un des grands thèmes abordés lors de ce forum était “Sauvegarder notre planète« , mais pour les participants ne serait-il pas plus juste de dire “sauvegardons notre richesse” ? Al Gore en a profité pour faire son show habituel : « Dans un monde préoccupé par la gestion de nombreuses crises qui s’inscrivent dans un contexte de transformations sociétales, nous utiliserons l’esprit de Davos pour se projeter dans l’avenir d’une manière constructive et collaborative », sous forme de “dialogues” privé – public autour de quatorze “system initiatives”. Trois de ces “dialogues” ont abordé directement le sujet : “façonner l’avenir de l’énergie – façonner l’environnement et la sécurité des ressources naturelles – façonner l’avenir des systèmes alimentaires” [Suivre Davos 2019]. Le comment “façonner” est cependant resté au niveau de grands principes : “relever le défi, agir rapidement, il s’agit de rester en vie, la communauté financière a un rôle très important à jouer…”, le Forum s’en remettant au sommet de l’ONU “Action climat : une course à gagner” du 23 septembre 2019.

Depuis plusieurs mois la presse, de Paris-Match « Collapsologie…« , à LibérationEffondrement : l’humanité rongée par la fin”, évoque la collapsologie, nouveau concept issu du latin collapsus (s’affaisser) pour traiter de l’effondrement et de ses conséquences, sans oublier le Monde “Face à l’effondrement…”,  pour aboutir enfin à la création récente du magazine Yggdrasil : « Nous avions un objectif : braquer le projecteur sur tout ce qui émerge, que les idées soient diffusées dans le plus de milieux, de classes sociales possibles. Avant d’écrire sur les catastrophes, j’espérais un emballement médiatique, mais le vivre, c’est autre chose ! C’est une vague. L’élan de la souscription, les premières ventes en kiosque, sont l’indice d’un véritable mouvement qui se forme en France. D’ailleurs, je rencontre déjà des gens qui sont en train de déménager à la campagne, de vivre une sorte de préparation à l’effondrement. » [Pablo Servigne, Paris Match, 30 juillet 2019]. Il est vrai que Yggdrasil (l’Arbre Monde dans la mythologie des pays nordiques) est un mot d’usage courant et que 3 113 souscripteurs représentent une vague populaire qui va tout submerger !

Cette approche apocalyptique et radicale n’entretient-elle pas une confusion avec la notion de CHANGEMENT dont l’Histoire est faite ? Changements survenant pour différentes raisons dans les fondements mêmes et de la planète Terre et de l’humanité, les deux interférant depuis qu’Homo sapiens est devenu capable de modifier son environnement naturel. C’est cette question que nous allons aborder en faisant référence à l’Histoire, à la littérature et à l’actualité,

La dénomination “Homo sapiens”, utilisée tout au long de cette étude, est à lire comme un concept générique : la racine latine d’homo est humus, la terre, et sapiens se traduit par sage, intelligent… toute une symbolique…

Mots-clés : âge d’or, apocalypse, collapsologie, déluge, fin du monde, Frankenstein, GIEC, inter glaciaire, New deal vert, révolution industrielle, société industrielle, transition, tremblement de terre, volcan

L’EFFONDREMENT

Dans le langage courant on évoque l’effondrement d’un mur, de la bourse, d’une civilisation… ou bien encore de soi-même pour cause d’événements douloureux, mais peut-on parler de l’effondrement du monde ? L’Histoire nous apprend que des civilisations ont disparu remplacées par d’autres, mais ce qui fait société ne demeure-t-il pas de l’ordre de l’adaptation aux multiples changements qui apparaissent au fil de l’histoire de la planète Terre et de l’humanité ?

Homo sapiens est-il aveuglé par sa réussite apparente ? José Saramago (prix Nobel de littérature en 1998) dans son aveuglementroman “l’Aveuglement » [1997] nous alerte sur ce risque. Un homme, assis au volant de sa voiture et arrêté devant un feu rouge, devient subitement aveugle. C’est le début d’une épidémie qui se propage très vite à tout un pays et tous les êtres humains sont atteints de cécité, à l’exception d’une femme. En quarantaine ou livrés à eux-mêmes, hommes et femmes de tous âges vont devoir faire face aux comportements les plus primitifs pour survivre à tout prix : plus personne ne peut guider, nourrir, soigner, ramasser les déchets etc., la seule restée valide ne peut s’occuper que d’un petit groupe. Tous les repères dans l’espace et dans le temps disparaissent et hommes et femmes finissent par marcher littéralement les uns sur les autres ! « Ils vont comme des fantômes, être un fantôme ça doit être ça, avoir la certitude que la vie existe […] et ne pas pouvoir la voir ». Surprenant roman allégorique, où Homo sapiens est pris en flagrant délit (délire) d’aveuglement sur lui-même et sur le monde qu’il construit. Serions-nous collectivement aveuglés, tel que les collapsologues le laissent entendre, au point de ne pas voir que tout s’écroule autour de nous ?

Collapsologie et fin du monde

La collapsologie, qui se veut science multi disciplines et à laquelle on peut ajouter la tendance plus radicale du survivalisme, se fonde sur l’étude du concept d’effondrement considéré comme inéluctable essentiellement pour raison de réchauffement climatique et d’épuisement des ressources en énergies fossiles. Et quoiqu’on fasse, ce processus aboutirait à la fin de l’actuelle société industrielle, mais de quelle société est-il question ?

Le comte de Saint-Simon (1760-1825) est à l’origine du concept de société (ou système) industrielle, définie dans ses deux ouvrages références : “Le Système industriel” (1821) et “Catéchisme des industriels” (1823). Il se donne modestement mission « de faire sortir les pouvoirs politiques des mains du clergé, de la noblesse et de l’ordre judiciaire, pour les faire entrer dans celles des industriels. » Il considère que tout producteur de biens par son travail est un industriel, membre d’une société englobant : artisans, commerçants, agriculteurs, chefs d’entreprise, banquiers mais aussi artistes et savants. Cet ensemble constituerait la classe industrielle devenant, au détriment des détestés oisifs et rentiers, « la classe fondamentale, la classe nourricière de toute la société […] (qui) tout entière repose sur l’industrie ». Cette société s’organiserait donc en une seule classe sociale, à l’encontre même de l’État qui serait destiné à plus ou moins disparaître ; Marx démontrera quelques années plus tard l’impossibilité que de telles idées puisent aboutir dans le système capitaliste.

Assez loin des fondements définis par Saint-Simon, la société industrielle s’est développée pendant deux siècles pour devenir surtout celle des grosses entreprises et des banques, et aboutir à une mondialisation la rendant incompréhensible et très éloignée des préoccupations de la plupart des gens. Est-elle pour autant proche de sa fin ? Pour les collapsologues c’est une évidence et l’aboutissement d’un “processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population par des services encadrés par la loi” [Yves Cochet, “Effondrement, le début de la fin”. Libération | 7 nov. 2018].

D’autres personnes vont encore plus loin et évoquent, non pas la fin d’un système, mais la fin du monde ; par exemple la philosophe Marianne Durano : « La question vraiment vertigineuse, c’est celle, non pas de la fin d’un monde, mais de la fin du monde : la possibilité, exorbitante, que – guerre nucléaire ou dérèglement climatique – le monde lui-même devienne inhabitable. C’était la crainte du philosophe Günther Anders (L’Obsolescence de l’homme”, 1956) après Hiroshima » [“Nous ne sommes pas la cause de la fin du monde, mais la fin du monde nous donne une cause : vivre la meilleure vie possible”. Le Monde.fr | 24 juillet 2019]. Ce qui fait que dans l’attente d’une catastrophe irréversible, telle celle évoquée dans le très bon film de Lars von Trier “Melancholia” (2011) qu’elle cite, M. Durano considère que le mieux est de profiter au maximum des bienfaits de la vie « loin des pollutions de toutes sortes et d’un monde qui ne nous rend pas heureux », d’où son choix de vivre en famille dans un éco-hameau récent situé dans la Loire. Elle participe également à “Limite” revue d’écologie dite intégrale, c’est-à-dire « être “conservateur” authentiquement, intégralement, radicalement, dans la vie quotidienne comme dans les combats publics : conservateur de la planète dans toutes ses dimensions, mais aussi conservateur du corps humain, de la famille, du domestique, du local » [Jean-Louis Schlegel, “Les limites de Limite” Esprit janvier 2018, cité par Le Monde.fr : “Une histoire des écologies identitaires” | 4 octobre 2019]. Cette écologie intégrale se réfère souvent à l’encyclique papale Laudato si sur “La Sauvegarde de la maison commune” [pape François | 2015] et l’éco-hameau, évoqué plus haut, implanté dans le village de la Bénisson-Dieu, –nom prédestiné s’il en fut !– fait partie du mouvement chrétien “Initiatives Laudato si.

desert_arbreAvec cette même certitude de la fin du monde, le philosophe Pierre-Henri Castel, dans son dernier ouvrage [Le Mal qui vient. Essai hâtif sur la fin des temps, Paris, 2018, éd. Du Cerf], développe la possibilité d’un Armageddon dans le temps qui précédera l’effondrement total. Cette opposition violente du Bien et du Mal aurait peut-être même débuté avec la recherche par une petite minorité d’une appropriation des ressources de la terre de plus en plus réduites, cette tendance ne pouvant que s’amplifier avec le réchauffement climatique.

Poursuivons avec l’association d’origine lyonnaise Adrastia qui propose de ”construire un déclin” [Vincent Mignerot, conférence, 2015], oxymore intéressant mais basé sur l’affirmation que le déclin serait en cours de façon irréversible. Alors « Enclin au déclin” ? plutôt « Remettre en cause les fausses évidences, chiffres à l’appui. Penser à contre-courant, y compris contre nous-mêmes. Car en tant que journalistes, il faut bien le dire, nous avons tendance à nous focaliser sur ce qui ne marche pas […] Mais la litanie des mauvaises nouvelles peut être contre-productive et alimenter le déclinisme ambiant » [Laurent Jeanneau, “Tout ne va si mal”, Alternatives économiques, Oblik N° 3 | oct. 2019].

Enfin pour terminer ce premier tour de table l’historien Patrice Gueniffey évoque non l’effondrement mais l’idée d’une apocalypse écologique en perte de sens historique : « Avec le discours catastrophiste actuel, il y a bien une résurgence de l’idée de fin du monde, mais ce n’est pas l’idée de l’accomplissement d’une promesse, contrairement à l’eschatologie chrétienne. Dans l’apocalypse écologique, la catastrophe n’est pas porteuse d’un sens collectif. Elle porte plutôt à se distraire de l’avenir en s’immergeant dans un présent dont on espère qu’il durera le plus longtemps possible. […]. Si vous pensez que tout va s’arrêter, et à l’échelle d’une ou deux générations, quel sens donner à l’histoire ? » [“Le passé éclaire-t-il le présent ?” Le Monde.fr | 16 juillet 2019].

Effondrement, fin du monde, fin d’un monde, apocalypse, déclin… autant d’expressions inquiétantes et pour éviter une grande dépression pré-apocalyptique que serait-il possible d’envisager ?

La transition impossible ?

Pablo Servigne, Yves Cochet et autres collapsologues considèrent que toute transition écologique ne peut être que vouée à l’échec, aussi conseillent-ils de se préparer à l’imminence de l’effondrement. Le mieux, proposent-ils, serait de se retirer avec quelques proches sur ses terres, à supposer que l’on puisse en avoir, en étant le plus possible en autoproduction de tout ce qui est nécessaire à la satisfaction des besoins élémentaires : énergie, eau, alimentation… ; ces pratiques devant favoriser l’éclosion d’un modèle de vie (ou de survie) genre “cultivons notre jardin » et advienne que pourra ! De toute façon « Dans cinq ou dix ans le problème du logement sera réglé car les gens seront morts. » [Yves Cochet, Le Monde.fr | 27 sept. 2019]. L’auteur de cette étrange pensée a trouvé la solution en s’installant en Bretagne dans une propriété de sept hectares, d’où il délivre de temps à autre ses messages surréalistes : comment est-il en effet possible d’affirmer qu’un effondrement irréversible aura lieu au plus tard en 2030 ? Ce choix de vie est tout à fait respectable mais reflète une tendance à un « sauve-qui-peut » individuel qui nécessite des moyens conséquents : « Quand je me suis installé ici avec ma fille, j’avais des critères de recherches très précis : je voulais de l’eau, des arbres et des champs pour survivre le jour venu. […] Je fais ça aussi pour ma fille et mes petits-enfants. À leur place, entre faire Sciences-Po et de la permaculture, je choisirais la permaculture ! » […] « C’est vrai, je le fais parce que j’ai la possibilité de le faire », conclut-il [Yves Cochet, “Ici je suis prêt…”, avec Raphaël Godet, France Info | 4 août 2019]. Pourtant il fut parlementaire et ministre, donc personnage politique important ayant, suppose-t-on, le sens de l’intérêt général (ou du bien commun), mais en situation imaginaire d’effondrement il semblerait que ce sens-là s’estompe nettement…  On peut également rapprocher Yves Cochet et ses confrères collapsologues de la pensée libertaire et écologique du naturaliste Henry David Thoreau : « cela ne vaut pas la peine d’accumuler des biens, car ils sont appelés à disparaître. Il faut louer ou squatter un petit lopin de terre quelque part, le mettre en culture et manger la récolte. Il faut vivre replié sur soi et ne dépendre que de soi, les manches toujours retroussées et toujours prêt à lever le camp ». [Henry D. Thoreau, La Désobéissance civile, 1849. Traduction éd. Le mot et le Reste, 2018]

Cet hypothétique effondrement généralisé pourrait bien renforcer une fragmentation de la société en petites communautés, certes parfois construites autour d’un idéal humaniste (par exemple Habiterre, Ecoravie dans la Drôme), Gullalderenou d’un mythe genre “Âge d’or” ou Arche de Noé, mais aussi autour d’une crainte de l’altérité, d’une peur de la collectivité publique, chacune de ces communautés familiales ou amicales faisant son histoire sans trop se soucier de celle de voisins qui peuvent se retrouver dans les tourments de fins de mois compliquées et de bien d’autres soucis. Mais un bon collapsologue doit « Être concret : 1. Protection de la maison contre les intrus. 2. Stock de nourriture d’un an pour survivre avant les premières récoltes post-effondrement. 3. Stockage de l’eau de pluie. 4. Toilettes sèches, stock de sciure. 5. Installation d’une chaudière électrique et de panneaux solaires » [“Témoignages : Et si demain le monde s’écroulait ?” le Monde.fr | 20 sept. 2019]. Qu’adviendra-t-il de ceux et de celles qui ne pourront ou ne voudront pas entrer dans ce processus, qui ne seront pas de cette nouvelle société de la “sobriété heureuse” supposée se construire sur les ruines fumantes de l’effondrement ? Sans doute marginalisés, rejetés dans des zones de mal-être ?

C’est ce modèle que développe Alain Damasio dans son roman de science-fiction La Zone du dehors [2007, éd. la couverture (2)Volte] : la terre étant devenue inhabitable pour cause de guerres nucléaires, sept millions d’humains se sont retrouvés sur un astéroïde gravitant autour de Saturne et aménagé comme une immense station spatiale dénommée Cerclon. Dans un environnement hostile, cette population vit constamment dans la peur des bombardements météoritiques et la crainte de mal faire. Tous les habitants sont effet surveillés en permanence grâce à des puces implantées sur chacun, et, en cas d’opposition au pouvoir, ils sont sous la menace de l’exclusion vers “la zone du dehors”, là où sont parqués tous les déviants et d’où partira un début de “volution” (sans le ré) mais récupérée par le pouvoir ; ce qui fait dire au président de Cerclon s’adressant au leader de l’opposition qui vient d’être arrêté : « Ce qu’il y a d’extraordinaire chez tous les révolutionnaires que j’ai rencontrés, c’est qu’ils voient le peuple à leur image : bon, généreux, énergique… C’en est presque émouvant cette foi irraisonnée que vous avez dans le peuple, dans ce que peut le peuple comme vous dites, comme si le peuple n’était pas quelque chose de foncièrement passif, malléable, indécis. […] Un système comme le nôtre n’est jamais tout à fait capable d’anesthésier la contestation. Il gagne cependant en stabilité si cette contestation draine tous les éléments dangereux qui grippent nos procédures vers une zone tampon où peuvent s’absorber tous ces cris qui nous sont contraires. […] Votre banlieue, si je puis oser le terme, joue à plus grande échelle et de façon plus efficace le rôle de trop-plein. » La “volte” ne triomphe pas, mais finit par imposer la création de cités hors normes dans la zone du dehors ; le dénouement reste à découvrir ! Alain Damasio n’est sans doute pas loin de penser que l’exercice du pouvoir façon Cerclon, n’est pas très éloigné de celui que nous vivons actuellement : « pour moi la social-démocratie c’est : souriez, vous êtes gérés ! […] Le risque du pouvoir moderne, c’est l’algorithme. […] Nous n’avons aucune autonomie sur ces systèmes. Plus encore que la société de contrôle, nous sommes désormais dans une société de la trace. […] la technologie informatique fait “écran au réel” et pourrait nous faire perdre la confrontation indispensable avec ce qui devrait être l’altérité : le rapport à la nature, à la condition humaine… […] Je n’ai pas la crainte du monde qui vient, mais je suis dans la vigilance » [Alain Damasio, “La science-fiction c’était mieux demain”, avec Guillaume Erner, France Culture, l’invité du matin | 26 oct. 2017].

La crainte des récits proposant une société de l’altérité, solidaire et protectrice, le rejet de toute transition, du “no futur”, conduit finalement la collapsologie à ne pas inscrire son imaginaire de l’effondrement dans le mouvement de l’Histoire, non seulement celle d’Homo sapiens, mais aussi celle de l’échelle du temps de la planète Terre et du monde du vivant, l’une n’allant pas sans l’autre. Ce qui amène à nous intéresser à cette Histoire en commençant par un récit de la mythologie.

Le mythe de l’apocalypse

La Bible contient nombre de prophéties annonçant la fin du monde pour cause de colère divine provoquée par l’iniquité humaine. Ainsi dans les Livres prophétiques, Isaïe prédit le mécontentement de Dieu à l’égard des humains : « Il arrive le jour de Yahvé, implacable fureur, ardente colère, pour réduire la terre en désert et en exterminer les pêcheurs […] Le soleil s’obscurcira dès son lever, la lune ne donnera plus sa lumière. Je vais punir l’univers de sa malice et les impies de leur crime. […] Levez les yeux vers le ciel, et regardez en bas sur la terre ! Les cieux se dissiperont comme une fumée, La terre s’usera comme un vêtement. Ses habitants mourront comme de la vermine. Mais mon salut sera éternel et ma justice n’aura pas de fin ». [chap. 13:13 et 51:6].  Dans le Nouveau Testament, Mathieu fait confirmer et préciser cette vision par Jésus s’adressant ainsi à ses disciples : « En vérité je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre, tout sera détruit […] “Dis-​nous : quand cela aura lieu, quel sera le signe de ton avènement et de la période finale du monde ?” […] On se dressera nation contre nation et royaume contre royaume et il y aura des famines et des tremblements de terre […] Beaucoup succomberont ; ce seront des trahisons et des haines intestines […] Par suite de l’iniquité croissante, l’amour se refroidira chez le grand nombre. Mais celui qui aura tenu bon jusqu’au bout, celui-là sera sauvé. » [chap. 24:1 à 13]. Cette vision eschatologique, si elle menace du pire ceux qui trahissent, haïssent…, “l’enfer c’est les autres” en quelque sorte, promet cependant l’accès au Royaume des cieux, là où les heureux élus, ceux qui auront su rester vertueux et justes, trouveront le grand amour.

Et survient le déluge [La Genèse, chap. II, 6-7-8], métaphore d’un effondrement on ne peut plus radical : « Yahvé vit que Deluge-1068x509la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée […] Et Yahvé dit : “Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j’ai créés, et avec les hommes les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel, car je me repens de les avoir faits. » La terre aurait été ainsi confrontée à une extinction massive d’une ampleur qu’elle n’a jamais connue. On retrouve ce mythe du déluge dans de nombreuses civilisations (grecque, chinoise, indou) mais à des périodes différentes. L’imagination des écrivains des textes sacrés devait être grande pour arriver à bâtir de telles légendes à partir d’évènements climatiques sans doute très importants mais limités géographiquement. On peut aussi se demander pourquoi Yahvé veut supprimer la quasi-totalité du monde animal vivant sur la terre, les bestiaux, les oiseaux peuvent-ils avoir en conscience de mauvais desseins ? Il n’est cependant pas fait mention du monde marin, serait-ce pour marquer un retour aux origines du vivant ? « Mais Noé avait trouvé grâce aux yeux de Yahvé […] “Fais-toi une arche […] entre, toi et toute ta famille, car je t’ai vu seul juste parmi cette génération. De tous les animaux tu prendras sept de chaque espèce, des mâles et des femelles« . Avec cette ménagerie, Noé – âgé de 600 ans ! – s’embarque, accompagné par ses trois fils et leurs épouses, pour une croisière qui se terminera en altitude à proximité du sommet du mont Ararat (en Turquie, d’origine volcanique, 5 160 m), la pluie incessante ayant fait monter le niveau des mers au point que « toutes les plus hautes montagnes furent couvertes ». Après cent cinquante jours de navigation, Noé, sa famille et tous les animaux qui l’accompagnent, retrouvent la terre ferme, à charge pour ses trois fils et leurs épouses (chacun peut en avoir plusieurs) de repeupler la Terre, les risques consanguins n’étant certainement pas connus par les auteurs de la Genèse ! Après ce grand nettoyage, on pourrait imaginer que les quelques humains restant vont entreprendre de construire un monde meilleur, mais Yahvé, réaliste et peut-être découragé, décide que désormais il se contentera d’assurer l’essentiel : « Je ne maudirai plus jamais la terre à cause de l’homme, parce que les desseins du cœur de l’homme sont mauvais dès son enfance ; plus jamais je ne frapperai les vivants comme j’ai fait. Tant que durera la terre, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus ». [La sainte Bible, traduction École biblique de Jérusalem, 1956, éd. Du Cerf, pour l’ensemble des citations], ce qui met à mal la philosophie de l’homme naturellement bon et de l’innocence enfantine.

Quel événement historique pourrait être à l’origine de ce mythe du Déluge ? Il est admis qu’une catastrophe de cette ampleur n’a pu concerner l’ensemble de la planète. Le déluge, source d’inspiration du récit biblique, a eu lieu au Moyen-Orient, mais pour l’instant il n’y a aucune certitude pour le dater : une première hypothèse propose vers l’an -7000 avant notre ère sur les bords de la mer Noire qui à cette époque était un lac d’eau douce, lac Pontique, protégé par l’isthme du Bosphore et à moins 150 m en dessous du niveau des mers. La Terre est alors dans une phase de réchauffement avec déglaciation importante (période interglaciaire en cours dite post würmienne commencée vers l’an -12000) entraînant une montée progressive du niveau des mers d’une centaine de mètres. La Méditerranée finit par submerger l’isthme du Bosphore devenu ainsi détroit, et transforme le lac en mer salée. Cette submersion a-t-elle été brutale genre tsunami, ou progressive ? Les chercheurs penchent plutôt pour une lente montée de l’eau avec recul de la côte sur un kilomètre provoquant d’importantes migrations de la population locale et de nombreux changements dans la biodiversité. Mais le grand écart de datation entre cet évènement et le début de l’écriture de la Bible vers l’an -900 (l’écriture, extension de la mémoire, a débuté vers l’an -3500 en Mésopotamie) n’est pas en faveur de cette hypothèse, la tradition orale sur plusieurs millénaires ne pouvant guère s’envisager. La deuxième hypothèse semble plus vraisemblable : vers l’an -1500, une période d’intense pluviométrie aurait provoqué de graves inondations dans les plaines du Tigre et de l’Euphrate avec une importante mortalité chez les humains et dans l’ensemble du monde animal terrien.

Depuis son début, le réchauffement climatique post würmienne, sans doute à l’origine du déluge rapporté par la Bible, a de multiples conséquences géographiques et écologiques. Ainsi vers l’an – 8000 le Doggerland, 17 600 km² (deux fois2007_dogger_re-engineered_satelite_photo_530 la Corse) de terre habitée située en mer du Nord, reliait l’Angleterre au continent Européen (la Manche n’était qu’un fleuve dans lequel se jetaient la Tamise et le Rhin). Ce territoire a été submergé par la montée du niveau de la mer du Nord et par un énorme tsunami provoqué par un effondrement maritime au large de la Norvège [cf. Jean-Paul Fritz, “Doggerland, le territoire englouti…”, L’Obs | 2 août 2018]. Cette alternance immersion -émersion de vastes surfaces de terre se déroulant sur de longues périodes, s’inscrit dans l’histoire de la Terre et génère de nombreux changements naturels pouvant être localement catastrophiques. Homo sapiens a-t-il l’intelligence d’en tenir compte en veillant à ne pas construire trop près des côtes, à ne pas épuiser la terre, à ne pas surexploiter les forêts, etc. ? Il semblerait qu’il ait tendance à décider du contraire, nous en reparlerons.

À cette même époque Homo sapiens commence lentement à se sédentariser (à partir de l’an -7000 en Europe) et à développer l’usage du feu de bois à usage industriel et agricole : fours de grande taille pour la poterie et la fonte des métaux ; vastes brûlis et déforestation par le feu pour dégager des terres cultivables. Avec l’accroissement des populations, le développement des villes et des techniques de transformation de la matière, cet usage ne fera que s’amplifier jusqu’à l’apparition du charbon, du pétrole et de l’agrochimie. Si la pollution par les feux de bois et par les brûlis est aujourd’hui admise et en partie réglementée, en revanche il est impossible de savoir, du moins à ma connaissance, quel impact elle a pu avoir avant le début de la société industrielle et dont les effets polluants sont, eux, bien connus.

Les approches visionnaires de l’effondrement ou de fin du monde qui viennent d’être évoquées, ne sont pas validées par les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Leur rapport 2018, “Scénarios d’émissions”, est certes alarmant, mais ils n’en dégagent pas pour autant une représentation apocalyptique digne de celles de nombreux auteurs de science-fiction. Récemment, Myles Allen, l’un des rapporteurs du GIEC, a précisé qu’il n’y a pas de date butoir : « arrêtons de dire qu’il va se passer quelque chose de grave en 2030. Des mauvaises nouvelles sont déjà en train de se dérouler et tous les demi-degrés de réchauffement comptent. Mais le GIEC ne dresse pas une limite à 1,5 °C au-delà de laquelle se déroulerait un Armageddon », c’est-à-dire ce qui serait la fin du monde dans l’ultime combat entre le Bien et le Mal. « Nous devons agir maintenant, et même si nous le faisons, nous ne sommes pas sûrs de réussir. Chaque année qui passe se traduit par 40 milliards de tonnes de CO2 en plus ». [Myles Allen « Pourquoi les manifestants doivent-ils se méfier de la rhétorique d’une panne climatique dans 12 ans ?” The Conversation | 18 avril 2019, en anglais]. Ce sont ces chiffres qui doivent alerter et ils devraient engager, surtout les pays riches, à prendre des décisions politiques drastiques – par exemple en matière de transports et d’usage des énergies fossiles — s’inscrivant dans ce qui est officiellement nommé transition écologique, dont l’un des porte-parole (non gouvernemental) les plus connus est Rob Hopkins, auteur de : « Manuel de transition. De la dépendance du pétrole à la résilience locale » [2008, éd. Écosociété & revue Silence]

La Terre, une planète du mouvement

La planète Terre existe depuis 4,6 milliards d’années et ce qu’elle était à ses débuts est très loin de ce qu’elle est aujourd’hui. Son itinéraire est en effet jalonné de multiples catastrophes naturelles, certaines ayant conduit à cinq extinctions massives (la sixième est peut-être en cours) dans le monde du vivant apparu il y a 3,5 milliards d’années. La cinquième est la plus connue avec la disparition il y a 66 millions d’années des dinosaures à l’exception d’une partie de ceux qui volaient, les oiseaux d’aujourd’hui en sont les descendants directs ! Pourtant à chaque extinction, le monde du vivant est reparti sur de nouvelles bases enrichies et dynamiques, par exemple les mammifères (Homo sapiens en est un) se sont surtout développés après la cinquième. Ce qui conduit à un double constat : aujourd’hui, nous ne serions peut-être pas là à nous interroger sur notre avenir d’humains si ces extinctions n’avaient pas eu lieu ; et toute espèce peut être conduite à être rayée du monde du vivant, l’espèce humaine étant sans doute plus protégée grâce à sa capacité à se projeter et à anticiper.

Soulignons également l’importance de l’alternance, repérée depuis plusieurs millions d’années (Cycles de  Milankovitch), entre des périodes glaciaires (l’épaisseur de glace a pu atteindre 2 400 m. dans la vallée de Chamonix !) et des périodes interglaciaires plus chaudes. Ces alternances ont entraîné de grands bouleversements : géologiques, dans la faune et la flore, dans les modes de vie des populations avec d’importants mouvements migratoires, tout particulièrement dans l’hémisphère nord. La durée moyenne d’une période interglaciaire est évaluée à environ 20 000 années, celle dans laquelle nous sommes en ce moment en serait donc approximativement à sa moitié, mais personne n’est en mesure de dire si l’alternance sera respectée, l’accélération du réchauffement pouvant modifier ce cycle ou bien la Terre en décider autrement. Dans sa préhistoire Homo sapiens ne se rendait pas compte de ces changements s’étalant sur des milliers d’années, il s’adaptait sur plusieurs générations et ses déplacements du nord au sud et inversement étaient indispensables à sa survie. Aujourd’hui, et depuis deux siècles, les climatologues sont à même de dater avec précision les variations du climat et d’en tirer des enseignements fiables dont Homo sapiens a semble-t-il du mal à tenir compte.

C’est ainsi que la Terre se sculpte à partir d’évènements sans aucune origine humaine (mouvements des plaques tectoniques par exemple) et qui peuvent être d’une grande violence. Homo sapiens n’a aucun pouvoir pour en modifier le cours, et s’il est désormais en mesure de les expliquer scientifiquement, la crainte que le ciel puisse lui tomber sur la tête ou que la terre s’effondre, demeure forte lors d’éruptions volcaniques et de tremblements de terre.

Des volcans explosifs

La plus connue des éruptions volcaniques est sans doute celle du Vésuve en 79. La ville depuis peu romaine de Pompéi vesuve_webet plusieurs autres cités proches, ont été ensevelies en quelques heures. Pline le Jeune en rend compte dans une lettre adressée à Tacite : “Un nuage part de la montagne ; par sa forme et son allure générale, il ressemble à un arbre et plus précisément à un pin parasol. Le nuage s’élève à une grande hauteur formant d’abord le tronc puis les branches qui partent de l’arbre.”  [“Pline à son cher Tacite, salut”, Plin. Εp. VI.16. Traduit par Publications du Centre Jean Bérard. Open Édition Books 1982]. En un jour Pompéi est recouvert, à l’exception des plus hauts bâtiments, par des tonnes de pierres ponces et de cendre ; le nombre de victimes sur environ 12 000 habitants est impossible à estimer. Herculanum, au pied du versant nord, échappe à la pluie de pierres et de cendre mais est ensevelie sous vingt-trois mètres de larve. Au-delà des clichés habituels sur la révolte de Gaïa ou la colère divine, Pompéi détruite (ne sera pas reconstruite), s’est figée dans un « instantané de la mort devenu évènement de savoir qui nous permet aujourd’hui de comprendre l’ordinaire des jours révélé par l’extraordinaire d’un jour où la vie fut anéantie », [Patrick Boucheron et Denis Van Waerebeke, “Quand l’histoire fait dates”, films documentaires Arte éditions 2017] ; pour autant la civilisation romaine n’en fut pas particulièrement affectée. Aujourd’hui le Vésuve reste actif et les quatre millions de personnes vivant à ses pieds ne semblent pas trop sans soucier, du moins en apparence, alors qu’une nouvelle grande éruption est estimée possible, « Quand ? Nul ne le sait… En attendant, ceux qui vivent sous sa menace aiment, mangent, dansent et prient (surtout San Gennaro), jouissant de chaque instant comme d’une éternité », [Jean-Paul Mari, “Naples : quand le Vésuve se réveillera…” GEO | 17 juin 2019]

Beaucoup plus récemment et avec plus d’intensité, le Pinatubo aux Philippines s’est violemment réveillé en 1991 après 500 ans de repos ; ses rejets (soufre, azote, chlore, monoxyde de carbone…) firent chuter la température terrestre de 0,6 °C entre 1991 et 1993. (Sources : Grégory Fléchet, Volcanologie, CNRS-le Journal | 17 nov. 2017]. Mais les deux éruptions les plus importantes de notre ère sont celles du Samalas et du Tambora :

Le Samalas (1257) : des recherches très poussées (abouties en 2010) à partir de carottes glaciaires (datation par le carbone 14) prélevées au Groenland et en Antarctique, complétées par des études de terrain, ont permis de localiser l’éruption gigantesque de ce volcan situé en Indonésie sur l’île de Lombok. Le monde vivant est exterminé sur cette île et en partie sur l’île voisine de Bali. Des rejets en gaz et poussière estimés à quarante km cube (ou quarante milliards de mètres cubes !) se propagent surtout au-dessus de l’hémisphère nord créant un voile dans l’atmosphère générant une diminution de l’ensoleillement, avec pour conséquences : net refroidissement du climat pendant au moins une année, destruction des récoltes de blé, famine, maladies infectieuses et accroissement de la mortalité, en particulier infantile. Cette éruption serait l’une des causes du début du “Petit Âge glaciaire” qui « correspond à une période climatique froide ayant affecté l’hémisphère nord entre le XIIIe et le XIXe siècle. Elle a été marquée par une importante avancée des glaciers, notamment en France. » [Quentin Mauguit, “Quatre éruptions volcaniques expliquent le Petit Âge glaciaire”, Futura-planète | 4 février 2012] ; en période interglaciaire les glaciers des Alpes ont atteint leur longueur maximale au début du XIXe siècle.

Le Tambora : l’éruption de ce volcan en Indonésie (île de Sumbawa) le 10 avril 1815 est considérée pour l’instant comme la plus gigantesque de notre ère : 100 à 200 km-cube sont éjectés (poussières, roches volcaniques, dioxine de soufre, aérosols…) sous forme d’une colonne de 44 km de haut, dont une grande partie compose un immense nuage de gaz et de poussière qui se répand dans l’atmosphère et la stratosphère en altérant durablement le rayonnement du soleil sur toutes les latitudes. Il s’en suit un bouleversement climatique sur trois années : ciel obscurci, baisse des températures : moyenne planétaire de -1 à – 2° pouvant aller jusqu’à – 5° dans certaines régions (Suisse par exemple), pluies abondantes, voire neige en basse altitude en plein mois d’août (30 cm à Genève), récoltes détruites, famine, épidémies…, catastrophes venant se surajouter au désastre économique et social laissé par les déconvenues napoléoniennes, Waterloo entre autres ; il s’en suit de nombreux soulèvements populaires violemment réprimés, avec des changements politiques qui s’annoncent.

Docteur Frankenstein

En Europe, 1816 est dénommée “année sans été”, « marquée par de très mauvaises conditions climatiques, avec de multiples conséquences en France et dans le monde. Dans l’Hexagone, le prix du blé explose… » [“Climat : 1816”, Météo France | 29 août 2016]. « Nous sommes avec Tambora, et ses conséquences tant météorologiques que frumentaires, devant un cas d’histoire mondialisée » [Le Roy Ladury, Trente-trois questions sur l’histoire du climat, 2010, Fayard]. Malgré son ampleur planétaire cette catastrophe naturelle n’a pas conduit pour autant à un effondrement systémique mondialisé.

1931-Frankenstein-v3-smallCette année 1816 privée d’été a-t-elle inspiré Mary Shelley lorsqu’elle a commencé à imaginer le personnage-clé de son premier roman ? Elle ne pouvait avoir connaissance de l’éruption du Tambora et de ses conséquences sur le climat, puisque ce lien de causalité n’a été établi qu’en 1875 [cf. Gillen d’Arcy Wood, L’année sans été, 2019, La Découverte]. Toutefois et même si elle vit dans un milieu aisé, elle a connaissance des dégâts économiques et sociaux de cette crise climatique majeure (son père, William Godwin, est un écrivain connu, libertaire et engagé pour la justice sociale). En mai 1816 elle décide de quitter Londres et se rend, avec son amant et futur époux le poète Percy Bysshe Shelley, au bord du lac Léman où elle séjourne en bonne compagnie, dont le célèbre poète anglais Lord Byron. Les pluies incessantes, les orages violents, l’obscurité, le froid…, confinent ces jeunes écrivains romantiques dans plusieurs demeures. Dans cette ambiance de fin du monde, Lord Byron propose que chacun imagine et écrive une histoire fantastique de quelques pages. C’est ainsi que Mary, 19 ans, amorce la rédaction de “Frankenstein ou le Prométhée moderne”, conte philosophique de science-fiction qui sera publié deux ans plus tard dans une première édition anonyme, puis en 1823 dans une version modifiée et signée.

Il est fréquent de lier ce chef-d’œuvre au dérèglement climatique dû à l’éruption du Tambora. Il est vrai que l’ambiance générale déprimante ne prête pas à l’optimisme et Mary Shelley semble confirmer ce lien dans la préface de la deuxième édition : « Chaque chose doit avoir un commencement […] et ce commencement doit être lié à quelque chose l’ayant précédé […] L’invention, admettons-le dans l’humilité, ne consiste pas à créer à partir du vide, mais du chaos ; le matériau doit d’abord être apporté, il peut donner forme à des substances obscures et informes ». Ce chaos, elle le ressent de plusieurs façons : déjà dans sa vie personnelle, elle a perdu en 1815 son premier enfant à l’âge de sept mois, elle vit avec un homme marié dont la femme est enceinte et va se suicider ; ensuite l’environnement climatique étant particulièrement hostile, il n’est pas toujours simple de trouver à se nourrir et à se protéger. Les causes de cette situation sont inconnues par tous, aussi les superstitions, les peurs ont tendance à prendre le pas sur la raison des Lumières. C’est sans doute pour cela que le roman de Mary, associant étroitement mort et renaissance dans un imaginaire fantastique, « questionne la place de l’humain en général, à un moment charnière de l’histoire où pour la première fois la science n’est plus vue uniquement comme source de progrès et où l’on craint que l’ombre n’émerge des Lumières. Que se passera-t-il si l’être humain parvient à contrôler la vie et la mort s’il dépasse sa condition, se croyant tout-puissant grâce à une science sans limite ? » [Christine Berthin, professeure, université Paris-Nanterre, “Frankenstein, une œuvre féministe ?” CNRS-le Journal | 7 août 2018]. Ainsi Mary Shelley, non seulement participe au lancement d’un genre littéraire nouveau, la science-fiction, mais préfigure également des questions posées par le Transhumanisme et l’intelligence artificielle actuellement très en vogue.

Lisbonne tremble

Quand Voltaire a écrit en 1756, “Poème sur le désastre de Lisbonne. Ou examen de cet axiome : tout est bien » [Œuvres tsunami lisbonnecomplètes, Garnier, 1877, tome IX], il a en mémoire le terrible tremblement de terre et le tsunami survenus à Lisbonne (et tout au long de la côte atlantique jusqu’au Maroc) le 1er novembre 1755, provoquant environ 50 000 morts et la destruction à 90 % de la ville. La façon dont était présentée et analysée cette grande tragédie le révoltait. À cette époque, un tel évènement se vivait sans doute telle une fin du monde, et faute de connaissances scientifiques suffisantes – les sciences physiques, tout particulièrement la sismologie étant encore balbutiantes — il fallait cependant en trouver les causes qui ne pouvaient qu’être divines. Et l’église catholique se chargeait d’énoncer abondamment une vision apocalyptique biblique de la colère du Dieu créateur, provoquée par les multiples comportements fautifs des humains. Voltaire ne supportait pas cette approche et le fit longuement savoir dans son poème :

« Philosophes trompés vous qui criez : “Tout est bien” / Accourez, contemplez ces ruines affreuses, / Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses, / Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés […] / Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes, / Direz-vous : “C’est l’effet des éternelles lois / Qui d’un Dieu libre et bon, nécessitent le choix ?” / Direz-vous, en voyant cet amas de victimes : / “Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ? / Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants / Sur le sein maternel écrasés et sanglants ? / Lisbonne, qui n’est plus, eut-elle plus de vices / Que Londres, que Paris, plongées dans les délices : / Lisbonne est abîmée, et l’on danse à Paris”.

Il développe cette approche dans “Candide ou l’optimisme” en 1759, ouvrage se terminant sur l’utopie de la Métairie, là où il convient de ”cultiver son jardin” pour s’éloigner de l’absurdité d’un monde qui est fait de guerres, de viols, d’injustices, de catastrophes naturelles…, mais qui pour autant ne s’effondre pas sinon localement.

Que nous disent les grandes catastrophes que nous venons d’évoquer ? De tout temps des phénomènes naturels de grande ampleur se produisent sans qu’Homo sapiens y soit pour quelque chose et il ne peut qu’en subir les conséquences dans son impuissance à les maîtriser. Certes il y a des effondrements massifs : le Tambora a perdu 1 000 mètres en altitude lors de l’éruption de 1815, Pompéi a été complètement détruite et pas reconstruite alors que Lisbonne l’a été, mais ces effondrements physiques restent localisés et n’entraînent pas fondamentalement de remise en cause systémique, sinon peut-être celle évoquée par Voltaire au sujet de l’Église.

Homo sapiens, quand il vit près de volcans actifs et malgré ses grandes connaissances, continue à s’en remettre aux divinités. Aujourd’hui, 700 millions de personnes habitent à proximité de volcans en constante activité, elles les sacralisent : portes de l’enfer ou demeures de dieux à craindre mais aussi à vénérer, nourrir… Car ces dieux s’ils détruisent, sont aussi à l’origine de terres fertiles, de sources d’eau chaude, d’énergie… Dans leurs recherches, plusieurs volcanologues tiennent compte de ces traditions et tentent de faire dialoguer sciences et pratiques sacrées ; ce qui logiquement devrait nous amener à mieux admettre et comprendre les grandes incertitudes liées aux façons dont nous occupons notre place sur terre et dont nous prenons soin de ce qui nous entoure [source : Vivre avec les volcans, film documentaire, coproduction Les-Bons-Clients et Arte France | 2019]. Haraldur Sigurðsson, volcanologue et géologue islandais dont l’activité professionnelle est en grande partie consacrée au Tambora, considère que ses recherches le conduisent à « une vraie leçon d’humilité. Cela nous rappelle que nous sommes bien peu de chose à côté des forces incroyables de la nature » [“Un été sans soleil”, documentaire réalisé par Elmar Bartlmae | Arte | 2005]

Belle histoire que cette relation d’Homo sapiens avec des forces qui le dépassent : « ‘histoire d’une relation fusionnelle, remontant à des milliers d’années. Une histoire faite de passion, de colère et de fascination. Un cycle infini de création et de destruction, de vie et de mort. C’est l’histoire des volcans et des hommes » [“Vivre avec les volcans”, op.cit.]

 La société industrielle menacée d’effondrement ?

Jared Diamond, reconnu mondialement comme théoricien de l’effondrement, cherche à approfondir les raisons qui ont fait que des sociétés disparaissent au fil du temps. Dans un ouvrage de référence [Effondrement, 2005, Gallimard], il analyse les disparitions de la population de l’Île de Pâques, des Vikings du Groenland, des Mayas du Mexique…, pour en fonder une théorie générale sur l’effondrement des sociétés et en particulier de la nôtre. Toutefois, Il n’évoque pas le Sahara qui, rappelons-le, bénéficiait il y a environ 5 000 ans d’un climat tropical favorable au développement d’une riche faune et flore permettant à une importante population de vivre sur place sans trop de difficultés. Il n’évoque pas non plus la chute de l’empire romain, aux multiples causes dont les dernières possibles sont évoquées par l’historien Kyle Harper pour qui climat et pandémies ont participé à cet effondrement : « On croyait que c’étaient les Germains, en fait ce seraient des germes. Ils auraient eu raison de Rome, de sa puissance et de son Empire. […] Remplacez-les par Yersinia pestis, bacille de la peste bubonique, et quelques autres bactéries et virus. Vous comprendrez alors autrement pourquoi, vers 650 de notre ère, un effondrement vertigineux a frappé le plus durable et le plus florissant empire de l’histoire occidentale. De 75 millions d’habitants, on passe à moins de la moitié. La cité de Rome comptait près de 700 000 habitants, elle n’en compta plus que… 20 000 ! » [Roger-Pol Droit, Le Monde | 5 janvier 2019].

Si ces disparitions ou changements sont bien réels, ils n’ont pas pour autant provoqué un effondrement systémique généralisé sur Terre, genre Déluge biblique. Pourtant, les collapsologues affirment que le principal objet de l’effondrement est, non la bourse, mais l’ensemble de la société industrielle mondialisée (telle que définit plus haut), avec comme causes principales le réchauffement climatique et la fin des énergies fossiles, base essentielle de l’industrie. Cependant cette société n’a-t-elle pas une capacité d’adaptation remarquable grâce en particulier à ce qui est nommé le progrès technique et ajoutons grâce aussi à une grande maîtrise de la finance internationale ? Certes il arrive que cette finance rencontre quelques difficultés (1929, 2008…), il est alors question d’instabilité, de crise, d’effondrement de la bourse…, mais elle s’en remet avec le temps en renforçant les inégalités et si nécessaire en puisant dans les caisses des États. [cf. Dominique Pilhon, “Peut-on comparer les grandes crises de 1873, 1929 et 2008 ?”, Idées économiques et sociales, 2013/4 N° 174].

En deux siècles la société industrielle a transformé une grande partie du monde en le faisant passer progressivement de l’agraire à l’urbain, du bois au charbon et au pétrole, de l’hippomobile à l’automobile…, le tout accompagné par une croissance démographique multipliée par 2,3 : +37 % entre 1600 et 1800 et +84 % entre 1800 et 2000, avec de plus en plus de pollutions de toutes sortes.

Généralement, il est fait mention de quatre “révolutions industrielles” jalonnant de nombreux changements dans le temps et l’espace de la société, avec chaque fois de nouveaux marqueurs dans les domaines de l’énergie, des technologies, de l’organisation du travail et social et plus généralement dans les modes de vie, certains auteurs parlent alors de “civilisation industrielle” :

  • la première au XVIIIe siècle : charbon, machines à vapeur, vers la mécanisation de la production industrielle et agricole et des transports (réseaux ferroviaires), urbanisation intensive,
  • la deuxième au milieu du XIXe siècle : nouvelles ressources en énergie : gaz, pétrole, électricité ; moteur à explosion, taylorisation, mouvements sociaux importants qui débouchent progressivement vers de nouveaux droits : temps de travail, congés payés, protection sociale…
  • la troisième vers le milieu du XXe siècle : énergie nucléaire, électronique, débuts de l’informatique et de l’automatisation,
  • la quatrième débute : intelligence artificielle, robotisation, connectivité, mobilité, mondialisation…, [cf. Abdelmalek Alaoui, “Ce que cache la IVe révolution industrielle pour les pays émergents”, World Economic Forum / Tribune Afrique | 26 mai 2019]

L’actuelle société industrielle va devoir s’adapter au passage des énergies fossiles aux renouvelables et prendre une part active dans la conception et la fabrication des nouvelles technologies. On peut considérer le secteur automobile comme le modèle de ces grandes mutations : « Comment la voiture, par son économie et par son utilisation quotidienne, peut-elle être repensée dans les années à venir ? Le secteur automobile est actuellement en pleine mutation, au croisement d’enjeux forts : politiques et économiques, environnementaux ou liés aux questions de mobilité. » [Benoît Bouscarel, “L’industrie automobile réussira-t-elle sa transformation ?” France Culture | 2 août 2019]. La Chine apparaît de plus en plus en principal leader de cette quatrième révolution : « Le Monde selon Xi-Jinping”, magistral documentaire de Sophie Lepault et Romain Franklin [production et diffusion Arte|18 déc.2018] est un exposé brillant – et un brin inquiétant – qui décrypte avec méthode et expertise la marche en avant de l’empire du Milieu. » [Etienne Labrunie, “Le Monde selon Xi-Jinping ou comment la Chine va dominer le monde”, Télérama | 17 déc. 2018]

La société industrielle a profondément évolué avec une série de mutations technologiques que l’on peut attribuer en grande partie à des découvertes scientifiques exceptionnelles. Il ne s’agit pas ici de débattre du bien ou mal fondé des choix politiques et économiques qui en résultent, mais de savoir si cette société est condamnée à s’effondrer sur elle-même à court terme, tel un mur en pierres sapé dans ses fondements ? Au regard de ces révolutions il semble difficile de se représenter la fin, souhaitée ou non, d’un système dont les capacités d’adaptation lui permettent de changer rapidement ses stratégies.

StarshipLa cinquième révolution sera-t-elle celle d’Elon Musk (voitures Tesla) qui veut coloniser Mars avec sahippomobile fusée phallique Starship ?

Ou bien celle d’Yves Cochet qui envisage un retour généralisé à la traction animale : « Pour les transports, il faut développer les hippomobiles, des voitures tractées par des chevaux » [Yves Cochet, 2018] ?

 

Entre imaginaire spatial et imaginaire sympa romantique, il y a peut-être des intermédiaires à trouver ?


Ce parcours, dans une partie de l’histoire récente d’Homo sapiens, donne quelques repères pas nécessairement les plus connus, mais choisis parce que je pense qu’ils font dates, dans le sens où l’entend l’historien Patrick Boucheron qui cherche à renouer « avec l’élan d’une historiographie de grand vent […] L’entrée par les dates permet d’évoquer des proximités pour les déplacer, ou au contraire de domestiquer d’apparentes incongruités […] Susciter le désir et l’inquiétude, ces deux moteurs du voyage. » [Patrick Boucheron (sous la direction de), Ouverture. Histoire mondiale de la France, 2017, Seuil]

Ce voyage interroge sur la place occupée par Homo Sapiens, non seulement sur la planète Terre, mais aussi dans l’Univers (cf. “Homo sapiens dans le buisson du vivant”, 2020) ou plus exactement sur la place qu’il cherche à se donner en cherchant à dominer le monde en transgressant certaines limites de l’espace et du temps, limites qu’il voudrait à tout prix abolir : Hélons Musk et ses fusées, les transhumanistes et leur recherche d’immortalité, n’ont-ils pas tendance à se rapprocher du docteur Frankenstein ? Homo sapiens a appris à construire, souvent avec art, mais aussi à détruire plus qu’il ne faut ; et s’il est certainement devenu savant, il arrive aussi que la sagesse lui fasse défaut.

Pour certains, la conséquence prévisible de ce manque de sagesse serait qu’il va à sa perte, “aller droit dans le mur” est une expression couramment employée. Cette perte se traduirait par un effondrement total imminent, pouvant conduire à la fin d’un monde, voire à la fin du monde. Demeure cependant l’incompréhension d’un manque de précision dans la définition du concept : quelle dimension historique et territoriale lui donner, pourrait-elle être planétaire ? Sauf exception d’une guerre nucléaire généralisée toujours possible, et sauf à accréditer le mythe du déluge, nous avons noté que la disparition d’une société ou l’engloutissement d’un territoire ont lieu localement et qu’il semble hasardeux d’y voir une apocalypse planétaire, sinon de façon prophétique. Ce qui n’élimine pas l’attention à porter aux multiples changements – climatiques mais aussi économiques, sociaux, culturels – qui balisent l’histoire d’Homo sapiens.

Mais rétorque-t-on, on n’est plus au niveau du local et le raisonnement doit être global puisque le système industriel et financier est mondialisé, et le réchauffement climatique tout autant ! C’est exact, mais je maintiens que la société industrielle me semble loin de s’écrouler, qu’on le veuille ou non ; ce qui ne doit surtout pas empêcher d’interpeller ses leaders pour les interroger sur leurs manières de faire société et de gouverner, et de chercher également à valoriser les multiples innovations de l’économie sociale et solidaire qui, elle aussi, fait société.

La mondialisation du réchauffement climatique est maintenant bien connue et tout doit être entrepris pour que les objectifs fixés par l’accord de Paris Cop 21 soient atteint. Osons imaginer que des politiques climatiques d’envergure soient décidées rapidement et permettent que le réchauffement soit maintenu d’ici 2030 au seuil du 1,5 °C envisagé par la COP 21. Eh bien malgré tout, et c’est le sens de l’alerte de Myles Allen [op.cit.], notre société, celle des Nations-Unies, doit s’attendre et se préparer à des changements importants qui adviendront sur deux ou trois générations, certains étant déjà en cours : fonte des glaciers, montée du niveau des mers, fortes tempêtes, périodes de sécheresse alternant avec des périodes humides… ; changements amplifiant les mouvements migratoires, les risques de famine, d’épidémies, la souffrance… Homo sapiens ne peut ignorer ces risques et doit entreprendre de les traiter localement et mondialement avec l’art et l’intelligence dont il peut faire preuve.

Naomi Klein, connue pour des prises de position engagées, a publié Plan B pour la planète : le New Deal vert [2019, Actes Sud] : « Les gens ont faim qu’on leur montre un futur dans lequel le monde ne s’effondre pas » dit-elle [Libération | 3 nov. 2019]. elle propose, inspiré du New deal de Roosevelt en 1933, un “Nouveau traité vert” : « vaste plan d’investissement dans les énergies renouvelables visant à endiguer le réchauffement climatique tout en promouvant la justice sociale. » [Isabelle Hanne, Libération op.cit.]. Ce projet prenant en compte une réalité complexe, est une belle manière de repositionner la société industrielle sur de nouvelles bases.

L’histoire d’Homo sapiens est aussi faite de mobilité. Venu d’Afrique il y a environ 40 000 ans, il a commencé à habiter l’actuel continent européen alors peuplé seulement de quelques milliers de Néandertaliens et de Dénisoviens. C’est sans doute une sécheresse prolongée et le manque de nourriture qui l’ont poussé à entreprendre ce voyage dont la grande importance ne nous échappera pas. Une fois installé en Europe, il a continué à bouger au gré des périodes climatiques et de son développement en nombre, pour parvenir peu à peu à se sédentariser. Ce parcours de peuplement peut amener à “évoquer des proximités pour les déplacer” [P. Boucheron op.cit.] : les origines d’Homo sapiens ne seraient-elles pas en effet à rapprocher d’événements se déroulant actuellement entre l’Afrique et l’Europe ?

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De quoi ce parapluie peut-il bien protéger ? Peut-être du mauvais temps qui s’annonce… et pourquoi pas de l’arrogante hubris d’Homo sapiens symbolisée ici par ces impressionnantes constructions du quartier d’affaires de la Part-Dieu à Lyon…

Photo ©Enna Pator

 

 

Compléments

  • “La collapsologie est politiquement inoffensive”, à propos du livre de Catherine et Raphaël Larrère,  Le Pire n’est pas certain – Essai sur l’aveuglement catastrophiste, Océane Segura | éd. Premier Parallèle / 2020 | Les Inrockuptibles / 19 sept. 2020
  • “La collapsologie, une impasse réactionnaire”, Stéphanie Treillet | Attac / décembre 2020
  • ”Pour une étude critique de la collapsologie”, Maxime Pauwels | The Conversation / 4 février 2021
  • “65% des Français croient à l’effondrement imminent de notre civilisation”, Fabienne Marion | UP Magazine / juillet 2021

Bibliographie

  • Le pire n’est pas certain. Essai sur l’aveuglement catastrophiste, Catherine et Raphaël Larrère | éd. Premier Parallèle / 2020
  • Aux origines de la catastrophe. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Pablo Servigne, Charlotte Luyckx, Raphaël Stevens | éd. Les Liens qui Libèrent / 2020
  • L’entraide, l’autre loi de la jungle, Pablo Servigne, Gauthier Chapelle | éd. Les Liens qui Libèrent / 2019
  • Comment l’Empire romain s’est effondré, Kyle Harper | éd. La Découverte / 2019
  • « Convention Cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques » | COP25 / 2019
  • Devant l’effondrement. Essai de collapsologie, Yves Cochet | éd. Les Liens qui Libèrent / 2019
  • Plan B pour la planète : le New deal vert, Naomi Klein | éd. Actes Sud / 2019
  • Vivre avec les volcans, documentaire Arte France / 2019
  • L’Agroécologie peut nous sauver, Marc Dufumier, Olivier le Naire | éd. Actes Sud / 2019
  • Scénarios d’émissions. Rapport spécial | Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) / 2018
  • Le Monde selon Xi-Jinping, Sophie Lepault, Romain Franklin | documentaire ARTE / 2018
  • Une autre fin du monde est possible, Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle | éd. du Seuil / 2018
  • Le Mal qui vient. Essai hâtif sur la fin des temps, Pierre-Henri Castel | éd. du Cerf / 2018
  • Histoire mondiale de la France, Patrick Boucheron (sous la direction de) | éd. du Seuil / 2017
  • Une histoire environnementale de l’humanité, Laurent Testot | éd. Payot / 2017
  • « Nous sommes au moment le plus dangereux de l’histoire de l’humanité » | Stephen Hawking | RT-France.com / 2 déc. 2016
  • Comment tout peut s’effondrer, Pablo Servigne, Raphaël Stevens | éd. du Seuil / 2015
  • L’Alimentation en otage, José Bové, Gilles Luneau | éd. Autrement / 2015
  • La Zone du dehors, Alain Damasio | éd. La Volte / 2013
  • Du feu et de l’eau, Anne-Marie et Michel Detay | éd. Belin / 2013
  • Les limites de la croissance dans un monde fini, Dennis Meadows, Donella Meadows, JorgenRanders | éd. Rue de l’Échiquier / 1972 et 2012
  • Trente-trois questions sur l’histoire du climat, Emmanuel Le Roy Ladurie | éd. Pluriel / 2010
  • Planète blanche. Les glaces, le climat, et l’environnement, Jean Jouzel, Claude Lorius, Dominique Raynaud | éd. Odile Jacob / 2008
  • Manuel de la transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale, Rob Hopkins | éd. Ecosociété et Silence / 2008
  • Un Été sans soleil, documentaire de Elmat Bartimae, produit par France 2 / 2005
  • Effondrement, Jared Diamond | éd. Gallimard / 2005
  • Entretiens avec René Dumont, (livre posthume) Martine Leca, éd. Le Temps des cerises, 2004
  • L’aveuglement, José Saramago | éd. du Seuil / 1997
  • Voici le temps du monde fini, Albert Jacquard | éd. du Seuil / 1991
  • L’Utopie ou la Mort, René Dumont | éd. du Seuil / 1973
  • La Bible | École biblique de Jérusalem | éd. du Cerf / 1956
  • De la Nature des choses, Titus Lucrèce / 80 av. J.-C | (traduction en français : André Lefèvre | Société d’éditions littéraires / 1899. Wikisource)
  • La Désobéissance civile, Henry D. Thoreau | 1849 | préface et notes par Michel Granger, (traduit par Nicole Mallet | éd. Le Mot et le Reste / 2018)
  • Catéchisme des industriels, Claude-Henri de Saint-Simon / 1823 (numérisé Gallica-BNF)
  • Du système industriel, Claude-Henri de Saint-Simon / 1821 (numérisé Gallica-BNF)
  • Frankenstein ou le Prométhée moderne, Mary Shelley | éd. Lackington, Allen & Co / 1818
  • Essai sur le principe de population, Thomas Malthus | 1798 (éd. française, Flammarion / 1992)
  • Poème sur le désastre de Lisbonne, Voltaire / 1756 (Œuvres complètes, Garnier 1877)
  • Pline à son cher Tacite, salut ! Pline le Jeune / 79 (traduction Centre Jean Bérard / 1982)

Sécurité et sentiment d’insécurité

texte téléchargeable

Introduction

Dans une importante résidence en copropriété dans la région lyonnaise, un projet en cours d’élaboration prévoit d’en insecurite_02contrôler les accès avec portails et portillons nécessitant des badges pour leur ouverture. Selon ses concepteurs ce projet serait justifié par des actes d’incivilité et de délinquance supposés en augmentation depuis plusieurs années. Nous y reviendrons après avoir interrogé certaines raisons de l’insécurité ambiante, sujet très porteur en ce moment dans la classe politique et dans l’opinion. Cette insécurité serait principalement liée à une délinquance de “tous les jours”, mais nous verrons que cette délinquance n’est pourtant pas la principale préoccupation de la population française métropolitaine.

il s’agit là d’un vaste sujet et cette thématique n’apparaît pas par hasard aujourd’hui, il y a en effet de “l’insécurité dans l’air” depuis plusieurs années et les médias, du moins certains, s’en repaissent, en privilégiant « le point de vue des victimes, auquel tout téléspectateur ou lecteur peut s’associer sans difficulté[…] Un peu comme au moment des guerres, on cherche de l’émotion, puisque c’est devenu l’écriture automatique de la télévision, média dominant. » [Serge Halimi, “Médias et insécurité” | Le Monde Diplomatique-Manière de voir | mars-avril 2001]. Comment se construit cette ambiance quelque peu délétère ? Sur quelles données se fondent non seulement l’insécurité mais également le sentiment d’insécurité ? Il convient déjà de ne pas les confondre tant leur représentation diffère : l’insécurité relevant de statistiques parfois contestées, analysées et présentées dans de multiples études et rapports plus ou moins utilisés par les instances politiques ; le sentiment d’insécurité étant plus issu des peurs et des craintes ressenties face aux violences qui traversent la société civile, qu’elles soient subies directement ou non. Qu’en est-il plus précisément ?

1. L’insécurité en chiffres

L’insécurité liée à la délinquance, relève de la victimation à partir d’une expérience d’agression physique, de vols en tout genre, de cambriolages…, vécue directement par une ou plusieurs personnes et qui décident de porter plainte. Ces faits sont identifiés et quantifiés à partir des dépôts de plaintes auprès de la police ou de la gendarmerie. Ils donnent lieu à des statistiques annuelles pouvant être interprétées de différentes façons par les médias, les politiques, les ministères… Déjà une restriction apparaît puisque tous les actes délictueux, en particulier dans le cas d’agressions physiques, ne donnent pas lieu à plainte et ne sont donc pas comptabilisés.

Cette délinquance se décline en de nombreux paramètres et pour cette étude nous avons retenu deux types d’indicateurs :

  • victimes de violences physiques
  • victimes de la délinquance à l’égard de biens matériels.

Les données sont établies annuellement par le Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) et l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE). La période retenue va de 2012 (pas de statistiques exploitables avant cette date pour plusieurs indicateurs) à 2020 ou 2019. Elles sont présentées sous forme de graphiques avec de brefs commentaires et débouchent sur le calcul de taux de victimation. Ceux-ci font état, dans une population donnée (1 000), du nombre de personnes ou de ménages victimes au moins une fois au cours d’une année civile.

Violences physiques

Cette partie évoque les viols, les coups et blessures volontaires (CBV), dont les violences intra familiales (VIF). Aujourd’hui, l’importance de ces graves délits n’échappe à personne, mais avec peut-être l’impression que notre société éprouve bien du mal à se défaire de la culture ancestrale et inégalitaire du “mâle dominant”, l’un des ancrages de ces violences.

Violences sexuelles

insecurite_03Entre 2012 et 2020 les violences sexuelles ayant donné lieu à plainte ont plus que doublé : +104 %. Différents mouvements, tel #MeToo, et des révélations parfois tardives (cf. la publication en janvier 2021 de La Familia grande par Camille Kouchner, éd. du Seuil) peuvent expliquer en partie cette progression surtout à partir de 2016.

insecurite_04Lecture : en 2020, sur 1 000 femmes âgées de 15 à 17 ans, trois au moins ont déposé plainte pour violence sexuelle, alors que pour 1 000 hommes ce taux est de 0,2 aux mêmes âges, etc.

Les hommes n’atteignent pas le taux de un pour 1 000, quel que soit leur âge. Leur pic est de 0,4 entre 5 et 9 ans, alors que celui des femmes est de 3,3 entre 15 et 17 ans.

Coups et blessures volontaires (CBV) sur personnes de 15 ans et plus, et part des violences intrafamiliales (VIF)

Les données SSMSI distinguent les violences intrafamiliales seulement depuis 2016.

insecurite_05Les actes de violence intrafamiliale ont progressé de 39 % entre 2016 et 2020, surtout depuis 2018. Les campagnes de sensibilisation, type “Balance ton porc” (mouvement créé en 2015), en sont sans doute l’une des raisons.

insecurite_06Il peut paraître étonnant que les personnes de moins de 15 ans n’apparaissent pas dans ce décompte, alors que les actes de maltraitance à enfant ne sont pas rares. L’une des raisons est sans doute que les actes de maltraitance à enfant ne donnent généralement pas lieu à plainte mais à signalement directement auprès du procureur qui décide, s’il y a lieu, de déclencher une enquête de police. [cf. “données statistiques sur les violences envers les enfants”| Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques]

Les femmes sont très majoritairement les victimes des CBV et des VIF, avec un pic de 12 pour 1 000 entre 25 et 29 ans (écart de +5 points avec les hommes), et un pic VIF de 8,5 entre 30 et 34 ans. Les maximas pour les hommes sont de 7 en CBV et de 1,3 en VIF.

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Mises en cause pour violences physiques

« Police et gendarmerie sont chargées, quand elles constatent (ou qu’on leur signale) un délit, d’en rechercher les auteurs sous l’autorité du Procureur de la République. Quand, dans le cadre de leur enquête, elles auditionnent une personne et que des indices graves ou concordants rendent vraisemblable qu’elle ait pu participer comme auteur ou complice à un délit, elles signalent l’identité de cette personne aux autorités judiciaires. On considère dans ce cas que cette personne est “mise en cause”. C’est la justice qui déterminera ultérieurement, si une personne est ou pas l’auteur effectif de l’infraction : ne sont retracés ici que les résultats de l’enquête judiciaire menée par les forces de sécurité. » [Insécurité et délinquance en 2020 : bilan statistique | SSMIS]

  • Violences sexuelle: 27.930 personnes mises en cause en 2020, dont 97% concernent des hommes majoritairement âgés de plus de trente ans.
  • CBV et VIF: 174.491 personnes mises en cause en 2020, 67% d’entre elles ont entre 18 et 44 ans, 85% sont des hommes.

Que nous disent l’ensemble de ces taux “violences physiques”, comment les interpréter ? Une victime de violence sexuelle sur une population de 1 000 personnes, c’est déjà une de trop, c’est certainement la première chose à se dire… Ces chiffres sont aussi d’une grande froideur. Ils ne disent rien en effet de la souffrance des victimes ; ils ne disent rien du désarroi de leur entourage familial et amical. Ils ne disent rien de ce qui est entrepris ou non par les pouvoirs publics. Ils ne font pas état des luttes menées par de nombreuses associations et ONG. Malgré ce non-dit, il est cependant nécessaire de continuer à représenter ainsi cette délinquance, ne serait que pour en constater la progression, et “l’énorme” place occupée par des hommes comme auteurs de ces violences. Les témoignages des victimes, les procès, les livres et études… prennent alors toute leur importance pour rechercher ce que signifient ces violences et provoquer des prises de conscience collective. C’est d’une véritable révolution culturelle dont il est question. [cf. “La lutte contre les violences faites aux femmes : état des lieux”| Vie publique | novembre 2020 / “Violences intrafamiliales : quand les policiers apprennent les bons mots au bon moment”| Le Monde | 16 juillet 2021]

délinquance à l’égard des biens matériels

Parmi de nombreux indicateurs, nous avons retenu ceux qui sont les plus évoqués dans les conversations des habitants de la résidence citée au début :

  • vols contre des personnes : sacs, portefeuilles, téléphones…
  • cambriolages de logements
  • vols de voitures
  • vols d’objets ou d’accessoires dans des voitures
  • dégradations et destructions volontaires

Pour ces indicateurs, à l’exception des vols contre les personnes, c’est le nombre de ménages qui sert de référence. « Un ménage, au sens statistique du terme, désigne l’ensemble des occupants d’un même logement sans que ces personnes soient nécessairement unies par des liens de parenté (colocation, par exemple). Un ménage peut être composé d’une seule personne ». Les statistiques “ménages” datent du dernier recensement général de la population en 2016: Nombre de ménages en France métropolitaine : 29,2 millions (+5 millions depuis 2000) / Nombre moyen de personnes par ménage : 2,2 (3,3 en 1960). 36 % des ménages ne comportent qu’une personne. [sources Insee]

Évolution de la délinquance à l’égard des biens matériels depuis 2012

insecurite_07Entre 2019 et 2020 les paramètres : vols contre des personnes (-24 %), cambriolages (-20 %), vols de voitures particulières (-13 %), vols dans les véhicules (-18 %), dégradations volontaires (-13 %), ont subi des baisses importantes, le confinement covi19 en étant sans aucun doute la principale cause, ce qui fait que les résultats 2020 ne sont guère exploitables dans l’immédiat. En conséquence, 2019 est la dernière année de référence retenue pour les calculs des taux de victimation.

Depuis 2012 en France métropolitaine, la délinquance à l’égard des biens matériels apparaît plutôt stable avec une tendance à une légère baisse générale (-4 %), parfois même spectaculaire : -23 % pour les vols de voitures. Seuls les vols contre des personnes : portefeuilles, sacs, téléphones… progressent (+13 %), ils sont aussi nettement les plus nombreux.

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Si les “mises en cause” paraissent peu élevées par rapport au nombre de plaintes, il est utile de rappeler qu’il ne s’agit pas d’inculpations relevant de la justice, une mise en cause étant décidée lors de l’enquête de la police ou de la gendarmerie. Notons également que cela concerne surtout des hommes.

Taux de victimation délinquance à l’égard de biens matériels pour 1 000 personnes ou ménages

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L’indicateur vols contre des personnes est le seul qui a vraiment progressé entre 2012 et 2019 (+13 %), alors que la délinquance concerne de moins en moins les voitures, celles-ci seraient-elles techniquement plus sécurisées ? Les vols d’accessoires de voiture arrivent en deuxième position, les pots d’échappement catalytiques sont très tendance en ce moment, à cause du rhodium, métal rare et cher, contenu en petite quantité dans ces pots.

Ces données pour l’ensemble de la population de la France métropolitaine, établissent une représentation générale qui mériterait d’être affinée département par département, voire quartier par quartier. Il semble en effet évident que les taux de victimation pour la population parisienne sont sans doute assez éloignés de ceux du département de la Creuse ! Aussi pour compléter, il est conseillé de se reporter aux rapports du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI) 2019 et 2020.

En conclusion de cette première partie : les victimes pour l’ensemble des indicateurs retenus par le SSMSI représentent : 3,69 % de l’ensemble de la population en France métropolitaine en 2012 / 3,72 % en 2016 / 3,82 % en 2019, valeurs relativement constantes avec des écarts minimes d’une année à l’autre (+0,13 entre 2012 et 2019). Est-ce plus qu’aux XXe , XIXe siècles et plus loin encore ? Nul n’est en mesure de vraiment le démonter ! « Retracer l’histoire du vol, c’est aussi redécouvrir l’histoire de la propriété, valeur majeure de notre époque. […] L’histoire du vol, surtout, nous éclaire sur la société et sa morale. Les voleurs ont tour à tour été des ennemis d’une jeune République, des redresseurs de torts populaires… Ils peuvent fasciner tout à chacun au cinéma, mais effrayer une opinion publique qui se montrera sensible à des discours politiques favorables à une politique plus répressive » [Guillaume Erner interrogeant l’historien Arnaud-Dominique Houte, “Biens ou bien : une histoire de la propriété”| France Culture | 17 juin 2021]

Louis-MandrinAinsi, vol et insécurité auraient des liens avec la propriété, et Louis Mandrin (1725-1735) n’est jamais très loin pour nous le rappeler, surtout en Région Auvergne-Rhône-Alpes puisque c’est là où il exerçait.

Nous devons aussi admettre qu’ii est difficile d’évaluer la portée réelle de ces résultats. Cependant leur fréquente utilisation politique peut conduire à éprouver un “sentiment d’insécurité”, domaine du “ressenti” émotionnel, là où s’expriment les craintes, les peurs… que certains médias se chargent de relayer abondamment, la délinquance qui vient d’être évoquée n’en étant cependant pas le seul facteur, loin s‘en faut.

2. Le sentiment d’insécurité

Pour évoquer l’insécurité que l’on peut éprouver dans un quartier, cette photo mérite notre attention : trois policiers insecurite_09armés et revêtus d’un gilet pare-balle, ne font pas vraiment “police de proximité” ! Trois jeunes enfants, intrigués, ne sachant trop quelle attitude avoir ; la plus grande a un geste de protection à l’égard du plus jeune qui, les mains dans les poches, admire ? s’inquiète ? provoque ? Et, entre deux policiers, à distance, un adolescent, capuche sur la tête, attend en se demandant peut-être ce qui est en train de se tramer… Des enfants, un adolescent, des policiers, dans le quartier Mistral à Grenoble, s’observent, mais ne semblent pas disposés à communiquer…

Ce quartier a mauvaise réputation : “Chicago à la française”, dit-on pour signifier que tout y est possible et que l’insécurité y est grande. Mais depuis 2017 la municipalité de Grenoble a entrepris un vaste plan de réhabilitation, non pas en envisageant de le refermer sur lui-même, de l’isoler plus qu’il ne l’est déjà, mais au contraire en cherchant à « Abattre les frontières encadrant le quartier, c’est l’objectif du projet urbain Mistral. À la fois géographiques, culturelles et symboliques, ces frontières fragmentent le lieu, qui présente pourtant des richesses exceptionnelles : des personnes venant de tous les horizons, une vie associative et des dynamiques solidaires denses » [Ville de Grenoble]. Abattre des frontières, des murs symboliques…, c’est-à-dire tout le contraire de la tendance actuelle qui pousse à l’enclosure.

Laurent Mucchielli (sociologue, directeur de recherches au CNRS) explique ainsi le sentiment d’insécurité : « Certes, les enquêtes montrent que le fait d’avoir été victime de quelque chose accroît logiquement la peur que cela recommence. Pour autant, elles montrent aussi que la majorité des personnes qui déclarent avoir parfois peur dans leur vie quotidienne déclarent également ne pas avoir été victimes de quoi que ce soit. Le sentiment d’insécurité exprime donc principalement autre chose que l’expérience de la victimation, il exprime d’abord une vulnérabilité. La peur est ainsi liée à l’âge (les personnes âgées ont davantage peur, même s’il ne leur est rien arrivé), au sexe (les femmes ont davantage peur que les hommes) et au niveau social (la précarité accroît la peur). Par ailleurs, les enquêtes montrent également que, s’agissant de leur quartier, la peur d’une partie de nos concitoyens est alimentée par ce qui leur apparaît comme des signes extérieurs de désordre et d’abandon : d’abord le bruit, la saleté, les tags, les dégradations, ensuite les regroupements de jeunes et la présence de drogue. […] À côté de l’étude des problèmes bien réels de délinquance et des risques très concrets de victimation, il faut donc reconnaître et analyser le sentiment d’insécurité comme une question à part entière ayant ses logiques propres. Les deux choses ne doivent être ni opposées ni confondues, mais prises en compte toutes les deux ». [“Vous avez dit sécurité ?”| éd. Champ social, 2012]

Cette peur conduirait-elle à ce que les émotions prennent le pas sur la raison ? “Les larmes feraient-elles loi ?” C’est ce que cherche à démontrer la journalise (Le Monde diplomatique) Anne-Cécile Robert dans son livre La Stratégie de l’émotion [éd. Lux, 2018] : « Il suffit de taper “l’émotion est grande” sur un moteur de recherche pour voir défiler une infinité de nouvelles, du banal fait divers aux attentats ». Elle ne fait pas le procès de l’émotion, mais de son usage démesuré tout particulièrement par des médias, dont les chaines de télé d’informations en continu donnant priorité aux faits divers parfois en direct, BFMTV en étant l’archétype. « L’émotion, omniprésente aujourd’hui dans les médias, notamment à la télévision qui fait se succéder devant nos yeux les conflits, les catastrophes et les agressions, pose des questions spécifiques. Et d’abord parce que l’émotion suspend d’emblée le raisonnement […] En cela, et parce qu’elle repose sur une perception, elle semble se détourner de la rationalité constitutive de l’espace public comme espace de débat. » [Jean-François Tétu, L’émotion dans les médias : dispositifs, formes et figures | ENS éditions | 2004. L’abondance des images, primant sur l’analyse des faits, facilite l’identification émotive aux victimes devenant souvent des héros que l’on décore, glorifie brièvement… Et chacun peut se projeter, “cela aurait pu être moi !”. L’analyse qui découle de tels évènements a tendance à se réduire à des expressions dramatiques du genre : “plus jamais ça ! Racaille ; ces actes sont intolérables, inacceptables…”, qui, répétées en boucle, aboutissent souvent à la production d’opinions politiques du type : “mais que font la police et la justice ?” Ou bien encore plus radicales : “Pas de peine plancher… il faut rétablir la peine de mort !”. Et, suite au meurtre d’un jeune, Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur, de proclamer le 20 juin 2005 : « Dès demain, on va nettoyer au Karcher la cité des 4 000 (Courneuve). On y mettra les effectifs nécessaires et le temps qu’il faudra, mais ça sera nettoyé ! » [Libération, 21 mars 2018]. Il ne s’agit pas là de nettoyer quelques tags, mais de faire en sorte que le quartier soit débarrassé de “cette racaille” !

Mais que craignons-nous tant ? Pour le philosophe Michaël Foessel [État de vigilance. Critique de la banalité sécuritaire | éd. Les Bords de l’eau | 2010 et 2016] la peur « ne serait plus à l’origine d’un désir communautaire, d’une conduite collective, mais une invitation à faire sécession d’un monde jugé globalement pathogène ». Et il s’agirait alors d’apaiser “un dedans” en écartant toute menace extérieure, dont les comportements asociaux, certains jeunes, les immigrés…, et en adoptant un mode de vie défensif en territorialisant son espace de vie par des murs, des barrières… Cette peur est à l’origine des appels à la vigilance : « l’état de vigilance est à la fois entretenu et désiré. Il procède d’appels constants qui, de stations de métro aux rayons des supermarchés, ont envahi le champ social. devant la profusion des menaces : alimentaires, climatiques, économiques, terroristes », il est alors tentant de se recentrer sur la recherche d’un bien-être subjectif et hédoniste et d’en faire un projet politique dans lequel l’individuel prendrait le pas sur l’intérêt général.

Comment identifier nos préoccupations ? Depuis 2007, les enquêtes régulières (par échantillons représentatifs de 20 000 personnes) Cadre de vie et sécurité” (INSEE) font état de résultats très différents si les questions portent sur la société en général ou sur le lieu d’habitation.

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3. Préoccupations des habitants

insecurite_11Dans la société française l’indicateur “terrorisme et attentats” a pris une grande ampleur à la suite des attentats de 2015, alors que le chômage était la plus importante préoccupation jusque-là. À partir de 2018, l’indicateur attentat perd de l’importance mais demeure légèrement en tête, alors que les courbes “pauvreté” et “environnement” progressent sensiblement. Notons que la “délinquance” n’est que la sixième des préoccupations avec 10 % d’intentions.

Sur le territoire d’un quartier ou d’un village les préoccupations paraissent plus en lien à la vie quotidienne, avec moins de sensibilité aux grands évènements nationaux et aux enjeux politiques nationaux et internationaux. Seuls deux indicateurs sont communs : la délinquance (10 % également) et l’environnement auquel on peut ajouter la pollution (16 %, 14 % en société). Notons que 18 % des personnes interrogées ne ressentent aucun problème dans leur quartier ou village, ce résultat a toutefois baissé de six points entre 2007 et 2019.

Si le sentiment d’insécurité se fonde sur la plupart de ces préoccupations, quelle est son importance dans la population d’un quartier ou d’un village ?

Représentations du sentiment d’insécurité dans le quartier ou village

insecurite_12Avec une variation de ± 2 %, le sentiment d’insécurité est quasi constant entre 2007 et 2019, et l’inégalité entre femmes et hommes et manifeste. Ainsi, ce sont les jeunes femmes (14-29 ans) qui l’éprouvent nettement le plus, même si elles ne sont pas directement victimes. Ce qui n’a rien de surprenant. Il suffit en effet d’interroger des femmes des tranches d’âges les plus concernées pour se rendre compte des craintes qu’elles peuvent éprouver dans les transports en commun, ou quand il s’agit de rentrer chez soi tardivement et seule, ou bien encore de porter des vêtements courts… À la question « Vous arrive-t-il de renoncer à sortir seul(e) de chez vous pour des raisons de sécurité ? », en 2019, la réponse est oui pour 17 % des femmes (22 % entre 14 et 29 ans, 21 % à 75 ans et plus) et pour seulement 4 % des hommes (7 % à 75 ans et plus). Pour l’ensemble l’écart entre femmes et hommes est de six points. Ces résultats confirment tout ce qui a été déjà évoqué sur cette grande inégalité entre femmes et hommes.

Le 11 % de 2019 étant une donnée générale, plusieurs variables apparaissent en fonction des critères retenus et permettent de la préciser. 

Sentiment d’insécurité dans le quartier ou le village selon les caractéristiques socio-démographiques et les caractéristiques du lieu de résidence en 2019. Source : enquêtes Cadre de vie et sécurité, Insee-ONDRP-SSMSI

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En 2019, si l’on rapproche le résultat des victimes de faits délictueux enregistrés par la police et la gendarmerie, environ 2,5 millions de personnes, et celui du sentiment d’insécurité, environ 6 millions de personnes, l’écart est important. Ce sentiment peut se construire sur de l’information tronquée, des rumeurs et un ras-le-bol ressenti face à des actes souvent nommés incivilités : « La vie quotidienne est en réalité faite d’agressivité verbale, de petits harcèlements, de petites dégradations, de petits vols, et non de meurtres, de viols ou de vols avec violence. Face à ces infractions du quotidien, souvent répétitives, de nombreux citoyens demeurent mécontents car ils ne trouvent généralement pas ou peu de réponse de la part des services publics de sécurité et de justice » [Laurent Mucchielli, “L’insécurité un épouvantail électoral à déminer” The Conversation | 9 sept. 2020]

Peut-on parvenir à débattre du sentiment d’insécurité ?

Comment expliquer que le sentiment d’insécurité puisse être déconnecté de l’évolution de la délinquance telle que mesurée par des statistiques qui font plutôt état d’une grande stabilité du nombre d’actes délictueux, du moins pour ceux à l’égard des biens matériels ? Les réponses sont loin d’être simples !

Imaginons une “rencontre-débat” sur le thème de l’insécurité, organisée par un centre social. Gros succès ! La députée et le maire ne pouvant manquer une telle réunion, sont bien là… L’un des animateurs introduit le sujet en présentant quelques données chiffrées, puis invite Madame la députée à prendre la parole. Celle-ci remercie chaleureusement les organisateurs qui “osent aborder un sujet d’actualité difficile”, mais elle est là d’abord pour être à l’écoute ; le maire fait un copier-coller de ce propos. Les animateurs ne peuvent donc faire autrement que d’inviter l’ensemble des participants à prendre la parole en souhaitant que soient évoquées des situations vécues. Ce qui provoque un véritable déferlement de témoignages : “j’ai été victime de…”, “mon voisin a subi…”, “j’ai appris que…”, “j’ai été très mal reçue à la gendarmerie, c’est à peine s’ils ont voulu enregistrer ma plainte…”, “au tribunal, les juges se sont contentés de faire la leçon aux agresseurs…”. L’un des animateur tente, non sans mal, de tout inscrire sur un tableau, les élus prennent des notes… La tension monte… Et puis du fond de la salle, une femme demande la parole et déclare : “je vis seule avec deux enfants, et mon fils de 16 ans vient d’être arrêté pour la deuxième fois pour vol avec violence à la sortie d’un lycée ; son éducateur ne sait plus trop que faire. Je suis à bout…”. Grand silence dans la salle, chacun se rendant peut-être compte que cette femme est aussi victime d’une situation complexe qu’elle ne peut maîtriser à elle seule. Ce témoignage ramène un peu de calme, ce dont profite la députée qui s’empare d’un micro : “Madame, je vous remercie pour votre témoignage et vous invite à prendre contact avec ma permanence. J’ai écouté attentivement, j’ai pris note de vos attentes et les transmettrai à l’Assemblée nationale”. Et, à partir d’une fiche préparée par son conseiller en com, elle se lance : “Oui la sécurité me préoccupe, c’est un grand sujet d’actualité… Nous avons déjà fait beaucoup et de nouvelles lois sont en préparation…”, et de développer longuement ce cadre législatif. Le maire approuve et précise que ”la vidéo surveillance et la police municipale vont être renforcées, c’est inscrit au budget…”. La rencontre se termine sur ces “bonnes” paroles, sont-elles rassurantes ? Il y a eu échange d’informations, certainement utiles, mais pas véritablement de débat et d’engagement à approfondir le sujet.

Pourtant il arrive que cela se fasse, ainsi à Villeurbanne (69) où il convient de « ne pas donner un sentiment d’impuissance, sinon il est impossible de construire avec les habitants. » [Cédric Van Styvendael, maire]. « Pour ce faire la municipalité a initié début juillet une “conférence citoyenne de consensus”. […] L’initiative vise à associer habitants – une vingtaine tirés au sort, issus des conseils de quartier et des centres sociaux – et professionnels à l’élaboration de la stratégie locale de sécurité et de prévention de la délinquance de la Ville […]. Cette coproduction doit déboucher sur une dizaine de propositions d’actions concrètes qui seront présentées aux Villeurbannais et que le conseil municipal intégrera totalement ou partiellement dans sa politique en matière de tranquillité publique. » [Hervé Pupier, “Sécurité à Villeurbanne : une mairie de gauche en quête d’équilibre”| Rue89Lyon | 5 juillet 2021]

Réduisons maintenant le champ de l’étude à l’échelle d’une résidence pour examiner comment “sécurité et sentiment d’insécurité” peuvent bouleverser l’histoire de cette résidence.

4. La “tentation” de clore

La résidence du Grillon, construite il y a 50 ans dans un parc arboré de sept hectares, comprend 314 logements dont une quarantaine en location. Ce qui représente environ 750 habitants (employés, cadres moyens, retraités), population relativement stable donc vieillissante. Sa bonne réputation est due à sa situation géographique au sud-ouest de la Métropole de Lyon, banlieue calme et verte avec de nombreux commerces et services à la personne à proximité, desservie correctement par les transports en commun. Historiquement elle se voulait ouverte, conviviale, multipliant les activités, les fêtes…, favorisant des cheminements piétonniers inter quartiers. Donc rien ne la prédisposait à se clore ; pourtant cette idée a fait son chemin et aujourd’hui une partie des copropriétaires entend la mettre en œuvre. Mais qu’en est-il plus précisément de l’insécurité dans cette résidence ?

Il est impossible d’obtenir auprès de la Gendarmerie des données sur le nombre de plaintes déposées par des habitants du Grillon. Bien que cette population ne puisse être considérée comme un échantillon représentatif, on peut cependant faire, à titre d’hypothèse, une estimation du nombre de délits “atteintes à des biens matériels” en 2019, en utilisant les taux des différents indicateurs. Ce qui donnerait avec une variable ±0,5 : 2 vols contre des personnes / 2,5 cambriolages de logements / 2 vols de voitures / 4,5 vols dans voitures stationnées / 3 détériorations volontaires.

C’est une première indication toute relative. En revanche, deux témoignages d’habitants du Grillon en disent plus sur ce que des personnes peuvent ressentir dans ce qui est vécu comme une atteinte personnelle à son intégrité, à son bien matériel, à son bien-être…

Des témoins de l’insécurité

Monsieur X écrit le 25 avril 202 (extraits) : « Je vous signale de nouvelles dégradations […] (il s’agit de tags). Cela confirme, hélas, mes craintes […], le vandalisme en appelle d’autres […]. Je pense qu’il faudrait signaler ce problème en Gendarmerie et déposer plainte. En effet, je ramasse fréquemment de nombreux objets témoins d’une activité nocturne triste et décadente : innombrables mégots, bouteilles d’alcool, cannettes, objets brûlés, bouteille de protoxyde d’azote. Je fatigue de ce ménage quotidien et je n’accepte pas la présence d’une « salle de shoot » en plein air dans ma résidence ».

Monsieur Y s’adresse le 13 mai 2021 aux rédacteurs de la note qu’il mentionne : « Faisant suite à la note d’info « LE GRILLON DISCUTE » (note à propos du projet “contrôle des accès à la résidence”, affichée dans tous les bâtiments), alors oui discutons sans filtre et ouvertement. […] Voilà une fois de plus une incivilité dû à des personnes venues de… l’extérieur (parfois une bonne douzaine qui squatte jusqu’à 3 heures du matin le terrain de pétanque, qui parlent à voix haute, et musique sans aucune modération. Ils nous ont laissé comme… cadeaux : deux chaises, masques usagés, cannettes, bouteilles, papiers, sacs de fastfood. Cela n’est qu’un exemple car nous subissons cela presque… AU QUOTIDIEN !!! Est-ce que notre gardien est payé pour enlever tous ces déchets, n’a-t-il pas autre chose à faire dans cette vaste copro ? Je pense qu’un grand nombre de personnes résidant dans des bâtiments éloignés ne se rendent PAS DU TOUT compte de ce qui se passe réellement dans la résidence. À un moment donné il faut savoir être TRÈS RÉALISTE, car il ne faut pas perdre de vue que dans cette même résidence il y a eu : dégradations, vols et incendies de voitures, cambriolages d’appartements en plein jour, altercation musclée devant un bâtiment, vol d’un scooter récemment, etc. […] Il ne faut pas se leurrer, se mentir, se raconter des histoires et voir cette TRISTE RÉALITÉ BIEN EN FACE, et ne pas rester ancré à… 51 ans en arrière, car bien des choses ont changé depuis […] Nous sommes confrontés à un MONDE BIEN RÉEL et des personnes en prennent PLEINEMENT CONSCIENCE. […) Je lis les commentaires de certaines personnes concernant l’entraide, la solidarité, le soutien, l’aide, la tolérance, la compréhension, le respect, la bienveillance…. oui, oui tout cela est très beau à lire et je pense que tout cela à bien existé mais bien AVANT  […] » (extraits)

Si ces deux témoignages ne reflètent certainement pas une tendance générale dans la résidence, ils traduisent cependant dans leur radicalité, un mal-à vivre certains problèmes, certes ne datant pas d’aujourd’hui loin s’en faut, mais que l’on ne sait comment aborder, sinon en projetant de contrôler les accès à la résidence, solution présentée comme la seule permettant de retrouver une tranquillité qui serait perdue.

Le droit absolu de se clore

Il apparait de plus en plus clairement que la fermeture résidentielle répond à un but de sécurisation de l’espace de proximité. Et le droit de se clore est “absolu”, puisque lié au droit de propriété tout aussi absolu : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. » [article 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789]. Dans la continuité de ce droit le Code civil définit que : « La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue » [article 544]”. Et ce même code précise dans son article 647 que « Tout propriétaire peut clore son héritage, sauf l’exception portée en l’article 682 : Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n’a sur la voie publique aucune issue, ou qu’une issue insuffisante, soit pour l’exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d’opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d’une indemnité proportionnée au dommage qu’il peut occasionner.» Cette restriction se nomme “servitude de passage”, celle-ci ne peut en aucun cas s’appliquer à la résidence du Grillon.

Donc, mise à part une servitude dûment enregistrée, rien en droit ne peut s’opposer à une fermeture, ce qui favorise les copropriétaires d’une résidence voulant clore leurs fonds. Les enclosures a posteriori de la construction, ce serait le cas au Grillon, « étant directement issues de la volonté des assemblées de propriétaires, supposent un ensemble de motivations. Si la sécurité est le plus souvent mise en avant, c’est davantage un désir de tranquillité qui ressort de l’observation de terrain. La sécurité recouvre en fait la volonté de maîtriser son environnement proche afin de gommer toute situation d’imprévu non désirée […] La clôture introduit un partage physique de l’espace, surtout lorsqu’elle est implantée volontairement dans des ensembles jusque-là ouverts. Elle redéfinit un dedans et un dehors, des admis et des ”exclus” » [Julien Dario, “Géographie d’une ville fragmentée. Morphogenèse, gouvernance des voies et impacts de la fermeture résidentielle à Marseille”| Thèse de doctorat en géographie | Université Aix-Marseille, 2019]

Dans l’hypothèse où le projet de fermeture du Grillon aboutirait, certains “exclus” seraient des habitants d’autres quartiers ayant pour habitude d’emprunter à pied les voies privés de la résidence pour accéder plus rapidement à différents services de proximité, dont des écoles, alors que le trajet “normal”, deux fois plus long, passe par une grande avenue fortement chargée en circulation automobile.

Cette “tolérance de passage” cinquantenaire pourrait-elle être considérée comme une “coutume” ? « La coutume est une règle issue d’un usage général et prolongé et de la croyance en l’existence d’une sanction à l’observation de cet usage. Elle constitue une source du droit, à condition de ne pas aller à l’encontre de la loi. Pour exister, une coutume doit comprendre d’une part, un élément matériel : cela consiste en l’usage prolongé, constant et durable d’une pratique, de la répétition continue d’une série d’actes ou de faits qui révèlent une façon d’agir commune à tout un milieu considéré. D’autre part un élément psychologique : sentiment partagé du caractère juridique de la règle coutumière. En effet, l’usage doit être perçu comme un comportement obligatoire par l’opinion commune. Les personnes appliquant cette coutume doivent avoir le sentiment d’agir en vertu d’une règle juridique. » [Dalloz, fiche d’orientation “coutume”| avril 2021]. Cette définition permettrait-elle d’aller à l’encontre d’un projet de fermeture de résidence ? Il ne semble pas puisque la coutume ne peut contredire la loi, et dans le cas présent la propriété fait loi !

Julien Dario (op.cit.) a noté dans son enquête à Marseille, que « La coupure introduite par le portail peut apparaître comme un acte “hostile” et porteur d’un sentiment d’injustice spatiale […] La réaction des habitants dépend toutefois en grande partie de la nature des équipements affectés par les détours. […] La fermeture paraît d’autant plus “injuste” que ces espaces sont pour la plupart utilisés depuis des années, voire des décennies, sans préoccupation liée au statut véritable des sols. […] Lorsque la fermeture porte atteinte à l’accès à des points dont l’utilité est principalement fonctionnelle, on observe des plaintes extérieures ». Ce fut le cas par exemple pour la résidence Coin-Joli à Marseille qui, tant qu’elle ne fut pas fermée, permettait à des enfants d’autres résidences, un accès rapide et sécurisé à l’école du quartier. La fermeture a supprimé cette tolérance, provoquant de vives réactions des parents d’élèves qui manifestèrent, “Coin Joli, coin banni !”et… dont les requêtes en référé furent rejetées par deux fois, en 2014, puis en 2017, le tribunal estimant que “les requérants se prévalent de leur seule qualité de voisins du lotissement et de parents d’élèves des établissements scolaires du Coin-Joli, situés à proximité et à l’extérieur du lotissement” alors que “les voies dont la clôture a été décidée sont des voies privées”. Le jugement affirme donc que les requérants ne sont pas légitimes pour contester les décisions de l’association syndicale autorisée (ASA) de clôturer le lotissement. » [Marsactu, Marseille | quatre articles].

À l’évidence le droit de propriété, absolu et sacralisé, favorise tout projet de fermeture d’une résidence et la jurisprudence en la matière le confirme : « un simple souci de commodité et de convenance ne suffisent pas à justifier une tolérance de passage ». Resterait aux opposants de tenter de prouver qu’une pratique coutumière de plusieurs décennies pourrait relever de l’intérêt général pour certains usages, cheminements piétonniers par exemple. Il s’agirait alors de donner l’avantage aux piétons tout en se préservant des voitures : « Certaines pratiques simples comme le trajet à pied vers un commerce, un arrêt de transport en commun… sont rendues plus difficiles. […]. Les piétons, les cyclistes, plus que les automobilistes, ont généralement des itinéraires préférentiels liés à la qualité des aménagements (trottoirs, aménités paysagères, importance de la fréquentation par les voitures…), ou encore à la longueur du trajet » [Julien Dario, op.cit.]

Retrait résidentiel ou ouverture ?

À défaut du droit, que reste-t-il aux opposants à une fermeture de résidence, sinon leur bon sens ? Mais suffit-il pour aller à l’encontre d’une “dynamique de retrait résidentiel” ? Ainsi à Marseille, en 10 ans, les résidences fermées sont passées de 750 en 2000 à environ 1.550 en 2010 [Julien Dario, op.cit.]. Les promoteurs immobiliers sont bien conscients de cette dynamique et la fermeture est devenue un produit d’appel avec valorisation des prix de vente, que ce soit pour du neuf ou pour des résidences clôturer à postériori. Et, toute situation conduisant à des extrêmes, des promoteurs parviennent même à développer en France les étonnants “gated communities” d’inspiration américaine, ou “communautés fermées”, et même très fermées ! Ces enclaves résidentielles (une cinquantaine en France) hautement sécurisées avec prolifération de murs d’enceinte, barrières, caméras, gardes permanents chargés du contrôle des entrées, bénéficient généralement de parcs de plusieurs hectares avec de nombreux équipements pour les loisirs des résidents et de leurs invités. Tout cela a bien entendu un prix, nécessitant des revenus à la hauteur, il est alors question de “ségrégation spatiale” : « Autant, voire plus que la montée d’une peur de l’autre ou d’un sentiment d’insécurité, les gated communities traduisent l’éclatement spatial des lieux de la vie quotidienne et le fait que le quartier n’est plus que rarement le principal lieu de vie des citadins ». [Éric Charmes, “Les Gated Communities : des ghettos de riches ?”| La Vie des idées |29 mars 2011]. Comme illustration, je propose de parcourir un reportage de Reporterre : “On a beau être enfermé, on n’est pas protégé”| 2 février 2015, qui évoque la résidence “Les Bois du Cerf” à Étiolles (91), où demeurent 700 habitants (1/5e de la population d’Étiolles) dans un parc clôturé de 42 hectares.

Si la résidence du Grillon compte à peu près le même nombre d’habitants qu’aux Bois du Cerf, la comparaison s’arrête là, car si elle envisage de se clore, elle n’ira pas jusqu’à mettre des vigiles aux différentes entrées, elle n’en a déjà pas les moyens ! Son projet, actuellement en discussion, consisterait à placer deux portails et plusieurs portillons aux différentes entrées, ce qui remet en cause des cheminements piétons inter-quartiers utilisant des voies privées de la résidence. Pour l’instant une vingtaine de copropriétaires ont fait savoir publiquement qu’ils étaient opposés à ce projet, en mettant en avant, d’une part, l’histoire du Grillon faite de coopération, de tolérance, de relations de bon voisinage, d’autre part les coûts d’installation et de maintenance estimés élevés. Pour certains de ces opposants, il s’agirait, tout en se préservant des voitures non-résidentes, de donner l’avantage aux piétons en ne fermant pas les voies des cheminements piétonniers sinon par des chicanes.

Pendant un siècle toute la vie urbaine a été conçue en grande partie autour de la voiture et ses chroniques pollutions : gaz à effet de serre, bruit, artificialisation des sols… Depuis le début du XXIe, un changement de modèle dans les politiques publiques des transports et déplacements tend peu à peu à donner moins de place à la voiture individuelle en favorisant les transports en commun, la bicyclette et… la marche à pied ! Serait-il trop demandé de préserver et de développer des itinéraires piétonniers, même si ceux-ci empruntent des voies privées ?

Conclusion

Le discours sécuritaire se construit en continu médiatique surtout à partir des données de la délinquance qui se manifeste dans la vie quotidienne, alors qu’il ne s’agit pas de la principale préoccupation de la population française métropolitaine. Sans tenir compte de la chute spectaculaire des atteintes aux biens matériels observée en 2020 pour cause de covid19, nous avons constaté entre 2012 et 2019 une relative stabilité des plaintes enregistrées, sauf pour les actes de violences physiques (+104 % pour le viols et +39% pour les violences intra familiales). Celles-ci sortent peu à peu du silence grâce à l’action de plusieurs mouvements incitant les victimes de viols, de coups et blessures, très majoritairement des femmes, à porter plainte.

Dans cette réalité de la délinquance, les hommes tiennent vraiment une place à part ; en effet, s’ils peuvent être victimes, ils sont surtout repérables comme auteurs des actes délictueux, tout particulièrement dans le cas des violences physiques. Et c’est toute la culture du “mâle dominant” qui est ainsi mise en évidence, avec toutes les grandes inégalités qui en résultent.

Actuellement certains projets politiques sur la sécurité se construisent essentiellement à partir des données de cette délinquance. Mais quand on examine les préoccupations de la population française dans son rapport à la vie en société et à la vie dans les quartiers ou villages, cette délinquance ne représente que 10 % des préoccupations (en 6e rang pour la société et 4e pour le quartier) ; il n’est donc pas possible d’en faire la seule cause du sentiment d’insécurité.

Ce sentiment est le domaine de l’irrationnel issu des peurs et des craintes que chacun peut éprouver plus ou moins intensément en fonction de son âge, de son sexe, de ses origines, de son milieu social… En France métropolitaine, il serait partagé par 11 % de la population (14 ans et plus) là où elle demeure, avec de variations importantes selon les caractéristiques socio-démographiques retenues. Ce résultat, quasi permanent depuis plusieurs années, est jugé fiable ; et, à titre d’hypothèse, il serait perçu comme élevé, puisqu’il conduirait, en vertu du droit absolu de propriété, à la “tentation de clore” son espace d’habitation pour se protéger de toutes agressions, intrusions, actes d’incivilité… Et des jeunes, souvent cités comme en étant les auteurs, deviennent une “racaille” insupportable. Cette hypothèse serait à vérifier plus avant par enquête avec des moyens conséquents.

Dans une recherche de sécurité et de tranquillité, Nimby –“pas dans mon arrière-cour” – fait son effet : pas de jeunes non-résidents venant jouer aux boules ou s’assoir sur un banc, pas de pique-niques sur les pelouses, pas de classes d’enfants traversant une propriété privée et considérées comme dérangeantes… Ainsi, “Touche pas à ma résidence” peut conduire des propriétaires à envisager de protéger leur bien en le clôturant, quitte à remettre en cause des usages coutumiers de bon voisinage avec d’autres résidences ou quartiers, les cheminements piétonniers par voies privées étant le plus fréquent de ces usages institués généralement par accord tacite.

Ces copropriétaires sont dans leur droit le plus absolu, sous réserve que leur projet de fermeture respecte les normes en vigueur : hauteur limitée des clôtures ou des murs, pas de fil barbelé ou électrifié… Et rien en droit ne permet d’aller à l’encontre d’un tel projet. Il ne reste aux éventuels opposants que leur conviction pour parvenir à démontrer que s’enfermer n’est pas la meilleure des solutions pour traiter du sentiment d’insécurité, dont les racines semblent aller bien au-delà d’une simple approche chiffrée de la délinquance.

Les données statistiques sont utiles pour mettre en évidence des réalités profondément inégalitaires, en particulier quand il s’agit des relations entre les hommes et les femmes, cette étude l’ayant souligné à plusieurs reprises. Reste à faire un bon usage de ces données, c’est-à-dire ne pas se contenter de les utiliser pour justifier d’intentions politiques traduites dans une accumulation de lois ou règlements se voulant rassurants, mais pouvant limiter les libertés. Les médias, les chaines de télévision tout particulièrement, ont aussi une part de responsabilité dans la manière dont ils évoquent des évènements dramatiques en privilégiant des images “chocs” qui peuvent certes émouvoir, mais qu’en reste-t-il si elles ne s‘inscrivent pas dans une analyse plus globale ? L’histoire, la sociologie, la psychologie… peuvent alimenter cette réflexion indispensable, mais les apports de ces sciences humaines sont-ils suffisamment utilisés et communiqués de façon compréhensible pour le grand public ?

Cette dernière interrogation est souhaitée provisoire…

Contact : gpthome07@orange.fr

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Compléments d’enquête

insecurite-en-ville_illustration-mystere-de-parisConférence Citoyenne de Consensus Tranquillité, Villeurbanne (69) « Les 3 et 4 juillet 2021, 14 habitants (tirés au sort) et 12 professionnels de la sécurité et de la prévention se sont réunis pour formuler des propositions à intégrer à la nouvelle Stratégie Territoriale de Sécurité et de Prévention de la Délinquance (STSPD), en cours de révision. » Les dix propositions retenues

  • Du sentiment d’insécurité à l’État sécuritaire, Philippe Robert et Renée Zauberman | CESDIP | 2017
  • “Insécurité et sentiment d’insécurité en milieu urbain : évaluer, comprendre, pour agir plus efficacement. Ce que nous apprennent les enquêtes statistiques”,  | Michel Fansten | Variances.eu | 2 juillet 2018
  • Sécurité en ville : « La nuit est le temps de la fête, de l’interdit, mais aussi du crime : la nuit, les gens bien se trouvent dans leur lit ! “Quand tout l’monde dort tranquille, dans les banlieues-dortoirs, c’est l’heure où les zonards descendent sur la ville”, annonçait Daniel Balavoine. Pour les autorités, il est l’heure de mettre en place une politique de sécurité urbaine. » [Xavier MauduitSécurité, sûreté, liberté, une histoire | France Culture, Le Cours de l’histoire | 1er juin 2021
  • Rôle des médias : « La logique (de Cnews) donne la prééminence aux faits divers. Les images de policiers, de gyrophare, de sirènes… sont là pour donner l’impression d’être au cœur de ce qu’il se passe. Alors que la capacité à contextualiser est normalement une caractéristique du métier, elle est ici globalement faible. Du coup on joue plus sur l’émotionnel, des passions tristes comme la peur ou l’animosité » [Erik Neveu, “La véritable réussite de Cnews, c’est d’imposer les thèmes du débat” | Alternatives Économiques | 23 juin 2021
  • Sécurité et société” : « Mieux mesurer la délinquance et son suivi pénal pour faire face aux enjeux de sécurité » | INSEE références | édition 2021
  • « Le sentiment d’insécurité en France à la veille de l’élection présidentielle de 2022 », Antoine Jardin, Julien Noble | Fondation Jean Jaurès | 19 avril 2022

“Violence à l’encontre des femmes” |  Organisation Mondiale de la Santé (OMS) | rapport mars 2021

Plan d’action mondial “visant à renforcer le rôle du système de santé dans une riposte nationale multisectorielle à la violence interpersonnelle, en particulier à l’égard des femmes et des filles et à l’égard des enfants” | OMS | dossier, 2017

“La violence masculine à l’encontre des femmes” | Haut Conseil de la Santé Publique / revue ADSP N°31 | juin 2000

Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes” | ONU, Résolution 48/104 | 20 déc. 1993

Climat, réchauffement… changer la vie ?

haikus

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Les préoccupations liées au climat — “Ensemble des circonstances atmosphériques et météorologiques d’une région, d’un lieu du globe” [2021 Le Grand Robert de la langue française] — ne datent pas d’aujourd’hui. Homo depuis qu’il est sapiens se représente la menace de changements climatiques d’envergure pouvant mettre en péril ses moyens de subsistance. Aussi regarde-t-il souvent le ciel avec inquiétude, allant parfois jusqu’à l’implorer d’être clément en le sacralisant. Il va mettre longtemps à comprendre ce qu’est le climat, et encore plus à saisir quelle est sa part dans les bouleversements climatiques que nous vivons actuellement soit avec beaucoup d’inquiétude, soit avec fatalisme…

Turnerlire également : “Quand les œuvres d’art nous aident à comprendre le changement climatique” [Pauline Petit, France Culture | 9 mars 2020]

Au début du XIXe siècle, William Turner réalise “Coucher de soleil écarlate” (vue partielle) après avoir observé à Londres des couchers de soleil aux couleurs inhabituelles : rouge très vif et jaune Sahara. Comme tout le monde, il ignore les causes de l’évènement. Elles seront connues bien plus tard grâce aux découvertes de la volcanologie : la gigantesque éruption du Tambora en Indonésie projette très haut dans l’atmosphère des tonnes de particules volcaniques et de gaz constituant tout autour de la terre un voile filtrant pendant de longs mois les rayons du soleil. Si la seule conséquence en avait été des couchers de soleil plus colorés permettant à Turner de peindre de superbes tableaux, on pourrait s’en réjouir, mais en fait ce fut la grande catastrophe mondiale d’une année sans été en 1816, à l’origine de famines, de maladies, de soulèvements populaires et de millions de morts. Homo sapiens eut bien du mal à s’en remettre. [cf. L’Année sans été. Tambora 1816, le volcan qui a changé l’histoire, Gillen d’Arcy Wood | 2016 | éd. La Découverte]. À ces mêmes dates, la révolution industrielle prend son essor avec un recours massif au charbon et au pétrole, nouvelles sources d’énergies glorifiées. Mais Homo sapiens ne s’en représente pas les méfaits, ni les limites quantitatives, ou ne veut pas les admettre, et ce n’est guère avant les années 1970 que les alertes vont débuter.

Le rapport “Les Limites de la croissance” ou “Rapport Meadows” aura 50 ans en mars 2022 ! Il serait surprenant que cet anniversaire symbolique donne lieu à commémoration officielle. Il semble en effet que les enseignements de ce rapport sur les risques d’épuisement de la planète Terre aient mis du temps pour commencer à être entendus par les sphères internationales qui décident de la vie politique et économique du monde, et dont le premier référentiel, pour ne pas dire le seul, est la croissance se déclinant en PIB [cf. Le PIB nous trompe énormément, Céline Mouzon | Alternatives économiques N°405 | octobre 2020]

Pourtant dès 1970, à la demande du select “Club de Rome” “quatre jeunes mousquetaires” rassemblés autour de Jay Forrester, les mousquetaires_1972professeur à l’Institut des Technologies du Massachusetts et spécialiste des systèmes dynamiques complexes, ont pour mission « d’analyser les causes et les conséquences à long terme de la croissance sur la démographie et sur l’économie matérielle mondiale » et d’évaluer si les politiques actuelles conduisent vers un avenir soutenable.

Pendant près de deux ans, ils amassent des données sur l’économie, la démographie, la pollution, l’état des ressources non renouvelables, les croisent (les ordinateurs de l’époque sont très loin de l’efficience des actuels !) les juxtaposent… et démontrent que la croissance exponentielle, telle qu’elle est et telle qu’ils la projettent en probabilités, conduit à une catastrophe climatique et écologique dans les 50 années à venir. Le rapport, sous forme d’un livre de 125 pages, est remis en mars 1972 aux dignitaires du Club de Rome. Il a l’effet d’une bombe médiatique et politique ; traduit en de nombreuses langues, son tirage atteindra dix millions d’exemplaires, y compris la nouvelle édition en 2004 actualisée et complétée sans que les conclusions en soient changées. Pour en savoir plus :

  • Comprendre le rapport Meadows sans l’avoir lu ! Commentaires de Jean-Marc Jancovici | 2003
  • Les limites de la croissance ( un monde fini). Le rapport Meadows, 30 ans après, Dennis Meadows et al. | 2004 | 2012 pour la traduction en français | éd. rue de l’Échiquier
  • Développement économique et contraintes environnementales : le rapport Meadows 36 ans après sa parution, Emmanuel Risler (INSA Lyon) | Planet Terre | octobre 2008
  • Sécuriser un nouveau pacte pour les personnes, la nature et le climat | Club de Rome | 2021

Doit-on cependant admettre que rien n’a été fait depuis 1972, tel que le laisse entendre Olivier Pascal-Moussellard dans Télérama (N°3711, 24 février 2021) : « Avec enthousiasme, ils (les quatre chercheurs) arpentent le monde pour convaincre les décideurs d’agir. Lesquels décident de ne rien faire ! […] “Bravo, vous nous avez convaincus. Maintenant, expliquez-nous par quel miracle nous pourrons être réélus si nous faisons ce que vous dites ?” Un dirigeant européen. »

Tout dépend du sens que l’on entend donner au FAIRE. S’il s’agit de conférences, colloques, alertes, rapports de toutes sortes, alors beaucoup a été fait, en revanche s’il s’agit de décisions, ce serait plutôt le registre de l’indécision internationale et nationale qui semble déterminant, la réaction du député européen pouvant en être un symbole !

Mais entre 1972, avec : “Limites de la croissance” et la “Conférence des Nations-Unies sur l’environnement” (16 juin à Stockholm), et 2021 avec : la “Convention citoyenne pour le climat” et le projet de “loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets”, que s’est-il passé ? Beaucoup de louables intentions ont été exprimées à tous les niveaux politiques mais sans vraiment de décisions contraignantes ; sauf peut-être à Paris en 2015 lors de la COP 21, l’accord qui en a résulté se voulant historique, mais la suite l’est sans doute moins ! Je propose de découvrir ou redécouvrir en partie cette histoire avec un recensement légèrement commenté de livres, conférences, rapports, articles, la plupart téléchargeables, dans une présentation où lecteurs et lectrices pourront puiser ce que bon leur semble. Ces documents sont classés ainsi : Changement climatique et biodiversité / le PNUE des Nations-Unies : Conventions, protocoles, sommets…,  COP, GIEC, autres expertises /  Europe, France et changement climatique /  Jeunesse pour le climat / Climat et économie : croissance, décroissance ? / changement climatique et agriculture, alimentation, eau, forêts… /  L’Affaire du siècle ou le recours en justice / Convention Citoyenne pour le Climat et projets de lois /  Et maintenant ? 


Changement climatique

“Désigne l’ensemble des variations des caractéristiques climatiques en un endroit donné, au cours du temps : réchauffement ou refroidissement.” [Actu-environnement]     Qu’en est-il des changements climatiques dans l’histoire et aujourd’hui ? Rôles des glaciers et des courants marins dans l’évolution du climat ; menaces pesant sur la biodiversité.

  • bandeau_1Les Révoltes du ciel. Une histoire du changement climatique (XVe– XXe siècle), Jean Baptiste Fressoz, Fabien Locher | éd. du Seuil | 2020
  • Planète blanche. Les glaces, le climat et l’environnement, Jean Jouzel, et al. | éd. Odile Jacob | 2004
  • Quel climat pour demain ? Quinze questions-réponses pour ne pas finir sous l’eau, Jean Jouzel | éd. Dunod | 2015
  • Les enjeux géopolitiques du réchauffement climatique, cartographie | Major Prépa | 28 oct. 2019
  • Climat, parlons vrai, Baptiste Denis, Jean Jouzel | éd. François Bourin | 2020
  • Inégalités mondiales et changement climatique | Céline Guivarch, Nicolas Taconet, revue de l’OFCE | janvier 2020
  • Inégalités sociales et écologiques. Une perspective historique, philosophique et politique | Dominique Bourg, revue de l’OFCE | janvier 2020
  • Quelle justice climatique pour la France ? | Jean Jouzel, Agnès Michelot, revue de l’OFCE | janvier 2020
  • Pollution de l’air : coût économique et financier | Sénat | 2015
  • Dérèglement climatique à l’horizon 2050 | Sénat | rapport-2019
  • Pollution plastique : une bombe à retardement ? | Sénat | 2020
  • La colossale empreinte carbone des banques : une affaire d’État | Les Amis de la terre et Oxfam | novembre 2019
  • Droit dans le mur ! L’industrie automobile, moteur du dérèglement climatique | Greenpeace | 2019
  • Qui sera le pire boulet du climat ? | Greenpeace | 2020
  • Changements climatiques : causes, conséquences et solutions | Oxfam France | 2021
  • Déclaration sur l’état du climat mondial | OMM | 2019
  • Unis dans la science. Compilation multi-organisationnelle d’informations sur la science du climat | OMM | 2020
  • Stratégie d’adaptation aux changements climatiques : étude juridique comparative des villes de Lyon et Montréal | Emma Novel, mémoire master 2-université Jean Moulin Lyon |2020
  • Notre avenir sur terre. Perspectives Scientifiques sur la Planète et la Société | Future Earth | rapport-2020
  • Nouvelles projections climatiques de référence | DRIAS-Météo-France | 2020
  • Un sommet mondial pour remettre le climat à l’agenda politique | Actu-Environnement | 14 décembre 2020
  • 2020 est l’une des trois années les plus chaudes jamais enregistrées | Organisation Météorologique Mondiale – ONU | 15 janvier 2021
  • Le Gulf Stream ralentit, vers un refroidissement brutal de l’Europe de l’ouest ? | Christophe Magdelaine, Notre Planète | 26 février 2021
  • Changement climatique: à quoi ressembleront les hivers parisiens ? | Météo France | 2 mars 2021
  • Sibérie, futur grenier à grains du monde? | Jean-Jacques Hervé, Hervé Le Stum, club Demeter | 2021
  • Défendre les sols pour nourrir le monde | Christian Valentin | club Demeter | 2021
  • Chiffres clés du climat, France, Europe et Monde | SDES-ministère de la transition écologique | édition 2021
  • Éclairer le climat en France jusqu’en 2100 | Météo France | février 2021
  • Pourquoi une vague de froid ne remet pas en question le réchauffement climatique | Gary Dagorn, Olivier Modez, Le Monde | 10 février 2021
  • Analyse du plan de vigilance climatique de 27 multinationales françaises | Notre affaire à tous | 8 mars 2021
  • La calotte glaciaire du Groenland a déjà fondu au moins une fois au cours du dernier million d’années | Audrey Garric, Le Monde | 15 mars 2021 | rapport PNAS en anglais
  • Changement climatique : ralentissement sans précédent du Gulf Stream | David Salas y Melia, Météo France | 22 mars 2021
  • Inondations, pics de chaleur : comment aménager le territoire face au réchauffement climatique ? | Chloé Cambreling, France Culture, La question du jour | 26 juillet 2021

Biodiversité : “Espèces (micro-organismes, espèces végétales et animales) présentes dans un milieu” [2021 Dictionnaire Le Robert]

  • Écosystèmes et bien-être humain : la désertification | ONU-Évaluation des écosystème pour le millénaire | 2005
  • Méthodologie des scénarios de la biodiversité et des écosystèmes | IPBES | 2016
  • Rapport de l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques | IPBES |2019
  • Biodiversité : bilans annuels de l’ONB | 2019 | 2018 | 2017 | 2016 | 2015 | 2014
  • Six questions sur la biodiversité en France | rapport ONB | 2020
  • Les extinctions massives de la biodiversité | Christophe Magdelaine, Notre-Planète.info | 2020
  • Sur Terre, la masse de l’artificiel égale désormais la masse du vivant | Joël Chevrier, The Conversation | 26 janvier 2021

Nations-Unies, action climat : PNUE

“Paix, dignité et égalité sur une Planète saine : Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) est l’entité du système des Nations Unies désignée pour répondre aux problèmes environnementaux aux niveaux régional et national. Le PNUE promeut la mise en œuvre cohérente de la dimension environnementale du développement durable; il assure la défense de l’environnement mondial.” [ONU] Pour quels résultats ?

bandeau_2Conventions, protocoles, sommets…

Conférences des parties, COP

Ces conférences annuelles s’inscrivent dans la Convention cadre sur les changements climatiques de 1992, pour l’actualiser et décider des actions à mener pour atteindre les objectifs fixés par la Convention

  • COP-21 : L’Accord de Paris | décisions adoptées | 2015
    • Notre analyse de l’accord de Paris | France Nature Environnement | 2015
    • L’accord obtenu à la COP21 est-il vraiment juridiquement contraignant ? “Si ce texte, à valeur de traité international, ne prévoit pas de mécanisme de sanction, il comporte bien de nombreuses obligations juridiques de résultats ou de moyens” | Audrey Garric, Le Monde | 14 décembre 2015
  • COP 22 : Conférence de Marrakech. “Le climat se réchauffe à un rythme alarmant ”| 2016
    • 22 mots pour comprendre la COP 22 de Marrakech | Audrey Garric et Pierre Le Hir, Le Monde | 2016
  • COP-23 : Conférence de Fidji-Bonn. Rechercher des résultats | novembre 2017
    • Ce qu’il faut retenir de la COP23 | Marie Adélaïde Scigacz, FranceInfo | 18 nov. 2017
    • Fin de la COP 23 : la planète brûle, les diplomates tournent en rond | Marie Astier, Reporterre | 18 nov. 2017
  • COP-24 : Conférence de Katowice. Évaluer la réalisation de l’Accord de Paris | 2018
    • La COP 24 sauve l’Accord de Paris, mais pas plus ! | Dorothée Moisan, Reporterre | 17 déc. 2018
  • COP-25 : Conférence de Madrid. Faire le point sur l’application de l’Accord de Paris | 2019
    • la douche froide | Lola Vallejo, Alternatives économiques | 16 déc. 2019
    • Les négociations internationales sur le climat s’enlisent | Alexandre Reza Kokabi et Baptiste Langlois, Reporterre | 7 déc. 2019
  • COP-26 : prévue en 2020 à Glasgow, a été reportée en novembre 2021 .dans la même ville | ONU
  • Climat : un sommet de l’ONU pour agir, et après ? | Claudio Forner, ONU info | 15 octobre 2019
  • Comment osez-vous ?” Greta Thunberg à l’ONU | France Inter | 24 septembre 2019
  • L’ONU réclame des solutions concrètes dès maintenant pour mettre fin à la crise de l’eau dans le monde | ONU info | 18 mars 2021
  • “Adoption du pacte de Glasgow pour le climat à la COP26 : une dynamique à poursuivre”, Ministère de la transition écologique | 15 novembre 2021
  • COP26 conférence de Glasgow, “Négociations climatiques : une COP26 encourageante mais loin du compte”, Sénat | décembre 2021 | rapport d’information complet / synthèse

Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat

Le GIEC a été créé en 1988 “en vue de fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques, techniques et socio-économiques sur les changements climatiques, leurs causes, leurs répercussions potentielles et les stratégies de parade”. Il dépend de l’Organisation Météorologique Mondiale (OMM) et du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) organes de l’ONU.

  • bandeau_3Une expertise collective sur le climat : le fonctionnement du GIEC | Jean Jouzel, revue Études | juin 2015
  • Changements climatiques, aperçu général| rapport-1990
  • Changement de climat, seconde évaluation | rapport-1995
  • Changements climatiques, bilan| rapport-2001
  • Préservation de la couche d’ozone et du système climatique planétaire | rapport-2005
  • Changements climatiques, bilan | rapport-2007
  • Sources d’énergie renouvelable et atténuation du changement climatique | rapport-2011
  • Gestion des risques de catastrophes et de phénomènes extrêmes pour les besoins de l’adaptation au changement climatique | rapport spécial-2012
  • Changements climatiques, les éléments scientifiques| contribution2013
  • Changements climatiques, incidences, adaptation et vulnérabilité | rapport-2014
  • Scénarios d’émissions | rapport spécial-2018
  • Changements climatiques, réchauffement planétaire de 1,5°C | rapport-2019
  • Changement climatique et terres émergées | rapport spécial-2020
  • Changement climatique | sixième rapport-2021
  • « La crise climatique s’aggrave partout, à des niveaux sans précédent, alerte le GIEC » | Audrey Garric, Le Monde | 9 août 2021
  • « 10 points clés pour comprendre le 6e rapport du Giec » | Météo France |  9 août 2021

Autres expertises

  • Déclaration Universelle des Droits de la Terre Mère | Conférence Mondiale des Peuples contre le Changement climatique | Cochabamba, 22 avril 2010
  • Conséquences géostratégiques du dérèglement climatique. Rapport d’information | Sénat | octobre 2015
  • Changement climatique, l’enjeu géopolitique majeur de l’anthropocène | Bastien Alex, IRIS | nov. 2015
  • Le changement climatique c’est aussi de la géopolitique | Jean-Michel Valantin, France Culture | 25 avril 2018
  • Le cadre international de l’adaptation au changement climatique | Vie publique | mars 2019
  • Total, la stratégie du chaos climatique | Les Amis de la Terre | mai 2019
  • Les éco-intellectuels : 100 penseurs pour comprendre l’écologie | France culture | 29 novembre 2019
  • Impact du changement climatique sur l’extension géographique des risques sanitaires | ODC – IRIS | septembre 2020
  • Projections climatiques pour l’adaptation de nos sociétés| DRIAS ministère de la transition écologique | 2021
  • Stress-tests climatiques par scénarios : de l’analyse des risques à la modélisation | Florian Jacquetin, Ademe | 2021
  • Transition écologique et transition sociale | Ademe | janvier 2021
  • Pourquoi parle-t-on de transition écologique ? | Catherine Larrère, The Conversation | 14 février 2021
  • Quatre domaines prioritaires d’action pour la sécurité climatique | ONU. Conseil de sécurité | 23 fév. 2021
  • “À propos de nous” Alliance des petits États insulaires défendant les intérêts climatiques de 44 pays. | Aosis | 2021
  • Faire la paix avec la nature | PNUE | 2021

Europe, France et changement climatique

L’European Green Deal est un ensemble d’initiatives politiques proposées par la Commission européenne dans le but primordial de rendre l’Europe climatiquement neutre en 2050.

  • bandeau_4Appel de Hanovre des maires européens | 3e Conférence européenne des villes durables | 2000
  • Pacte vert pour l’Europe : être le premier continent neutre pour le climat | Commission européenne, rapport / annexes | 11 décembre 2019
  • Plan d’investissement pour une Europe durable | Commission européenne | 14 janvier 2020
  • Stratégies et objectifs climatiques | Commission européenne | décembre 2020
  • Accord UE-Mercosur : Risques pour la protection du climat et les droits humains | Thomas Fritz, Greenpeace et al. | 2020
  • Green deal : l’économie sociale, vecteur de transition écologique inclusive | Observatoire européen de l’ESS | février 2020
  • Le changement climatique. Fiche technique | Parlement européen | 2021
  • Charte constitutionnelle de l’environnement  France, votée en 2005 [ Préparation en commission (2003)
  • Les lois Grenelle (1 et 2) Transition énergétique pour la croissance verte | Ademe | 2009-2010
    • Loi N°2009-967 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement | Journal officiel | 3 août 2009
    • Loi N° 2010-788 portant engagement national pour l’environnement | Journal officiel | 12 juillet 2010
    • La politique de l’environnement depuis le Grenelle | Vie publique | 31 juillet 2019
  • Montagnes et transition énergétique | UICN | 2013
  • Solutions fondées sur la Nature pour les risques liés à l’eau | UICN | 2019
  • La protection de l’environnement, objectif de valeur constitutionnelle | Conseil constitutionnel | 31 janvier 2020
  • Dans nos communes, la nature c’est notre future ! | France Nature Environnement | 2020
  • Énergies, une transition à petits pas | Pop’sciences-mag N°7 | novembre 2020
  • Les Français et l’environnement en 2021 | Agir pour l’environnement | décembre 2020
  • Observatoire des objectifs régionaux climat-énergie | Réseau Action Climat | janvier 2021
  • Trafic aérien : empêcher le redécollage des vols courts | Greenpeace | 2021
  • Énergie, climat : la transition est-elle vraiment en panne en France ? | Patrick Criqui, Carine Sebi, The Conversation | 14 février 2021
  • « Le réchauffement climatique doit-il être spectaculaire pour mobiliser ? » | François Saltiel, France Culture | 9 août 2021 

“Jeunesse pour le climat”

  • Le rap peut-il faire le lien entre le climat et les quartiers nord de Marseille ? | Barnabé Binctin, Reporterre | 12 novembre 2015
  • Greta Thunberg exhorte les eurodéputés à passer à l’action | Parlement européen / discours | 16 avril 2019
  • Youth for Climate France : Valeurs et objectifs du mouvement | Charte de Grenoble | 2019
  • Charte d’engagement des associations étudiantes en faveur de l’organisation d’événements écoresponsables | REFEDD | 2019
  • Lettre aux professeurs et au personnel des établissements d’enseignement de France | Youth for climate | février 2020
  • Une nouvelle initiative pour la justice climatique : L’Accord de Glasgow | Youth for Climate France | 3 novembre 2020
  • Les étudiants face aux enjeux environnementaux | REFEDD | 2020

Climat et économie. Croissance, décroissance ?

“Sans effort volontariste, les changements du climat provoqués par les émissions de gaz à effet de serre pourraient modifier de manière inédite le cadre de la vie humaine. Les effets économiques de l’inaction climatique sont difficiles à prévoir avec précision mais le consensus scientifique conclut à un fort impact négatif, avec un risque d’effets aggravants non anticipés et de fortes inégalités par régions et secteurs”. [Ministère de l’économie et des finances, Trésor-éco N°262, juillet 2020]

  • bandeau_5Conséquences économiques à long-terme du changement climatique, Joffrey Célestin Urbain | Économie et prévision N°185 | 2008
  • Planète vivante : Soyons ambitieux | WWF | rapport-2018
  • Résilience et changement climatique | CARE | 2018
  • Réconcilier l’industrie et la nature | Jean Gadrey, Le Monde diplomatique | juillet 2019
  • Climat et inégalités : Plaidoyer pour un budget vert et juste | Réseau-Action-Climat | 2019
  • Appel pour la Nature | WWF | 2019
  • Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’État face à l’urgence climatique | Carbone 4 | juin 2019
  • Agir en cohérence avec les ambitions. Rapport annuel “neutralité carbone” | Haut conseil pour le climat | 25 juin 2019
  • Rapport du Gouvernement au Parlement et au CESE, suite au premier rapport du Haut conseil pour le climat | gouvernement | 10 janvier 2020
  • Communes, intercommunalités et action climatique | La Fabrique Écologique | novembre 2019
  • Sortie de crise et climat : que doivent faire les Régions françaises ? | Réseau-Action-Climat | 2020
  • La fabrique des inégalités environnementales en France. Approche sociologiques qualitatives | Valérie Deldrève, revue de l’OFCE | janvier 2020
  • Climat l’argent du chaos. Pour une interdiction des dividendes climaticides | Greenpeace | 2020
  • Quelle place pour l’environnement au sein de la discipline économique ? | Fondation N.Hulot | 2020
  • Publicité : pour une loi Évin climat | Greenpeace | 2020
  • La France ne se prépare pas assez au changement climatique | Alternatives économiques | 6 août 2020
  • Le changement climatique : une apocalypse budgétaire pour les pays pauvres | Martin Anota, blog Alternatives économiques | 19 décembre 2020
  • Le récit de la décroissance ne dit pas qui se prive et qui disparaît | Xavier Timbeau, Alternatives économiques | 2020
  • Mirages de la décroissance : Produire moins sans appauvrir la population mondiale ? | Leigh Phillips, Le Monde diplomatique | février 2021
  • Transition écologique et solidaire, vers la neutralité carbone. Stratégie bas-carbone | ministère de la transition écologique | rapport / résumé | mars 2020
  • Climate adaptation finance : fact or fiction ? | CARE | 2021
  • Peut-on échapper à la société de consommation ? | Alternatives économiques | mars 2021
  • Climat, CAC degrés de trop : le modèle insoutenable des grandes entreprises françaises | Oxfam | mars 2021

« Au fond de la nuit

s’éteignent l’une après l’autre

les lucioles pour toujours »  Hosomi Ayako

Agriculture, alimentation, eau, forêts…

« Il est avéré que l’accélération de l’évolution climatique est due aux émissions de gaz à effet de serre (GES) générées par les activités humaines. Les principaux secteurs responsables de cette accélération sont l’énergie, l’industrie et les transports. Mais le secteur des terres peut jouer un rôle majeur et pourrait contribuer de 20 à 60% au potentiel bandeau_6d’atténuation des émissions de GES d’ici 2030. Comment ? Grâce au rôle de l’agriculture et de la forêt en tant que pompe à carbone, permettant de stocker le carbone et de compenser les émissions des autres secteurs par une évolution des modes de production. » [ministère de l’agriculture et de l’alimentation | février 2020]

L’avenir passe par l’agriculture

  • Agenda 21 : programme local d’actions en faveur du développement durable | ONU | 1992
  • Adaptation de l’agriculture aux changements climatiques | Réseau-Action-Climat | 2014
  • Solutions fondées sur la nature pour lutter contre les changements climatiques | UICN | 2016
  • Le scénario Afterres 2050 | Solagro | projet / résumé | 2016
  • Préserver et partager la terre | Terre de liens | rapport-novembre 2018
  • Pour une alimentation bénéfique à la santé de tous et au climat | Réseau Action Climat, Solagro | octobre 2019
  • Pesticides et biodiversité | Générations futures | 2019
  • Aires protégées | Office français de la biodiversité | rapport 2019
  • Solutions fondées sur la nature pour les risques liés à l’eau en France | UICN | 2019
  • Séquestration du carbone dans les sols agricoles en France | Cyrielle Denhartigh, Réseau Action Climat | novembre 2019
  • Planète vivante : infléchir la courbe de la perte de la biodiversité | WWF | rapport-2020
  • Eau et milieux aquatiques | Office français de la biodiversité | rapport 2020
  • Actualité de l’eau | Aqueducs info
  • Une commune bretonne impose l’agriculture bio et paysanne à des propriétaires de terres en friche Reporterre | 27 janvier 2020
  • Plan de relance. Transition agricole, alimentation et forêt | ministère de l’agriculture et de l’alimentation | septembre 2020
  • Comment l’agriculture peut devenir une partie de la solution au changement climatique | Green European Journal | 14 décembre 2020
  • Des jeunes en première ligne pour le climat ! Recueil d’initiatives menées dans l’agriculture par des jeunes afin de lutter contre les effets du changement climatique | FAO | 2020
  • Élevage et consommation de produits animaux respectueux de la planète | Réseau-Action-Climat | 2021
  • La chasse cœur de biodiversité… Vraiment ? | Matthieu Jublin, Alternatives économiques | février 2021
  • Pour le développement des semences paysannes en Bretagne | KaolKozh | 2021
  • L’agriculture intelligente face au climat | FAO | 2021
  • Pour une autre PAC (Politique Agricole Commune) | FNAB | 2021
  • La réforme de la PAC ne répond pas aux objectifs du Pacte vert | étude INRAE | 2021
  • Pour une PAC plus juste, verte et tournée vers l’avenir, un millier de propositions citoyennes | Mathilde Gérard, Le Monde | 11 janvier 2021
  • Plan stratégique national de la politique agricole commune. Propositions | compte-rendu de la Commission nationale du débat public | janvier 2021
  • Contre l’apocalypse climatique, les soulèvements de la Terre | Reporterre | 10 mars 2021

Importance de la forêt

« Les forêts ont quatre rôles principaux dans le changement climatique: elles produisent actuellement un sixième des émissions mondiales de carbone lorsqu’elles sont déboisées, surexploitées ou dégradées ; elles réagissent avec sensibilité au changement climatique; lorsqu’elles sont gérées de façon durable, elles produisent du combustible ligneux qui remplace favorablement les combustibles fossiles ; et enfin, elles ont le potentiel d’absorber un dixième des émissions de carbones mondiales prévues pour la première moitié de ce siècle dans leur biomasse, sols et produits et de les emmagasiner – en principe à perpétuité. » [ FAO]

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« Les pieds dans la cendre

Je pleure

Les arbres disparus ». Yves Gerbal

  • Gestion et exploitation écologique de tous les types de forêts | ONU | Rio, 1992
  • Le changement climatique et la forêt : une réalité | Forêts de France N° 509 | décembre 2007
  • Préparer les forêts françaises au changement climatique | Bernard Roman Amat, rapport aux ministres de l’agriculture et de l’écologie | 2008
  • L’arbre, allié de taille | Frédéric Joignot, Le Monde | 20 novembre 2011
  • Programme national de la forêt et du bois, 2016-2026 | ministère de l’agriculture et de l’alimentation
  • Notre avenir s’appelle forêt. Pérenniser les services écosystémiques des forêts françaises au XXIe siècle | ReforestAction | novembre 2018
  • Quel rôle pour la forêt dans la transition écologique en France ? | La Fabrique Écologique | 2019
  • Situation des forêts du monde. Forêts, biodiversité et activité humaine | FAO | 2020
  • Gestion forestière et changement climatique. Une nouvelle approche de la stratégie nationale d’atténuation | Gaëtan du Bus de Warnaffe, Sylvain Angerand, Fern / Canopée | janvier 2020
  • Adapter la forêt au changement climatique : une urgence | Hortense Chauvin, Actu Environnement | 18 mars 2020
  • Gestion durable des forêts, un levier pour lutter contre le changement climatique | ONF | 2020
  • Réchauffement climatique : quels enjeux pour la forêt ? | Manuel Nicolas, ONF | 2020
  • Feux de forêt : un risque accru par le réchauffement climatique | Météo France | 19 juin 2020
  • Face aux changements climatiques, la menace des feux de forêt de plus en plus forte | Oxfam | 23 septembre 2020
  • Les fronts de déforestation : moteurs et réponses dans un monde en mutation | WWF | 2020
  • La déforestation : définition, données, causes et conséquences | Notre Planète | mise à jour décembre 2020
  • La restauration des forêts peut aider le monde à se relever de la pandémie et à s’orienter vers un avenir plus vert | ONU info | 16 mars 2021

« Je suis désolé que nous ayons utilisé la planète comme une carte de crédit illimitée

Je suis navré qu’on est mis le profit au-dessus de l’humanité

Une erreur devient une faute que si on refuse de la corriger

Le climat c’est l’affaire de tous ».  Prince Ea,Sorry la Planète”, 2015

L’Affaire du siècle ou le recours en justice

« Le climat, ce n’est pas une petite affaire. C’est l’Affaire du Siècle. Mais au-delà des discours, l’État n’agit toujours pas assez, toujours pas à temps. Le dérèglement climatique, lui, n’attend pas. […] Dans le monde, le mouvement pour la justice climatique remporte des victoires et une nouvelle jurisprudence est en train de voir le jour. […] Le juge peut bandeau_8reconnaître la responsabilité de l’État français et enjoindre au Premier ministre et aux ministres compétents d’adopter toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à l’ensemble des manquements de l’État et réparer les préjudices subis. » Recours à l’initiative de : Greenpeace, Fondation N. Hulot, Notre Affaire à tous, Oxfam. [“Pourquoi attaquer l’État ?”]

  • Climat : stop à l’inaction, demandons justice ! | Affaire du siècle |
  • Demande préalable indemnitaire | Affaire du siècle | 2018
  • Consultation des signataires, résultats | Affaire du siècle | 2019
  • Mémoire complémentaire en trois points | Affaire du siècle | 2019
  • Requêtes, mémoires en intervention | FNAB | Fondation Abbé Pierre |2020
  • Argumentaire du mémoire en réplique | Affaire du siècle | 2020
  • l’État reconnu responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique | communiqué de presse Tribunal administratif de Paris | 3 février 2021
  • Affaire du siècle. “Au nom du peuple français”, le jugement | 3 février 2021
  • Une victoire historique pour le climat ! Tout comprendre sur l’audience au tribunal | Affaire du siècle | 3 février 2021
  • « L’Affaire du siècle » : première « historique » ou jugement symbolique ? | Romain Brunet, France 24 | 3 février 2021
  • Jugement dans l’Affaire du siècle : une bonne et une mauvaise nouvelle | Frédéric Says, France culture | 4 février 2021
  • Décryptage juridique de l’Affaire du siècle | Marta Torre-Schaub, The Conversation | 10 févier 2021

« Le monde se meurt y’a plus d’logique

Mais ils disent que nous restons stables

C’est la Macron économie

Donald Trump et Manuel mentent dans les manuels :

« Le réchauffement climatique est une invention des chinois »

Mais l’on consomme nos réserves terrestres annuelles en six mois

Dis-moi qui les évite

Il s’agit de cesser la reproduction des élites ». Lord Esperanza et Idriss Aberkane,Reste à ta place2018

Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) et projets de lois

Cette convention a largement été présentée comme une avant-première et une grande innovation démocratique, ce qui n’est pas tout à fait le cas comme le soulignent Jacques Testart [Les Possibles ATTAC | 29 septembre 2020] et le juriste Arnaud Gossement qui estime que « la convention citoyenne pour le climat est profondément monarchique » [Reporterre | 5 février 2020]. En déclarant « je prendrai les propositions de la Convention sans filtre », le président de la République a pris le risque de provoquer nombre d’insatisfactions, puisque filtres il y eut de sa part et filtres il y aura de la part de l’Assemblée nationale et du Sénat. « Mais nous étions dans un contexte d’expérimentation. », note Thierry Pech, l’un des garants de la CCC [France culture | 8 décembre 2020]. Est-ce suffisant pour rassurer les membres de la CCC et les nombreuses associations et ONG qui les soutiennent ?

CCC : juillet 2019-février 2021

  • bandeau_9Lettre de mission pour la Convention citoyenne pour le climat | gouvernement | 2 juillet 2019
  • Association des Citoyens de la Convention climat | Les 150
  • La Convention Citoyenne pour le Climat, c’est quoi ? | CCC | 2020
  • Convention Citoyenne pour le Climat, qu’en pensent les Français ? | Réseau Action Climat | juin 2020
  • Convention Citoyenne pour le Climat : Quelques enseignements pour l’avenir | Terra Nova | décembre 2020
  • Lobbys contre citoyens : qui veut la peau de la Convention climat ? | Observatoire des multinationales | 2021
  • Les lobbies ont saboté la Convention citoyenne pour le climat | Gaspard d’Allens, Reporterre | 8 février 2021
  • Propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat | rapport final / synthèse | 28 janvier 2021
  • Suivi de la Convention citoyenne pour le climat | gouvernement | 2021
  • L’heure de vérité pour la Convention citoyenne pour le climat : le bilan est très amer | Célia Quilleret, France Inter | 28 février 2021
  • Avis de la CCC aux réponses apportées par le gouvernement à ses propositions | CCC | 2 mars 2021

Projet de loi constitutionnelle et projet de loi climat – résilience

  • Projet de loi constitutionnelle : “rehausser la place de l’environnement dans la Constitution” | Assemblée nationale | 20 janvier 2021
  • Projet de loi constitutionnelle complétant l’article 1er de la Constitution et relatif à la préservation de l’environnement, votée en première lecture par l’Assemblée national : résultat du vote | 17 mars 2021
  • L’inscription de l’environnement dans la Constitution approuvée par l’Assemblée nationale | Le Monde | 17 mars 2021
  • Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets | exposé des motifs / contenu de la loi | 8 janvier 2021
  • Le projet de loi réduit à néant les propositions de la Convention citoyenne pour le climat | Gaspard d’Allens, Reporterre | 9 janvier 2021
  • Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, avis du Conseil national de la transition écologique (CNTE) | 26 janvier 2021
  • Projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et ses effets. Extrait du registre des délibérations | avis du Conseil d’État | 4 février 2021
  • Lettre ouverte à l’attention d’Emmanuel Macron sur le manque d’ambition du Projet de loi Climat | Réseau Action Climat | 8 février 2021
  • Loi climat et résilience : l’écologie dans nos vies | ministère de la transition écologique | 10 février 2020
  • Projet de loi climat et résilience, avis du Haut Conseil pour le climat | 22 février 2021
  • Le Haut Conseil pour le climat appelle le Parlement à renforcer le projet de loi | Coralie Schaub, Libération | 23 février 2021
  • Loi Climat : “je n’accepterai aucune baisse d’ambition à l’Assemblée nationale”, Barbara Pompili | Reporterre | 25 février 2021
  • Analyse juridique du projet de loi climat | CCC | 28 février 2021
  • projet loi climat-résilience | audition des membres de la Convention citoyenne pour le climat par commission spéciale | Assemblée nationale | 17 février 2021 | autres comptes-rendus de la commission
  • projet loi climat-résilience | approbation par commission spéciale du projet amandé | Assemblée nationale | 18 mars 2021

Et maintenant ?

Rimbaud


Sites consultés : institutions publiques, associations, ONG

Les haïkus cités sont issus de : « Le petit livre des haïkus », Muriel Détrie | First éditions, 2018


documents plus récents


Apeirogon : Palestine – Israël

texte téléchargeable       vers page Palestine / Israël

ap_01Je termine la lecture de Apeirogon de Colum McCann, livre étrange dans sa conception à la fois récit historique et roman, mais enthousiasmant, émouvant. À sa parution en 2020 [éd. Belfond], la critique a été particulièrement élogieuse : « On le déguste avec éblouissement et gratitude [Florence Noiville, Le Monde | 19 août]… Un hymne éblouissant à la mémoire et à la paix [Carine Azzopardi, FranceInfo | 13 oct.]… Le Chant pour la paix [Didier Jacob, Nouvel Observateur | 14 oct.]… Un livre monumental [Guillaume Erner, France Culture Les invité du matin | 25 sept] ».

Seule Alexandra Schwartzbrod dans Libération émet quelque réserve : « L’idée est de montrer toutes les facettes d’un conflit multiple et les liens de cause à effet entre les tragédies, parfois même l’absurdité de ce conflit. Le procédé est intéressant, brillant, mais il entrave terriblement la lecture, bride le romanesque et finit par lasser » [“Colum McCann, heurts d’Apeirogon”| Libération |11 sept 2020]. En fait, je n’ai été ni entravé, ni lassé, mais vraiment étonné par une œuvre aux multiples facettes…

ap_0Le cœur de l’ouvrage c’est d’abord l’histoire bouleversante de l’Israélien Rami Elhanan, père de Smadar, 14 ans, tuée dans un attentat en plein centre de Jérusalem-Ouest le 4 septembre 1997 (cinq morts dont trois adolescentes), et du Palestinien Bassam Aramin, père d’Abir, 10 ans, tuée le 20 janvier 2007 par le tir d’un jeune soldat israélien se sentant menacé, alors qu’elle se rendait à son école à Beit Jala, ville proche de Bethléem en Cisjordanie.

Les deux hommes n’ignorent rien de la violence de la guerre : à 17 ans, Bassam a été emprisonné pendant sept ans pour actes jugés terroristes. À 23 ans, Rami a fait la guerre du Kippour dans une compagnie de chars en grande partie décimée, “là où on nous apprend à avoir peur des arabes”. Mais la mort de leur enfant a complètement bouleversé leur vie, leur façon de penser et d’agir.

Je reviendrai plus longuement sur cette grande page de l’histoire israélo-palestinienne après avoir évoqué l’originalité de la composition du livre. Déjà le titre surprend : l’apeirogon serait une figure géométrique sans limite ou plus exactement un polygone au nombre infini de côtés, ce que j’ai bien du mal à me représenter ! Toujours est-il que Colum McCann a utilisé ce mot trouvé, dit-il, “par hasard, venant de nul part et tellement mystérieux” [France-Culture, op.cit.], pour en bâtir mille-et-un fragments (ou chapitres parfois très courts), tel le conte arabo-persan “Les Mille-et-une Nuits”, dans lequel tout finit par s’enchâsser. C’est bien le cas aussi dans Apeirogon, mais c’est loin d’être toujours évident à saisir !

Ainsi le chapitre 6 est consacré au dernier repas d’ortolans de François Mitterrand le 31 décembre 1995, quelque jours avant sa mort : « Ce mets incarnait à ses yeux l’âme de la France », écrit C. McCann ; est-il outré par cette dégustation rituelle d’un tout petit oiseau interdit de chasse et qui s’achète clandestinement autour de 100 € pièce ? En tout cas je le suis ! et ne serait-il pas alors plus juste de dire : “braver l’interdit incarne l’âme de la France” ?

Mais je crois que l’enchâssement est à rechercher ailleurs que dans les transgressions coutumières d’un ancien président de la ap_03République. Les oiseaux, ortolans compris, tiennent une grande place dans Apeirogon : « Je n’étais pas tellement intéressé par les oiseaux jusqu’à ce que j’aille à Jérusalem […]. Israël et la Palestine c’est la deuxième autoroute au monde pour les migrations d’oiseaux […]. Ils survolent cet espace aérien. Et souvent, ils atterrissent sur le sol et ils apportent en quelque sorte les récits d’autres endroits à ce lieu particulier. Nous avons là le lieu de rencontre de trois continents l’Afrique, l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie, lieu de rencontre des principales religions du monde […]. Oui, oui, il y a un conflit terrible et il y a énormément de tristesse. Il y a aussi une beauté incroyable là-bas. Je voulais capturer cette beauté à travers les formes de ces oiseaux migrateurs ». [France Culture | op.cit.].ap_04

Smadar avait accroché dans sa chambre une reproduction de la colombe de la paix de Picasso. « Ne laissez pas tomber le rameau d’olivier de ma main » [Yasser Arafat, assemblée générale des Nations-Unies |1974].

Je pourrais citer plusieurs autres fragments que je n’ai pas toujours su enchâsser dans le récit des deux pères sur lequel on revient toujours d’une manière ou d’une autre, et c’est là l’essentiel.

ap_05Bassam et Rami ont fait connaissance dans l’association Les Combattants de la paix : « Nous sommes un groupe de Palestiniens et d’Israéliens qui ont pris une part active au cycle de violence dans notre région : des soldats israéliens servant dans l’armée israélienne et des Palestiniens en tant que combattants luttant pour libérer leur pays, la Palestine, de l’occupation israélienne. Nous – au service de nos peuples, nous avons brandi des armes que nous nous sommes dirigées les uns contre les autres et que nous ne nous voyions que par des armes à feu – avons établi des combattants pour la paix sur la base des principes de non-violence ». [cf. également “Le long du mur, avec les Combattants pour la paix”| Camille Laurens, Gisèle Sapiro | Libération | 30 mai 2013]

Depuis, ces deux grands amis parcourent le monde pour raconter inlassablement, à des publics très divers, la mort de leur enfant, ap_06leur douleur et celle leur famille, les absurdités de la guerre en Palestine, et évoquer la parole et la non-violence comme seules armes possibles pour parvenir à la paix : « Nous vous demandons de retirer vos armes de nos rêves. Nous en avons assez, je dis, assez, assez […] La seule vengeance consiste à faire la paix. Nos familles ne font plus qu’une dans laap_10 définition atroce des endeuillés. Le fusil n’avait pas le choix, mais le tireur, lui, l’avait ». Le plus souvent ils sont accueillis chaleureusement, mais il arrive parfois qu’ils soient hués, traités de vendus, “terroriste un jour, terroriste toujours”… Comment peux-tu faire ça ? Tu soutiens des gens qui ont tué ta fille. Je ne comprends pas”…

Apeirogon m’a aussi permis de réactualiser des faits parfois oubliés. Ainsi, Rami est le mari de Nurit Peled Elhanan, dont le père Matti Peled (1923-1995), général de l’armée israélienne, après s’être illustré durant la “guerre des 6 jours” en 1967, était devenu militant pacifiste dénonçant l’absurdité de l’occupation d’une grande partie de la Cisjordanie et de Gaza.

Nurit, professeure de littérature à l’université hébraïque de Jérusalem, prix Sakharov en 2001, est connue comme une grande ap_07militante pacifiste. Aux obsèques de sa fille Smadar, elle refuse la présence des autorités israéliennes dont Benjamin Nétanyahou, pourtant ami d’enfance et d’études. Elle l’interpelle directement au téléphone : “Bibi qu’as-tu fait ?” puis l’accuse dans un long article publié par Le Monde Diplomatique en octobre 1997, et dans lequel elle ne mâche pas ses mots : « Et voilà : la plus monstrueuse parmi les monstruosités qu’on puisse imaginer a frappé notre foyer. Je répète donc aujourd’hui ce que j’ai dit, et avec encore plus de détermination, alors même que mes yeux ruissellent de larmes et que le visage mutilé de Smadar, notre petite et si belle princesse, est toujours là devant moi. Et j’ajoute : c’est la politique du premier ministre, “Bibi” Nétanyahou, qui a amené le malheur dans notre famille. […] Depuis trente ans, Israël a mené une politique désastreuse pour nous comme pour nos voisins. “Nous” avons occupé de vastes territoires, humilié et spolié des hommes et des femmes, détruit des maisons et des cultures. Et, par la force des choses, la riposte est arrivée. On ne peut pas tuer, affamer, boucler dans des enclaves et abaisser tout un peuple sans qu’un jour il explose. C’est la leçon de l’histoire. Mais “Bibi” n’a pas la moindre notion d’histoire. […] Il accusait mon père, partisan de la paix avec les Palestiniens, d’être un agent de l’OLP. En fait, “Bibi” est incapable de comprendre comment un homme peut être guidé par des idéaux de paix. […] Si l’on n’arrête pas cette folie, les flammes de la guerre consumeront tout ».

Mais comment arrêter cette folie ? En fin de lecture, je me suis demandé si la force de résister de manière non violente que ces familles israéliennes et palestiniennes puisent dans leur immense douleur, conduisait ou non à des changements dans la politique d’Israël à l’égard de la Palestine : “Bibi” est toujours là et même s’il est en difficulté et perd le soutien extravagant de D. Trump, la droite qu’il représente demeure obnubilée par l’idée d’aboutir à un État juif allant jusqu’au Liban, voire au-delà, et la gauche israélienne n’y voit plus très claire dans ses choix…

Et il y a le doute… exprimé par Daniela, amie de Smadar et blessée lors de l’attentat de 1997 ; elle échange avec Rami, non dans le livre mais dans un excellent film documentaire (à voir) : « je ne sais pas si ça vaut la peine de discuter. Je ne sais pas si ça nous mène à quelque chose. C’es décourageant. Je ne sais plus vraiment contre qui je suis en colère : contre le gouvernement israélien qui n’a pas réagi ? Contre les Palestiniens qui sacrifient leur vie ? Je ne sais plus contre qui je suis en colère… » [“Israël – Palestine les combattants de la paix”, documentaire réalisé par Shelley Hermon | France Télévisions | 2012]

Pour clore en gardant de l’espoir : Yigal et Araab, fils de Rami et Bassam, prolongent en public la mission de leurs pères : « Nous ne parlons pas de la paix, nous la faisons. Prononcer leurs prénoms [de nos sœurs] ensemble, est notre simple, notre unique vérité. »

Et une nouvelle récente peut renforcer cet espoir, en effet, pour la première fois dans l’histoire de l’occupation de la Palestine « une organisation israélienne, B’Tselem, dénonce un régime d’apartheid. L’organisation de défense des droits de l’homme israélienne accuse l’État d’entretenir un régime de suprématie juive entre le Jourdain et la Méditerranée. » [Louis Imbert, Le Monde | 12 janvier 2021 | rapport publié le 10 janvier en anglais]

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Références complémentaires

  • “Israël : les Palestiniens sont victimes d’un apartheid” | Amnesty International | février 2022
  • À propos de l’apartheid en Palestine, tribunes parues dans Le Monde en  septembre 2021 ; « Le terme “apartheid” permet de penser dans la durée l’asymétrie des relations israélo-palestiniennes », est le titre d’une tribune parue le 28 septembre et signée par un certain nombre de personnalités (dont Alain Gresh), en réponse à : « Antisémitisme : La question israélo-palestinienne ne doit pas être l’exutoire des passions primaires », autre tribune parue le 8 septembre, au contenu anhistorique et humiliant, signée par des personnalités (pas les mêmes !), dont on peut se demander ce que certaines font là…
  • Susan Abulhawa« Apeirogon : un autre faux pas colonialiste dans l’édition commerciale. Le dernier roman de Colum McCann mystifie la colonisation de la Palestine comme un conflit compliqué entre deux parties égales. »| Aljazeera-Opinion | 11 mars 2020
  • Raja Shehadeh, réponse à Susan Abulhawa : « Ce n’est pas l’affaire de Colum McCann dans son roman «Apeirogon» de fournir des solutions politiques au conflit. Il met en lumière d’une manière artistique très émouvante, l’humanité de deux individus, le père israélien qui a perdu un enfant tout comme il fait la perte du père palestinien. Comment pouvons-nous nous en offenser ? » [Mondoweiss | 3 juil. 2020 

Autres articles publiés

Virus, bactéries, épidémies, je vous…

téléchargement du texte

virus_01“Plonger au fond du gouffre. Enfer ou ciel, qu’importe ?

Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau”.

Baudelaire, Le Voyage. Les Fleurs du mal | 1857

Vivre avec ?

Bactéries et virus tiennent une place importante dans le monde du vivant [cf. “The biomass distibution on Earth” page 2]. Si les bactéries peuvent nuire (bacille de la peste…) elles ont aussi leur utilité, pour la digestion par exemple. En revanche le virus a nettement moins bonne presse : « Virus, étymologiquement parlant, c’est un jus mauvais, un poison, une puanteur, bref, quelque chose de pas vraiment sympathique. Et de fait, les virus sont responsables de maladies graves comme la grippe, Ébola, le SIDA, le SRAS… mais pour quelques espèces virulentes, combien d’autres vivent autour de nous, en nous, et ce certainement depuis l’origine du vivant ? Il y a plus de virus sur Terre que d’étoiles dans la galaxie. Les virus sont partout, et sont surtout beaucoup plus complexes qu’on ne l’imaginait, à tel point que l’on se demande, aujourd’hui, si les virus ne sont pas à l’origine de la vie, et s’il ne faudrait pas, eux aussi, les considérer comme des organismes vivants. » [Nicolas Martin, “Virus, il ne leur manque que la parole”, France-CultureLa méthode scientifique | 13 avril 2020].

Patrick Forterre est l’un des biologistes cherchant à démontrer les rôles essentiels des virus dans le développement des cellules virus_02humaines : « Les virus ne se résument pas aux particules virales que l’on détecte au microscope. Lorsqu’ils infectent une cellule, ils la détournent et en font transitoirement une chimère, qui joue sans doute un rôle clé dans l’évolution. » [“La cellule virale rouage de la vie”, Pour la science N° 469 | novembre 2016 | p. 42]. Si “L’usine virale” du vivant provoque des maladies dangereuses, elle aurait aussi grandement participé à l’histoire évolutive de l’humanité ; ainsi les enzymes de base, l’ADN, le placenta, la mémoire à long terme, la fusion des gamètes, le noyau cellulaire, en seraient bénéficiaires [Lionel Cavicchioli, “Nos ancêtres les virus”, Science et Vie N°1227 | 3 avril 2020]. L’humain existe donc en grande partie grâce aux virus ! Belle aventure biologique dont l’exploration est loin d’être terminée, mais le savoir suffit-il à nous réconcilier avec eux, surtout en pleine pandémie d’origine virale avec les peurs qu’elle provoque ? Un jour peut-être la recherche permettra d’identifier et de neutraliser les virus dangereux en amont de leur déclenchement épidémique, mais en attendant on doit faire avec…

L’actuelle pandémie du coronavirus soulève beaucoup d’interrogations à propos de ses origines, de son imprévoyance, de sa gestion sanitaire, de ses conséquences économiques et sociales… Mon propos n’est pas de revenir sur ces questions déjà abondamment développées, mais de rapprocher quatre situations épidémiques ou pandémiques échelonnées entre 430 avant notre ère et 2020. Ce qui ne veut pas dire que les épidémies n’existaient pas avant –il se dit même qu’elles pourraient être l’une des causes de la disparition complète de l’Homme de Néandertal il y a environ 25 000 années– et n’existeront pas après, le tout étant de savoir comment on cohabite avec elles…

Cette étude est située principalement dans trois villes symboles : Athènes capitale de la Civilisation grecque ; Florence capitale de la Renaissance italienne, et Marseille l’une des capitales du Bassin méditerranéen. Bien entendu les pestes et coronavirus dont il va être question, ne se cantonnent pas au périmètre de chacune de ces agglomérations, mais ces épidémies sont à l’origine d’écrits ou de prises de position qui font dates dans l’histoire. Dans des réalités de crise à la fois sanitaire, économique, sociale, culturelles, politiques… à l’évidence différentes les unes des autres mais aussi avec des points communs, cette exploration permet de dégager des invariants que l’on retrouve dans plusieurs de ces situations, à partir de récits historiques écrits ou dits par des acteurs-auteurs de l’époque.

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ATHÈNES, 430 avant notre èrevirus_05

Vaste cité fortifiée où vivent environ 240 000 personnes dont : 75 000 esclaves [l’esclave : “objet animé, instrument destiné à l’action”, selon Aristote], 30 000 étrangers (les métèques) et 40 000 citoyens hommes constituant la Polis et seuls ayant accès à la vie démocratique [cf. Pierre Salmon, “La population de la Grèce antique”| Bulletin de l’Association Guillaume Budé – Lettres d’humanité n° 18 | décembre 1959]. Sans droits, la plupart des esclaves et des étrangers vivent dans des zones d’habitation surchargées et sans hygiène, genre bidonvilles, terrain propice à la propagation rapide d’une épidémie. Ils en sont les principales victimes.

La peste (ou peut-être le typhus) envahit l’Attique en -430, alors que cette région subissait les effets dévastateurs de la guerre entre Sparte et Athènes commencée en -431, et provoquée par Sparte (ligue du Péloponnèse) pour résister au développement de l’impérialisme athénien (ligue de Délos) dans le Bassin méditerranéen (mer Égée surtout). Cette guerre s’est achevée -404 par la victoire de Sparte, cité-État beaucoup moins touchée par l’épidémie. Malgré des mesures de confinement, en particulier pour les quartiers pauvres, le nombre de morts s’élève à environ 80 000 personnes, dont Périclès, alors chef du gouvernement de l’Attique. Et déjà, des conspirationnistes étaient à l’œuvre : « les premiers atteints prétendirent que les Péloponnésiens avaient empoisonné les puits » [Thucydide].

virus_00Thucydide (465 – ≈400), considéré comme le fondateur de l’Histoire scientifique, est le grand témoin de la guerre et de la peste, lui-même atteint mais dont il guérit. Il en fait le récit dans Histoire de la guerre du Péloponnèse [traduction par Charles Zévort | éd. G. Charpentier, 1883 | source Gallica-BNF], œuvre unique en huit livres écartant toute lecture mythique de la réalité. Cette épidémie a joué un rôle important durant la guerre au détriment des Athéniens et Thucydide, en journaliste et historien avisé, évoque longuement les ravages de cette épidémie.

virus_07« Dès le commencement de l’été, les Péloponnésiens et leurs alliés vinrent avec les deux tiers de leurs contingents, comme la première fois, envahir l’Attique, sous le commandement d’Archidamos, fils de Zeuxidamos, roi des Lacédémoniens. Ils y campèrent et ravagèrent le pays. Ils n’y étaient encore que depuis peu de jours, quand la contagion se déclara parmi les Athéniens. On disait que précédemment, ce mal avait déjà éclaté en plusieurs endroits ; à Lemnos et ailleurs, jamais, cependant, on n’avait vu, en aucun lieu, peste aussi terrible et pareille mortalité parmi les hommes. Les médecins étaient impuissants contre la maladie : d’abord ils avaient voulu la traiter faute de la connaître, mais en contact plus fréquent avec les malades, ils furent d’autant plus maltraités. Tous les autres moyens humains furent également impuissants : prières dans les temples, recours aux oracles et autres pratiques du même genre, tout resta sans effet ; on finit par y renoncer au milieu de l’abattement général ».

Histoire de la guerre du Péloponnèse      EXTRAITS évoquant l’épidémie       TEXTE complet

FLORENCE, XIVe sièclevirus_08

Depuis le début du XIVe siècle l’Europe traverse une grave crise économique, sociale et politique. L’une des causes avancées est climatique avec le Petit âge glaciaire dont les effets sur l’agriculture sont catastrophiques : « La grande famine de 1314-1316 est la conséquence de plusieurs étés pourris consécutifs. La ceinture des perturbations atlantiques dérive plus au sud. Le foin ne sèche pas, les charrues s’embourbent, […] les semailles d’automne et de printemps sont ratées, les rendements du blé sont misérables […]. Il est possible qu’en 1348 le passage de la peste bubonique à une forme plus dangereuse, la peste pulmonaire, ait été influencé par la fréquente, froide et lourde pluviosité estivale des années 1340. » [Emmanuel Le Roy Ladurie, “Le climat : une profonde rupture”| Vie publique | 4 déc. 2019]

L’Italie est profondément touchée par cette tourmente. Ce qui n’empêche pas des seigneurs de guerroyer pour mettre la main sur les nombreuses communes républicaines indépendantes de l’Italie du Moyen-Âge et dans lesquelles s’est affirmé le “Popolo” (population urbaine n’appartenant pas à la noblesse), la cité-État de Florence en est l’un des fleurons. Mais cette ville d’art est traversée par une succession de crises : krach financier, rivalités de pouvoir, insurrections populaires… [cf. Jean Boutier, Yves Sintomer, “La République de Florence (XIIe-XVIe siècle). Enjeux historiques et politiques”| Revue française de science politique vol. 64 | 2014].

En 1348 la peste envahit toute l’Europe et arrive à Florence sur un terrain propice à un rapide développement : forte concentration urbaine, environ 100 000 habitants, pauvreté, famine, pollutions diverses… Elle provoque la mort d’environ 50 000 personnes en quatre ans.

virus_09Dans Le Décaméron [traduction par Francisque Reynard | éd. G. Charpentier, 1884 | source Gallica-BNF], écrit entre 1349 et 1352, Jean Boccace (1313-1375) fait brièvement le récit de l’épidémie. Il est conteur et ce volumineux ouvrage, sous forme de nouvelles, est avant tout destiné à relater les dix journées de confinement volontaire de sept jeunes femmes et trois jeunes hommes, aristocrates ou grands bourgeois florentins fuyant la peste en se réfugiant avec serviteurs et servantes dans un château distant de la ville. Cet éloignement et l’insouciance de leurs jeux intellectuels et érotiques, sont des caractéristiques, parmi d’autres, que l’on retrouve dans les crises épidémiques. Boccace se sent malgré tout obligé de faire mention des conséquences de la peste, il s’en excuse presque.

« Chaque fois, très gracieuses dames, que je considère en moi-même combien vous êtes toutes naturellement compatissantes, je reconnais que le présent ouvrage vous paraîtra avoir un commencement pénible et ennuyeux, car il porte au front le douloureux souvenir de la mortalité causée par la peste que nous venons de traverser, souvenir généralement importun à tous ceux qui ont vu cette peste ou qui en ont eu autrement connaissance. […] Et de vrai, si j’avais pu honnêtement vous mener vers ce que je désire par un chemin autre que cet âpre sentier, je l’aurais volontiers fait. Mais, qu’elle qu’ait été la cause des événements dont on lira ci-après le récit, comme il n’était pas possible d’en démontrer l’exactitude sans rappeler ce souvenir, j’ai été quasi contraint par la nécessité à en parler.

Je dis donc que les années de la fructueuse Incarnation du Fils de Dieu atteignaient déjà le nombre de mille trois cent quarante-huit, lorsque, dans la remarquable cité de Florence, belle au-dessus de toutes les autres cités d’Italie, parvint la mortifère pestilence qui, par l’opération des corps célestes, ou à cause de nos œuvres iniques, avait été déchaînée sur les mortels parla juste colère de Dieu et pour notre châtiment ».

Le Décaméron             EXTRAITS évoquant l’épidémie                 TEXTE complet

MARSEILLE, XVIIIsiècle

En 1720, sous la régence de Philippe d’Orléans dans l’attente que le futur Louis XV soit en âge de gouverner, la France est dans une période de transition et d’instabilité politique, avec un fort endettement provoqué par les dépenses somptuaires sous le règne de Louis XIV. Elle sort à peine de la guerre avec l’Espagne, à laquelle est venue s’ajouter la “conspiration de Pontcallec”, véritable guerre civile provoquée par la noblesse bretonne réclamant l’indépendance de la Bretagne. Ces évènements ont mobilisé nombre de militaires et d’importants moyens financiers.

Le climat en Europe est encore sous l’influence du Petit âge glaciaire avec de grands écarts de températures. Ainsi, dans les Alpes, les glaciers continuent de progresser et peuvent mettre en péril des villages alpins : « la paroisse devint toujours plus inculte à cause des glaciers qui avancent sur leur terre, en faisant des grands débordements d’eau en vidant leur lac, et même il y a plusieurs villages qui sont en grand danger ». [Supplique des Chamoniards, cité par Emanuel le Roy Ladurie, “Climat et récoltes aux XVIIe et XVIIIe siècles”| Annales économies, sociétés, civilisations N° 3 | 1960 ]. Et plusieurs étés caniculaires (1718, 1719…) ont également mis à mal les récoltes céréalières et ont été meurtriers : « Les canicules du XVIIIe siècle ont été oubliées mais elles sont terriblement meurtrières : celle de 1719 a tué plus de 400 000 personnes en France, soit 2 % de la population de l’époque. » [Thibault Laconde, “Vagues de chaleur : hier et aujourd’hui”| Énergie et développement | 25 juil. 2018]

Crise politique, économique et financière, climat, conflits armés…, l’ambiance générale n’est certainement pas apaisée quand la virus_10peste arrive à Marseille le 25 mai 1720, débarquant du navire “Le Grand Saint-Antoine” en provenance du Levant et chargé d’étoffes et de coton ; plusieurs matelots et le médecin du bord en sont morts pendant la traversée. La mise en “petite quarantaine” du navire (dix jours alors qu’il en aurait fallu au moins quarante) n’empêche pas la propagation rapide de l’épidémie : « Les quartiers déshérités et les plus anciens sont les plus touchés. Se propageant à partir des quartiers italiens à proximité du port, la peste s’étend rapidement dans la cité où elle entraîne entre 30 000 et 40 000 décès sur 80 000 à 90 000 habitants, puis dans toute la Provence » [“Peste de Marseille (1720)”| Wikipédia]

Jean-Baptiste Bertrand (1670 – 1752) médecin de la ville, est très engagé dans la lutte contre la contagion, à l’encontre de certains de ses collègues affirmant que cette maladie n’était pas épidémique. Lui-même atteint et guéri, profite de sa convalescence pour écrire : Relation historique de la peste de Marseille en 1720 [éd. Pierre Marteau | 1721 | Wikisource].

« C’est ici la vingtième peste et la plus cruelle de toutes celles qui ont désolé Marseille, et dont les historiens font mention. […] La plus ancienne arriva quarante-neuf ans avant Jésus-Christ […]. L’utilité de cet ouvrage se présente d’elle-même, tant pour Marseille, que pour les autres villes. On y verra la manière dont la peste se glisse et s’introduit dans un lieu, comment elle s’y développe et s’y répand. Par quels progrès elle parvient à ce dernier degré de violence, où elle fait tant de ravages, comment elle diminue et finit insensiblement, quelles en sont les suites. On y apprendra à se méfier de ses commencements captieux qui trompent presque toujours la vigilance des magistrats, et à prévenir, par de sages précautions prises à l’avance, le trouble et les désordres qu’elle traîne après elle. Enfin Marseille y verra ce qu’elle doit craindre, et les mesures qu’elle doit prendre, si jamais le Seigneur voulait encore l’affliger de ce terrible fléau, et les autres villes y trouveront à profiter de son exemple. »

Relation historique de la peste de Marseille en 1720     EXTRAITS            TEXTE complet

MARSEILLE, XXIsièclevirus_11

Quand l’épidémie du coronavirus se déclare, on ne peut dire que le pays France soit au firmament de l’apaisement tant souhaité, au point d’en faire un objectif politique (par exemple : “Pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique”| Ministère de la transition écologique et solidaire, 2018). La société est en fait jalonnée de façon peu rassurante par l’accroissement des inégalités et de la pauvreté, avec les mouvements sociaux virulents qui en découlent, par le réchauffement climatique ; enfin par la guerre, non contre un virus (mauvais choix sémantique du président de la République !) mais contre la nébuleuse du terrorisme d’un islam radicalisé, tant sur le territoire français : opération Sentinelle avec 7 000 soldats, qu’à l’étranger : opération Barkane dans le Sahel, surtout au Mali avec un engagement terrestre de 5 000 militaires.

On retrouve donc les mêmes constats socio-politiques que lors des périodes précédentes. À l’évidence, il est impossible d’établir un lien de causalité avec les épidémies ; mais celles-ci, quand elles arrivent, trouvent un terrain favorable à leur expansion, et vont aussi amplifier les difficultés sociétales existantes.

Sans faire de longs développements sur l’actuelle pandémie du coronavirus aux conséquences vécues quotidiennement par chacun d’entre nous, on peut toutefois noter que Marseille, avec trois siècles d’écart, polarise à nouveau l’attention avec de grands débats entre experts, surtout médecins, sur la manière d’appréhender une épidémie et de la traiter. Rappelons ce que Jean-Baptiste Bernard écrivait en 1720 : « Si on trouve que les uns et les autres reviennent un peu trop souvent sur la scène, on doit cependant considérer que dans une tragédie de peste, les médecins sont les principaux acteurs, et par conséquent qu’ils y doivent jouer les plus longs rôles. », propos tout à fait transposables en 2020.

Dès le début du coronavirus, Didier Raoult, médecin spécialiste en microbiologie et maladies infectieuses à Marseille, occupe le devant de la scène médiatique. À l’entrée de son fief, “l’Institut hospitalier universitaire Méditerranée Infection”, une citation d’Horace : “J’ai achevé un monument plus durable que l’airain”, et une banderole : “Soutien au Pr Didier Raoult. Tous ensemble, restons vigilants pour que nos médecins préservent la liberté de prescrire” [Gilles Rof, “Au cœur de l’IHU, la forteresse de Didier Raoult”| Le Monde| 2 déc. 2020].

Didier Raoult cherche à relativiser la portée réelle de la pandémie et fait de la chloroquine et de l’hydroxychloroquine la base du traitement de la maladie. Ses nombreuses prises de position orales et écrites, sont à l’origine de multiples discussions scientifiques mais aussi politiques, surtout pendant la première vague au printemps 2020. Et il suffit de parcourir Wikipédia pour s’en rendre compte ; outre la page de D. Raoult, en voici deux significatives : “Didier Raoult : problème de neutralité” et “Controverse scientifique sur l’hydroxychloroquine dans la lutte contre le covid-19”. Plusieurs autres sujets : le port du masque, le confinement, le couvre-feu, les taux de mortalité… donnent également lieu à de sévères controverses : « Les gens qui meurent sont des gens qui ont des espérances de vie très très courtes. D’ailleurs il y a un très joli travail qui vient d’être fait par l’Institut national de la démographie qui montre que la baisse de l’espérance de vie pour l’instant dans le courant de l’année 2020 n’est pas significativement différente des mouvements qu’on a vus depuis dix ans. Parfois on gagne deux mois, parfois on perd deux mois. La mortalité, à part chez les gens qui ont une très faible espérance de vie, est très faible, comme nous l’avons observé depuis le début. » [Didier Raoult, 14 sept. 2020 | Cité par Cédric Mathiot, Est-il vrai que le covid n’a eu qu’un impact mineur sur l’espérance de vie des Français, comme l’affirme Didier Raoult ?”| Libération]

Tout cela pourrait bien participer au développement de la méfiance à l’égard des politiques et des scientifiques. Les réseaux sociaux en sont les généreux amplificateurs et l’émotion aurait alors tendance à prendre le pas sur la raison, à l’origine des peurs et des complots entretenus par certains médias. L’affaire du film documentaire “Hold up” en est l’illustration : « La manière dont le film chemine, nous emmène dans un univers où il assume complètement le dévoilement d’un complot mondial. […] Tout est à charge, dans une direction, et c’est là où ça pose problème. Il s’agit de prendre le contrôle du champ d’expérience de celui qui regarde. Ce champ d’expérience […] est abîmé par une conjonction de phénomènes qui sont incontestables : une crise sanitaire qui n’en finit pas, plein de bugs, dans la gestion de cette crise, une crise économique qui prend des formes latentes, avec des inégalités qui se creusent. On a une défiance vis-à-vis des institutions depuis très longtemps. Tout ceci crée un matériel qui est exploité dans le documentaire pour prendre le contrôle de toutes ces inquiétudes, de tous ces doutes, de toutes ces questions que se posent naturellement les gens dans leur confinement. […] Ce qui est scandaleux, c’est de ne pas donner aux gens les moyens de construire la critique réflexive de ce qui leur est présenté. » [Francis Chateauraynaud, “En quoi « Hold-up » est-il un documentaire complotiste ?”| France Culture – Les idées claires | 18 novembre 2020

Les invariants d’une épidémie à l’autrevirus_12

Rapprocher quatre épidémies/pandémies qui font dates dans l’histoire de l’humanité, ne veut pas dire qu’elles sont identiques dans leurs origines, leur déroulement ou leur traitement, les variables ne manquent pas tant s’en faut. Déjà, pour les trois premières il s’agit de peste d’origine bactérienne et la science de la vaccination était encore loin d’exister (le premier vaccin celui contre la rage, a été découvert par Louis Pasteur en 1885) ; alors que la quatrième est provoquée par un virus. Cette dernière est loin d’atteindre les niveaux de mortalité des précédentes, grâce aux améliorations apportées aux services de santé depuis deux siècles. Cependant, en parcourant les récits qui racontent ces épidémies, des éléments demeurent peu ou prou constants, c’est-à-dire des invariants inter-épidémies et inter-époques. Sans aucune prétention à l’exhaustivité, voici ceux que j’ai notés en les reliant à l’actualité :

  • Imprévisibilité et imprévoyance avec sous-équipement en locaux, en personnel soignant, en matériel médical…
    • Elle fondit tellement à l’improviste” [Athènes].
    • Pour en guérir, il n’y avait ni conseil de médecin, ni vertu de médecine qui parût valoir” [Florence].
    • Se méfier de ses commencements captieux qui trompent presque toujours la vigilance. […] Les sources des secours humains taries” [Marseille 1720].
    • “On n’a nulle part où aller”, face au coronavirus, les SDF galèrent” [Thibault Vetter, Christophe de Barry | Reporterre | 24 mars 2020
    • “Droite et gauche reprochent au gouvernement son imprévoyance et une absence d’anticipation” [Thibaut le Gal, 20 Minutes | 27 oct. 2020]
  • Divergences médicales
    • D’abord, ils (les médecins) avaient voulu la traiter faute de la connaître, mais en contact plus fréquent avec les malades, ils furent d’autant plus maltraités” [Athènes].
    • L’ignorance des médecins ne sut pas reconnaître de quelle cause il (le mal) provenait et, par conséquent, n’appliquèrent point le remède convenable” [Florence].
    • “Il faut se calmer, plus on s’affole, moins on soigne bien les gens […] En termes de mortalité, le coronavirus n’est pas pire que la grippe ».[Marseille, Didier Raoult | Cnews |19 août 2020]
  • Commerces en difficulté
    • La contagion fait cesser le commerce dans une ville ; elle semble y dissoudre la société” [Marseille 1720]
    • “Confinement : le cri d’alerte des commerçants” | France-Info | 15 nov. 2020]
  • Mouvements migratoires et épidémievirus_13
    • De la campagne vers la ville : “affluence de ceux qui vinrent de la campagne à la ville. […] sans maisons, ils périssaient en foule” [Athènes].
    • De la ville vers la campagne : “Beaucoup d’hommes et de femmes abandonnèrent la cité […] et cherchèrent un refuge dans leurs maisons de campagne ou dans celles de leurs voisins [Florence].
    • En 2020, lors du premier confinement l’INSEE estime à 200 000 le nombre de résidents parisiens ayant quitté la capitale pour séjourner à la campagne [Emma Donada, “Combien de Parisiens ont quitté la capitale au moment du confinement ?”| Libération | 8 avril 2020]
    • “La revanche des campagnes” [Benoît Bréville | Le Monde diplomatique | déc. 2020
  • Rituels funéraires impossibles
    • “Les lois suivies jusque-là pour les funérailles furent mises en oubli” [Athènes].
    • les honneurs de la sépulture défendus” [Marseille 1720].
    • “Les funérailles à l’heure du Coronavirus : Une horreur totale » [Marianne Klaric | RTBF-Belgique | 2 nov. 2020]
    • “La deuxième vague de Covid-19 vue de l’hôpital Bichat : « Voir une dernière fois le visage, cela n’est malheureusement pas possible »” [Chloé Hecketsweiler | Le Monde | 24 nov. 2020]
  • Références au divin
    • En voyant mourir indistinctement tout le monde, on jugeait la piété et l’impiété également indifférentes” [Athènes].
    • Parvint la mortifère pestilence qui, par l’opération des corps célestes, ou à cause de nos œuvres iniques, avait été déchaînée sur les mortels parla juste colère de Dieu. […] C’est en vain qu’on organisa, non pas une fois, mais à diverses reprises, d’humbles prières publiques” [Florence].
    • Le culte divin suspendu, les Temples fermés […] Messe basse, que l’on continuait de dire à la porte des églises” [Marseille 1720].
    • “Coronavirus : Dieu, facteur de contamination massif” [Inna Shevchenko | Charlie Hebdo | 4 avril 2020
    • Appels à la prière devant les églises : Ces manifestations sont autorisées, donc les policiers ne peuvent pas légalement verbaliser, défend l’association Pour la messe” [France-Info | 13 nov. 2020]
    • “De la peste, de la famine et de la guerre, délivre-nous, Seigneur !” [litanies des Saints, citée par Jean-Louis Schlegel dans “La religion au temps du coronavirus”| revue Esprit | mai 2020]
  • Hédonisme débridévirus_14
    • cette maladie inaugura un redoublement d’iniquités : les voluptés qu’on ne recherchait autrefois qu’en secret, on s’y abandonnait maintenant sans honte” [Athènes].
    • D’autres affirmaient que boire beaucoup, jouir, […] et rire et se moquer de ce qui pouvait advenir, était le remède le plus certain à si grand mal” [Florence].
    • À la plus triste désolation, (s’opposaient) les jeux, les plaisirs, les festins” [Marseille 1720].
    • Les élèves de l’école de police de Nîmes ont organisé une fête clandestine dans le parking de l’établissement, après le couvre-feu” [France-Info | 2 nov. 2020].
    • “Pour les fêtards du samedi soir, le besoin de lâcher prise l’emporte sur la peur du virus… Plaisir coupable ?” [Samuel Laurent, Alexandre Pedro |Le Monde | 28 nov. 2020]

virus_15Ces sept invariants ne sont sans doute pas les seuls et des lecteurs attentifs à l’histoire des épidémies pourront compléter. J’en retiens surtout les difficultés rencontrées à prendre soin, faute de connaissances, de moyens, de temps… auxquels s’ajoutent des rivalités de pouvoir entre experts et entre politiques. Tout cela reste d’une grande actualité malgré les progrès réalisés dans le domaine sanitaire et du droit. Le droit à la santé est en effet inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme: “Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille…” (art. 25) ; cependant les inégalités de l’accès aux soins demeurent importantes : ”Ici et là-bas, la santé est un droit fondamental et pourtant…” [Médecins du monde, La Santé avant tout | 2020]. Le vaccin contre le covid-19, bientôt opérationnel, va-t-il bénéficier d’un label “pour tous” quel que soit le pays ?

Vaccination et néolibéralisme

« Le Covid-19 a révélé l’extraordinaire potentiel de l’intelligence scientifique collective et la pauvreté de l’intelligence morale […] En un an, nous avons précisé tous ses aspects cliniques. Ce virus est responsable d’une maladie complexe qui peut toucher tous les organes avec une fréquence très inhabituelle […] En un an, nous avons mis au point plusieurs vaccins efficaces […] Mais le Covid-19 est aussi un échec dramatique, économique, politique et social […] Les pays pauvres touchés par le Covid manquent de tout et ils n’ont quasiment pas été aidés. […] Les pays pauvres peu touchés par le Covid ont vu s’effondrer les aides qu’ils reçoivent des pays riches. Les programmes financiers, alimentaires et sanitaires se sont taris avec le repli des pays donateurs, tétanisés par leur incapacité à contrôler la pandémie sur leur territoire. Le VIH, la tuberculose et les parasitoses ont explosé après des années de reflux timides » [Gilbert Deray, néphrologue et pharmacologue, “Covid-19 : il n’y a eu aucune collaboration mondiale sanitaire compassionnelle, mais une compétition malsaine”| Le Monde | 7 déc. 2020]

Lorsque le 9 novembre 2020 les groupes pharmaceutiques Pfizer et BioNTech annoncent triomphalement que leur vaccin est Healthcare cure concept with a hand in blue medical gloves holdiefficace à 90 %, Le Monde.fr titre le même jour : “Covid-19 : Pfizer annonce que son candidat-vaccin est efficace à 90 %, les Bourses s’envolent” (ce titre a été modifié sur internet dès le lendemain avec suppression de la référence boursière). Effectivement elles se sont toutes envolées : par exemple Paris gagne 7,57 %, plus forte progression depuis mars, et l’action Pfizer augmente de 7,68 %, belle réussite saluée comme il se doit par les marchés financiers [Le Monde avec AFP | 9 nov. 2020]. Rapprocher ainsi dans un titre une réussite médicale et un succès boursier peut surprendre, enfin un peu, car en parcourant la soixantaine de commentaires de cet article, trois seulement partagent mon étonnement et se demandent si une question de santé publique est affaire de bourses !

Le même jour, le PDG de Pfizer vend à Wall Street 132.508 titres au prix de 41,94 dollars, soit 5,6 millions de dollars (4,76 millions d’euros). La vice-présidente de cette même entreprise revend également 43.662 titres pour 1,8 million de dollars [France-Info avec AFP | 11 nov. 2020]. Là, les commentaires (142) sont généralement beaucoup plus acerbes, certains parlant même de ”délit d’initié”.

Un autre exemple récent, lié au covid-19, fait état de négligence de la part de la Communauté européenne. Il s’agit du remdésivir, un antiviral coûteux (aux États-Unis, 2 000 euros pour un traitement complet en six doses) mis au point par le laboratoire américain Gilead Sciences, et présenté comme un remède miracle contre le covid-19. Plusieurs pays se précipitent pour passer commande, la CEE en fait partie : « Début octobre, la Commission européenne a annoncé avoir signé un important contrat avec le laboratoire d’un montant d’un milliard d’euros, permettant aux pays membres de sécuriser leur accès au Remdésivir, et débouchant sur des commandes effectives » [Libération | 25 nov. 2020]. Il s’agit d’un contrat-cadre pour 500 000 traitements, mis à la disposition des États-membres, à charge pour eux de passer commande et d’en assurer le paiement. Plusieurs ont donné suite, mais pas la France !

virus_17Cependant, en février 2020 l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) avait lancé une vaste enquête internationale : “Essai clinique Solidarity de traitements contre la COVID-19”, afin d’en évaluer l’efficacité. Et mi-octobre l’OMS communique les premières conclusions : « Les résultats préliminaires de l’essai clinique Solidarity, coordonné par l’Organisation mondiale de la Santé, indiquent que les schémas thérapeutiques à base de remdésivir, d’hydroxychloroquine, de lopinavir/ritonavir et d’interféron semblent avoir peu ou pas d’effet sur la mortalité […]. D’une manière générale, tant que les preuves ne sont pas suffisantes, l’OMS déconseille aux médecins et aux associations médicales de recommander ou d’administrer aux patients atteints de la COVID-19 ces traitements dont l’efficacité n’est pas démontrée, et la prise de ces médicaments en automédication ».

En fait, Gilead était au courant du pré rapport de l’OMS dès la fin du mois de septembre, c’est-à-dire avant la signature du contrat avec l’U-E (8 octobre) et avant l’autorisation pour l’utilisation du remdésivir aux États-Unis (22 octobre), la revue Science en fait mention : « Le “très, très mauvais aspect” du remdésivir, le premier médicament covid-19 approuvé par la FDA (administration américaine d’agrément des médicaments) ». Enfin, le 28 octobre la société Gilead annonce que la vente du remdésivir lui a rapporté 873 millions de dollars en trois mois ! Depuis, trente-cinq pays de l’U-E ont signé avec Gilead ; il leur est « désormais impossible de renoncer à leur commande, ni de renégocier le prix durant les six prochains mois. D’après notre enquête, au moins 640 000 doses ont déjà été achetées » [Le Monde | 27 nov. 2020]

La bourse ou la vie ? [cf. Eloi Laurent, Et si la santé guidait le monde ? |éd. Les-Liens-qui-Libèrent | 2020]. Dans un système virus_18boursier où le marché domine, les inégalités internationales sont amplifiées par la crise du covid-19. Les pays à bas revenus, Africains en particulier, sont confrontés à de sérieuses restrictions dans le traitement d’épidémies récurrentes : “la plupart des programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme ont été perturbés par le covid-19” [enquête du Fonds mondial |juin 2020]. Ces pays ne pourront pas acquérir suffisamment de doses pour vacciner un maximum de leurs habitants, et vont donc devoir s’en remettre au bon vouloir d’États “protecteurs” et de fondations d’entreprises, avec le “donnant – donnant” qui en résulte inévitablement.

La bienveillance, source d’apaisement, est devenue un marqueur politique très tendance [cf. Évelyne Pieiller “La tyrannie de la bienveillance”| Le Monde diplomatique | déc. 2020]. Pourquoi pas, mais il m’est impossible de l’envisager à l’égard des grands dirigeants d’un système qui fait d’une partie de la santé un objet de surenchère spéculative. Quelles solutions serait-il alors possible de proposer ?

Dans l’urgence, pourquoi, à l’initiative de l’OMS, les laboratoires producteurs des vaccins (il y a 237 projets de vaccins dans le monde) ne se réuniraient-ils pas pour mettre en place sur l’ensemble de la planète une répartition des doses de façon équitable, sans exclusion et quoiqu’il en coûte ? Au-delà, et si l’on veut bien considérer la santé comme un bien commun universel et public, afin que l’article 25 de la “Déclaration universelle des droits de l’Homme” soit vraiment une réalité, peut-on faire l’hypothèse que les laboratoires pharmaceutiques décident, déjà en France, de sortir de la cotation boursière, pour devenir de réelles “sociétés à mission”, “objet d’intérêt collectif”, au même titre par exemple que certaines grandes mutuelles de santé et d’assurances : MAIF, MGEN… sont à but non lucratif et s’en portent très bien. Serait-ce une utopie de plus ? Mais après tout, le grand libéral économiste Adam Smith ne proposait-il pas de considérer l’éducation et les soins comme faisant partie des fonctions régaliennes d’un État, au même titre que la sécurité intérieure/extérieure et la justice ? [Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations”, livre V, 1776]

Bactéries, virus, épidémies je vous…

Ce parcours documentaire conduit à bon nombre d’interrogations. Ce qui ne doit pas empêcher de dire : “je vous ai compris !”. Du moins un peu mieux… Ce que je retiens surtout, c’est la fonction à la fois utile et nuisible des bactéries et des virus. On doit inévitablement vivre avec, tout en faisant preuve d’un peu plus de prudence lors des emballements épidémiques inévitables, et également de… modestie ! Dans la grande histoire de la planète Terre, quand Homo sapiens a décidé, il y a quelque douze mille ans, de se confiner (se limiter avec) en se domestiquant (domus : la maison) et en domestiquant une partie du vivant [cf. Jean-Paul Demoule, “Le confinement une longue histoire”| France Culture-Concordance des temps | 10 oct. 2020], il a tendance à prendre quelque peu la “grosse tête” en imaginant qu’il parviendrait, à tort, à maîtriser et dominer le monde du vivant auquel bactéries et virus participent tout aussi activement.

virus_19La représentation du vivant comme un buisson sphérique est un message : « De même qu’il n’y a aucun point privilégié à la surface d’une sphère, il n’y a aucun rameau particulier ou privilégié dans ce buisson du vivant. Le trajet (en rouge) qui va de l’ancêtre commun LUCA (Last Universal Common Ancestor) à Homo Sapiens n’a rien de plus ni rien de moins que les millions d’autres. » [Pierre Thomas « Comment et pourquoi représenter l’arbre phylogénétique du vivant ? La réponse du Musée des Confluences de Lyon »| Planet-Terre / ENS Lyon | 6 avril 2015]. Les différents domaines du buisson interférent entre eux, de multiples rameaux naissent, se développent, et meurent, rien n’est définitivement figé.

Le schéma proposé par Pierre Thomas ne fait pas mention des virus, et ne sachant trop s’ils doivent être intégrés ou non au monde du vivant, je les ai ajoutés de façon quelque peu excentrée en maintenant un lien avec le buisson ; font-ils bande à part en colonisateurs plus ou moins malveillants, ou bien en lanceurs d’alertes ? [cf. “Virus quand tu nous tiens…”]

“Il ne leur manque que la parole !” titre Nicolas Martin au début de ce document ; s’ils l’avaient, nous diraient-ils “Attention, vous allez trop loin !” ? Doit-on alors considérer les épidémies comme des rappels à l’ordre ? C’est l’un des sens que cherche à leur donner le philosophe Emanuele Coccia : « Tout virus est la démonstration que la vie que nous considérons comme nôtre n’est pas à nous : elle peut à tout moment devenir la vie d’un autre, même de l’être biologiquement et anatomiquement le plus éloigné, le virus, qui peut s’installer dans notre corps et devenir son seigneur. […] Tout virus nous apprend à ne pas mesurer la puissance d’un être vivant sur la base de ses équipements biologiques, cérébraux, neuronaux. Il casse aussi notre étrange narcissisme : dans l’anthropocène, nous continuons à contempler notre grandeur, même négativement, et nous nous magnifions dans nos puissances malignes, destructrices… “Regardez comme nous sommes puissants” » [Libération, 13 mars 2020].


Compléments

“Le rêve de perfection transforme nos États de droit en États policiers ». Après les discours musclés annonçant l’éradication du terrorisme, voici les discours savants sur le « Zéro Covid ». Et toujours la même obsession sécuritaire, le même rêve d’un monde sans risque, sans crime et sans maladie. On s’en réjouirait si l’on ne savait avec quelle facilité le rêve d’un monde parfait peut tourner au cauchemar des sociétés de la peur.” Mireille Delmas-Marty | Le Monde | 1er mars 2021

« Les vaccins contre le Covid-19, nouvelle arme diplomatique de la Chine« . Stratégie du “donnant-donnant” ? « En multipliant les accords bilatéraux et en vendant ses vaccins à prix modique dans les pays émergents, Pékin cherche à étendre son influence politique et à renforcer ses intérêts économiques. » Frédéric Lemaître, Sophie Landrin, Benjamin Barthe, Philippe Mesmer, Brice Pedroletti et Bruno Meyerfeld Le Monde | 18 décembre 2020  (dossier bien construit, mais réservé aux abonnés !)

Les positionnements de l’ONU et de l’OMC : « l’OMC a rejeté la proposition de suspension des brevets sur la thérapie anti-Covid-19 présentée par l’Inde, l’Afrique du Sud, le Kenya et l’Estawini. Cette décision est d’une gravité exceptionnelle dans un contexte de pandémie mondiale nécessitant le vaccin POUR TOUS et dans TOUS LES PAYS. Les intérêts qui dérivent de la marchandisation du vivant, priment. »  Université du Bien commun | 15 novembre 2020

Politique mondiale commune publique contre la pandémie du Covid-19 ? « l’Assemblée Générale de l’ONU a convoqué les les 3 et 4 décembre 2020, une Session Spéciale sur la pandémie de Covid-19 au niveau des chefs d’État et de gouvernement. Il a fallu plus d’un an de discussions pour surmonter l’opposition de certains États, notamment les États-Unis de l’ancien président Donald Trump. La tenue de cette Session Spéciale (la 37e de l’histoire de l’ONU) constitue une occasion unique pour la définition et la mise en œuvre des actions communes au plan mondial de lutte contre la pandémie dans l’assurance du droit à la vie et à la santé de tous les habitants de la Terre. »  Agora des habitants de la Terre | 10 novembre 2020

« La longue histoire des épidémies ». Une approche exhaustive des épidémies depuis 430 avant notre ère : « On a des raisons de croire que l’agriculture et l’élevage ont fourni des conditions de choix aux virus et bactéries pour s’attaquer aux humains. Des populations sédentaires, plus nombreuses, en contact permanent avec des animaux d’élevage et pratiquant le commerce avec d’autres populations sédentaires sont forcément propices à la contagion. » Alain CaracoL’INFLUX- B.M. Lyon | 27 avril 2020


Documentation

  • Barnérias Pierre et al. Hold-up | film documentaire | novembre 2020
  • Barnéoud Lise, “Covid-19 : comment Gilead a vendu son remdésivir à l’Europe”| Le Monde | 27 nov. 2020
  • Bar-On Yinon M., Phillips Rob, Milo Ron, “Distribution de la biomasse sur terre”| Université de New-Jersey et PNAS | 19 juin 2018
  • Bertrand Jean-Baptiste, Relation historique de la peste de Marseille en 1720 | éd. Pierre Marteau | 1721 | Wikisource
  • Boccace Jean, Le Décaméron [traduction par F. Reynard | éd. G. Charpentier, 1884 | source Gallica-BNF
  • Boulé Gérard, “La conspiration de Pontcallec”| Istor Ha Breiz | 21 janvier 2007
  • Boutiez Jean, Sintomer Yves, “La République de Florence (XIIe-XVIe siècle). Enjeux historiques et politiques”| Revue française de science politique 64 | 2014
  • Bréville Benoît, “La revanche des campagnes”| Le Monde diplomatique | déc. 2020
  • Cavicchioli Lionel, “Nos ancêtres les virus”| Science et Vie N°1227 | 3 avril 2020
  • Chateauraynaud Francis, “En quoi « Hold-up » est-il un documentaire complotiste ?”| France Culture – Les idées claires | 18 novembre 2020
  • Coccia Emanuele, Métamorphoses | éd. Rivages | 2020
  • Cohen Jon, Kupferschmidt Kai, “Le “très, très mauvais aspect” du remdésivir, le premier médicament covid 19 approuvé par la FDA”| revue Science | 28 oct. 2020
  • Dagorn Gary, “Covid-19 : comment fonctionnent les futurs vaccins”| Le Monde | 4 déc. 2020
  • Demoule Jean-Paul, Préhistoires du confinement | Gallimard | 2020
  • Deray Gilbert, “Covid-19 : il n’y a eu aucune collaboration mondiale sanitaire compassionnelle, mais une compétition malsaine”| Le Monde | 7 déc. 2020
  • Donada Emma, “Combien de Parisiens ont quitté la capitale au moment du confinement ?”| Libération | 8 avril 2020
  • Duloutre Sylvain, “Ce que peut nous apprendre l’étude du Petit Âge Glaciaire”| note | mai 2010
  • Dupont Marion, “L’État au grand défi des épidémies”| Le Monde | 23 oct. 2020
  • Faure Sonya, Vécrin Anastasia, “Emmanuèle Coca : « Les virus nous rappellent que n’importe quel être peut détruire le présent et établir un ordre inconnu »”| Libération | 13 mars 2020
  • Ferrari Laurence, “Didier Raoult : « plus on s’affole, moins on soigne bien les gens »”| Cnews | 19 août 2020
  • Fonds mondial, “La plupart des programmes de lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme ont été perturbés par le COVID-19”| enquête | 17 juin 2020
  • Forterre Patrick et al., De l’inerte au vivant : une enquête scientifique et philosophique | éd. La Ville brûle | 2013
  • Forterre Patrick, “La cellule virale rouage de la vie”| Pour la science N° 469 | novembre 2016
  • FranceInfo, “Covid-19 : le PDG de Pfizer a vendu un lot d’actions le jour de l’annonce de l’efficacité de son vaccin”| reportage | 11 nov. 2020
  • FranceInfo et AFP, “Appels à la prière devant les églises”| reportage | 13 nov. 2020
  • Gaffarel Paul, marquis de Duranty, La peste de 1720 à Marseille et en France. D’après des documents inédits | éd. Perrin et Cie | 1911 (source : Gallica-BNF)
  • Gesbert Olivia, “Eloi Laurent : La France a privilégié à chaque fois une vision étroite de la croissance économique au détriment de la santé”| France Culture-La grande table idées | 29 oct. 2020
  • GEO, “Coronavirus : les virus, une histoire vieille comme le monde”| note | 11 mars 2020
  • Hecketsweiler Chloé, “La deuxième vague de Covid-19 vue de l’hôpital Bichat : « Voir une dernière fois le visage, cela n’est malheureusement pas possible »” | Le Monde | 24 nov. 2020
  • Ikonicoff Román, “Oui, les virus sont bien des êtres vivants !”| Science & Vie| oct. 2015
  • Jacquet Stéphan, Depecker Caroline, “Les virus, piliers de la vie marine” | Pour la Science N°104| 8 juillet 2019
  • Klaric Marianne, “Les funérailles à l’heure du Coronavirus : Une horreur totale » | RTBF-Belgique | 2 nov. 2020
  • Laconde, Thibault, “Vagues de chaleur : hier et aujourd’hui”| Énergie et développement | 25 juil. 2018
  • Laurent Eloi, Et si la santé guidait le monde ? L’espérance de vie vaut mieux que la croissance | éd. L.L.| 2020
  • Laurent Samuel, Pedro Alexandre, “Pour les fêtards du samedi soir, le besoin de lâcher prise l’emporte sur la peur du virus”| Le Monde | 28 nov. 2020
  • Lehmann Christian, “Didier Raoult, général Boulanger de la médecine”| Libération | 1erjuin 2020
  • Le Monde et AFP, “Pfizer et BioNTech annoncent que leur candidat-vaccin contre le Covid-19 est efficace à 90 %”| reportage | 10 nov. 2020
  • Le Roy Ladurie Emmanuel, “Climat et récoltes aux XVIIe et XVIIIe siècles”| Annales économies, sociétés, civilisations N° 3 | 1960
  • Le Roy Ladurie Emmanuel, “Le climat : une profonde rupture”| Vie publique | 4 déc. 2019]
  • Maguet Olivier, La Santé hors de prix : l’affaire Sovaldi | éd. Raisons d’agir | 2020 [synopsis]
  • Martin Nicolas, “Virus, il ne leur manque que la parole”| France-CultureLa méthode scientifique | 13 avril 2020
  • Mathiot Cédric, “Est-il vrai que le covid n’a eu qu’un impact mineur sur l’espérance de vie des Français, comme l’affirme Didier Raoult ?”| Libération | 14 septembre 2020
  • Médecins du monde, ” Ici et là-bas, la santé est un droit fondamental et pourtant…”| rapport | 2020
  • Menant François, L’Italie des communes (1100 – 1350) | éd. Belin | 2003
  • Neumayer Sophie, “Nîmes : une fête clandestine dans une école de police”| France Info | 2 novembre 2020
  • Notat Nicole, Senard Jean-Dominique, “L’entreprise, objet d’intérêt collectif”| rapport de mission | 2018
  • Observatoire des inégalités, Rapport sur les inégalités en France”| 2019
  • Observatoire des inégalités, Compas, Rapport sur la pauvreté en France”| 2018
  • OMS, “Essai clinique Solidarity de traitements contre la COVID-19”| rapport | octobre 2020
  • Paichard Léo, “Confinement : le cri d’alerte des commerçants” |France-Info | 15 nov. 2020
  • Pezet Jacques et al., “Remdésivir : comment les pays européens ont dépensé des centaines de millions d’euros pour un traitement contesté par l’OMS”| Checknews-Libération | 25 nov. 2020
  • Pieiller Évelyne, “La tyrannie de la bienveillance”| Le Monde diplomatique | déc. 2020
  • Raoult Didier, Épidémies : vrais dangers et fausses alertes | éd. Michel Lafon | 2020
  • Richaud Guillaume, “La peste et le corona (1720, 2020)”| Hune de Canebière | 2020
  • Rof Gilles, “Au cœur de l’IHU, la forteresse de Didier Raoult”| Le Monde | 2 déc. 2020
  • Saib Ali, “Les virus comme moteurs de l’évolution”| Futura Santé |21 sept. 2015
  • Salmon Pierre, “La population de la Grèce antique”| Bulletin de l’Association Guillaume Budé – Lettres d’humanité n° 18 | déc. 1959
  • Schlegel Jean-Louis, “La religion au temps du coronavirus”| revue Esprit | mai 2020
  • Selosse Marc-André, “La richesse de la biologie commence au cœur du quotidien”| The Conversation | 25 nov. 2020
  • Shevchenko Inna, “Coronavirus : Dieu, facteur de contamination massif” | Charlie Hebdo | 4 avril 2020
  • Smith Adam, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations | 1776
  • Thomas Pierre, « Comment et pourquoi représenter l’arbre phylogénétique du vivant ? La réponse du Musée des Confluences de Lyon »| Planet-Terre / ENS Lyon | 6 avril 2015
  • Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse [traduction par Charles Zévort | éd. G. Charpentier, 1883 | source Gallica-BNF
  • VanlangenhoveLes invariants de l’histoire et de l’ethnologie”| Bulletin de la Classe des lettres et des sciences morales et politiques, tome 63 | 1977
  • Velut Stéphane, L’hôpital, une nouvelle industrie – Le langage comme symptôme | Gallimard | 2000
  • Vetter Thibault, De Barry Christophe, “On n’a nulle part où aller”, face au coronavirus, les SDF galèrent” | Reporterre | 24 mars 2020
  • Wikipédia, plusieurs références, indiquées dans le texte

De l’autogestion à la participation… un parcours complexe

texte téléchargeable

De 1969 à 1981, dans le prolongement des grands mouvements de mai 1968autogestion_utopie_Georgi_2003_web, la CFDT (Confédération française démocratique du travail) et le PSU (Parti socialiste unifié) ont fait du socialisme autogestionnaire l’idéal et le pivot de leur action et de leur projet politique. Mais avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en mai 1981, ce concept a subi une lente érosion et a fini par quitter discrètement la scène politique de la gauche de gouvernance, comme étant, semble-t-il, inadapté à la réalité économique et sociale, de plus en plus mondialisée et sujette à des crises à répétition. Qu’en est-il entre hier et aujourd’hui, trouve-t-on encore des traces de cet idéal, utopie non aboutie ?

  • des courants politiques évoquent encore l’autogestion, tels les Libertaires et Anarchistes.
  • il existe encore des expériences qui se référent explicitement à une pratique autogestionnaire : SCOP La Péniche, des mouvements sociaux  (Nuit debout, ZAD Notre-Dame-des Landes…) etc.
  • actuellement il est beaucoup question de démocratie locale, participative, de citoyenneté … Ces idées, ces pratiques, s’inscrivent-elles peu ou prou dans les pas de l’autogestion ? Et si oui en quoi ?

« La démocratie participative semble occuper dans l’imaginaire de gauche la place qu’avait l’autogestion dans les années 1970, par les débats et prises de position qu’elle suscite. Mais cette similitude apparente interpelle : quels liens entretiennent-elles réellement, par leur histoire, par les forces qu’elles mobilisent, par les perspectives politiques qu’elles proposent ? » [Hélène Hatzfeld, La démocratie participative. Histoire et généalogie | 2011 | éd. La Découverte]

1. l’autogestion

1.1. définitions

il n’est pas aisé de donner une définition claire de l’autogestion parce qu’on ne sait pas toujours très bien si l’on parle d’un projet politique de société ou bien de pratiques, voici deux propositions :

  • la plus simple : gérer soi-même
  • plus complexe : organisation sociale, économique, culturelle de la société favorable à une gestion directe non hiérarchisée de structures de travail, d’habitat, d’éducation, etc. par les hommes et les femmes impliqués directement dans ces espaces dans lesquels ils entendent être acteurs décisionnels. Cette définition est le fil rouge à cette étude.

1.2. historique

Sans plonger dans la nuit des temps, sinon on pourrait  remonter à l’Agora de la Grèce antique, voire à la révolte des esclaves romains conduite par Spartacus en -73, on s’intéresse ici à des moments qui font dates dans l’histoire des XIXe et XXe siècle., où l’autogestion a trouvé, semble-t-il, ses principaux fondements.

a. XIXe siècle

* L’Association Internationale des Travailleurs (AIT) ou Première Internationale (fondée en 1864), dont les principaux leaders sont Pierre-Joseph Proudhon (originaire de Besançon), courant « mutualiste » et Michel Bakounine, courant « collectiviste ». Les statuts de cette association, rédigés par Karl Marx, précisent que « l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes« . Tout au long de sa courte existence (fin en 1876), l’AIT a été traversée par de longs débats à propos de :

  • la suppression du salariat, du droit d’héritage
  • la place de l’État dans le socialisme
  • la manière de conquérir le pouvoir par l’auto organisation des forces prolétariennes ou par une avant-garde révolutionnaire instituant temporairement la dictature du prolétariat.

On retrouve ces différents points dans la pensée autogestionnaire du XXe siècle.

* la Commune de Paris 1871, en 72 jours, a généré des pratiques autogestionnaires tant dans la conquête du pouvoir que dans son exercice par le peuple. On peut les caractériser par :

  • la lutte armée pour s’opposer d’une part à l’envahisseur prussien, d’autre part à une partie de l’armée française restée fidèle au gouvernement français (Thiers) siégeant à Versailles. Deux figures marquantes de cette lutte : Louis-Auguste Blanqui qui, bien qu’étant en prison à cette époque, a certainement eu une influence idéologique prépondérante chez les communards et Louis Roussel, transfuge de l’armée française, nommée ministre de la guerre de la Commune et chargé d’organiser la défense de Paris, non sans mal d’ailleurs, bon nombre de communards refusant de prendre les armes,
  • la mise en place de structures économiques et sociales démocratiques, égalitaires et non discriminantes,
  • le rôle important des femmes dans la lutte,
  • insistance mise sur l’entraide, l’éducation et la formation avec Louise Michel comme figure emblématique.

commune-de-parisL’association des Amis de la Commune de Paris perpétue la mémoire de cet événement.

* Charles Fourier (lui aussi originaire de Besançon) est à l’origine du projet “Phalanstère” : vie communautaire et de travail fondée sur “l’attraction passionnée”, jonction de l’intérêt individuel et de l’intérêt collectif pour une harmonie universelle et un nouvel État. « On commence par dire : cela est impossible pour se dispenser de le tenter, et cela devient impossible, en effet, parce qu’on ne le tente pas » (C. Fourier, « Le Nouveau monde industriel et sociétaire« , Paris, 1829). Il a inspiré des communautés de travail telles Longo Maï dans les Alpes de Haute Provence, Boimondau dans la Drôme…

b. XXe siècle
Le mot autogestion a eu une existence politique officielle dans plusieurs pays bien avant qu’il n’apparaisse en France :
* En Yougoslavie (République fédérale composée de six Républiques jusqu’en janvier 1992) le maréchal TITO apparaît à la fin de la Deuxième guerre mondiale comme un véritable sauveur. Il profite de son aura de résistant au nazisme pour s’opposer au stalinisme et rompre avec Moscou en 1948. Staline n’ose pas toucher à ce personnage devenu une véritable figure emblématique internationale.

Tito entreprend alors de grandes réformes et introduit officiellement l’autogestion dans la constitution tout en gardant un État très centralisé avec parti unique. En fait l’autogestion concerne exclusivement le monde de l’entreprise dont à l’époque les plus grosses unités de production, ne dépassent pas 700 emplois. De 1950 à 1970, l’autogestion s’est déroulée dans le cadre d’une économie planifiée par l’État. Ce n’est pas une grande réussite et l’économie de marché internationale pousse le pays, à partir de 1970, à s’adapter à cette réalité ; la plupart des entreprises sont progressivement privatisées tout en gardant parfois leur fonctionnement autogestionnaire. La mort de Tito en 1980 amorce une crise très dure et longue conduisant à l’éclatement de la Yougoslavie dans les années 90.

Selon Marie-Geneviève Dezès (« Autogestion, la dernière utopie? », sous la direction de Frank Georgi, 2003, publications de la Sorbonne), Tito, en choisissant l’autogestion, voulait donner un signe fort au monde pour montrer que sa rupture avec le stalinisme allait bien dans le sens d’un socialisme libre, ce qui fut loin d’être le cas. Mais, pendant un temps, cette représentation a fonctionné puisque, à partir des années 60 une partie de la gauche française (PSU, extrême gauche, CFDT…) fait de la Yougoslavie une référence et se rend sur place pour y chercher l’inspiration autogestionnaire. Des organismes de voyages se spécialisent : par exemple « Découverte et cultures » agence réservée aux militants révolutionnaires, et surtout ARVEL (Association de Rencontres, de Voyages, d’Études et de Loisirs) créée à Lyon en 1968 par André Barthélémy et quelques militants du PSU et de la CFDT et dont la première destination (et unique au début) est la côte Yougoslavie (actuelle Croatie) où cette association prend même la gestion d’un centre de vacances.

Un courant critique s’est rapidement développé en Yougoslavie. Il s’exprime en particulier dans la revue PRAXIS (interdite en 1975). En France cette critique est relayée par de nombreux militants et intellectuels : Albert MEISTER, Henri LEFEBVRE … Ce qui débouche sur la création du Centre International de coordination des Recherches sur l’autogestion (CICRA) en 1976 dont le siège est fixé à Paris à la Maison des sciences de l’Homme. Le CICRA n’existe plus.

* En Algérie, la guerre d’indépendance a été un tournant pour la gauche française et pour l’autogestion ! Avant la création du PSU en 1960, due en grande partie aux difficultés grandissantes de la SFIO (le PS actuel) et du PCF à se positionner clairement dans ce conflit qui déchirait le peuple français et le peuple algérien, c’est l’extrême gauche trotskiste de la IVe Internationale qui, dès 1954, a été la plus active dans le soutien à la révolte du peuple algérien. Selon les courants politiques qui traversaient les trotskistes, le soutien pouvait s’adresser plus au MNA (Mouvement National Algérien) par le PCI (Parti Communiste Internationaliste) tendance Pierre Lambert ou plus au FLN (Front de Libération Nationale) par le PCI tendance Pierre Frank. Dans le soutien au FLN apparaît, dès 1954, une figure historique de la IVe Internationale : Pablo ou Michel Raptis. C’est Yvan Crépeau qui le met en relation avec le FLN dès 1954. Pablo devient alors l’un des principaux conseillers du FLN. Il est à l’initiative de la création d’une usine clandestine d’armement installée au Maroc.

À l’indépendance en 1962, un certain nombre de militants trotskistes décident de vivre en Algérie comme enseignants, médecins, agriculteurs … Ils sont surnommés « les pieds rouges ». Ils croient en la révolution socialiste et aux capacités du peule algérien à se libérer du poids des années de colonisation ; les algériens ont simplement besoin de leur aide pour se former au socialisme. Pablo en fait partie. Il a une entrevue avec Ben Bella qui le convînt « que le projet d’une Algérie socialiste est possible car la logique d’un développement socialiste de la Révolution est inévitable. Ben Bella prête une oreille attentive aux projets de Pablo concernant l’autogestion, qui doit constituer un embryon de contrôle ouvrier et paysan et l’amorce d’un véritable pouvoir prolétarien. Pablo devient alors conseiller de Ben Bella, en particulier pour le développement de l’autogestion. Il crée l’Union nationale d’animation socialiste, qui élabore les plans pour une évolution vers le socialisme. Il parvient, avec Mohammed Harbi et Hocine Zahouane, à faire adopter en octobre et novembre 1962, puis en mars 1963, des décrets sur l’administration des biens vacants et l’autogestion des entreprises » (Sylvain Pattieu, Les camarades des frères. Guerre d’Algérie et extrême gauche en France, 2002, éd. Syllepse).

Dès le début de la guerre les soutiens au FLN des trotskistes, et de la Nouvelle Gauche et du PSU un peu plus tardivement, ont certainement été efficaces dans des tâches pratiques clandestines (par exemple « les porteurs de valises« ) jusqu’à l’indépendance. Ensuite, il semblerait que ces organisations soient restées pendant un temps sur l’idée que la conquête révolutionnaire et armée de l’indépendance ne pouvait que déboucher sur le socialisme. Les pratiques non démocratiques du FLN, au nom de la sauvegarde de l’intégrité de la révolution algérienne et du socialisme – avec, par exemple, dissolution dès le début de l’indépendance du Gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA), refus d’élections libres, interdiction de partis politiques comme le Parti communiste algérien ou le Parti de la Révolution Socialiste – démontraient pourtant le contraire. Le désenchantement fut total en juin 1965 avec le coup d’état militaire qui installe Houari Boumediene à la présidence. Les militants trotskistes, encore présents en Algérie, sont alors tous expulsés. [cf. également  « Algérie : colonialisme, indépendance, autogestion« .

Que ce soit en Algérie ou en Yougoslavie, l’autogestion fut décrétée par un pouvoir se disant socialiste mais avec des pratiques totalitaires, ce qui paraît déjà assez paradoxal en soi ! Peut-on en effet imposer l’autogestion alors qu’elle devrait être aspiration, mouvement ascendant populaire ? Peut-on imaginer que cette aspiration puisse apparaître et être acceptée par un État imposant son total pouvoir y compris par la force? Ces pratiques autogestionnaires, aux durées relativement courtes, mais dont certaines semblent avoir correctement fonctionné, auront au moins servi de terrains d’observation pour bon nombre d’organisations politiques et syndicales en particulier françaises.

En France, on ne sait trop quand l’autogestion a fait explicitement son apparition dans le langage politique. En 1964 peut-être avec le philosophe marxiste André Gorz qui en fait l’aboutissement social des luttes d’émancipation conduisant à l’autonomie individuelle et collective. La pensée autogestionnaire s’est construite à partir des années 1960 en puisant dans trois courants de pensée :
• le marxisme, représenté par des communistes, exclus du PCF pour certains, rejetant le stalinisme et le centralisme démocratique, Pierre Naville, Yvon Bourdet, Victor Leduc, Serge Depaquit, Yvan Crépeau, André Gorz, Henri Lefebvre, Victor Fay… sont parmi les plus connus. Deux tendances les traversent : les structuralistes (centralité de la structure et rejet de la subjectivité) et les existentialistes (se libérer de toute aliénation pour atteindre une totale autonomie individuelle et collective). Les élections sont reconnues comme un moyen possible pour arriver au pouvoir, mais le mouvement révolutionnaire violent n’est cependant pas exclu pour le prendre au plus haut niveau, première condition pour mettre en place le socialisme autogestionnaire,
le christianisme progressiste, humanisme éclairé prônant la « révolution douce » en réformant la vie quotidienne. L’influence du personnalisme d’Emmanuel Mounier y est grande. Claude Bourdet (fondateur de l’Observateur, devenu le Nouvel Observateur), Gilles Martinet, Henri Desroche, Pierre Rosanvallon, Albert Meister, la revue Esprit … font partie des portes-parole de cette tendance de « l’autogestion goutte à goutte » évoquée par Daniel Mothé (1980, éd. du Centurion)
l’anarchisme et le communisme libertaire, militant contre l’autorité sous toutes ses formes. Cornélius Castoriadis “Socialisme ou barbarie”, en est l’une des figures emblématiques.

Plusieurs leaders des deux premiers courants sont à l’origine en 1966 de la revue Autogestion, qui devient Autogestion et Socialisme en 1970 et enfin Autogestions en 1980, ce pluriel voulant signifier que l’autogestion est multiple ; elle cesse de paraître en 1986. Après la chute du communisme c’est le courant « humaniste » qui occupe le terrain idéologique, souvent sous l’étiquette « Deuxième gauche« .
Il est important de souligner la grande influence du philosophe marxiste Henri Lefebvre dans la construction du concept. Pour lui c’est dans la quotidienneté qu’il faut chercher à débusquer les rapports de domination du capitalisme, sources d’habitudes « inauthentiques« , obstacles majeurs à l’inventivité, à la liberté …, nécessaires au développement de l’autogestion. Celle-ci ne peut être un système établi, elle est mouvement perpétuel. Sa « Critique de la vie quotidienne » en trois volumes demeure une référence : « Impossible de saisir le quotidien comme tel en l’acceptant, en le «vivant» passivement, sans prendre un recul. Distance critique, contestation, comparaison vont ensemble » (1948, 1962, 1981, éd. de l’Arche) . Il était professeur de sociologie à Nanterre depuis 1965 quand tout a commencé en 1968 depuis cette Université…

Mai 1968 est la véritable plateforme de lancement du socialisme autogestionnaire. Ce mouvement, s’il n’a pas pu déboucher politiquement pour différentes raisons, a eu toutefois une influence sociale et culturelle que rien n’a sans doute égalé depuis. La CFDT, y a été très active et a favorisé le rapprochement étudiants / travailleurs. Elle adopte le concept d’autogestion dès 1970. Le PSU lui fait écho et intègre peu à peu l’autogestion dans son projet politique.

En 1972 le PSU, refusant de participer au Programme commun de la gauche jugé seulement réformiste et trop centralisateur, fait officiellement du socialisme manifeste_1972autogestionnaire son Manifeste, approuvée lors de son huitième Congrès en décembre 1972 à Toulouse. « L’autogestion, loin d’être pour nous une vague utopie, constitue, au contraire, l’axe politique autour duquel se construira la société socialiste » déclare Michel Rocard, alors secrétaire national du PSU. Manœuvre opportuniste de la part de celui-ci, diront certains …
Le socialisme autogestionnaire existe désormais au plan politique avec une critique radicale de tous les modèles politiques existants : capitalisme bien sûr, mais aussi communisme, centralisme démocratique, social-démocratie.

Durant les années 1970, l’amélioration de la qualité du cadre de vie prend de l’ampleur. Devant l’urgence à régler les problèmes du logement, les grands ensembles se sont multipliés le plus souvent sans aucune concertation. Toutefois certaines communes ont cherché à associer habitants, associations, syndicats. Pour de nombreux militants ce fut l’occasion d’innover avec des pratiques se rapprochant de l’autogestion. Ces réalisations sont nombreuses dont la Ville Neuve à Grenoble, la Boissière dit le « quartier rouge » à Morlaix (Finistère), Sarcelles… Le mouvement de « l’Habitat autogéré », devenu “Éco habitat groupé”, s’est développé ces années-là ; et, bien qu’antérieur, la confédération d’autoconstruction coopérative des Castors dans les années 1950-1960 peut aussi être associée aux pratiques d’inspiration autogestionnaire.

Plusieurs grands évènements ont également fait dates dans ces années :

  • octobre 1971 : début de la longue lutte du LARZAC pour s’opposer à l’extension (de 3.000 à 17.000 hectares) du camp militaire décidée par le gouvernement français. Ce mouvement a été innovant dans la manière à la fois autogestionnaire et non violente dont il fut conduit. Il aboutit en mai 1981 : François Mitterrand, dès son élection à la présidence de la République, décide de mettre fin à l’extension du camp du Larzac.
  • affaire-LIP_2019_web1973 : LIP, événement qui fait date dans l’histoire des luttes pour l’emploi et le célèbre “on fabrique, on vend, on se paie !” a parcouru le monde. Ce long conflit demeure un modèle de démocratie directe dans la façon dont il fut conduit.

LIP et le LARZAC ont beaucoup de points communs et ces deux mouvements se sont fréquemment rencontrés. Mais 1973, c’est aussi le premier choc pétrolier, et l’entrée dans une longue période de crise où l’emploi devient la préoccupation numéro 1. Cette situation perdure et provoque bien des replis, tout le contraire de ce qui pourrait créer du mouvement vers le socialisme autogestionnaire.

Cette même année, la parution de « l’Archipel du Goulag » de Soljenitsyne révèle enfin la réalité insupportable du monde communiste qui ne s’en remettra pas ; et le marxisme, identifié à la barbarie par certains « nouveaux philosophes », va en subir les conséquences.

En 1974, les Assises du socialisme sont l’occasion pour les rocardiens  de la Deuxième assises socialisme_1974gauche de quitter le PSU pour le PS avec la ferme intention d’influer et de transformer celui-ci. Mais ils se heurtent à la personnalité de l’ambitieux François Mitterrand qui se dit « agacé » par la référence constante des rocardiens à l’autogestion. Ceux-ci réussissent malgré tout à faire adopter par une convention nationale en 1975 « Quinze thèses sur l’autogestion« , restées au niveau des intentions.

Le Parti Communiste Français a longtemps considéré l’autogestion comme un mot vide de sens. Il l’adopte cependant du bout des lèvres à partir de 1978. Son programme électoral de 2007 y fait encore allusion : « Fonder une VIe République solidaire, démocratique, laïque et autogestionnaire. Le programme des communistes : donner le pouvoir aux citoyens et aux salariés, dans la cité et l’entreprise« .

L’arrivée au pouvoir de la gauche en 1981 va, paradoxalement, sonner le glas du socialisme autogestionnaire. F. Mitterrand estime que la conquêtmitterrand_02e rapide du pouvoir de l’État passe par l’acceptation des institutions de la Ve République, pourtant décriées en d’autres temps. Cela lui réussit et finalement il semble que ces institutions lui conviennent et il n’est plus question de nouvelle Constitution, considérant sans doute qu’il y a plus urgent à faire. Il entreprend rapidement de grandes réformes dont :

  • les lois Auroux pour transformer les relations dans le monde du travail ; les travailleurs doivent être acteurs du changement, avec deux idées clés : l’extension de la citoyenneté dans l’entreprise et le développement des initiatives collectives : « promouvoir une démocratie économique fondée sur de nouvelles relations du travail (…) et sur l’élargissement du droits des travailleurs« , (Jean Auroux, rapport introductif, 1981)
  • les lois sur la décentralisation pour rapprocher les citoyens des lieux d’exercice des pouvoirs : loi Deferre en 1982, « véritable coquille vide » (Georges Gontcharoff, entretien du 10 nov. 2008 ) en matière de participation des citoyens ; loi Joxe en 1992 sur l’information des habitants, etc.. Ces différentes lois définissent des cadres institutionnels pour renforcer le pouvoir des élus locaux dans les communes, les départements et les régions.

avons-nous-le-pouvoirAux yeux des autogestionnaires, ces lois sont loin d’être satisfaisantes. Les lois Auroux ? « le droit de donner son avis sur la couleur des moquettes à changer » ! déclare Victor Fay qui a intégré le PS avec l’espoir d’exercer une influence de l’intérieur. Les lois sur la décentralisation? « s’intéressent plus à donner du pouvoir aux élus qu’au peuple » ! (V. Fay, L’autogestion une utopie réaliste, 1996, éd. Syllepse)

Victor FAY en 1981 est à l’origine de la création du « Collectif autogestion » afin d’œuvrer à « l’extension de la démocratisation« . Ce collectif lance un appel au gouvernement et aux parlementaires de gauche en proposant deux projets de lois portant sur « la création de conseils d’atelier, de bureau et de service » et pour « l’extension de la démocratie dans la commune« . Ce collectif n’ira pas au delà de 1986.

1983 : la gauche de gouvernance, avec l’exercice du pouvoir, prend conscience de la très difficile articulation de la politique nationale avec l’économie de marché qui se mondialise de plus en plus. Et la question récurrente du chômage est loin d’être solutionnée … La conjoncture n’est pas donc pas favorable au développement d’idées autogestionnaires. L’entreprise de déconstruction du concept continue inexorablement : la CFDT se recentre et le PSU se prépare lentement à disparaître …

Après ce rapide survol historique, on peut se demander pourquoi le socialisme autogestionnaire n’a pas réussi à s’imposer comme projet politique crédible.

1.3. l’autogestion, utopie ou (et) mythe ?

Il est nécessaire de bien distinguer deux approches : l’autogestion en tant que pratique et l’autogestion attachée au socialisme en tant que projet politique :

La pratique de l’autogestion est bien réelle, de multiples expériences s’y référent en effet, mais elles n’ont pas conduit et ne conduisent pas pour autant à faire société. Mai 1968, sans doute parmi les plus grands événements d’émancipation populaire de l’histoire française, a débouché sur une retentissante victoire de la droite aux élections législatives qui ont suivi marquant ainsi le retour à l’ordre, la liberté ferait-elle peur ?

L’autogestion comme projet politique global a été éphémère. Dans plusieurs pays des tentatives ont eu lieu dans la dynamique de luttes abouties : résistance au nazisme et au stalinisme en Yougoslavie, indépendance en Algérie, révolution des œillets au Portugal …, mais elles ne purent être pérennes. « L’autogestion ne peut être envisagée que dans un système cohérent où l’on tient en main le problème de la production, et c’est le rôle de l’organisation des producteurs ; mais il faut tenir aussi les problèmes de l’organisation des citoyens et de la direction politique. Le fédéralisme yougoslave a permis l’autogestion en fournissant une donnée politique plus proche de la base. Mais il y a un troisième niveau, celui de l’État qui, lui-même, s’il n’est pas démocratique comme c’était le cas en Yougoslavie, fait s’écrouler l’autogestion. Parce que lorsqu’on chasse la démocratie à un endroit, il ne faut pas croire qu’elle peut apparaître à un autre. (…) C’est un système finalement très délicat, et pour nous cela implique qu’il y ait transformation du pouvoir au niveau de l’entreprise, au niveau des régions et au niveau de l’État. » (Robert Chapuis, Qu’est-ce que le PSU ? revue de la Chronique Sociale de France, N° 4-5 déc. 1971).

En fait, en se référant aux pays déjà cités, on se rend compte que les trois niveaux évoqués par Robert Chapuis, n’ont pas réussi à vraiment fonctionner ensemble. Ce serait peut-être la France qui, en 1981, aurait pu s’en rapprocher le plus, avec les nationalisations, la régionalisation et un État qui cherchait à se démocratiser. Mais le contexte mondial est sans doute un trop gros obstacle qui ne permet plus aujourd’hui d’imaginer qu’un pays seul puisse concevoir un projet politique autogestionnaire devenu une impasse dans laquelle des incertitudes telles le climat, l’emploi, les inégalités de toutes sortes… pèsent de tout leur poids sur la société civile qui s’n remet globalement à un État naviguant à vue en tirant des bords hasardeux ; ainsi l’imagination devient en quelque sorte sans pouvoir : « Les gens croient fermement (et ne peuvent que croire) que la loi, les institutions de leur société, leur ont été données une fois pour toute par quelqu’un d’autre : les esprits, les ancêtres, les dieux ou n’importe quoi d’autre, et qu’elles ne sont pas (et ne pouvaient pas être) leur propre oeuvre » (Cornélius Castoriadis, Domaines de l’homme. Les carrefours du labyrinthe, 1986, Seuil). Et doit-on admettre finalement « Qu’il ne s’agit plus de nous dévouer à une cause transcendante qui rachèterait nos souffrances et nous rembourserait avec intérêt le prix de nos renoncements […] Nous saurons désormais que la société ne sera jamais “bonne” par son organisation, mais seulement en raison des espaces d’autonomie, d’auto-organisation et de coopération volontaire qu’elle ouvre aux individus » (André Gorz, Adieux au prolétariat : au-delà du socialisme, 1980, éd. Galilée). Ces espaces existent en nombre, tout particulièrement dans le domaine de l’économie sociale et solidaire, là où l’on peut retrouver les fondements de l’autogestion.

Alors utopie et mythe ? Si l’on prend la définition de Théodore Monod « L’utopie est simplement ce qui n’a pas encore été essayé! » (cité par Wikipédia) , alors l’autogestion n’est plus dans l’utopie ; elle a, en effet, été essayée politiquement dans plusieurs pays et elle continue à l’être dans ce que nous nommons « l’autogestion pratique ». Ce qui n’en fait plus un idéal puisqu’elle fonctionne dans le réel et que des résultats sont observables.

En revanche le socialisme autogestionnaire comme projet politique global, relèverait non seulement de l’utopie mais aussi du mythe parce que fondé sur l’imaginaire d’une société idéale, libre, harmonieuse, sans classe, sans violence …, la recherche du paradis perdu pourrait-on dire ! Dans ce projet, certains éléments du réel sont absents ou ne sont pas suffisamment pris en compte. On l’a vu à propos de l’Algérie où manifestement il y a eu une part d’aveuglement chez des militants enthousiasmés par la conquête de l’indépendance et qui ont cru qu’un pays se libérant d’un rapport de domination combien aliénant, ne pouvait que déboucher vers le socialisme autogestionnaire. En fait la réalité était tout autre et le pouvoir qui se mettait en place n’avait rien de démocratique.

Roland Barthes associe mythe et mystification. Le mythe, selon lui, est une illusion qui altère les données de l’observation du réel et va donc à l’encontre du raisonnement et de la connaissance. « La science va vite et droit en son chemin ; mais les représentations collectives ne suivent pas, elles sont des siècles en arrière, maintenues stagnantes dans l’erreur par le pouvoir… » (Mythologies, 1957, le Seuil). Le mythe relèverait donc, y compris en politique, plus de la croyance que de la raison. Mais il peut avoir une fonction hautement symbolique favorisant la mise en mouvement, « groupons-nous et demain l’Internationale sera le genre humain » ! Et ce mouvement peut alors jouer un rôle important dans la transformation du réel sans pour autant le bouleverser de fond en comble.

En politique le mythe naît souvent dans les périodes de mutation, de crise identitaire. Il devient alors une planche de salut. Il peut s’incarner dans un personnage présenté comme le sauveur, ou bien dans une recherche d’unité communautariste à l’encontre d’un phénomène de société, ou bien encore dans une représentation de « l’âge d’or » passé – retour à la nature – ou à venir : abondance pour tous, harmonie et fin de l’Histoire ! Le socialisme autogestionnaire a eu cette fonction mobilisatrice dans une période où le pouvoir était exercé de façon autoritaire par un homme lui-même « sauveur » et qui avait institué une République quasi monarchique, en tout cas à l’opposé de l’esprit du socialisme démocratique. Ce mythe a permis le rêve, une recherche moderne du « paradis perdu » ! Il a eu une période faste, mai 1968, « sous les pavés, la plage! ». Il a participé à la victoire de la gauche en 1981. Et paradoxalement c’est à ce moment là qu’il commence à se déconstruire. Libérée du communisme, la Deuxième Gauche (à laquelle on peut associer les Verts), celle de la révolution douce, celle des « réformistes », occupe le terrain idéologique. Elle accepte l’économie de marché comme quelque chose d’inéluctable et s’attelle à la social-démocratie.

Aujourd’hui, à l’exception d’organisations anarchistes, plus grand monde n’évoque le socialisme autogestionnaire comme un projet politique possible. On peut certes penser qu’une nouvelle délivrance de Prométhée en rallumerait le feu ; mais on peut aussi estimer qu’il est entré dans le domaine de l’histoire et le mouvement social s’en est trouvé modifié. Ponctuellement certains événements provoquent de grandes mobilisations, altermondialistes par exemple. Mais on a l’impression que peu à peu on s’éloigne des grands projets politiques de société bouleversant l’ordre des choses, comme si la mondialisation rendait difficile, voire impossible, la compréhension de la politique globale sur laquelle le citoyen ne voit pas comment il peut agir pour en modifier le cours. On a là, sans doute, l’une des raisons de la défiance à l’égard du politique, avec des conséquences négatives pour la démocratie représentative.

Cependant, des hommes et des femmes continuent à rechercher un peu partout d’autres façons de vivre. Ils mettent en œuvre des solidarités de proximité, des actions de développement durable, d’autres façons de concevoir les rapports économiques, de consommer… Tout cela crée du mouvement mais peu visible, peu saisissable par l’opinion public. Ces nouvelles forces conduiront-elles à une alternative au système existant ? André Gorz en était intiment convaincu : « l’expérimentation avec de nouveaux modes de vie et d’autres formes sociales, dans les failles d’une société en pleine désagrégation, subvertira et délégitimera le contrôle que le Capital exerce sur l’esprit et le corps des gens. [Ainsi] les contraintes et les valeurs de la société capitaliste cesseront d’être perçues comme naturelles et libéreront finalement les puissances de l’imagination et du désir » (L’immatériel. Connaissance, valeur et Capital, éd. Galilée), démarche qui amènerait, pense-t-il, à un « écosocialisme non capitaliste« . Nous n’en sommes pas encore là et pour un mouvement plus global on manque, peut-être, du rêve qui permettrait de sortir de la façon strictement gestionnaire et sécuritaire que la politique actuelle propose. Il y a, semble-t-il, un manque d’ambition collective, à moins que la démocratie participative en soit une source possible ?

2. la participation

2.1. définition et histoire

Lorsque des instances dirigeantes évoquent la participation, cela signifie qu’elles cherchent à associer les salariés, les habitants, les usagers … à la vie d’une entreprise, d’un quartier, d’un service … À l’inverse d’un système autogestionnaire où le pouvoir s’exerce collectivement et de façon horizontale, les systèmes participatifs ne modifient en rien les hiérarchies existantes.

Dans le monde du travail on peut considérer les comités d’entreprise et surtout les comités d’hygiène et de sécurité comme des instances participatives.

En politique, l’usage du mot n’est pas très ancien. C’est le Général de Gaulle qui en 1967 fait de la participation des salariés aux résultats de l’entreprise un objectif à atteindre rapidement. Il l’impose par ordonnance pour les entreprises de plus de 50 salariés contre l’avis du patronat et avec beaucoup de réserves des partis de gauche et des syndicats de salariés.

En milieu urbain, les Groupes d’Action Municipale (GAM) avaient, dans les années 1960, fait ressortir la nécessité d’associer les habitants à tout projet de rénovation urbaine. Il faut toutefois attendre les années 1980, à l’occasion des premières mesures concernant la politique de la ville, pour que l’État introduise la notion de participation comme « étant au cœur de la politique de la ville » . Des militants, des élus, ont beaucoup œuvré à cette participation ; par exemple, à la Roche-sur-Yon (Vendée) où il s’agissait de « permettre aux habitants d’être la principale force motrice d’un projet de développement économique et social d’un quartier« , Elie Gaborit (« Quand la démocratie locale façonne un quartier« , 2009). Plusieurs lois ont jalonné ces années :

Dans la loi de 2002, la participation des habitants (chap.1 du titre premier) occupe en fait deux pages sur les 48 du texte ! Tout le reste évoque le statut des élus, l’intercommunalité, les collectivités territoriales et leurs compétences, les enquêtes publiques … Cette loi rend obligatoire les conseils de quartier (CQ) dans les communes de plus de 80.000 habitants ; « les conseils de quartier peuvent être consultés par le maire et peuvent lui faire des propositions sur toute question concernant le quartier ou la ville. Le maire peut les associer à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’élaboration des actions intéressant le quartier, en particulier celles menées au titre de la politique de la ville » (art.1.II). On note que le CQ « PEUT être consulté … associé… » et non pas DOIT. Les élus gardent ainsi l’initiative de ce qu’ils veulent bien soumettre aux habitants. Le projet initial prévoyait l’obligation des CQ pour les communes de plus de 20.000 habitants. On ne s’explique pas très bien pourquoi on est passé à 80.000 dans les navettes entre le Parlement et le Sénat. Toutefois beaucoup de communes de moins de 80.000 habitants ont créé des CQ.

2.2. pourquoi une loi à propos de la démocratie de proximité ?

Lors de la « Rencontre nationale des conseils de quartiers et de la démocratie locale », tenue à Paris en mai 2001, Claude Bartolone, alors ministre délégué à la ville, concluait ainsi la journée : « La politique de la ville a été portée il y a plus de 20 ans sur ses fonds baptismaux par Hubert Dubedout avec l’intime conviction que sa réussite était conditionnée par la participation des habitants et par leur réelle implication dans sa conception (…) Pour la politique de la ville, la démocratie de proximité est l’un des actes fondateurs de notre action autant qu’un impératif de réussite. (…) La démocratie participative est une condition de la réussite du renouveau social (…). Les conseils de quartier sont des lieux de confrontation essentiels à la démocratie, essentiels pour gouverner une ville (…) Qu’il s’agisse de propreté, d’éclairage public, de tranquillité publique, d’implantation du mobilier urbain, des aménagements de voirie …, il nous faut débattre et nous organiser pour répondre à des demandes ascendantes et non pas seulement discuter de propositions descendantes… ». Il annonçait à cette même rencontre la promulgation prochaine de la loi.

Cette loi prend quelque peu racine dans une longue période d’expérimentations de démocratie locale multi-formes dans de nombreuses communes françaises, le plus souvent de gauche, avec en toile de fond le modèle Porto Alegre au Brésil. Mais alors pourquoi ce besoin de légiférer ? Il n’y avait pas un mouvement social organisé poussant à cela, sinon peut-être les mouvements spontanés de jeunes dans certains quartiers, mais pour eux la réponse se trouve-t-elle dans cette nouvelle gouvernance ? En fait le principal motif est sans doute à rechercher dans l’inquiétude éprouvée par la classe politique devant un certain « désenchantement démocratique  » ; l’évolution négative des taux d’abstention aux élections en étant le principal indicateur.

Le baromètre 2009-2019 du Centre de recherche Sciences-Po Paris (CEVIPOF) sur ‘’la confiance politique’’, montre une amplification croissante de la défiance à l’égard des élus et les gouvernements : « L’une des dimensions de la confiance politique est notre capacité à se projeter collectivement et positivement sur l’avenir. Depuis la Libération, le modèle social français a fonctionné sur la promesse que les générations futures vivraient mieux que les précédentes : les sacrifices des parents seraient les progrès des enfants. Or, la décennie écoulée montre le refus de croire davantage en cette promesse politique. L’avenir n’est plus envisagé avec confiance et la capacité à s’y projeter positivement est faible. Inévitablement, la politique est affectée par cet état d’esprit décennal. Si l’intérêt pour la politique est bien assuré chez les Français, la méfiance et le dégoût dominent largement. À cet effet, les responsables politiques, de gauche comme de droite, sont rejetés car perçus comme indifférents et corrompus. […] Cependant, au cours de la période 2009-2019, tous les acteurs de notre vie politique et sociale n’ont pas été rejetés. Certains acteurs ont été crédités de niveaux de confiance supérieurs à 50% : un seul – le maire – du côté des acteurs élus ou de gouvernement ; plusieurs du côté des acteurs sociaux et économiques comme les hôpitaux, les PME ou l’armée. Ce sont les acteurs qui assurent des fonctions de proximité, mènent des missions de protection et sont considérés comme bienveillants et compétents qui ont été épargnés par la défiance politique et le rejet » (Madani Cheurfa – Flora Chanvril, ”2009-2019 : la crise de la confiance politique”, SciencePo Cevipof, 2019)

Il y a donc bien « crise de la représentation (…). Les citoyens, notamment ceux appartenant aux couches populaires, s’éloignent de plus en plus des mécanismes traditionnels de la démocratie. Une fracture civique profonde s’est aujourd’hui creusée entre la représentation politique et une large fraction de ceux qu’elle est censée représenter » (Serge Depaquit, Renouveler la démocratie … oui, mais comment ? 2005, éd. de l’ADELS).

La démocratie est-elle en péril au point de devoir la mettre sous perfusion, avec la participation comme sérum de vie ? Pourtant, par définition, la démocratie – pouvoir par le peuple – est participative sur le principe même que tout citoyen est en droit de participer à la décision politique, si cela n’est pas, le mot démocratie se vide de son sens premier. « Si parler de démocratie participative ne traduisait rien d’autre que la volonté d’exploiter et d’instrumentaliser la défiance des citoyens envers leurs représentants -cette défiance fut-elle, à bien des égards, compréhensible et légitime – (…) ce qui fragilise leur attachement et leur désir pour la démocratie, le risque alors serait que l’appel d’une démocratie participative ne finisse par effacer la démocratie elle-même (…) Il n’y a de démocratie que participative« , (Bernard Stiegler, De la démocratie participative, 2007, éd. Mille et une nuits).

Qualifier la démocratie de participative relève donc quelque peu du pléonasme et de la méthode Coué avec injonctions répétées à la citoyenneté sur tous les modes : débat citoyen, démarche citoyenne, café citoyen, conseil citoyen … Le citoyen du XXIe siècle. est, semble-t-il, en train de détrôner le travailleur du XXe siècle. Le travail, de par les incertitudes qu’il représente et le moindre temps qui lui est consacré, perd de son importance dans la construction de l’identité sociale, au profit de la cité avec ses multiples lieux d’exercice de la citoyenneté : associations, lieux informels…, ces espaces que la loi de 2002 n’a pas vraiment pris en compte.

Les CQ ont tendance à polariser l’attention alors qu’ils n’intéressent qu’une infime partie de la population. Leurs membres sont des habitants volontaires, ne représentant qu’eux-mêmes ; leur profil : cadres moyens ou supérieurs jeunes retraités, propriétaires de leur logement, déjà actifs dans la vie associative. On n’y trouve donc pas, ou fort peu, certaines couches de la population et tout particulièrement les jeunes et les milieux les plus populaires. Alors les CQ nouvelle caste sociale défendant avant tout ses intérêts ? Si ce n’était que cela on aurait là le plus bel effet NIMBY (pas dans mon jardin), c’est-à-dire le contraire de « l’intérêt général », cette référence, nébuleuse variable suivant qui est sensé la définir, et la garantir. Plusieurs études confirment ces tendances, dont :

  • Démocratie participative ?” dans une commune du Rhône dans laquelle trois CQ ont fonctionné entre 2002 et 2014 (pages 3 à 8).
  • Les conseils de quartier, un révélateur des difficultés d’émergence du nouveau pouvoir consultatif”, Philippe Breton et Célia Gissinger,  Communication et  organisation | 35 | 2009.

Mais tout n’est pas sombre dans les CQ. Certains s’investissent dans l’urbanisme et participent à un réel travail d’aménagement urbain, d’autres se préoccupent de solidarités de proximité. Ainsi dans le 18e arrondissement de Paris, deux CQ se sont demandés début 2006 que faire face à l’accroissement des personnes sans abri séjournant dans le quartier. Après étude avec l’association « Un toit pour tous« , au fait de cette question, les CQ ont émis unanimement un vœu demandant l’ouverture d’une Maison Relais sur le quartier avec accueil de jour et de nuit. Ce vœu a été approuvé par le Conseil municipal d’arrondissement en avril 2006 et transmis au Conseil de Paris qui a décidé de donner suite avec la création de deux maisons Relais. Les CQ concernés ont participé au comité de pilotage du projet : implantation, fonctionnement etc. (Source : entretien avec Hamou BOUAKKAZ, adjoint chargé de la démocratie locale, Mairie de Paris, juin 2009). Dans cet exemple le processus est ascendant :
 repérage d’un problème par des habitants
 étude avec une association compétente dans le domaine
 construction d’un argumentaire et transmission d’un vœu
 présentation au conseil municipal, discussion
 décision du CM
 participation au comité de pilotage réalisant le projet.

Cependant, dès que les sites d’implantation ont été connus du grand public, des habitants, non participants aux CQ, ont manifesté leur opposition en faisant signer une pétition à l’initiative de l’ancien chanteur des « Chats Sauvages » Dick Rivers ! Cette pétition n’a eu d’effets, sinon de provoquer des rencontres permettant d’expliquer l’intérêt du projet.

2.3. la participation, ravalement de façade de la démocratie ?

« Faire un état des lieux ensemble, c’est ça la participation ! », Marylise LEBRANCHU, députée du Finistère, manifeste ainsi (entretien le 29 sept. 2008 à Morlaix) un certain mécontentement à propos de la démocratie participative telle qu’elle est en train de s’instituer : « où sont les personnes en souffrance des quartiers populaires dans ces instances ? Elles n’y viennent pas ! Parce que le pouvoir y est pris par quelques personnes, celles qui ont la culture des mots. C’est aux élus à aller à pied dans les quartiers, de discuter en direct avec les habitants, de parler des problèmes de leur vie quotidienne… d’expliquer les projets avec des plans … et leur donner la possibilité de critiquer« .

« Les comités de quartier, ce n’est pas fait pour jouer les cantonniers ! » déclare Jean-René MARSAC, député d’Ille-et-Vilaine (entretien le 12 nov. 2008 à Paris). « La démocratie participative, telle qu’elle est souvent pratiquée encore, donne trop de place à la parole. Il suffit de se réunir, de se parler, d’échanger quelques idées, et on serait dans la démocratie participative ? Ce n’est pas sérieux ! C’est la réduire à l’état de forum réservé à ceux qui savent s’exprimer. Et je ne vois pas comment émerge la dedans l’intérêt général … S’il n’y a pas de logique d’action, ce n’est plus de la démocratie… La démocratie c’est fait pour décider, donc faire des choix : où on met l’argent ? pour quoi ? pour quelle population ? Ce n’est pas compliqué et on peut très bien associer le maximum de personnes dans cette démarche de responsabilisation ; c’est à mon avis la seule qui permettra de progresser vers plus de démocratie, sinon on va rester dans un concept mou, pas assez exigeant. L’autogestion avait une logique de progression dans la prise de responsabilité, ce serait utile de s’en inspirer » .

La démocratie ne peut s’accommoder de l’exclusion sous toutes ses formes, elle doit au contraire lutter contre. Si la participation conduisait à y faire écran, parce que réservée à une élite oligarchique constituée d’élus associés à quelques militants, on obtiendrait l’effet inverse de ce qui est souhaité par bon nombre d’élus et d’associations qui œuvrent quotidiennement pour que la démocratie retrouve du sens.

Conclusion

Aujourd’hui, on peut noter que :
 l’autogestion comme pratique est bien vivante dans un grand nombre de micro expériences dans des domaines variés : économie sociale solidaire, services, action sociale, culture … sous forme principalement d’associations et de coopératives. Ces expériences font référence à des valeurs communes : solidarité, égalité, protection de l’environnement, développement durable, primat de la personne sur le profit, une personne une voix … Si leur action dans la société civile est bien réelle, elle n’a pas conduit jusqu’à présent à un projet politique d’ensemble pouvant déboucher sur un autre modèle de société. Comme si le rêve du grand soir ne pouvait plus exister et que seule l’action « ici et maintenant » apportait la satisfaction de se réaliser.
 la démocratie participative, avec toutes les réserves faites sur le sens de cette appellation , ne relève pas, telle qu’elle est mise en place par les collectivités territoriales, de l’autogestion (gérer soi-même), mais plutôt, et au mieux, de la cogestion de projets entre des élus détendeurs du pouvoir décisionnel et une petite minorité d’habitants s’auto désignant.
 les associations, au demeurant toujours très actives bien qu’ayant du mal à renouveler leurs cadres bénévoles, les collectifs ou comités mis en place ponctuellement pour traiter d’un problème spécifique, peuvent fonctionner en autogestion.

Pierre Thomé  | 10 janvier 2009, actualisé en août 2020

Virus quand tu nous tiens…

texte téléchargeable

Le covid-19 ou coronavirus, est en train de nous empoisonner la vie, surtout pour ceux et celles qui sont dans l’obligation d’assurer le maintien des services publics indispensables. Pour ne pas rester trop collé à la grande malveillance de ce virus, j’ai recherché un rationnel factuel, manière de mettre quelque distance avec un événement pour lequel émotions et starisation ont tendance à devenir les seuls moteurs de l’analyse. Mais qu’est-ce qu’un virus et à quoi peut-il bien servir à part nous rendre malade ?

Virus et monde vivant

Parler de “vengeance de la nature” est tout aussi fantaisiste que d’évoquer une punition divine. Avec une approche plus rationnelle, on peut découvrir que les virus sont apparus dès que le vivant s’est employé à multiplier bactéries et cellules, il y a environ trois milliards d’années. Mais font-ils partie du buisson du vivant ? Leur incapacité à s’auto-reproduire, ils ont besoin en effet de coloniser une cellule pour le faire, peut conduire à les mettre en dehors du vivant sans que cela puisse être vraiment démontré et fasse l’unanimité. Cependant il y a peu, « une équipe des chercheurs de l’université de l’Illinois semble avoir comblé cette lacune en démontrant l’enracinement de plain-pied des virus dans l’arbre de la vie. Un résultat important qui  éclaire d’une lumière nouvelle cette zone sombre de la connaissance où s’accomplit la séparation  entre les règnes de l’inanimé et du vivant. » [Román Ikonicoff, 2015]

Donc si l’on admet cet enracinement des virus, quelle place occupent-ils dans le buisson du vivant ? Eh bien elle est loin d’être négligeable ! En 2017 aux États-Unis, trois scientifiques ont cherché à évaluer le poids de la masse carbone du vivant sur Terre : “The biomass distribution on Earth” (en anglais), ce qui donne :

poids biomasse_1

Le poids total de la biomasse carbone, indépendamment de la teneur en eau, est de 545 gigatonnes-carbone (GtC), se répartissant ainsi (principaux résultats) : végétal 83% (450 GtC), bactéries 13% (70 GtC), monde animal 0,4% (2 GtC, dont les humains 0,06 GtC et 0,01% du total) ; avec 0,2 GtC, les virus pèsent plus lourds que les humains et représentent 0,03% du total [rapport complet en anglais], ils sont donc incontournables et l’on doit faire avec…

Le territoire privilégié des virus semble être les océans où ils ont une fonction de nettoyage. Environ 200.000 différents types ont été recensés [Matthew Sullivan, 2019]. « Les virus pullulent dans la mer. Souvenez-vous en quand vous boirez la tasse cet été! Présents dans les océans à des concentrations avoisinant dix millions par millilitre, les virus sont les entités biologiques les plus nombreuses sur la planète. Mis bout à bout, ils constitueraient un collier de perles dont la longueur dépasserait dix millions d’années-lumière. Tous ensemble, les virus marins contiendraient plus d’atomes de carbone que 75 millions de baleines bleues. » [Stéphan Jacquet, 2019]

Métamorphoses

CAt O'Neil pour Libération

Cat O’Neil pour Libération

Que dit la philosophie ? Après Franz Kafka, Edgar Morin et autres,  Emanuele Coccia vient de s’intéresser aux métamorphoses, dont celles provoquées par les virus qui interrogent ce que nous considérons comme “notre” vie,  et ce lien me semble pertinent : « Tout virus est inquiétant : sa vie est la transformation (parfois mortelle) de celle des autres. Il est la démonstration que la vie que nous considérons comme nôtre n’est pas à nous : elle peut à tout moment devenir la vie d’un autre, même de l’être biologiquement et anatomiquement le plus éloigné, le virus, qui peut s’installer dans notre corps et devenir son seigneur. […] Il peut mettre en crise un appareil technique monumental de plusieurs siècles, et la vie d’une planète d’un instant à l’autre. Tout virus, et ce virus (le coronavirus) en particulier, nous apprend donc à ne pas mesurer la puissance d’un être vivant sur la base de ses équipements biologiques, cérébraux, neuronaux. Il casse aussi notre étrange narcissisme : dans l’anthropocène, nous continuons à contempler notre grandeur, même négativement, et nous nous magnifions dans nos puissances malignes, destructrices… “Regardez comme nous sommes puissants”. […] Le coronavirus montre que la vie se moque des frontières, des entités politiques, des distinctions de races, qu’elle mélange tout, elle rallie tout. » [Libération, 2020]

Le propos d’Emanuele Coccia est un appel à un peu plus d’humilité de la part de l’humanité afin qu’elle puisse se permettre de réexaminer sereinement la place de non-dominant qui devrait être la sienne dans le buisson du vivant, mais est-ce encore possible ?  Le présent est détruit, du moins en partie, par le coronavirus : moins de libertés, chutes dans la production de biens de consommation, défauts dans les soins, pas de spectacles publics, etc. Se métaphorise-t-il pour autant ? Il est bien difficile d’en mesurer toutes les conséquences, sinon celle de compter les morts. Déjà en 1918-1920 avec la grippe espagnole suivant la Première Guerre mondiale, « On comptera à la fin de l’épidémie entre 50 et 100 millions de morts (les données sur la Russie, la Chine et l’Inde restent incertaines). À titre de comparaison, la Première Guerre mondiale en avait fait 17 millions. » [Christian Chavagneux, 2020]. Mais l’évaluation des conséquences directes sur le plan économique, social, culturel… est demeurée à cette époque bien incertaine, seules la natalité (hausse mondiale spectaculaire) et la politique de santé ont été profondément modifiées. Les virus, outre une fonction de rappel à l’ordre, auraient-ils aussi une fonction régulatrice ?

Ces incertitudes n’empêchent cependant pas de nombreuses affirmations sur l’après avec la recherche quasi inévitables de boucs émissaires mais aussi une abondance d’injonctions parfois prophétiques : les “il faut, il faudra…” pleuvent de toute part, de même que les “je vous l’avais bien dit !”. C’est loin, à mes yeux, d’être la meilleure façon d’aborder une réflexion sur l’après, alors qu’il s’agirait plutôt de trouver les bonnes problématiques, c’est-à-dire celles qui font vraiment sens, les hypothèses ne venant qu’ensuite, méthode loin d’être évidente, mais incontournable, tout chercheur le sait. L’un  des premiers lecteurs de ce texte, connaissant mon intérêt pour les biens communs, a écrit : « Le Covi19 fait-il partie de notre « bien commun » ou de notre « mal commun » ? Les deux sans doute…« 

Lire également : “Les virus, qu’est-ce que c’est ? Combien y en a-t-il ? Et sont-ils tous méchants ?« 

Et pour se réconforter ou se faire peur, quelques lectures évoquant des dystopies liées à des épidémies peuvent être éclairantes sur le pendant et l’après, elles sont nombreuses ; mais, sans pour autant ignorer La Peste d’Albert Camus ou Les Animaux malades de la peste de Jean de la Fontaine,  je n’en citerai que deux, car elles m’ont vraiment impressionné :

  • L’Aveuglement de José Saramago (1997) : Un homme, assis au volant de sa voiture et arrêté devant un feu rouge, devient subitement aveugle. C’est le début d’une épidémie qui se propage très vite à tout un pays et tous les êtres humains sont atteints de cécité, à l’exception d’une femme : « Ils vont comme des fantômes, être un fantôme ça doit être ça, avoir la certitude que la vie existe, car vos quatre sens vous le disent, et ne pas pouvoir la voir ».
  • L’Année du lion de Deon Meyer (2017) : « Seuls ont réchappé à une mortelle contagion les individus immunisés par leurs gènes. Entre tensions humaines et progrès techniques, chronique des cinq premières années d’une nouvelle société. » [Macha Séry, 2020]

J’en termine avec ces indications de lecture, où conduisent-elles ? C’est à découvrir, à discuter, commenter, compléter… bien entendu !


Références

  • Baguet Patrick, “Comment prévoir l’évolution de l’épidémie à Covid-19 en France?” | 31 mars 2020
  • Camus Albert, La Peste | 1947 | éd. Gallimard
  • Chavagneux Christian, “Comment la grippe espagnole a changé le monde”| Alternatives économiques N°399 | 23 mars 2020
  • Coccia Emanuele, Métamorphoses | 2020 |éd. Rivages
  • Coccia Emanuele, La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange | 2016 | éd. Rivages
  • De la Fontaine Jean, Les Animaux malade de la peste | 1678
  • Drouin Jean-Marc, “Végéter” | La vie des idées | juil. 2017
  • Faure Sonya et Vécrin Anastasia, “Emanuele Coccia : Les virus nous rappellent que n’importe quel être peut détruire le présent et établir un ordre inconnu”| Libération | 13 mars 2020]
  • Ikonicoff  Román, “Oui, les virus sont bien des êtres vivants !”| Science & Vie | oct. 2015
  • Jacquet Stéphan, Depecker Caroline, “Les virus, piliers de la vie marine” | Pour la Science N°104 |
  • Kafka Franz, La Métamorphose, 1915
  • Meyer Deon, L’Année du lion | 2017 | éd. du Seuil
  • Morin Edgar, “Éloge de la métamorphose” | Le Monde | 9 janv. 2010
  • Saramago José, L’Aveuglement | 1997 | éd. du Seuil
  • Séry Macha, “Littérature et épidémie: le vaccin des dystopies”| Le Monde | 25 mars 2020

Commentaires

Coronavirus et écologie

Ces temps extra…ordinaires, hors du commun, de repli obligé et de moindre activité, toutefois pas pour tout le monde, je pense en particulier aux personnels soignants, peuvent inciter à la réflexion, voici des découvertes ou redécouvertes récentes:

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Aurélien Barrau, astrophysicien philosophe, enseigne à l’université de Grenoble, fortement engagé dans le domaine de l’écologie, relie –faut oser, mais l’analyse me semble plutôt pertinente– l’actuelle situation sanitaire avec la question du climat :
Coronavirus et écologie, conférence de 30 minutes environ, d’une grande clarté et qui devrait provoquer quelques discussions…

Autre propos tout aussi précis : « de la complexité du factuel…, systématisation du mensonge…, Ah je vous l’avez bien dit ! » Vidéo conférence | 23 mars 2020


Relier à l’exposé d’A. Barrau, un texte loin d’être une nouveauté mais sans doute oublié et redécouvert avec étonnement et interrogations :

Principe 1
La liberté est un droit fondamental pour l’Homme, l’égalité et des conditions de vie satisfaisantes aussi, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être. Il a le devoir de protéger et d’améliorer l’environnement pour les générations actuelles et futures. De ce fait, les politiques qui encouragent le racisme, l’apartheid, la discrimination, les formes coloniales et autres oppression et domination étrangères doivent être éliminées après condamnation…

  • De quand date ce texte ? 1972 !
  • De qui est-il ? “Conférence des Nations Unies sur l’environnement. Déclaration de Stockholm

ONU

Qu’en est-il de cette déclaration solennelle 48 ans après? Elle semble être d’une grande actualité et a-t-elle donné lieu à une évaluation des changements qu’elle aurait dû provoquer ?


Ressources

Biovallée (26) et autosuffisance alimentaire

Dans le cadre des XVIIIe Rencontres de Die “Écologie au quotidien” janvier 2020

téléchargement du texte (Pdf)


Cet exposé fait partie d’une large étude portant sur l’autosuffisance alimentaire et qui a déjà donné lieu à plusieurs rapports : Rennes, région parisienne… Aujourd’hui, il sera surtout question de la Biovallée dans la Drôme.

L’urgence climatique génère de nombreuses interrogations, dont nécessairement celle de quoi va être faite notre nourriture dans les années à venir, là où nous vivons, et plus largement dans le monde. Invariablement elle débouche sur une autre : est-on assuré d’avoir de quoi se nourrir en cas de catastrophes naturelles (tremblement de terre…) ou liées à l’activité humaine (réchauffement climatique, guerre…), les deux pouvant d’ailleurs fort bien se combiner, par exemple séisme+tsunami et accident nucléaire à Fukushima en 2011. Le récent tremblement de terre (11 nov. 2019) dans la vallée du Rhône d’une magnitude de 5,4 à son épicentre (noté “fortement ressenti et dégâts légers”), est une sérieuse alerte sur un territoire pourtant considéré géologiquement comme peu instable et comportant plusieurs sites nucléaires. C’est donc de la sécurité civile dans sa plus large définition dont il est question, et plus précisément de l’une de ses composantes : la sécurité alimentaire, comment celle-ci est-elle définie ?

L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO agence spécialisée de l’ONU dont le siège est à Rome), lors de plusieurs conférences mondiales de l’alimentation (1974, 1996, 2009), a approuvé la “Déclaration universelle pour l’élimination définitive de la faim et de la malnutrition”, avec un vaste programme d’action devant favoriser la sécurité et l’autosuffisance alimentaire avec comme définitions :

  1. pour la sécurité alimentaire, quatre piliers (résumé) :
  • accès: être en capacité pour toute personne de produire individuellement ou collectivement sa propre alimentation ou (et) d’acheter sa nourriture, ce qui suppose de disposer des moyens pour le faire, en particulier financiers
  • disponibilité: quantité suffisante d’aliments par autoproduction, importations, stockage, aides…
  • qualité nutritionnelle et sanitaire des aliments
  • stabilité: accès permanent à la nourriture, y compris en cas de “choc” naturel, économique, conflictuel, personnel (maladie, chômage…) …

Il revient aux pouvoirs publics internationaux (FAO, CEE…) et nationaux (État, collectivités territoriales) de prévoir et d’assurer cette sécurité, et en cas de défaillance de leur part, de veiller à ce que les ONG internationales (Action contre la faim, Oxfam, Peuples solidaires…) et locales (Resto du cœur, Banques alimentaires…) puissent exercer leur fonction d’aide dans de bonnes conditions.

En France, doit-on considérer que la sécurité alimentaire devrait être intégrée aux “Plans communaux de sauvegarde ” ? [loi du 13 août 2004 de “Modernisation de la sécurité civile”] : « Le PCS est un outil réalisé à l’échelle communale, sous la responsabilité du maire, pour planifier les actions des acteurs communaux de la gestion du risque (élus, agents municipaux, bénévoles, entreprises partenaires) en cas d’événements majeurs naturels, technologiques ou sanitaires. Il a pour objectif l’information préventive et la protection de la population » [Wikipédia].

Voici la réponse du maire d’une petite commune rurale de Saône-et-Loire : « Les communes rurales établissent un Plan en concertation avec la Préfecture et les Services de l’État. Ce Plan prévoit d’identifier les risques potentiels et l’organisation de diverses mesures permettant de garantir la sécurité des habitants. S’agissant de l’alimentation c’est principalement le problème de la fourniture de l’eau potable qui est évoqué, ainsi que les services mobilisés pour acheminer des aliments en cas de besoin. Rien n’est dit sur la constitution de réserves » [M D. / 8 fév. 2020

  1. pour l’autosuffisance alimentaire: “satisfaction de tous les besoins alimentairesph_1 d’un pays par la production nationale” (FAO). Si elle n’est pas une condition absolument nécessaire à la sécurité, elle peut grandement la faciliter, en particulier en matière de transports si ceux-ci venaient à faire défaut (manque de carburants par exemple), et bien entendu sous réserve qu’un certain nombre de critères puissent être respectés :
  • choix politiques
  • périmètre territorial à préciser: est-ce une commune, une communauté de communes, une région, ou bien encore un territoire non administratif délimité en commun par des habitants, des associations, des élus… ? Sa définition doit tenir compte du nombre de résidents permanents et de passage
  • climat favorable à une agriculture polyvalente ; avec le réchauffement climatique ce critère prend de plus en plus d’importance
  • terres arables, pâturages, semences, eau, en qualité et quantité suffisantes
  • agriculteurs permanents et saisonniers motivés
  • entreprises de conditionnement, de transformation et de distribution.

Manifestement ces ambitieuses définitions présentent des limites pour leurs applications. En effet, pour différentes raisons (politiques, économiques, climatiques…), certains pays n’ont pas les moyens d’assurer sécurité et autosuffisance pour l’ensemble de leur population, ce qui d’ailleurs peut aussi concerner des pays riches ; c’est le cas par exemple de l’Arabie saoudite, pays en grande partie désertique qui, par manque de terres arables et d’eau, importe 80% de son alimentation tout en recherchant à autonomiser sa production par l’achat ou la location de milliers d’hectares de terres agricoles principalement en Afrique de l’Est, de l’autosuffisance alimentaire mondialisée en quelque sorte !

Ces définitions peuvent-elles s’appliquer à des territoires plus restreints qu’un pays, par exemple commune, communauté de communes, région, et à quelles conditions ?

Dans cette approche, on ne peut ignorer l’autosuffisance et la possible sécurité issues des ph_2jardins potagers privatifs ou sous forme de communs, tels les jardins partagés et familiaux, mais cela relève économiquement de la marge : 1 à 3 % de l’alimentation, et ne peut donc être projeté comme étant LA solution, sinon à y participer modestement. Donc au-delà de l’intérêt social et culturel que présentent ces pratiques, ma préoccupation, en période de grande incertitude climatique entre autres, est de savoir si l’autosuffisance alimentaire faciliterait l’accès à la nourriture de l’ensemble de la population — c’est-à-dire sans laissés-pour-compte — d’un territoire donné, qu’il s’agisse de grandes métropoles ou de territoires plus étendus à faibles densités en population, telle la vallée de la Drôme devenue Biovallée, là où nous sommes réunis aujourd’hui à Die, l’une des “capitales” de l’écologie.

Ainsi cette belle vallée devient l’un des objets de cette étude : disposerait-elle de suffisamment de terres agricoles pour assurer l’autosuffisance alimentaire de sa population permanente, voire de passage ? En fin d’exposé, je ferai brièvement mention à des résultats pour plusieurs métropoles.

Sources principales des données :

La BioVallée, état des lieux

Cette vallée a une solide réputation de bien vivre, réputation y compris médiatique, au point que même “Paris-Match” en a fait état ! [Charlotte Leloup, “La renaissance de la vallée”. Paris-Match N°3666, 14 août 2019].

En 2009, Les trois Communautés de communes, avec des élus convaincus, candidatent au Grand Projet Rhône-Alpes (GPRA), appel à projets accepté puis géré sur le terrain par un comité de pilotage très actif. L’association Biovallée est créée en 2012 par ce même comité de pilotage comme une suite logique à donner au travail des cinq années du GPRA pour, dans un premier temps, promouvoir et développer la marque Biovallée ainsi caractérisée dans le GPRA :

  • « a pour cœur l’agriculture biologique,
  • intéresse des milieux naturels remarquables,
  • vise le développement économique d’une zone rurale étendue.

[…] Un tel territoire mérite une reconnaissance très large. Il est un excellent exemple de la territorialisation du Grenelle de l’environnement. » [Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. “La Biovallée de la Drôme”, rapport, 2010]

Les trois Communautés de communes :

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La vallée, d’origine glaciaire (jusqu’à 1 500 m. de hauteur de glace il y a 20 000 ans !), est traversée dans toute sa longueur par la rivière Drôme aux étiages annuels importants, le “Syndicat mixte rivière Drôme” a la charge de son contrôle et de sa gestion.

Elle est touristique, avec nombre de résidences secondaires, de locations saisonnières et de campings, mais n’ayant pas trouvé de données suffisamment précises à ce sujet, la population temporaire ne sera pas prise en compte dans les calculs.

Une voie ferrée encore en activité serpente tout au long de la vallée mais reste sous la menace permanente d’une possible fermeture.

Pour parcourir la BioVallée par la route les distances sont abordables : dans le sens de la longueur, environ 100 km de Livron à Lus-la-Croix-Haute et en largeur 50 km de Saint-Julien-en-Quint à Gumiane.

Données agricoles

Définition de la surface agricole utilisée ou SAU

Les recensements agricoles par communes ont lieu tous les dix ans, le prochain devrait être effectué en 2020, les données utilisées dans ce document datent de 2010 et sont donc à relativiser, il s’en dégage cependant des tendances qui seront confirmées ou infirmées par le prochain recensement.

Localisation : les données se rapportent aux exploitations agricoles ayant leur siège sur la zone communale considérée, et la SAU d’une commune peut comprendre des terres en propriété ou louées sur d’autres communes. Ce qui explique que la SAU puisse être (rarement) à peu près équivalente à la superficie totale de la commune, en BioVallée c’est le cas pour Ambonil (Val de Drôme). En 2016, Aix-en-Diois et Molières-Glandaz ont fusionné sous le nom de Solaure-en-Diois, leurs données ont été rassemblées.

Exploitation agricole : unité économique qui participe à la production agricole, avec comme dimension : un hectare de superficie agricole utilisée ou 2 000 m² de cultures spécialisées.

La SAU se décompose en :

  • terres labourables pour productions de : céréales, cultures industrielles, légumes secs et protéagineux, tubercules, légumes de plein champ, plantes aromatiques, jachères…
  • cultures permanentes : vignes, vergers, lavande, pépinières…
  • toujours en herbe : prairies naturelles ou semées depuis au moins six ans.

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tableau 1

Les forêts propriétés d’exploitations agricoles ne figurent pas dans le calcul de la SAU, de même pour les jardins potagers privatifs et jardins partagés ou équivalents non déclarés en exploitations agricoles.

La Biovallée représente un tiers de la superficie du département de la Drôme mais seulement 11 % de la population. L’absence de grandes villes peut expliquer en partie cet écart.

Le Diois est largement la Communauté la plus étendue : 61 % de la BioVallée (Val de Drôme 28 %, Cœur de Drôme 11 %), alors que sa population ne représente que 20 % (Val de Drôme 54 %, Cœur de Drôme 26 %). Son relief accidenté et son important boisement en sont sans doute les principales raisons.

La BioVallée étant peu urbanisée (aucune de ses principales villes ne dépasse 10 000 habitants), sa densité en population (27 hab au km²) est très inférieure à celle du département (78), seul “Cœur de Drôme” (65) s’en rapproche. Cette faible densité pourrait-être l’une des raisons qui rend cette vallée attractive. La croissance de la population a été de 16,2 % en 15 ans (16,1 % pour le département), tout particulièrement Val de Drôme (19 %), alors que le Diois a moins progressé (11 %)

Résidences secondaires et locations saisonnières représentent 34% du logement dans le Diois, c’est un résultat élevé ; si ce territoire est certainement attractif pour le tourisme, il est aussi celui qui a perdu le plus de terres cultivables en dix ans (-19%) Qui sont ces résidents secondaires, quel impact ont-ils sur la vie de la vallée ? Questions qui seraient peut-être à approfondir…

Baisse du nombre d’exploitations agricoles et d’hectares en surface agricole

En France environ un quart des exploitations agricoles ont disparu entre 2000 et 2010, et la Biovallée n’a pas échappé à cette érosion (-26%) due à de nombreuses causes, l’une étant que les agriculteurs ne trouvent pas toujours de repreneurs pour leur ferme à leur départ en retraite. Le bâti devient alors souvent résidence secondaire ou primaire pour des “néoruraux” non-agriculteurs, et les terres agricoles sont dispersées à la vente quand elles ne sont pas laissées en friches ; à ce sujet l’action d’une commune dans le Finistère est à souligner : “Une commune bretonne impose l’agriculture bio et paysanne à 400 propriétaires” [Reporterre / 27 janv. 2020]

Entre 2000 et 2010, la perte en SAU a été plus élevée pour la Drôme (-15 %) et la BioVallée (dont -19 % en Diois) que la moyenne nationale (-6 %). Ces pertes sont surtout provoquées par l’artificialisation des sols, Il n’existe pas actuellement de données centralisées permettant ce calcul au niveau communal ou intercommunal.

Cette érosion s’est-elle arrêtée ou au moins ralentie ? Il faudra attendre début 2021 pour le savoir avec précision, mais le risque en France demeure important en raison de :

  • l’accroissement de la population: taux moyen annuel de 0,5 % depuis 2009
  • l’artificialisation des sols: taux moyen annuel de 0,8 %, constant depuis 2010 (il était de 1,3 % entre 1992 et 2009). dont 90 % impactent la surface agricole. En 2016 les sols artificialisés représentaient 9,3 % de la superficie du territoire [fr]. Pour la Drôme ce taux serait de 6 % [Atlas régional de l’occupation des sols en France, ministère de l’environnement, 2016].
  • la diminution du nombre d’agriculteurs, généralement insatisfaits de leur condition : faibles revenus, manque de reconnaissance… Entre 2010 et 2016 le nombre d’exploitations agricoles a encore diminué de 11 % soit un taux annuel moyen d’environ 2 % [Agreste primeur N° 350 juin 2018].
  • des possibles pertes en surface cultivable du fait du réchauffement climatique et de la montée des mers, impossible à véritablement chiffrer pour l’instant.

Lors des prochaines décennies, si les taux ci-dessus restaient constants, avec une agriculture devenant de plus en plus bio et nécessitant donc plus d’hectares (de l’ordre de +45 % pour du 100 % bio), la superficie agricole en France pourrait devenir insuffisante vers 2070, ce qui semble bien loin… mais qu’est-ce que deux générations dans l’histoire de l’humanité, si ce n’est un léger soupir ?

Quels types de productions agricoles en 2010 dans la Biovallée ?

Définition (Agreste) : Orientation techno-économique de la commune (OTEC) : production dominante déterminée en fonction de la contribution de chaque surface sur l’ensemble des exploitations agricoles de la commune.

Ces données sont rassemblées dans le tableau suivant en quatre types de production :

  • polyculture
  • herbivores
  • volaille et granivores
  • fruits et viticulture

Les trois premiers occupent les terres labourables et en herbage (pâturages et près de fauche), fruits et viticulture occupent des terres dites en culture permanente. La répartition a été faite à partir des grandes tendances par communes recensées par Agreste en 2010.

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tableau 2

La SAU en BioVallée est à 91 % consacrée à des terres labourables et en herbe, résultat proche de la moyenne nationale (90 %), c’est le Diois qui a le taux le plus élevé (95 %). Cette orientation est importante dans la mesure où elle reflète des types de productions agricoles sans préciser toutefois ce qui relève de la polyculture ou de la monoculture.

La SAU moyenne (38,6 ha) par exploitation agricole de la Biovallée est nettement inférieure à celle de la France métropolitaine (63 ha).

En 2010, la BioVallée consacrait 9 % de la SAU en cultures permanentes (fruits et vigne) ; Drôme =16 %, France = 4 %.

Prospectives

Pour l’alimentation équilibrée d’une personne quelle serait aujourd’hui la surface en terre cultivable nécessaire pour une production alimentaire tendance bio et en pleine terre pendant un an, à raison d’une moyenne d’un bon kilo par jour de nourriture et en tenant compte des déchets ?

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tableau 3

Voici une proposition de grille d’évaluation inspirée par “Fermes d’avenir” : une surface agricole de ≈1.500 m² serait nécessaire pour assurer l’alimentation végétarienne d’une personne pendant un an, et en non végétarienne 1.000 m² sont ajoutés pour l’élevage (sources : “La filière laitière française” et le “Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie”) et avec l’hypothèse d’une baisse rapide de la consommation moyenne en viande de l’ordre de 40 %. Cette grille présente bien entendu des limites, elle ne tient pas compte en effet des âges, des particularités alimentaires régionales, etc., mais il s’agit d’estimations pour une personne d’âge moyen, aboutissant à des indicateurs moyens modifiables localement.

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tableau 4

En appliquant cette grille à l’ensemble de la population de la BioVallée (57.495 habitants en 2016) 14.374 hectares de terres agricoles seraient nécessaires pour produire localement et annuellement 25.932 tonnes de nourriture destinée à la population résidant de façon permanente en BioVallée.

(Par la suite les résultats vont figurer sous l’appellation “étude”)

Depuis peu un outil d’évaluation performant vient d’être créé conjointement par Terre de liens, la Fédération nationale d’agriculture biologique et le bureau d’analyse sociétale BasicPARCEL, d’utilisation aisée, permet de faire varier les critères : plus ou moins de bio ou de viande…, et de procéder à des évaluations par communes, inter-communales, etc., également pour différents groupes de personnes

L’outil Parcel, appliqué à la Biovallée avec des paramètres légèrement différents que ceux de “étude”, aboutit à des résultats un peu plus élevés, ce qui donne une fourchette d’estimations qui introduit des variables intéressantes.

Impact de l’hypothèse autosuffisance alimentaire sur la SAU

Paramètres “étude” : 90% relocalisation de la production (en tenant compte que tout ne peut être cultivé en BioVallée, par exemple riz, café, cacao…, ces aliments doivent donc être importés, mais il est aussi possible de s’en passer ! / en partie bio / baisse conso viande ≈ -40%

Paramètres Parcel : 100% relocalisation / 30% bio / baisse conso viande ≈ -25%

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tableau 5

Que ce soit dans le cas “étude” ou dans le cas Parcel on note que :

  • si l’estimation est limitée à Die, la SAU 2010 de cette commune est insuffisante pour envisager l’autosuffisance alimentaire ;
  • en revanche dès que le bornage est étendue à l’une des communautés de communes, les SAU 2010 du Diois et de Val de Drôme seraient amplement suffisantes, pour Cœur de Drôme ce serait plus limite ;
  • sur l’ensemble Bio-Vallée, la surface agricole estimée utiliserait seulement 31 % de la SAU dans le cas “étude” et 35 % dans le cas Parcel. Ce qui est également valable pour le département de la Drôme, mais avec des impacts doublés (65 % et 73 %)

La SAU 2010 en Biovallée (46 787 ha), si elle est restée en l’état en 2020 et le resterait au-delà, pourrait donc permettre d’envisager largement une autosuffisance-sécurité alimentaire pour l’actuelle population en résidence permanente, si toutefois celle-ci ne progresse pas de façon exponentielle avec l’artificialisation des sols qui en résulterait. Le solde en surface agricole permettrait donc d’assurer une production alimentaire tant pour les passagers (touristes et autres) que pour l’exportation dans le reste du département et au-delà, ce qui est d’ailleurs déjà le cas (vin, noix…) mais est difficile à évaluer.

Répartition de la surface agricole en Biovallée autosuffisante par grands types de productions

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tableau 6

L’élevage dans l’option Parcel occuperait 73 % de la S A et 47 % dans l’option “étude. La consommation de produits issus de l’élevage bio ou en AOP (Appellation d’Origine Protégée) demande beaucoup d’hectares en herbage (environ un par tête de bétail bovin). Ce qui souligne l’importance des choix à faire dans les façons de s’alimenter et dans les types de productions, dont certaines seraient sans doute à relocaliser dans la mesure du possible, d’autres à réduire (viande par exemple ?)

Il serait aussi intéressant de pouvoir mesurer la production des jardins partagés familiaux (pour la Drôme : récolte annuelle 25 tonnes sur 18 ha ; source Le Passe Jardins)

On peut comparer ces résultats avec ceux des orientations de la SAU 2010 (tableau 2) et constater avec prudence que ce qui se faisait en 2010, n’est pas très éloigné de ces prévisions.

Quelques ordres de grandeur en France

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tableau 7

C’est une évidence à rappeler : plus la densité en population au km² est importante, plus un projet d’autosuffisance alimentaire par relocalisation de la production agricole est du domaine de l’impossible, même pas de l’utopie ; jardins partagés, fermes urbaines, terrasses végétalisées…, sont certainement de belles réalisations mais sans commune mesure avec la réalité des besoins de toute une population urbaine.

Ainsi pour Paris où ce même type d’étude a été réalisé (sans l’option Parcel), la production alimentaire intra-muros ne peut être qu’infinitésimale, il est donc nécessaire de projeter d’étendre le territoire d’autosuffisance d’abord à l’Île-de-France : 12 millions d’habitants et 593 100 ha de SAU, nettement insuffisante, car la S-A nécessaire en autosuffisance serait de 4,2 millions ha ; ensuite au Bassin Seine-Normandie, historiquement “nourricier” de la région parisienne : 17 millions d’habitants, 5,7 millions ha de SAU (dont 3,3 millions actuellement consacrés à la production de céréales et d’oléagineux destinés à l’exportation), le besoin estimé en S-A pour autosuffisance serait alors de 5,9 millions ha, ce qui se rapproche nettement de la SAU 2010 et permettrait d’envisager l’autosuffisance, mais dans un rayon moyen de 280 km autour de Paris et à condition, entre autres, de remettre en cause les monocultures !

ph_5Paris “capitale agricole” ? Rennes “ville nourricière en route vers l’autosuffisance alimentaire de la ville” ? Voilà de beaux et vastes projets aux intentions louables, mais aussi aux effets d’annonce avec une bonne dose d’illusion, car ne posant pas les limites territoriales d’une relocalisation permettant de parvenir réellement aux objectifs que se donnent ces villes.

Plutôt éloignées des soucis alimentaires des grandes métropoles, la Drôme, et encore plus la Biovallée, sont actuellement dans une situation privilégiée du fait de leur faible densité en population et de la surface que ces deux territoires consacrent encore à l’agriculture. Conditions, entre autres, favorables à une orientation vers une autosuffisance-sécurité alimentaire relocalisée au maximum dans un faible rayon géographique, sans pour autant entraver la possibilité maîtrisée de productions exportables (vins, fruits…)

Commentaires et interrogations

La Biovallée présente actuellement de nombreux atouts (eau, bonnes terres, forêts, climat, polyculture, motivations de nombreux habitants…) pour le développement d’une économie agricole territorialisée :

  • tendant vers l’autosuffisante alimentaire
  • orientée vers le bio
  • rapprochant producteurs et consommateurs
  • réduisant les transports
  • permettant à des agriculteurs et des agricultrices de s’installer et de vivre décemment.

Toutefois le développement de cette orientation, déjà amorcée depuis plusieurs années (la Drôme est le département le plus bio de France) pourrait rencontrer de sérieux obstacles :

  • le non-renouvellement de la population paysanne. Comment assurer des conditions de travail et des revenus permettant aux agriculteurs de vivre de façon satisfaisante et d’être reconnus dans le rôle prépondérant qu’ils exercent dans un pays ? Quelles perspectives pour l’emploi agricole ?
  • l’accroissement constant de la population en résidence permanente et de passage (tourisme). Quelles seraient les limites à fixer ? Est-il possible de mesurer l’impact des résidences secondaires ?
  • la chaleur et la sécheresse. La question du climat est certes planétaire, mais l’action locale n’est pas pour autant négligeable : quelles actions existent et qu’est-ce qui serait à développer ? Bilan carbone de la vallée ?
  • le manque d’eau. La rivière Drôme, depuis le col de Carabès où elle prend sa source, traverse la vallée sur toute sa longueur et fournit en eau de nombreuses exploitations agricoles, mais « la Drôme et ses affluents connaissent des étiages sévères en période estivale. La totalité du bassin-versant est classée en Zone de Répartition des Eaux depuis 2010. Cela signifie qu’il y a une insuffisance quantitative des ressources en eau récurrente par rapport aux besoins. » [Syndicat mixte de la rivière Drôme | SMRD]. L’eau, bien commun : saurons-nous être sage ? titrait cet organisme pour une réunion publique… Existe-t-il des cultures économes en eau ?

Autres questions :

  • Quelle part pour l’alimentation carnée ?
  • Dans le domaine alimentaire, peut-on mesurer ce que la Biovallée exporte, vers où ? et importe, d’où ?
  • développement de la traction animale, pour quels usages ?
  • Comment faire évoluer les habitudes alimentaires ?
  • comment réguler la propriété foncière agricole ? Droits d’usage des terrains communaux ?

Comment ces interrogations et d’autres qui viendront certainement, pourraient-elles être abordées ? La première condition est sans doute que les différents acteurs de la Bio-Vallée s’en emparent ou continuent à le faire. Les façons de les traiter sont nombreuses : communale, inter-communale, associative… Citons par exemple les PAT “Projets alimentaires territoriaux” qui « ont pour objectif de relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires en soutenant l’installation d’agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines. Issus de la “Loi d’avenir pour l’agriculture et l’alimentation” qui encourage leur développement depuis 2014. Ils sont élaborés de manière collective à l’initiative des acteurs d’un territoire (collectivités, entreprises agricoles et agroalimentaires, artisans, citoyens etc.) ». [Alim’agri, ministère de l’agriculture et de l’alimentation / 2018]

« Des Glaneuses » J-F. Millet, 1857. Musée d’Orsay Paris

Compléments

Alimentation : la vallée est-elle autosuffisante ?  Le Crestois | Angela Bolis mars 2020

Les Jardins nourriciers du Diois

association loi 1901 issue de l’initiative de personnes engagées au profit des questions d’agriculture, d’alimentation, d’écologie, mais également du vivre ensemble, de la préservation des savoir-faire traditionnels agraires et des cultures locales. L’initiative s’est construite au travers d’une démarche citoyenne rassemblant d’abord les habitants d’un même quartier d’un village de la région de Die, dans la Drôme, autour d’un projet commun : contribuer à faire vivre et revivre la terre par des jardins nourriciers coopératifs.

L’association a été fondée en mai 2016, à Die (26150) et regroupe des jardiniers-maraîchers amateurs, des propriétaires de jardins et des consommateurs autour de cet objet commun. Elle est ouverte à tous.

Consulter bibliographie agriculture, alimentation…

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Autosuffisance alimentaire : les défis de l’agriculture urbaine et rurale …

“Paris en autosuffisance alimentaire, est-ce possible ?”

téléchargement du texte

Avec le réchauffement climatique en cours, l’agriculture et l’alimentation deviennent ou redeviennent de grandes priorités : comment l’humanité va-t-elle pouvoir arriver à satisfaire ce besoin vital de nourriture végétale et éventuellement carnée — les humains sont originellement chasseurs-cueilleurs ! — alors que la population mondiale ne cesse de progresser et que la surface des terres arables va continuer à diminuer avec la montée du niveau des mers et la progression de l’artificialisation des sols, et ceci même dans le cas où l’on parviendrait à maintenir à +1,5 °C le réchauffement. L’hypothèse de l’autosuffisance alimentaire de proximité est de plus en plus souvent avancée comme une solution tenable car permettant une plus grande maîtrise de la satisfaction des besoins alimentaires par une production localisée et sécurisée, mais à quelle échelle ?

L’autosuffisance alimentaire est ainsi définie par la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) : « satisfaction de tous les besoins alimentaires d’un pays par la production nationale » (la France entière en serait à 83 %) Ce qui suppose : des terres cultivables, de l’eau, des agriculteurs, des semences, le maintien de la biodiversité, conditions loin d’être acquises dans de nombreux pays.

Si cette définition est appliquée à une échelle territoriale plus réduite, par exemple une commune, une région, des restrictions apparaissent rapidement et nécessitent de ne pas s’en tenir à des déclarations d’intentions, aussi vertueuses soient-elles, si l’on veut clarifier la faisabilité de projets d’autosuffisante alimentaire et d’agriculture urbaine.

Après quelques données générales, Paris, puis l’Île-de-France et enfin le Bassin de la Seine-Normandie vont servir de territoires de démonstration ; cela n’ira pas à l’encontre de nombreuses expériences en cours ou projetées (jardins partagés, végétalisation des toits en terrasse, fermes urbaines…) intéressantes pour leurs fonctions sociales et culturelles, mais qui ne peuvent que demeurer économiquement marginales dans une métropole, sauf à vouloir refaire la ville de fond en comble !

Sommaire

  1. occupation des sols en France
  2. évolution de la SAU d’ici 2100 en rapport avec le taux estimé de croissance de la population
  3. Quelle serait la surface agricole à envisager pour l’alimentation d’une personne?
  4. distances moyennes parcourues par les produits alimentaires pour parvenir à Rungis
  5. évaluation quantitative des denrées alimentaires et de la SAU pour Paris
  6. évaluation pour l’Île-de-France
  7. Le bassin de la Seine-Normandie

1. occupation des sols en France

occupation solEn 2016 (dernier recensement national officiel) la population française est de 67.200.000 habitants

La surface agricole utilisée (SAU) représente ≈49% de la surface utilisable du territoire français, elle était de 51% en 2000.

Dans l’absolu, chaque personne vivant en permanence sur le territoire français disposerait de ≈4.300 m.² de terre cultivable, nous verrons plus loin que c’est largement suffisant pour assurer sa subsistance, et de ≈240 m.² pour se loger.

La surface boisée (en progression) représente ≈42% dont 32% occupés par la forêt guyanaise (8 millions d’hectares).

La surface artificialisée représente ≈9 %. Le réseau transport (28% des 9%) se répartit en : voies routières, 79% ; voies ferrées, 13% ; autres (aéroports…), 8%. Cette indication est importante à noter, elle traduit en effet les choix qui ont été faits jusqu’à présent dans les modes de transport, en particulier des marchandises, en privilégiant nettement la route.

2. évolution de la SAU d’ici 2100 en rapport avec le taux estimé de croissance de la population

croissance_2Sur la base de 2.500 m.² par habitant pour une autosuffisance alimentaire (voir point 3) et si les taux actuels restaient identiques, c’est-à-dire :

  • croissance de la population +0,5%/an, constant depuis 2009, source INSEE
  • artificialisation des sols +0,8%/an, constant depuis 2010, avec une emprise à 90% sur des terres agricoles (source : gouvernement.fr)

la population serait de ≈100 millions d’habitants à la fin de ce siècle, l’artificialisation des sols doublerait au détriment de la surface agricole, alors que l’autosuffisance alimentaire nécessiterait ≈9 millions hectares de terres supplémentaires, ces terres deviendraient insuffisantes vers 2080.

Il ne s’agit bien entendu que d’une hypothèse et d’autres paramètres, le réchauffement climatique par exemple, pourraient sérieusement modifier ces indications qui permettent toutefois d’attirer l’attention sur des évolutions possibles — désertification, manque d’eau, importants mouvements de population… — aux conséquences imprévisibles.

3. Quelle serait la surface agricole à envisager pour l’alimentation d’une personne ?

autosuffisanceAvec cette estimation inspirée par une proposition sans alimentation d’origine animale de “Fermes d’avenir”, la SAU nécessaire serait de ≈1.500 m.² (1.160 m.²+330 m.² jachère et cheminement). Pour compléter ce résultat j’ajoute ≈1.000 m.² pour l’alimentation d’origine animale (source CREDOC) en supposant que la baisse en cours de la consommation en viande se confirme, elle est actuellement de 69 kg/an par personne et je propose d’envisager de l’abaisser à 40 kg.

On parvient ainsi à une SAU moyenne de 2.500 m.² par personne, ce que l’actuelle SAU en France permettrait largement de couvrir (cf. point 1).

Il s’agit bien entendu d’une moyenne générale ne prenant pas en compte certains paramètres : climat, qualité du sol, eau, habitudes alimentaires, coutumes…, elle peut être valablement affinée en utilisant le très bon outil proposé par Terre de liens, la FNAB et BASIC : PARCEL, « Et si l’alimentation de votre territoire devenait locale et durable ? ». Mais quand est-il pour Paris et l’Île-de-France ?

4. distances moyennes parcourues par les produits alimentaires pour parvenir à Rungis

Paris_0Source : Colibris-leMag, entretien avec Sabine Barles, 7 juin 2017.

Il n’est pas fait mention des transports aériens et par voie maritime (Amériques, Afrique…), ce qui ne pourrait qu’amplifier ces distances déjà importantes. Est-il possible de les réduire avec des projets d’autosuffisance ?

5. évaluation quantitative des denrées alimentaires et de la SAU pour Paris

C’est à partir des données du point 3 que l’on obtient les résultats suivants :

Paris_5Avec une population de plus de 2 millions d’habitants (sans compter les millions de visiteurs tous les ans), il est évident qu’il est illusoire d’envisager vouloir « faire de Paris une capitale agricole » ainsi proposé par deux adjointes à la Mairie [le Monde.fr | 28 oct. 2019], sinon de façon tout à fait marginale ; il y a actuellement une dizaine d’hectares de surface agricole dans Paris intramuros, dont 102 jardins partagés et en 2020 une ferme urbaine pilote de 1,4 ha installée sur les toits du Parc des expositions et bien entendu hors-sol !

L’Atelier parisien d’urbanisme (APUR) propose à ce sujet une étude [2017 Note N° 113] sur ce que pourrait être une agriculture urbaine à Paris : en végétalisant les toits en terrasse (80 ha), en transformant en terre agricole une partie des parcs publics (580 ha) et des espaces privés non bâtis (3.300 ha) ; on parviendrait au mieux à ≈3.500 ha cultivables uniquement pour une production de fruits et de légumes. Chercher à réaliser ces projets est certainement souhaitable, parce que ces expériences d’agriculture urbaine ont une fonction sociale et culturelle importante pour les quartiers, les écoles…, mais sans aucune illusion sur une possible autosuffisance alimentaire même limitée aux fruits et légumes, qui à eux seuls nécessitent une surface estimée à 63.500 ha pour satisfaire la demande uniquement de la population parisienne. L’extension de cette évaluation à l’Île-de-France change-t-elle la donne ?

6. évaluation pour l’Île-de-France

Paris_7Cette nouvelle échelle fait passer aux millions de tonnes de denrées alimentaires et aux millions d’hectares de surface agricole.

La SAU sur ce territoire est actuellement de ≈593.100 ha (avec une perte de 13.000 ha en dix ans), ce qui représente ≈49 % de la superficie totale (1,2 million ha), résultat équivalent à celui de l’ensemble de la France.

Si cette évaluation est plus significative que celle de Paris, la SAU actuelle demeure cependant encore très loin des estimations ci-jointes, y compris pour une option uniquement végétale.

On doit donc étendre le périmètre SAU tout en cherchant à réduire les distances entre Paris et les lieux des productions alimentaires.

 7. Le bassin de la Seine-Normandie

Sabine Barles (professeure en urbanisme et génie civil) écrit dans le document déjà cité (p. 3) : « à la fin du XVIIIe siècle que nous avons étudié de près, le bassin de la Seine plus la Normandie couvraient une grande partie des besoins alimentaires des Parisiens de l’époque (700 000 habitants) […]. Avec l’industrialisation de l’agriculture dans la deuxième partie du XXe siècle, on a vu disparaître la polyculture-élevage (puis l’élevage tout court, pour le cœur du bassin) au profit des monocultures en céréales, oléagineux, etc. Or, ces productions ne sont plus destinées à nourrir les Parisiens ou les Franciliens, mais avant tout aux marchés de l’export et de la transformation industrielle.

L’approvisionnement alimentaire des Franciliens […] s’effectue non plus par des agriculteurs en direct, sinon à la marge, ni vraiment par une planification de l’État ou des villes elles-mêmes, mais par de grands opérateurs comme les industriels de la transformation et de la grande distribution, les grossistes, les marchés d’intérêt national. […] Aucune ceinture verte actuelle, lorsqu’elle existe encore, n’a la capacité d’alimenter les habitants des métropoles qu’elle entoure. »

Sans pour autant revenir au XVIIIe siècle, quels résultats obtient-on si le Bassin de la Seine-Normandie était retenu comme territoire tendant à l’autosuffisance alimentaire ? Riche en eau et en terres cultivables, il entoure l’Île-de-France et les distances pour le transport se réduiraient.

Situation actuelle de l’agriculture dans le Bassin hydrographique Seine-Normandie

bassin seine normandie

bassin_s-n_tableauPopulation : ≈17 millions d’habitants dont 71% demeurent en Île-de-France.

SAU actuelle : ≈5.700.000 ha, soit 60% de la superficie totale de ce territoire : 9.490.000 ha

Cette surface agricole utilisée [résultats 2010] est donc assez proche de l’estimation moyenne de 5.950.000 ha. (les recensements agricoles par communes effectués par Agreste/ministère de l’agriculture et de l’alimentation pour l’ensemble du territoire français ont lieu à peu près tous les 10 ans, le dernier date de 2010 et il n’y a donc pas de résultats globaux plus récents.)

Elle se caractérise par :

* une tendance majoritaire à la monoculture en céréales = 2.583.000 ha (majorité blé) et oléagineux =680.000 ha (majorité colza). Le total représente 57% de la SAU, avec une nette surproduction céréalière comparativement aux besoins estimés. Notons l’équivalence de résultats pour les oléagineux, mais la production actuelle est majoritairement colza.

* une surface en production légume frais de 25.100 ha, donc nettement insuffisante.

* une surface consacrée à l’élevage de 1.654.000 ha, là aussi insuffisante, sauf en éliminant complètement la viande.

Le Bassin de la Seine-Normandie, retenu comme hypothèse d’un territoire qui choisirait de tendre vers l’autosuffisance alimentaire, pourrait permettre, en surface agricole, de satisfaire à peu près les besoins de la population de ce territoire entourant l’Île-de-France, et de réduire d’une bonne moitié le kilométrage du transport routier. Cependant, des reconversions importantes dans les types de productions seraient inévitables avec nécessairement un retour marqué à la polyculture et au polyélevage, l’une et l’autre nettement insuffisants à l’heure actuelle. Il s’agirait là d’un vaste programme qui, s’il était envisagé et décidé, demanderait certainement du temps et de nombreuses concertations pour se réaliser.


Beaucoup de chiffres pour parvenir à une quasi-évidence : une métropole telle Paris, mais aussi Lyon, Rennes…, ne peut envisager l’autosuffisance et la sécurité alimentaire sans aller au-delà de ses limites territoriales administratives, voire même de sa ceinture verte. On ne peut donc aborder cette question de l’autosuffisance sans définir en même temps un espace économique, social et politique. Le choix historique du Bassin hydrographique Seine-Normandie a été fait pour une démonstration, ce qui ne dit pas pour autant que ce soit nécessairement la meilleure solution ! La définition de tels espaces appartient aux élus mais aussi aux habitants — dont les agriculteurs, les entreprises de transformation, les commerçants, les associations de consommateurs… — tous et toutes ayant certainement leur mot à dire à propos des questions liées à ce besoin vital de la nourriture : comment se nourrir, comment produire, comment distribuer, comment sécuriser… La première condition serait déjà de réunir l’ensemble de ces institutions et de ces personnes autour d’une même table ; les Sociétés Coopératives d’Intérêt Collectif (SCIC) – répartition en collèges des sociétaires suivant leur fonction – “au service des territoires et nouvelle manière de faire en commun” [Jean Huet, co-auteur de (Biens) communs, quel avenir ? 2016, éd. Yves Michel], peuvent être un excellent instrument pour cela. Le “Projet Alimentaire Territorial” (loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt” 13 oct. 2014) peut être également un outil intéressant pour définir des stratégies communes localisées.

Le réchauffement climatique, même s’il est maintenu à -1,5 °C, rend incontournable le traitement de ces questions, sans pour autant imaginer qu’Homo sapiens va s’effondrer ou redevienne “chasseur-cueilleur” !


en complément


Consulter bibliographie agriculture, alimentation

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Vers une nouvelle révolution agricole ?

téléchargement du texte (pdf)

Cf. également : “Autosuffisance alimentaire : les défis de l’agriculture urbaine et rurale


Quelles relations peut-on envisager entre : surface agricole utile, artificialisation des sols, croissance de la population, autosuffisance alimentaire coopérative ? État des lieux et prospective.

Telle est la problématique que je souhaite aborder avec l’intention de tenter d’articuler ses différents paramètres pour démontrer avec des données chiffrées qu’il est encore possible de projeter une politique agricole d’envergure dont la finalité serait la production d’une alimentation ne mettant pas en péril le monde vivant de la planète Terre, l’humanité devant pouvoir être en mesure de satisfaire le besoin vital de se nourrir en veillant d’une part, au maintien de l’équilibre de la biodiversité et des écosystèmes [cf. Observatoire National de la Biodiversité : bilan 2018], d’autre part à la maîtrise du réchauffement climatique depuis que Homo sapiens  a découvert l’usage énergétique de certaines ressources naturelles pour en faire industrie ; mais nous éprouvons beaucoup de difficultés à l’enrayer peut-être par manque de moyens, mais aussi par indécision politique, et alors que nous entrons sans doute dans la sixième extinction massive.

Recentrer la vie sur l’agriculture, c’est-à-dire la culture du “champ” (agros en grec) en pleine terre, et non hors sol, pour produire de quoi s’alimenter, n’est-ce pas l’essence même de l’existence ? J’ai en mémoire le propos d’un agriculteur de Terre de liens : “paysan…, paysage…, pays… sont des mots ayant la même racine, n’oublions pas notre responsabilité paysanne !”

  1. Sixième extinction massive ?

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