Dans le cadre des XVIIIe Rencontres de Die “Écologie au quotidien” janvier 2020
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Cet exposé fait partie d’une large étude portant sur l’autosuffisance alimentaire et qui a déjà donné lieu à plusieurs rapports : Rennes, région parisienne… Aujourd’hui, il sera surtout question de la Biovallée dans la Drôme.
L’urgence climatique génère de nombreuses interrogations, dont nécessairement celle de quoi va être faite notre nourriture dans les années à venir, là où nous vivons, et plus largement dans le monde. Invariablement elle débouche sur une autre : est-on assuré d’avoir de quoi se nourrir en cas de catastrophes naturelles (tremblement de terre…) ou liées à l’activité humaine (réchauffement climatique, guerre…), les deux pouvant d’ailleurs fort bien se combiner, par exemple séisme+tsunami et accident nucléaire à Fukushima en 2011. Le récent tremblement de terre (11 nov. 2019) dans la vallée du Rhône d’une magnitude de 5,4 à son épicentre (noté “fortement ressenti et dégâts légers”), est une sérieuse alerte sur un territoire pourtant considéré géologiquement comme peu instable et comportant plusieurs sites nucléaires. C’est donc de la sécurité civile dans sa plus large définition dont il est question, et plus précisément de l’une de ses composantes : la sécurité alimentaire, comment celle-ci est-elle définie ?
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO agence spécialisée de l’ONU dont le siège est à Rome), lors de plusieurs conférences mondiales de l’alimentation (1974, 1996, 2009), a approuvé la “Déclaration universelle pour l’élimination définitive de la faim et de la malnutrition”, avec un vaste programme d’action devant favoriser la sécurité et l’autosuffisance alimentaire avec comme définitions :
- pour la sécurité alimentaire, quatre piliers (résumé) :
- accès: être en capacité pour toute personne de produire individuellement ou collectivement sa propre alimentation ou (et) d’acheter sa nourriture, ce qui suppose de disposer des moyens pour le faire, en particulier financiers
- disponibilité: quantité suffisante d’aliments par autoproduction, importations, stockage, aides…
- qualité nutritionnelle et sanitaire des aliments
- stabilité: accès permanent à la nourriture, y compris en cas de “choc” naturel, économique, conflictuel, personnel (maladie, chômage…) …
Il revient aux pouvoirs publics internationaux (FAO, CEE…) et nationaux (État, collectivités territoriales) de prévoir et d’assurer cette sécurité, et en cas de défaillance de leur part, de veiller à ce que les ONG internationales (Action contre la faim, Oxfam, Peuples solidaires…) et locales (Resto du cœur, Banques alimentaires…) puissent exercer leur fonction d’aide dans de bonnes conditions.
En France, doit-on considérer que la sécurité alimentaire devrait être intégrée aux “Plans communaux de sauvegarde ” ? [loi du 13 août 2004 de “Modernisation de la sécurité civile”] : « Le PCS est un outil réalisé à l’échelle communale, sous la responsabilité du maire, pour planifier les actions des acteurs communaux de la gestion du risque (élus, agents municipaux, bénévoles, entreprises partenaires) en cas d’événements majeurs naturels, technologiques ou sanitaires. Il a pour objectif l’information préventive et la protection de la population » [Wikipédia].
Voici la réponse du maire d’une petite commune rurale de Saône-et-Loire : « Les communes rurales établissent un Plan en concertation avec la Préfecture et les Services de l’État. Ce Plan prévoit d’identifier les risques potentiels et l’organisation de diverses mesures permettant de garantir la sécurité des habitants. S’agissant de l’alimentation c’est principalement le problème de la fourniture de l’eau potable qui est évoqué, ainsi que les services mobilisés pour acheminer des aliments en cas de besoin. Rien n’est dit sur la constitution de réserves » [M D. / 8 fév. 2020
- pour l’autosuffisance alimentaire: “satisfaction de tous les besoins alimentaires
d’un pays par la production nationale” (FAO). Si elle n’est pas une condition absolument nécessaire à la sécurité, elle peut grandement la faciliter, en particulier en matière de transports si ceux-ci venaient à faire défaut (manque de carburants par exemple), et bien entendu sous réserve qu’un certain nombre de critères puissent être respectés :
- choix politiques
- périmètre territorial à préciser: est-ce une commune, une communauté de communes, une région, ou bien encore un territoire non administratif délimité en commun par des habitants, des associations, des élus… ? Sa définition doit tenir compte du nombre de résidents permanents et de passage
- climat favorable à une agriculture polyvalente ; avec le réchauffement climatique ce critère prend de plus en plus d’importance
- terres arables, pâturages, semences, eau, en qualité et quantité suffisantes
- agriculteurs permanents et saisonniers motivés
- entreprises de conditionnement, de transformation et de distribution.
Manifestement ces ambitieuses définitions présentent des limites pour leurs applications. En effet, pour différentes raisons (politiques, économiques, climatiques…), certains pays n’ont pas les moyens d’assurer sécurité et autosuffisance pour l’ensemble de leur population, ce qui d’ailleurs peut aussi concerner des pays riches ; c’est le cas par exemple de l’Arabie saoudite, pays en grande partie désertique qui, par manque de terres arables et d’eau, importe 80% de son alimentation tout en recherchant à autonomiser sa production par l’achat ou la location de milliers d’hectares de terres agricoles principalement en Afrique de l’Est, de l’autosuffisance alimentaire mondialisée en quelque sorte !
Ces définitions peuvent-elles s’appliquer à des territoires plus restreints qu’un pays, par exemple commune, communauté de communes, région, et à quelles conditions ?
Dans cette approche, on ne peut ignorer l’autosuffisance et la possible sécurité issues des jardins potagers privatifs ou sous forme de communs, tels les jardins partagés et familiaux, mais cela relève économiquement de la marge : 1 à 3 % de l’alimentation, et ne peut donc être projeté comme étant LA solution, sinon à y participer modestement. Donc au-delà de l’intérêt social et culturel que présentent ces pratiques, ma préoccupation, en période de grande incertitude climatique entre autres, est de savoir si l’autosuffisance alimentaire faciliterait l’accès à la nourriture de l’ensemble de la population — c’est-à-dire sans laissés-pour-compte — d’un territoire donné, qu’il s’agisse de grandes métropoles ou de territoires plus étendus à faibles densités en population, telle la vallée de la Drôme devenue Biovallée, là où nous sommes réunis aujourd’hui à Die, l’une des “capitales” de l’écologie.
Ainsi cette belle vallée devient l’un des objets de cette étude : disposerait-elle de suffisamment de terres agricoles pour assurer l’autosuffisance alimentaire de sa population permanente, voire de passage ? En fin d’exposé, je ferai brièvement mention à des résultats pour plusieurs métropoles.
Sources principales des données :
- INSEE recensement : population 2016 (dernier recensement général)
- Agreste-ministère de l’agriculture et de l’alimentation : divers recensements agricoles.
La BioVallée, état des lieux
Cette vallée a une solide réputation de bien vivre, réputation y compris médiatique, au point que même “Paris-Match” en a fait état ! [Charlotte Leloup, “La renaissance de la vallée”. Paris-Match N°3666, 14 août 2019].
En 2009, Les trois Communautés de communes, avec des élus convaincus, candidatent au Grand Projet Rhône-Alpes (GPRA), appel à projets accepté puis géré sur le terrain par un comité de pilotage très actif. L’association Biovallée est créée en 2012 par ce même comité de pilotage comme une suite logique à donner au travail des cinq années du GPRA pour, dans un premier temps, promouvoir et développer la marque Biovallée ainsi caractérisée dans le GPRA :
- « a pour cœur l’agriculture biologique,
- intéresse des milieux naturels remarquables,
- vise le développement économique d’une zone rurale étendue.
[…] Un tel territoire mérite une reconnaissance très large. Il est un excellent exemple de la territorialisation du Grenelle de l’environnement. » [Ministère de l’agriculture et de l’alimentation, Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux. “La Biovallée de la Drôme”, rapport, 2010]
Les trois Communautés de communes :
- Val de Drôme : 30 communes
- Crestois et Pays de Saillans. Cœur de Drôme : 15 communes
- Pays Diois: 51 communes
La vallée, d’origine glaciaire (jusqu’à 1 500 m. de hauteur de glace il y a 20 000 ans !), est traversée dans toute sa longueur par la rivière Drôme aux étiages annuels importants, le “Syndicat mixte rivière Drôme” a la charge de son contrôle et de sa gestion.
Elle est touristique, avec nombre de résidences secondaires, de locations saisonnières et de campings, mais n’ayant pas trouvé de données suffisamment précises à ce sujet, la population temporaire ne sera pas prise en compte dans les calculs.
Une voie ferrée encore en activité serpente tout au long de la vallée mais reste sous la menace permanente d’une possible fermeture.
Pour parcourir la BioVallée par la route les distances sont abordables : dans le sens de la longueur, environ 100 km de Livron à Lus-la-Croix-Haute et en largeur 50 km de Saint-Julien-en-Quint à Gumiane.
Données agricoles
Définition de la surface agricole utilisée ou SAU
Les recensements agricoles par communes ont lieu tous les dix ans, le prochain devrait être effectué en 2020, les données utilisées dans ce document datent de 2010 et sont donc à relativiser, il s’en dégage cependant des tendances qui seront confirmées ou infirmées par le prochain recensement.
Localisation : les données se rapportent aux exploitations agricoles ayant leur siège sur la zone communale considérée, et la SAU d’une commune peut comprendre des terres en propriété ou louées sur d’autres communes. Ce qui explique que la SAU puisse être (rarement) à peu près équivalente à la superficie totale de la commune, en BioVallée c’est le cas pour Ambonil (Val de Drôme). En 2016, Aix-en-Diois et Molières-Glandaz ont fusionné sous le nom de Solaure-en-Diois, leurs données ont été rassemblées.
Exploitation agricole : unité économique qui participe à la production agricole, avec comme dimension : un hectare de superficie agricole utilisée ou 2 000 m² de cultures spécialisées.
La SAU se décompose en :
- terres labourables pour productions de : céréales, cultures industrielles, légumes secs et protéagineux, tubercules, légumes de plein champ, plantes aromatiques, jachères…
- cultures permanentes : vignes, vergers, lavande, pépinières…
- toujours en herbe : prairies naturelles ou semées depuis au moins six ans.

tableau 1
Les forêts propriétés d’exploitations agricoles ne figurent pas dans le calcul de la SAU, de même pour les jardins potagers privatifs et jardins partagés ou équivalents non déclarés en exploitations agricoles.
La Biovallée représente un tiers de la superficie du département de la Drôme mais seulement 11 % de la population. L’absence de grandes villes peut expliquer en partie cet écart.
Le Diois est largement la Communauté la plus étendue : 61 % de la BioVallée (Val de Drôme 28 %, Cœur de Drôme 11 %), alors que sa population ne représente que 20 % (Val de Drôme 54 %, Cœur de Drôme 26 %). Son relief accidenté et son important boisement en sont sans doute les principales raisons.
La BioVallée étant peu urbanisée (aucune de ses principales villes ne dépasse 10 000 habitants), sa densité en population (27 hab au km²) est très inférieure à celle du département (78), seul “Cœur de Drôme” (65) s’en rapproche. Cette faible densité pourrait-être l’une des raisons qui rend cette vallée attractive. La croissance de la population a été de 16,2 % en 15 ans (16,1 % pour le département), tout particulièrement Val de Drôme (19 %), alors que le Diois a moins progressé (11 %)
Résidences secondaires et locations saisonnières représentent 34% du logement dans le Diois, c’est un résultat élevé ; si ce territoire est certainement attractif pour le tourisme, il est aussi celui qui a perdu le plus de terres cultivables en dix ans (-19%) Qui sont ces résidents secondaires, quel impact ont-ils sur la vie de la vallée ? Questions qui seraient peut-être à approfondir…
Baisse du nombre d’exploitations agricoles et d’hectares en surface agricole
En France environ un quart des exploitations agricoles ont disparu entre 2000 et 2010, et la Biovallée n’a pas échappé à cette érosion (-26%) due à de nombreuses causes, l’une étant que les agriculteurs ne trouvent pas toujours de repreneurs pour leur ferme à leur départ en retraite. Le bâti devient alors souvent résidence secondaire ou primaire pour des “néoruraux” non-agriculteurs, et les terres agricoles sont dispersées à la vente quand elles ne sont pas laissées en friches ; à ce sujet l’action d’une commune dans le Finistère est à souligner : “Une commune bretonne impose l’agriculture bio et paysanne à 400 propriétaires” [Reporterre / 27 janv. 2020]
Entre 2000 et 2010, la perte en SAU a été plus élevée pour la Drôme (-15 %) et la BioVallée (dont -19 % en Diois) que la moyenne nationale (-6 %). Ces pertes sont surtout provoquées par l’artificialisation des sols, Il n’existe pas actuellement de données centralisées permettant ce calcul au niveau communal ou intercommunal.
Cette érosion s’est-elle arrêtée ou au moins ralentie ? Il faudra attendre début 2021 pour le savoir avec précision, mais le risque en France demeure important en raison de :
- l’accroissement de la population: taux moyen annuel de 0,5 % depuis 2009
- l’artificialisation des sols: taux moyen annuel de 0,8 %, constant depuis 2010 (il était de 1,3 % entre 1992 et 2009). dont 90 % impactent la surface agricole. En 2016 les sols artificialisés représentaient 9,3 % de la superficie du territoire [fr]. Pour la Drôme ce taux serait de 6 % [Atlas régional de l’occupation des sols en France, ministère de l’environnement, 2016].
- la diminution du nombre d’agriculteurs, généralement insatisfaits de leur condition : faibles revenus, manque de reconnaissance… Entre 2010 et 2016 le nombre d’exploitations agricoles a encore diminué de 11 % soit un taux annuel moyen d’environ 2 % [Agreste primeur N° 350 juin 2018].
- des possibles pertes en surface cultivable du fait du réchauffement climatique et de la montée des mers, impossible à véritablement chiffrer pour l’instant.
Lors des prochaines décennies, si les taux ci-dessus restaient constants, avec une agriculture devenant de plus en plus bio et nécessitant donc plus d’hectares (de l’ordre de +45 % pour du 100 % bio), la superficie agricole en France pourrait devenir insuffisante vers 2070, ce qui semble bien loin… mais qu’est-ce que deux générations dans l’histoire de l’humanité, si ce n’est un léger soupir ?
Quels types de productions agricoles en 2010 dans la Biovallée ?
Définition (Agreste) : Orientation techno-économique de la commune (OTEC) : production dominante déterminée en fonction de la contribution de chaque surface sur l’ensemble des exploitations agricoles de la commune.
Ces données sont rassemblées dans le tableau suivant en quatre types de production :
- polyculture
- herbivores
- volaille et granivores
- fruits et viticulture
Les trois premiers occupent les terres labourables et en herbage (pâturages et près de fauche), fruits et viticulture occupent des terres dites en culture permanente. La répartition a été faite à partir des grandes tendances par communes recensées par Agreste en 2010.

tableau 2
La SAU en BioVallée est à 91 % consacrée à des terres labourables et en herbe, résultat proche de la moyenne nationale (90 %), c’est le Diois qui a le taux le plus élevé (95 %). Cette orientation est importante dans la mesure où elle reflète des types de productions agricoles sans préciser toutefois ce qui relève de la polyculture ou de la monoculture.
La SAU moyenne (38,6 ha) par exploitation agricole de la Biovallée est nettement inférieure à celle de la France métropolitaine (63 ha).
En 2010, la BioVallée consacrait 9 % de la SAU en cultures permanentes (fruits et vigne) ; Drôme =16 %, France = 4 %.
Prospectives
Pour l’alimentation équilibrée d’une personne quelle serait aujourd’hui la surface en terre cultivable nécessaire pour une production alimentaire tendance bio et en pleine terre pendant un an, à raison d’une moyenne d’un bon kilo par jour de nourriture et en tenant compte des déchets ?

tableau 3
Voici une proposition de grille d’évaluation inspirée par “Fermes d’avenir” : une surface agricole de ≈1.500 m² serait nécessaire pour assurer l’alimentation végétarienne d’une personne pendant un an, et en non végétarienne 1.000 m² sont ajoutés pour l’élevage (sources : “La filière laitière française” et le “Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de vie”) et avec l’hypothèse d’une baisse rapide de la consommation moyenne en viande de l’ordre de 40 %. Cette grille présente bien entendu des limites, elle ne tient pas compte en effet des âges, des particularités alimentaires régionales, etc., mais il s’agit d’estimations pour une personne d’âge moyen, aboutissant à des indicateurs moyens modifiables localement.

tableau 4
En appliquant cette grille à l’ensemble de la population de la BioVallée (57.495 habitants en 2016) 14.374 hectares de terres agricoles seraient nécessaires pour produire localement et annuellement 25.932 tonnes de nourriture destinée à la population résidant de façon permanente en BioVallée.
(Par la suite les résultats vont figurer sous l’appellation “étude”)
Depuis peu un outil d’évaluation performant vient d’être créé conjointement par Terre de liens, la Fédération nationale d’agriculture biologique et le bureau d’analyse sociétale Basic. PARCEL, d’utilisation aisée, permet de faire varier les critères : plus ou moins de bio ou de viande…, et de procéder à des évaluations par communes, inter-communales, etc., également pour différents groupes de personnes
L’outil Parcel, appliqué à la Biovallée avec des paramètres légèrement différents que ceux de “étude”, aboutit à des résultats un peu plus élevés, ce qui donne une fourchette d’estimations qui introduit des variables intéressantes.
Impact de l’hypothèse autosuffisance alimentaire sur la SAU
Paramètres “étude” : 90% relocalisation de la production (en tenant compte que tout ne peut être cultivé en BioVallée, par exemple riz, café, cacao…, ces aliments doivent donc être importés, mais il est aussi possible de s’en passer ! / en partie bio / baisse conso viande ≈ -40%
Paramètres Parcel : 100% relocalisation / 30% bio / baisse conso viande ≈ -25%

tableau 5
Que ce soit dans le cas “étude” ou dans le cas Parcel on note que :
- si l’estimation est limitée à Die, la SAU 2010 de cette commune est insuffisante pour envisager l’autosuffisance alimentaire ;
- en revanche dès que le bornage est étendue à l’une des communautés de communes, les SAU 2010 du Diois et de Val de Drôme seraient amplement suffisantes, pour Cœur de Drôme ce serait plus limite ;
- sur l’ensemble Bio-Vallée, la surface agricole estimée utiliserait seulement 31 % de la SAU dans le cas “étude” et 35 % dans le cas Parcel. Ce qui est également valable pour le département de la Drôme, mais avec des impacts doublés (65 % et 73 %)
La SAU 2010 en Biovallée (46 787 ha), si elle est restée en l’état en 2020 et le resterait au-delà, pourrait donc permettre d’envisager largement une autosuffisance-sécurité alimentaire pour l’actuelle population en résidence permanente, si toutefois celle-ci ne progresse pas de façon exponentielle avec l’artificialisation des sols qui en résulterait. Le solde en surface agricole permettrait donc d’assurer une production alimentaire tant pour les passagers (touristes et autres) que pour l’exportation dans le reste du département et au-delà, ce qui est d’ailleurs déjà le cas (vin, noix…) mais est difficile à évaluer.
Répartition de la surface agricole en Biovallée autosuffisante par grands types de productions

tableau 6
L’élevage dans l’option Parcel occuperait 73 % de la S A et 47 % dans l’option “étude. La consommation de produits issus de l’élevage bio ou en AOP (Appellation d’Origine Protégée) demande beaucoup d’hectares en herbage (environ un par tête de bétail bovin). Ce qui souligne l’importance des choix à faire dans les façons de s’alimenter et dans les types de productions, dont certaines seraient sans doute à relocaliser dans la mesure du possible, d’autres à réduire (viande par exemple ?)
Il serait aussi intéressant de pouvoir mesurer la production des jardins partagés familiaux (pour la Drôme : récolte annuelle 25 tonnes sur 18 ha ; source Le Passe Jardins)
On peut comparer ces résultats avec ceux des orientations de la SAU 2010 (tableau 2) et constater avec prudence que ce qui se faisait en 2010, n’est pas très éloigné de ces prévisions.
Quelques ordres de grandeur en France

tableau 7
C’est une évidence à rappeler : plus la densité en population au km² est importante, plus un projet d’autosuffisance alimentaire par relocalisation de la production agricole est du domaine de l’impossible, même pas de l’utopie ; jardins partagés, fermes urbaines, terrasses végétalisées…, sont certainement de belles réalisations mais sans commune mesure avec la réalité des besoins de toute une population urbaine.
Ainsi pour Paris où ce même type d’étude a été réalisé (sans l’option Parcel), la production alimentaire intra-muros ne peut être qu’infinitésimale, il est donc nécessaire de projeter d’étendre le territoire d’autosuffisance d’abord à l’Île-de-France : 12 millions d’habitants et 593 100 ha de SAU, nettement insuffisante, car la S-A nécessaire en autosuffisance serait de 4,2 millions ha ; ensuite au Bassin Seine-Normandie, historiquement “nourricier” de la région parisienne : 17 millions d’habitants, 5,7 millions ha de SAU (dont 3,3 millions actuellement consacrés à la production de céréales et d’oléagineux destinés à l’exportation), le besoin estimé en S-A pour autosuffisance serait alors de 5,9 millions ha, ce qui se rapproche nettement de la SAU 2010 et permettrait d’envisager l’autosuffisance, mais dans un rayon moyen de 280 km autour de Paris et à condition, entre autres, de remettre en cause les monocultures !
Paris “capitale agricole” ? Rennes “ville nourricière en route vers l’autosuffisance alimentaire de la ville” ? Voilà de beaux et vastes projets aux intentions louables, mais aussi aux effets d’annonce avec une bonne dose d’illusion, car ne posant pas les limites territoriales d’une relocalisation permettant de parvenir réellement aux objectifs que se donnent ces villes.
Plutôt éloignées des soucis alimentaires des grandes métropoles, la Drôme, et encore plus la Biovallée, sont actuellement dans une situation privilégiée du fait de leur faible densité en population et de la surface que ces deux territoires consacrent encore à l’agriculture. Conditions, entre autres, favorables à une orientation vers une autosuffisance-sécurité alimentaire relocalisée au maximum dans un faible rayon géographique, sans pour autant entraver la possibilité maîtrisée de productions exportables (vins, fruits…)
Commentaires et interrogations
La Biovallée présente actuellement de nombreux atouts (eau, bonnes terres, forêts, climat, polyculture, motivations de nombreux habitants…) pour le développement d’une économie agricole territorialisée :
- tendant vers l’autosuffisante alimentaire
- orientée vers le bio
- rapprochant producteurs et consommateurs
- réduisant les transports
- permettant à des agriculteurs et des agricultrices de s’installer et de vivre décemment.
Toutefois le développement de cette orientation, déjà amorcée depuis plusieurs années (la Drôme est le département le plus bio de France) pourrait rencontrer de sérieux obstacles :
- le non-renouvellement de la population paysanne. Comment assurer des conditions de travail et des revenus permettant aux agriculteurs de vivre de façon satisfaisante et d’être reconnus dans le rôle prépondérant qu’ils exercent dans un pays ? Quelles perspectives pour l’emploi agricole ?
- l’accroissement constant de la population en résidence permanente et de passage (tourisme). Quelles seraient les limites à fixer ? Est-il possible de mesurer l’impact des résidences secondaires ?
- la chaleur et la sécheresse. La question du climat est certes planétaire, mais l’action locale n’est pas pour autant négligeable : quelles actions existent et qu’est-ce qui serait à développer ? Bilan carbone de la vallée ?
- le manque d’eau. La rivière Drôme, depuis le col de Carabès où elle prend sa source, traverse la vallée sur toute sa longueur et fournit en eau de nombreuses exploitations agricoles, mais « la Drôme et ses affluents connaissent des étiages sévères en période estivale. La totalité du bassin-versant est classée en Zone de Répartition des Eaux depuis 2010. Cela signifie qu’il y a une insuffisance quantitative des ressources en eau récurrente par rapport aux besoins. » [Syndicat mixte de la rivière Drôme | SMRD]. “L’eau, bien commun : saurons-nous être sage ? titrait cet organisme pour une réunion publique… Existe-t-il des cultures économes en eau ?
Autres questions :
- Quelle part pour l’alimentation carnée ?
- Dans le domaine alimentaire, peut-on mesurer ce que la Biovallée exporte, vers où ? et importe, d’où ?
- développement de la traction animale, pour quels usages ?
- Comment faire évoluer les habitudes alimentaires ?
- comment réguler la propriété foncière agricole ? Droits d’usage des terrains communaux ?
Comment ces interrogations et d’autres qui viendront certainement, pourraient-elles être abordées ? La première condition est sans doute que les différents acteurs de la Bio-Vallée s’en emparent ou continuent à le faire. Les façons de les traiter sont nombreuses : communale, inter-communale, associative… Citons par exemple les PAT “Projets alimentaires territoriaux” qui « ont pour objectif de relocaliser l’agriculture et l’alimentation dans les territoires en soutenant l’installation d’agriculteurs, les circuits courts ou les produits locaux dans les cantines. Issus de la “Loi d’avenir pour l’agriculture et l’alimentation” qui encourage leur développement depuis 2014. Ils sont élaborés de manière collective à l’initiative des acteurs d’un territoire (collectivités, entreprises agricoles et agroalimentaires, artisans, citoyens etc.) ». [Alim’agri, ministère de l’agriculture et de l’alimentation / 2018]

« Des Glaneuses » J-F. Millet, 1857. Musée d’Orsay Paris
Compléments
Alimentation : la vallée est-elle autosuffisante ? Le Crestois | Angela Bolis mars 2020
Les Jardins nourriciers du Diois
association loi 1901 issue de l’initiative de personnes engagées au profit des questions d’agriculture, d’alimentation, d’écologie, mais également du vivre ensemble, de la préservation des savoir-faire traditionnels agraires et des cultures locales. L’initiative s’est construite au travers d’une démarche citoyenne rassemblant d’abord les habitants d’un même quartier d’un village de la région de Die, dans la Drôme, autour d’un projet commun : contribuer à faire vivre et revivre la terre par des jardins nourriciers coopératifs.
L’association a été fondée en mai 2016, à Die (26150) et regroupe des jardiniers-maraîchers amateurs, des propriétaires de jardins et des consommateurs autour de cet objet commun. Elle est ouverte à tous.
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Intéressant échange.
« Contrairement à d’autres pays (comme l’Italie), la France présente la particularité d’être un pays où l’usage académique des Communs est à présent bien établi, mais où son usage politique reste assez limité.
Faut-il le déplorer ? » dit Lionel
Je pense qu’il ne faille pas le déplorer au contraire. L’exemple de l’Espagne et plus spécifiquement de la Catalogne est significatif. Quand on parle de « Los Comunes » à Madrid ou à Barcelone on se réfère à « Barcelona en comun », un parti politique comme un autre. Pour la majorité des citoyens, le parti est d’abord connu pour ses prises de position sur l’indépendance de la Catalogne, ses alliances avec d’autres partis et se rduit même, pour beaucoup, à la seule personne d’Ada Colau, la mairesse très controversée de la ville. Du coup, il est diffficile de parler des communns et quand il y a des inititiatives de communs urbains autonomes ou quand la mairie met en place des politiques et activités qui répondent aux valeurs des communs en matière de protection sociale, de participation à une « co-production de politiques »,d’économie collaborative, etc. elles sont associées à des positions idéologiques et leur qualité de « commun » passent au second plan.
Un bonjour du Québec
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Pour dialoguer avec le travail de Pierre Thomé qui constate l’impossibilité de l’autosuffisance alimentaire des grandes métropoles.- Qui sait ? Peut-être que les désordres dans les courants d’échanges liés au changement climatique et à l’épuisement des ressources naturelles en imposeront la nécessité .
Je transmets au groupe, pour information, une étude de l’institut Momentum « Biorégion l’Ile de France après l’effondrement »(https://gpthome69.files.wordpress.com/2020/02/bioregion-2050_rapport_momentum.pdf) , qui comporte une prospective d’évolution de la métropole parisienne dans une perspective d’autosuffisance alimentaire.
L’institut Momentum appartient au courant écologiste de la décroissance et prédit un effondrement de nos modèles de croissance confrontés au mur des limites planétaires.
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Juste pour mentionner la thèse de Sybille Bui sur le sujet « Pour une approche territoriale des transitions écologiques. Analyse de la transition vers l’agroécologie dans la Biovallée(1970-2015) » : . http://www.theses.fr/2015AGPT0078
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« Je pense en fait que COMMUN a encore bien du mal à s’imposer dans le langage « courant » (un peu moins pour bien commun, historiquement plus connu), les universitaires devraient se pencher sur cette question, parce que c’est peut-être leur « com » qui fait défaut ? » écrit P. Thomé
=> La question a quelque chose d’étrange. Est-ce que Pierre Bourdieu attendait que son concept d’habitus passe dans le langage courant ? Et peut-on déduire du fait que le mot « habitus » ne soit pas employé par les acteurs pour décrire leur propre pratique qu’il y a un problème avec le concept ?
La question qu’Hervé renvoie à une ambiguïté de notre rapport à la notion de Communs. Heureusement qu’Ostrom n’a pas attendu que les acteurs de terrain parlent de Communs pour les inclure dans ses analyses. Cela n’enlève rien à la portée opératoire de ses analyses.
L’ambiguïté vient lorsque l’on cherche à faire des Communs un étendard dans les mobilisations sociales, ce qui constitue un tout autre usage du concept.
Il y a bien entendu des liens entre l’usage « scientifique » de la notion de Communs et l’usage politique que l’on peut en faire, mais les deux sphères ont – heureusement – une certaine autonomie.
Contrairement à d’autres pays (comme l’Italie), la France présente la particularité d’être un pays où l’usage académique des Communs est à présent bien établi, mais où son usage politique reste assez limité.
Faut-il le déplorer ? Si les acteurs se mobilisent pour la Transition et pas pour les Communs, qu’importe au fond.
Cela n’en empêchera pas certains d’avoir des pratiques que l’on pourra analytiquement décrire à travers le prisme de la théorie des Communs.
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Une remarque à propos du deuxième point évoqué par Hervé le Crosnier: « … C’est du regard extérieur (et intellectuel) qu’émerge la notion de communs… qui est ensuite renvoyée en miroir aux acteurs de chaque actions »
D’accord, mais à mon expérience (petite certes), je constate que le miroir est assez souvent ressenti comme déformant par les acteurs auxquels on le présente, avec comme réponse-type : « OK peut-être, si ça vous convient pourquoi pas, mais ce n’est pas un mot qui nous cause vraiment… On préfère nettement coopération, association, économie sociale et solidaire, mots quand même plus largement reconnus dans l’opinion. » Je pense en fait que COMMUN a encore bien du mal à s’imposer dans le langage « courant » (un peu moins pour bien commun, historiquement plus connu), les universitaires devraient se pencher sur cette question, parce que c’est peut-être leur « com » qui fait défaut ?
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Deux petites remarques :
– il me semble évidement que la question alimentaire, notamment celle de la sécurité alimentaire fait partie des questions que doit se poser un « mouvement des communs ». Même si l’immense majorité de l’approvisionnement est aujourd’hui en mode privé, la réflexion de sécurité alimentaire (en période de crise, mais aussi en période normale, pour faire respecter le point portant sur la qualité des aliments, notamment la capacité à manger sans avaler des pesticides) est bien une question de « communs ».
En fait, nous retrouvons avec l’alimentation (ou plus précisément la production alimentaire, notamment locale) la question des CPR (common-pool resource) chère à Elinor Ostrom. Nous avons beaucoup réfléchi avec Benjamin Coriat, pour la parution du livre « Discours de Stockholm en réception du Nobel d’économie 2009 », aux meilleurs termes appropriés pour traduire ce concept. Nous avons finalement utilisé : « Réservoirs communs de ressources ». En effet, dans les CPR, ce qui fait communs n’est pas la ressource (le poison d’un lac est un bien marchand et le pêcheur son exploitant) mais le « réservoir commun » qui permet à la ressource de se régénérer. C’est sur lui que doit porter l’attention et les règles que les commoners doivent et peuvent appliquer.
– Ceci me conduit à mon deuxième point par rapport au mail de Pierre : les acteurs des communs, à part celles et ceux qui font partie du mouvement des communs n’utilisent que rarement le terme « communs » pour décrire leur activité. C’est normal. Chacun fait son travail en fonction de l’environnement bio-physique, de l’objectif d’une réalisation collective et des formes de gouvernances choisies. Ce sont donc ces trois éléments qui en général servent à dénommer un « communs ».
Ce sont ensuite les chercheurs, les intellectuels ou les activistes des communs qui peuvent dire : « Ah, mais ce travail qui porte le nom XXX est en fait une illustration de ce que l’on retrouve dans de nombreux exemples du domaine des communs ». C’est du regard extérieur (et intellectuel) qu’émerge la notion de communs… qui est ensuite renvoyée en miroir aux acteurs de chaque actions spécifique pour élargir leur propre compréhension de leur action en la situant dans un paysage social et activiste plus large.
Ce fût ce travail de « connaissance croisée et de reconnaissance » qui avait été à l’origine des deux opérations « Villes en biens communs » et « Le temps des communs » : faire se rencontrer et échanger des gens dont les actions sont spécifiques, mais qui peuvent se reconnaître dans la problématique des communs.
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Comment ? Il serait intéressant de nous placer en scénario de crise durable (le climat et l’eau ne nous y invitent-ils pas ?) et en partant de la production locale consommée d’apprécier quelles devraient être réorientées les productions dans « l’idéal » et tenant compte des aspects « gustatifs » autant que de nécessité élémentaire en cas de crise grave.
Il serait également intéressant d’apprécier les capacités économiques et financières et les insuffisances probables pour réfléchir à des solutions pour rendre viables de telles orientations, dont intervention des communautés de communes, régies municipales, mobilisation de citoyens…
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