Critique de la notion d’effondrement global

 

 

texte téléchargeable
des informations complémentaires figurent en fin d’article

soleil

 

« Soldes / Ce soir le monde est en solde / J’ai compté mes points / j’suis gold / Tout doit disparaître […] / Déstockage imminent / Nos lointains reflets bradés dans le couchant / En trois fois sans frais ça reste commerçant / Tout doit disparaître » [Niang Mahmoud Tété, chanteur]

 

En ces temps de bouleversements climatiques de nombreux propos jalonnent l’opinion en affirmant de façon péremptoire qu’un effondrement global est imminent : « La fin de notre monde est proche. Une ou deux décennies, tout au plus. Cette certitude qui nous habite désormais, et qui a bouleversé nos croyances et nos comportements, est le résultat d’observations scientifiques nombreuses et variées sur l’évolution du système Terre » [Yves Cochet, Pablo Servigne, Agnès Sinaï. « Face à l’effondrement, il faut mettre en œuvre une nouvelle organisation sociale et culturelle », Le Monde.fr | 22 juillet 2019].

S’il est indéniable que le réchauffement climatique dépasse les normes habituelles et qu’il y a péril en la demeure, pour autant doit-on dramatiser à l’extrême, apeurer ? Yves Cochet, Pablo Servigne… n’en sont plus au stade des hypothèses, mais de l’affirmation d’une vérité qui semble les habiter telle une croyance ; véritable profession de foi certes respectable, mais difficile à rapprocher des travaux de scientifiques évaluant, analysant, discutant et cherchant à informer l’opinion et les décideurs politiques. Mais ces derniers semblent avoir bien du mal à se dégager de la pression action climatde lobbies internationaux défendant des intérêts tout autre que la sauvegarde de la planète, ce qui ne les empêche pas d’applaudir chaleureusement Greta Thunberg lors du Forum économique mondial 2009 de Davos, tout en utilisant 1 500 jets privés pour s’y rendre ! « Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous agissiez comme si notre maison était en feu, parce qu’elle l’est », leur a-t-elle lancé [Le Monde.fr | 22 janv.2019].

L’un des grands thèmes abordés lors de ce forum était “Sauvegarder notre planète« , mais pour les participants ne serait-il pas plus juste de dire “sauvegardons notre richesse” ? Al Gore en a profité pour faire son show habituel : « Dans un monde préoccupé par la gestion de nombreuses crises qui s’inscrivent dans un contexte de transformations sociétales, nous utiliserons l’esprit de Davos pour se projeter dans l’avenir d’une manière constructive et collaborative », sous forme de “dialogues” privé – public autour de quatorze “system initiatives”. Trois de ces “dialogues” ont abordé directement le sujet : “façonner l’avenir de l’énergie – façonner l’environnement et la sécurité des ressources naturelles – façonner l’avenir des systèmes alimentaires” [Suivre Davos 2019]. Le comment “façonner” est cependant resté au niveau de grands principes : “relever le défi, agir rapidement, il s’agit de rester en vie, la communauté financière a un rôle très important à jouer…”, le Forum s’en remettant au sommet de l’ONU “Action climat : une course à gagner” du 23 septembre 2019.

Depuis plusieurs mois la presse, de Paris-Match « Collapsologie…« , à LibérationEffondrement : l’humanité rongée par la fin”, évoque la collapsologie, nouveau concept issu du latin collapsus (s’affaisser) pour traiter de l’effondrement et de ses conséquences, sans oublier le Monde “Face à l’effondrement…”,  pour aboutir enfin à la création récente du magazine Yggdrasil : « Nous avions un objectif : braquer le projecteur sur tout ce qui émerge, que les idées soient diffusées dans le plus de milieux, de classes sociales possibles. Avant d’écrire sur les catastrophes, j’espérais un emballement médiatique, mais le vivre, c’est autre chose ! C’est une vague. L’élan de la souscription, les premières ventes en kiosque, sont l’indice d’un véritable mouvement qui se forme en France. D’ailleurs, je rencontre déjà des gens qui sont en train de déménager à la campagne, de vivre une sorte de préparation à l’effondrement. » [Pablo Servigne, Paris Match, 30 juillet 2019]. Il est vrai que Yggdrasil (l’Arbre Monde dans la mythologie des pays nordiques) est un mot d’usage courant et que 3 113 souscripteurs représentent une vague populaire qui va tout submerger !

Cette approche apocalyptique et radicale n’entretient-elle pas une confusion avec la notion de CHANGEMENT dont l’Histoire est faite ? Changements survenant pour différentes raisons dans les fondements mêmes et de la planète Terre et de l’humanité, les deux interférant depuis qu’Homo sapiens est devenu capable de modifier son environnement naturel. C’est cette question que nous allons aborder en faisant référence à l’Histoire, à la littérature et à l’actualité,

La dénomination “Homo sapiens”, utilisée tout au long de cette étude, est à lire comme un concept générique : la racine latine d’homo est humus, la terre, et sapiens se traduit par sage, intelligent… toute une symbolique…

Mots-clés : âge d’or, apocalypse, collapsologie, déluge, fin du monde, Frankenstein, GIEC, inter glaciaire, New deal vert, révolution industrielle, société industrielle, transition, tremblement de terre, volcan

L’EFFONDREMENT

Dans le langage courant on évoque l’effondrement d’un mur, de la bourse, d’une civilisation… ou bien encore de soi-même pour cause d’événements douloureux, mais peut-on parler de l’effondrement du monde ? L’Histoire nous apprend que des civilisations ont disparu remplacées par d’autres, mais ce qui fait société ne demeure-t-il pas de l’ordre de l’adaptation aux multiples changements qui apparaissent au fil de l’histoire de la planète Terre et de l’humanité ?

Homo sapiens est-il aveuglé par sa réussite apparente ? José Saramago (prix Nobel de littérature en 1998) dans son aveuglementroman “l’Aveuglement » [1997] nous alerte sur ce risque. Un homme, assis au volant de sa voiture et arrêté devant un feu rouge, devient subitement aveugle. C’est le début d’une épidémie qui se propage très vite à tout un pays et tous les êtres humains sont atteints de cécité, à l’exception d’une femme. En quarantaine ou livrés à eux-mêmes, hommes et femmes de tous âges vont devoir faire face aux comportements les plus primitifs pour survivre à tout prix : plus personne ne peut guider, nourrir, soigner, ramasser les déchets etc., la seule restée valide ne peut s’occuper que d’un petit groupe. Tous les repères dans l’espace et dans le temps disparaissent et hommes et femmes finissent par marcher littéralement les uns sur les autres ! « Ils vont comme des fantômes, être un fantôme ça doit être ça, avoir la certitude que la vie existe […] et ne pas pouvoir la voir ». Surprenant roman allégorique, où Homo sapiens est pris en flagrant délit (délire) d’aveuglement sur lui-même et sur le monde qu’il construit. Serions-nous collectivement aveuglés, tel que les collapsologues le laissent entendre, au point de ne pas voir que tout s’écroule autour de nous ?

Collapsologie et fin du monde

La collapsologie, qui se veut science multi disciplines et à laquelle on peut ajouter la tendance plus radicale du survivalisme, se fonde sur l’étude du concept d’effondrement considéré comme inéluctable essentiellement pour raison de réchauffement climatique et d’épuisement des ressources en énergies fossiles. Et quoiqu’on fasse, ce processus aboutirait à la fin de l’actuelle société industrielle, mais de quelle société est-il question ?

Le comte de Saint-Simon (1760-1825) est à l’origine du concept de société (ou système) industrielle, définie dans ses deux ouvrages références : “Le Système industriel” (1821) et “Catéchisme des industriels” (1823). Il se donne modestement mission « de faire sortir les pouvoirs politiques des mains du clergé, de la noblesse et de l’ordre judiciaire, pour les faire entrer dans celles des industriels. » Il considère que tout producteur de biens par son travail est un industriel, membre d’une société englobant : artisans, commerçants, agriculteurs, chefs d’entreprise, banquiers mais aussi artistes et savants. Cet ensemble constituerait la classe industrielle devenant, au détriment des détestés oisifs et rentiers, « la classe fondamentale, la classe nourricière de toute la société […] (qui) tout entière repose sur l’industrie ». Cette société s’organiserait donc en une seule classe sociale, à l’encontre même de l’État qui serait destiné à plus ou moins disparaître ; Marx démontrera quelques années plus tard l’impossibilité que de telles idées puisent aboutir dans le système capitaliste.

Assez loin des fondements définis par Saint-Simon, la société industrielle s’est développée pendant deux siècles pour devenir surtout celle des grosses entreprises et des banques, et aboutir à une mondialisation la rendant incompréhensible et très éloignée des préoccupations de la plupart des gens. Est-elle pour autant proche de sa fin ? Pour les collapsologues c’est une évidence et l’aboutissement d’un “processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population par des services encadrés par la loi” [Yves Cochet, “Effondrement, le début de la fin”. Libération | 7 nov. 2018].

D’autres personnes vont encore plus loin et évoquent, non pas la fin d’un système, mais la fin du monde ; par exemple la philosophe Marianne Durano : « La question vraiment vertigineuse, c’est celle, non pas de la fin d’un monde, mais de la fin du monde : la possibilité, exorbitante, que – guerre nucléaire ou dérèglement climatique – le monde lui-même devienne inhabitable. C’était la crainte du philosophe Günther Anders (L’Obsolescence de l’homme”, 1956) après Hiroshima » [“Nous ne sommes pas la cause de la fin du monde, mais la fin du monde nous donne une cause : vivre la meilleure vie possible”. Le Monde.fr | 24 juillet 2019]. Ce qui fait que dans l’attente d’une catastrophe irréversible, telle celle évoquée dans le très bon film de Lars von Trier “Melancholia” (2011) qu’elle cite, M. Durano considère que le mieux est de profiter au maximum des bienfaits de la vie « loin des pollutions de toutes sortes et d’un monde qui ne nous rend pas heureux », d’où son choix de vivre en famille dans un éco-hameau récent situé dans la Loire. Elle participe également à “Limite” revue d’écologie dite intégrale, c’est-à-dire « être “conservateur” authentiquement, intégralement, radicalement, dans la vie quotidienne comme dans les combats publics : conservateur de la planète dans toutes ses dimensions, mais aussi conservateur du corps humain, de la famille, du domestique, du local » [Jean-Louis Schlegel, “Les limites de Limite” Esprit janvier 2018, cité par Le Monde.fr : “Une histoire des écologies identitaires” | 4 octobre 2019]. Cette écologie intégrale se réfère souvent à l’encyclique papale Laudato si sur “La Sauvegarde de la maison commune” [pape François | 2015] et l’éco-hameau, évoqué plus haut, implanté dans le village de la Bénisson-Dieu, –nom prédestiné s’il en fut !– fait partie du mouvement chrétien “Initiatives Laudato si.

desert_arbreAvec cette même certitude de la fin du monde, le philosophe Pierre-Henri Castel, dans son dernier ouvrage [Le Mal qui vient. Essai hâtif sur la fin des temps, Paris, 2018, éd. Du Cerf], développe la possibilité d’un Armageddon dans le temps qui précédera l’effondrement total. Cette opposition violente du Bien et du Mal aurait peut-être même débuté avec la recherche par une petite minorité d’une appropriation des ressources de la terre de plus en plus réduites, cette tendance ne pouvant que s’amplifier avec le réchauffement climatique.

Poursuivons avec l’association d’origine lyonnaise Adrastia qui propose de ”construire un déclin” [Vincent Mignerot, conférence, 2015], oxymore intéressant mais basé sur l’affirmation que le déclin serait en cours de façon irréversible. Alors « Enclin au déclin” ? plutôt « Remettre en cause les fausses évidences, chiffres à l’appui. Penser à contre-courant, y compris contre nous-mêmes. Car en tant que journalistes, il faut bien le dire, nous avons tendance à nous focaliser sur ce qui ne marche pas […] Mais la litanie des mauvaises nouvelles peut être contre-productive et alimenter le déclinisme ambiant » [Laurent Jeanneau, “Tout ne va si mal”, Alternatives économiques, Oblik N° 3 | oct. 2019].

Enfin pour terminer ce premier tour de table l’historien Patrice Gueniffey évoque non l’effondrement mais l’idée d’une apocalypse écologique en perte de sens historique : « Avec le discours catastrophiste actuel, il y a bien une résurgence de l’idée de fin du monde, mais ce n’est pas l’idée de l’accomplissement d’une promesse, contrairement à l’eschatologie chrétienne. Dans l’apocalypse écologique, la catastrophe n’est pas porteuse d’un sens collectif. Elle porte plutôt à se distraire de l’avenir en s’immergeant dans un présent dont on espère qu’il durera le plus longtemps possible. […]. Si vous pensez que tout va s’arrêter, et à l’échelle d’une ou deux générations, quel sens donner à l’histoire ? » [“Le passé éclaire-t-il le présent ?” Le Monde.fr | 16 juillet 2019].

Effondrement, fin du monde, fin d’un monde, apocalypse, déclin… autant d’expressions inquiétantes et pour éviter une grande dépression pré-apocalyptique que serait-il possible d’envisager ?

La transition impossible ?

Pablo Servigne, Yves Cochet et autres collapsologues considèrent que toute transition écologique ne peut être que vouée à l’échec, aussi conseillent-ils de se préparer à l’imminence de l’effondrement. Le mieux, proposent-ils, serait de se retirer avec quelques proches sur ses terres, à supposer que l’on puisse en avoir, en étant le plus possible en autoproduction de tout ce qui est nécessaire à la satisfaction des besoins élémentaires : énergie, eau, alimentation… ; ces pratiques devant favoriser l’éclosion d’un modèle de vie (ou de survie) genre “cultivons notre jardin » et advienne que pourra ! De toute façon « Dans cinq ou dix ans le problème du logement sera réglé car les gens seront morts. » [Yves Cochet, Le Monde.fr | 27 sept. 2019]. L’auteur de cette étrange pensée a trouvé la solution en s’installant en Bretagne dans une propriété de sept hectares, d’où il délivre de temps à autre ses messages surréalistes : comment est-il en effet possible d’affirmer qu’un effondrement irréversible aura lieu au plus tard en 2030 ? Ce choix de vie est tout à fait respectable mais reflète une tendance à un « sauve-qui-peut » individuel qui nécessite des moyens conséquents : « Quand je me suis installé ici avec ma fille, j’avais des critères de recherches très précis : je voulais de l’eau, des arbres et des champs pour survivre le jour venu. […] Je fais ça aussi pour ma fille et mes petits-enfants. À leur place, entre faire Sciences-Po et de la permaculture, je choisirais la permaculture ! » […] « C’est vrai, je le fais parce que j’ai la possibilité de le faire », conclut-il [Yves Cochet, “Ici je suis prêt…”, avec Raphaël Godet, France Info | 4 août 2019]. Pourtant il fut parlementaire et ministre, donc personnage politique important ayant, suppose-t-on, le sens de l’intérêt général (ou du bien commun), mais en situation imaginaire d’effondrement il semblerait que ce sens-là s’estompe nettement…  On peut également rapprocher Yves Cochet et ses confrères collapsologues de la pensée libertaire et écologique du naturaliste Henry David Thoreau : « cela ne vaut pas la peine d’accumuler des biens, car ils sont appelés à disparaître. Il faut louer ou squatter un petit lopin de terre quelque part, le mettre en culture et manger la récolte. Il faut vivre replié sur soi et ne dépendre que de soi, les manches toujours retroussées et toujours prêt à lever le camp ». [Henry D. Thoreau, La Désobéissance civile, 1849. Traduction éd. Le mot et le Reste, 2018]

Cet hypothétique effondrement généralisé pourrait bien renforcer une fragmentation de la société en petites communautés, certes parfois construites autour d’un idéal humaniste (par exemple Habiterre, Ecoravie dans la Drôme), Gullalderenou d’un mythe genre “Âge d’or” ou Arche de Noé, mais aussi autour d’une crainte de l’altérité, d’une peur de la collectivité publique, chacune de ces communautés familiales ou amicales faisant son histoire sans trop se soucier de celle de voisins qui peuvent se retrouver dans les tourments de fins de mois compliquées et de bien d’autres soucis. Mais un bon collapsologue doit « Être concret : 1. Protection de la maison contre les intrus. 2. Stock de nourriture d’un an pour survivre avant les premières récoltes post-effondrement. 3. Stockage de l’eau de pluie. 4. Toilettes sèches, stock de sciure. 5. Installation d’une chaudière électrique et de panneaux solaires » [“Témoignages : Et si demain le monde s’écroulait ?” le Monde.fr | 20 sept. 2019]. Qu’adviendra-t-il de ceux et de celles qui ne pourront ou ne voudront pas entrer dans ce processus, qui ne seront pas de cette nouvelle société de la “sobriété heureuse” supposée se construire sur les ruines fumantes de l’effondrement ? Sans doute marginalisés, rejetés dans des zones de mal-être ?

C’est ce modèle que développe Alain Damasio dans son roman de science-fiction La Zone du dehors [2007, éd. la couverture (2)Volte] : la terre étant devenue inhabitable pour cause de guerres nucléaires, sept millions d’humains se sont retrouvés sur un astéroïde gravitant autour de Saturne et aménagé comme une immense station spatiale dénommée Cerclon. Dans un environnement hostile, cette population vit constamment dans la peur des bombardements météoritiques et la crainte de mal faire. Tous les habitants sont effet surveillés en permanence grâce à des puces implantées sur chacun, et, en cas d’opposition au pouvoir, ils sont sous la menace de l’exclusion vers “la zone du dehors”, là où sont parqués tous les déviants et d’où partira un début de “volution” (sans le ré) mais récupérée par le pouvoir ; ce qui fait dire au président de Cerclon s’adressant au leader de l’opposition qui vient d’être arrêté : « Ce qu’il y a d’extraordinaire chez tous les révolutionnaires que j’ai rencontrés, c’est qu’ils voient le peuple à leur image : bon, généreux, énergique… C’en est presque émouvant cette foi irraisonnée que vous avez dans le peuple, dans ce que peut le peuple comme vous dites, comme si le peuple n’était pas quelque chose de foncièrement passif, malléable, indécis. […] Un système comme le nôtre n’est jamais tout à fait capable d’anesthésier la contestation. Il gagne cependant en stabilité si cette contestation draine tous les éléments dangereux qui grippent nos procédures vers une zone tampon où peuvent s’absorber tous ces cris qui nous sont contraires. […] Votre banlieue, si je puis oser le terme, joue à plus grande échelle et de façon plus efficace le rôle de trop-plein. » La “volte” ne triomphe pas, mais finit par imposer la création de cités hors normes dans la zone du dehors ; le dénouement reste à découvrir ! Alain Damasio n’est sans doute pas loin de penser que l’exercice du pouvoir façon Cerclon, n’est pas très éloigné de celui que nous vivons actuellement : « pour moi la social-démocratie c’est : souriez, vous êtes gérés ! […] Le risque du pouvoir moderne, c’est l’algorithme. […] Nous n’avons aucune autonomie sur ces systèmes. Plus encore que la société de contrôle, nous sommes désormais dans une société de la trace. […] la technologie informatique fait “écran au réel” et pourrait nous faire perdre la confrontation indispensable avec ce qui devrait être l’altérité : le rapport à la nature, à la condition humaine… […] Je n’ai pas la crainte du monde qui vient, mais je suis dans la vigilance » [Alain Damasio, “La science-fiction c’était mieux demain”, avec Guillaume Erner, France Culture, l’invité du matin | 26 oct. 2017].

La crainte des récits proposant une société de l’altérité, solidaire et protectrice, le rejet de toute transition, du “no futur”, conduit finalement la collapsologie à ne pas inscrire son imaginaire de l’effondrement dans le mouvement de l’Histoire, non seulement celle d’Homo sapiens, mais aussi celle de l’échelle du temps de la planète Terre et du monde du vivant, l’une n’allant pas sans l’autre. Ce qui amène à nous intéresser à cette Histoire en commençant par un récit de la mythologie.

Le mythe de l’apocalypse

La Bible contient nombre de prophéties annonçant la fin du monde pour cause de colère divine provoquée par l’iniquité humaine. Ainsi dans les Livres prophétiques, Isaïe prédit le mécontentement de Dieu à l’égard des humains : « Il arrive le jour de Yahvé, implacable fureur, ardente colère, pour réduire la terre en désert et en exterminer les pêcheurs […] Le soleil s’obscurcira dès son lever, la lune ne donnera plus sa lumière. Je vais punir l’univers de sa malice et les impies de leur crime. […] Levez les yeux vers le ciel, et regardez en bas sur la terre ! Les cieux se dissiperont comme une fumée, La terre s’usera comme un vêtement. Ses habitants mourront comme de la vermine. Mais mon salut sera éternel et ma justice n’aura pas de fin ». [chap. 13:13 et 51:6].  Dans le Nouveau Testament, Mathieu fait confirmer et préciser cette vision par Jésus s’adressant ainsi à ses disciples : « En vérité je vous le dis, il ne restera pas ici pierre sur pierre, tout sera détruit […] “Dis-​nous : quand cela aura lieu, quel sera le signe de ton avènement et de la période finale du monde ?” […] On se dressera nation contre nation et royaume contre royaume et il y aura des famines et des tremblements de terre […] Beaucoup succomberont ; ce seront des trahisons et des haines intestines […] Par suite de l’iniquité croissante, l’amour se refroidira chez le grand nombre. Mais celui qui aura tenu bon jusqu’au bout, celui-là sera sauvé. » [chap. 24:1 à 13]. Cette vision eschatologique, si elle menace du pire ceux qui trahissent, haïssent…, “l’enfer c’est les autres” en quelque sorte, promet cependant l’accès au Royaume des cieux, là où les heureux élus, ceux qui auront su rester vertueux et justes, trouveront le grand amour.

Et survient le déluge [La Genèse, chap. II, 6-7-8], métaphore d’un effondrement on ne peut plus radical : « Yahvé vit que Deluge-1068x509la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée […] Et Yahvé dit : “Je vais effacer de la surface du sol les hommes que j’ai créés, et avec les hommes les bestiaux, les bestioles et les oiseaux du ciel, car je me repens de les avoir faits. » La terre aurait été ainsi confrontée à une extinction massive d’une ampleur qu’elle n’a jamais connue. On retrouve ce mythe du déluge dans de nombreuses civilisations (grecque, chinoise, indou) mais à des périodes différentes. L’imagination des écrivains des textes sacrés devait être grande pour arriver à bâtir de telles légendes à partir d’évènements climatiques sans doute très importants mais limités géographiquement. On peut aussi se demander pourquoi Yahvé veut supprimer la quasi-totalité du monde animal vivant sur la terre, les bestiaux, les oiseaux peuvent-ils avoir en conscience de mauvais desseins ? Il n’est cependant pas fait mention du monde marin, serait-ce pour marquer un retour aux origines du vivant ? « Mais Noé avait trouvé grâce aux yeux de Yahvé […] “Fais-toi une arche […] entre, toi et toute ta famille, car je t’ai vu seul juste parmi cette génération. De tous les animaux tu prendras sept de chaque espèce, des mâles et des femelles« . Avec cette ménagerie, Noé – âgé de 600 ans ! – s’embarque, accompagné par ses trois fils et leurs épouses, pour une croisière qui se terminera en altitude à proximité du sommet du mont Ararat (en Turquie, d’origine volcanique, 5 160 m), la pluie incessante ayant fait monter le niveau des mers au point que « toutes les plus hautes montagnes furent couvertes ». Après cent cinquante jours de navigation, Noé, sa famille et tous les animaux qui l’accompagnent, retrouvent la terre ferme, à charge pour ses trois fils et leurs épouses (chacun peut en avoir plusieurs) de repeupler la Terre, les risques consanguins n’étant certainement pas connus par les auteurs de la Genèse ! Après ce grand nettoyage, on pourrait imaginer que les quelques humains restant vont entreprendre de construire un monde meilleur, mais Yahvé, réaliste et peut-être découragé, décide que désormais il se contentera d’assurer l’essentiel : « Je ne maudirai plus jamais la terre à cause de l’homme, parce que les desseins du cœur de l’homme sont mauvais dès son enfance ; plus jamais je ne frapperai les vivants comme j’ai fait. Tant que durera la terre, semailles et moissons, froidure et chaleur, été et hiver, jour et nuit ne cesseront plus ». [La sainte Bible, traduction École biblique de Jérusalem, 1956, éd. Du Cerf, pour l’ensemble des citations], ce qui met à mal la philosophie de l’homme naturellement bon et de l’innocence enfantine.

Quel événement historique pourrait être à l’origine de ce mythe du Déluge ? Il est admis qu’une catastrophe de cette ampleur n’a pu concerner l’ensemble de la planète. Le déluge, source d’inspiration du récit biblique, a eu lieu au Moyen-Orient, mais pour l’instant il n’y a aucune certitude pour le dater : une première hypothèse propose vers l’an -7000 avant notre ère sur les bords de la mer Noire qui à cette époque était un lac d’eau douce, lac Pontique, protégé par l’isthme du Bosphore et à moins 150 m en dessous du niveau des mers. La Terre est alors dans une phase de réchauffement avec déglaciation importante (période interglaciaire en cours dite post würmienne commencée vers l’an -12000) entraînant une montée progressive du niveau des mers d’une centaine de mètres. La Méditerranée finit par submerger l’isthme du Bosphore devenu ainsi détroit, et transforme le lac en mer salée. Cette submersion a-t-elle été brutale genre tsunami, ou progressive ? Les chercheurs penchent plutôt pour une lente montée de l’eau avec recul de la côte sur un kilomètre provoquant d’importantes migrations de la population locale et de nombreux changements dans la biodiversité. Mais le grand écart de datation entre cet évènement et le début de l’écriture de la Bible vers l’an -900 (l’écriture, extension de la mémoire, a débuté vers l’an -3500 en Mésopotamie) n’est pas en faveur de cette hypothèse, la tradition orale sur plusieurs millénaires ne pouvant guère s’envisager. La deuxième hypothèse semble plus vraisemblable : vers l’an -1500, une période d’intense pluviométrie aurait provoqué de graves inondations dans les plaines du Tigre et de l’Euphrate avec une importante mortalité chez les humains et dans l’ensemble du monde animal terrien.

Depuis son début, le réchauffement climatique post würmienne, sans doute à l’origine du déluge rapporté par la Bible, a de multiples conséquences géographiques et écologiques. Ainsi vers l’an – 8000 le Doggerland, 17 600 km² (deux fois2007_dogger_re-engineered_satelite_photo_530 la Corse) de terre habitée située en mer du Nord, reliait l’Angleterre au continent Européen (la Manche n’était qu’un fleuve dans lequel se jetaient la Tamise et le Rhin). Ce territoire a été submergé par la montée du niveau de la mer du Nord et par un énorme tsunami provoqué par un effondrement maritime au large de la Norvège [cf. Jean-Paul Fritz, “Doggerland, le territoire englouti…”, L’Obs | 2 août 2018]. Cette alternance immersion -émersion de vastes surfaces de terre se déroulant sur de longues périodes, s’inscrit dans l’histoire de la Terre et génère de nombreux changements naturels pouvant être localement catastrophiques. Homo sapiens a-t-il l’intelligence d’en tenir compte en veillant à ne pas construire trop près des côtes, à ne pas épuiser la terre, à ne pas surexploiter les forêts, etc. ? Il semblerait qu’il ait tendance à décider du contraire, nous en reparlerons.

À cette même époque Homo sapiens commence lentement à se sédentariser (à partir de l’an -7000 en Europe) et à développer l’usage du feu de bois à usage industriel et agricole : fours de grande taille pour la poterie et la fonte des métaux ; vastes brûlis et déforestation par le feu pour dégager des terres cultivables. Avec l’accroissement des populations, le développement des villes et des techniques de transformation de la matière, cet usage ne fera que s’amplifier jusqu’à l’apparition du charbon, du pétrole et de l’agrochimie. Si la pollution par les feux de bois et par les brûlis est aujourd’hui admise et en partie réglementée, en revanche il est impossible de savoir, du moins à ma connaissance, quel impact elle a pu avoir avant le début de la société industrielle et dont les effets polluants sont, eux, bien connus.

Les approches visionnaires de l’effondrement ou de fin du monde qui viennent d’être évoquées, ne sont pas validées par les scientifiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Leur rapport 2018, “Scénarios d’émissions”, est certes alarmant, mais ils n’en dégagent pas pour autant une représentation apocalyptique digne de celles de nombreux auteurs de science-fiction. Récemment, Myles Allen, l’un des rapporteurs du GIEC, a précisé qu’il n’y a pas de date butoir : « arrêtons de dire qu’il va se passer quelque chose de grave en 2030. Des mauvaises nouvelles sont déjà en train de se dérouler et tous les demi-degrés de réchauffement comptent. Mais le GIEC ne dresse pas une limite à 1,5 °C au-delà de laquelle se déroulerait un Armageddon », c’est-à-dire ce qui serait la fin du monde dans l’ultime combat entre le Bien et le Mal. « Nous devons agir maintenant, et même si nous le faisons, nous ne sommes pas sûrs de réussir. Chaque année qui passe se traduit par 40 milliards de tonnes de CO2 en plus ». [Myles Allen « Pourquoi les manifestants doivent-ils se méfier de la rhétorique d’une panne climatique dans 12 ans ?” The Conversation | 18 avril 2019, en anglais]. Ce sont ces chiffres qui doivent alerter et ils devraient engager, surtout les pays riches, à prendre des décisions politiques drastiques – par exemple en matière de transports et d’usage des énergies fossiles — s’inscrivant dans ce qui est officiellement nommé transition écologique, dont l’un des porte-parole (non gouvernemental) les plus connus est Rob Hopkins, auteur de : « Manuel de transition. De la dépendance du pétrole à la résilience locale » [2008, éd. Écosociété & revue Silence]

La Terre, une planète du mouvement

La planète Terre existe depuis 4,6 milliards d’années et ce qu’elle était à ses débuts est très loin de ce qu’elle est aujourd’hui. Son itinéraire est en effet jalonné de multiples catastrophes naturelles, certaines ayant conduit à cinq extinctions massives (la sixième est peut-être en cours) dans le monde du vivant apparu il y a 3,5 milliards d’années. La cinquième est la plus connue avec la disparition il y a 66 millions d’années des dinosaures à l’exception d’une partie de ceux qui volaient, les oiseaux d’aujourd’hui en sont les descendants directs ! Pourtant à chaque extinction, le monde du vivant est reparti sur de nouvelles bases enrichies et dynamiques, par exemple les mammifères (Homo sapiens en est un) se sont surtout développés après la cinquième. Ce qui conduit à un double constat : aujourd’hui, nous ne serions peut-être pas là à nous interroger sur notre avenir d’humains si ces extinctions n’avaient pas eu lieu ; et toute espèce peut être conduite à être rayée du monde du vivant, l’espèce humaine étant sans doute plus protégée grâce à sa capacité à se projeter et à anticiper.

Soulignons également l’importance de l’alternance, repérée depuis plusieurs millions d’années (Cycles de  Milankovitch), entre des périodes glaciaires (l’épaisseur de glace a pu atteindre 2 400 m. dans la vallée de Chamonix !) et des périodes interglaciaires plus chaudes. Ces alternances ont entraîné de grands bouleversements : géologiques, dans la faune et la flore, dans les modes de vie des populations avec d’importants mouvements migratoires, tout particulièrement dans l’hémisphère nord. La durée moyenne d’une période interglaciaire est évaluée à environ 20 000 années, celle dans laquelle nous sommes en ce moment en serait donc approximativement à sa moitié, mais personne n’est en mesure de dire si l’alternance sera respectée, l’accélération du réchauffement pouvant modifier ce cycle ou bien la Terre en décider autrement. Dans sa préhistoire Homo sapiens ne se rendait pas compte de ces changements s’étalant sur des milliers d’années, il s’adaptait sur plusieurs générations et ses déplacements du nord au sud et inversement étaient indispensables à sa survie. Aujourd’hui, et depuis deux siècles, les climatologues sont à même de dater avec précision les variations du climat et d’en tirer des enseignements fiables dont Homo sapiens a semble-t-il du mal à tenir compte.

C’est ainsi que la Terre se sculpte à partir d’évènements sans aucune origine humaine (mouvements des plaques tectoniques par exemple) et qui peuvent être d’une grande violence. Homo sapiens n’a aucun pouvoir pour en modifier le cours, et s’il est désormais en mesure de les expliquer scientifiquement, la crainte que le ciel puisse lui tomber sur la tête ou que la terre s’effondre, demeure forte lors d’éruptions volcaniques et de tremblements de terre.

Des volcans explosifs

La plus connue des éruptions volcaniques est sans doute celle du Vésuve en 79. La ville depuis peu romaine de Pompéi vesuve_webet plusieurs autres cités proches, ont été ensevelies en quelques heures. Pline le Jeune en rend compte dans une lettre adressée à Tacite : “Un nuage part de la montagne ; par sa forme et son allure générale, il ressemble à un arbre et plus précisément à un pin parasol. Le nuage s’élève à une grande hauteur formant d’abord le tronc puis les branches qui partent de l’arbre.”  [“Pline à son cher Tacite, salut”, Plin. Εp. VI.16. Traduit par Publications du Centre Jean Bérard. Open Édition Books 1982]. En un jour Pompéi est recouvert, à l’exception des plus hauts bâtiments, par des tonnes de pierres ponces et de cendre ; le nombre de victimes sur environ 12 000 habitants est impossible à estimer. Herculanum, au pied du versant nord, échappe à la pluie de pierres et de cendre mais est ensevelie sous vingt-trois mètres de larve. Au-delà des clichés habituels sur la révolte de Gaïa ou la colère divine, Pompéi détruite (ne sera pas reconstruite), s’est figée dans un « instantané de la mort devenu évènement de savoir qui nous permet aujourd’hui de comprendre l’ordinaire des jours révélé par l’extraordinaire d’un jour où la vie fut anéantie », [Patrick Boucheron et Denis Van Waerebeke, “Quand l’histoire fait dates”, films documentaires Arte éditions 2017] ; pour autant la civilisation romaine n’en fut pas particulièrement affectée. Aujourd’hui le Vésuve reste actif et les quatre millions de personnes vivant à ses pieds ne semblent pas trop sans soucier, du moins en apparence, alors qu’une nouvelle grande éruption est estimée possible, « Quand ? Nul ne le sait… En attendant, ceux qui vivent sous sa menace aiment, mangent, dansent et prient (surtout San Gennaro), jouissant de chaque instant comme d’une éternité », [Jean-Paul Mari, “Naples : quand le Vésuve se réveillera…” GEO | 17 juin 2019]

Beaucoup plus récemment et avec plus d’intensité, le Pinatubo aux Philippines s’est violemment réveillé en 1991 après 500 ans de repos ; ses rejets (soufre, azote, chlore, monoxyde de carbone…) firent chuter la température terrestre de 0,6 °C entre 1991 et 1993. (Sources : Grégory Fléchet, Volcanologie, CNRS-le Journal | 17 nov. 2017]. Mais les deux éruptions les plus importantes de notre ère sont celles du Samalas et du Tambora :

Le Samalas (1257) : des recherches très poussées (abouties en 2010) à partir de carottes glaciaires (datation par le carbone 14) prélevées au Groenland et en Antarctique, complétées par des études de terrain, ont permis de localiser l’éruption gigantesque de ce volcan situé en Indonésie sur l’île de Lombok. Le monde vivant est exterminé sur cette île et en partie sur l’île voisine de Bali. Des rejets en gaz et poussière estimés à quarante km cube (ou quarante milliards de mètres cubes !) se propagent surtout au-dessus de l’hémisphère nord créant un voile dans l’atmosphère générant une diminution de l’ensoleillement, avec pour conséquences : net refroidissement du climat pendant au moins une année, destruction des récoltes de blé, famine, maladies infectieuses et accroissement de la mortalité, en particulier infantile. Cette éruption serait l’une des causes du début du “Petit Âge glaciaire” qui « correspond à une période climatique froide ayant affecté l’hémisphère nord entre le XIIIe et le XIXe siècle. Elle a été marquée par une importante avancée des glaciers, notamment en France. » [Quentin Mauguit, “Quatre éruptions volcaniques expliquent le Petit Âge glaciaire”, Futura-planète | 4 février 2012] ; en période interglaciaire les glaciers des Alpes ont atteint leur longueur maximale au début du XIXe siècle.

Le Tambora : l’éruption de ce volcan en Indonésie (île de Sumbawa) le 10 avril 1815 est considérée pour l’instant comme la plus gigantesque de notre ère : 100 à 200 km-cube sont éjectés (poussières, roches volcaniques, dioxine de soufre, aérosols…) sous forme d’une colonne de 44 km de haut, dont une grande partie compose un immense nuage de gaz et de poussière qui se répand dans l’atmosphère et la stratosphère en altérant durablement le rayonnement du soleil sur toutes les latitudes. Il s’en suit un bouleversement climatique sur trois années : ciel obscurci, baisse des températures : moyenne planétaire de -1 à – 2° pouvant aller jusqu’à – 5° dans certaines régions (Suisse par exemple), pluies abondantes, voire neige en basse altitude en plein mois d’août (30 cm à Genève), récoltes détruites, famine, épidémies…, catastrophes venant se surajouter au désastre économique et social laissé par les déconvenues napoléoniennes, Waterloo entre autres ; il s’en suit de nombreux soulèvements populaires violemment réprimés, avec des changements politiques qui s’annoncent.

Docteur Frankenstein

En Europe, 1816 est dénommée “année sans été”, « marquée par de très mauvaises conditions climatiques, avec de multiples conséquences en France et dans le monde. Dans l’Hexagone, le prix du blé explose… » [“Climat : 1816”, Météo France | 29 août 2016]. « Nous sommes avec Tambora, et ses conséquences tant météorologiques que frumentaires, devant un cas d’histoire mondialisée » [Le Roy Ladury, Trente-trois questions sur l’histoire du climat, 2010, Fayard]. Malgré son ampleur planétaire cette catastrophe naturelle n’a pas conduit pour autant à un effondrement systémique mondialisé.

1931-Frankenstein-v3-smallCette année 1816 privée d’été a-t-elle inspiré Mary Shelley lorsqu’elle a commencé à imaginer le personnage-clé de son premier roman ? Elle ne pouvait avoir connaissance de l’éruption du Tambora et de ses conséquences sur le climat, puisque ce lien de causalité n’a été établi qu’en 1875 [cf. Gillen d’Arcy Wood, L’année sans été, 2019, La Découverte]. Toutefois et même si elle vit dans un milieu aisé, elle a connaissance des dégâts économiques et sociaux de cette crise climatique majeure (son père, William Godwin, est un écrivain connu, libertaire et engagé pour la justice sociale). En mai 1816 elle décide de quitter Londres et se rend, avec son amant et futur époux le poète Percy Bysshe Shelley, au bord du lac Léman où elle séjourne en bonne compagnie, dont le célèbre poète anglais Lord Byron. Les pluies incessantes, les orages violents, l’obscurité, le froid…, confinent ces jeunes écrivains romantiques dans plusieurs demeures. Dans cette ambiance de fin du monde, Lord Byron propose que chacun imagine et écrive une histoire fantastique de quelques pages. C’est ainsi que Mary, 19 ans, amorce la rédaction de “Frankenstein ou le Prométhée moderne”, conte philosophique de science-fiction qui sera publié deux ans plus tard dans une première édition anonyme, puis en 1823 dans une version modifiée et signée.

Il est fréquent de lier ce chef-d’œuvre au dérèglement climatique dû à l’éruption du Tambora. Il est vrai que l’ambiance générale déprimante ne prête pas à l’optimisme et Mary Shelley semble confirmer ce lien dans la préface de la deuxième édition : « Chaque chose doit avoir un commencement […] et ce commencement doit être lié à quelque chose l’ayant précédé […] L’invention, admettons-le dans l’humilité, ne consiste pas à créer à partir du vide, mais du chaos ; le matériau doit d’abord être apporté, il peut donner forme à des substances obscures et informes ». Ce chaos, elle le ressent de plusieurs façons : déjà dans sa vie personnelle, elle a perdu en 1815 son premier enfant à l’âge de sept mois, elle vit avec un homme marié dont la femme est enceinte et va se suicider ; ensuite l’environnement climatique étant particulièrement hostile, il n’est pas toujours simple de trouver à se nourrir et à se protéger. Les causes de cette situation sont inconnues par tous, aussi les superstitions, les peurs ont tendance à prendre le pas sur la raison des Lumières. C’est sans doute pour cela que le roman de Mary, associant étroitement mort et renaissance dans un imaginaire fantastique, « questionne la place de l’humain en général, à un moment charnière de l’histoire où pour la première fois la science n’est plus vue uniquement comme source de progrès et où l’on craint que l’ombre n’émerge des Lumières. Que se passera-t-il si l’être humain parvient à contrôler la vie et la mort s’il dépasse sa condition, se croyant tout-puissant grâce à une science sans limite ? » [Christine Berthin, professeure, université Paris-Nanterre, “Frankenstein, une œuvre féministe ?” CNRS-le Journal | 7 août 2018]. Ainsi Mary Shelley, non seulement participe au lancement d’un genre littéraire nouveau, la science-fiction, mais préfigure également des questions posées par le Transhumanisme et l’intelligence artificielle actuellement très en vogue.

Lisbonne tremble

Quand Voltaire a écrit en 1756, “Poème sur le désastre de Lisbonne. Ou examen de cet axiome : tout est bien » [Œuvres tsunami lisbonnecomplètes, Garnier, 1877, tome IX], il a en mémoire le terrible tremblement de terre et le tsunami survenus à Lisbonne (et tout au long de la côte atlantique jusqu’au Maroc) le 1er novembre 1755, provoquant environ 50 000 morts et la destruction à 90 % de la ville. La façon dont était présentée et analysée cette grande tragédie le révoltait. À cette époque, un tel évènement se vivait sans doute telle une fin du monde, et faute de connaissances scientifiques suffisantes – les sciences physiques, tout particulièrement la sismologie étant encore balbutiantes — il fallait cependant en trouver les causes qui ne pouvaient qu’être divines. Et l’église catholique se chargeait d’énoncer abondamment une vision apocalyptique biblique de la colère du Dieu créateur, provoquée par les multiples comportements fautifs des humains. Voltaire ne supportait pas cette approche et le fit longuement savoir dans son poème :

« Philosophes trompés vous qui criez : “Tout est bien” / Accourez, contemplez ces ruines affreuses, / Ces débris, ces lambeaux, ces cendres malheureuses, / Ces femmes, ces enfants l’un sur l’autre entassés […] / Au spectacle effrayant de leurs cendres fumantes, / Direz-vous : “C’est l’effet des éternelles lois / Qui d’un Dieu libre et bon, nécessitent le choix ?” / Direz-vous, en voyant cet amas de victimes : / “Dieu s’est vengé, leur mort est le prix de leurs crimes ? / Quel crime, quelle faute ont commis ces enfants / Sur le sein maternel écrasés et sanglants ? / Lisbonne, qui n’est plus, eut-elle plus de vices / Que Londres, que Paris, plongées dans les délices : / Lisbonne est abîmée, et l’on danse à Paris”.

Il développe cette approche dans “Candide ou l’optimisme” en 1759, ouvrage se terminant sur l’utopie de la Métairie, là où il convient de ”cultiver son jardin” pour s’éloigner de l’absurdité d’un monde qui est fait de guerres, de viols, d’injustices, de catastrophes naturelles…, mais qui pour autant ne s’effondre pas sinon localement.

Que nous disent les grandes catastrophes que nous venons d’évoquer ? De tout temps des phénomènes naturels de grande ampleur se produisent sans qu’Homo sapiens y soit pour quelque chose et il ne peut qu’en subir les conséquences dans son impuissance à les maîtriser. Certes il y a des effondrements massifs : le Tambora a perdu 1 000 mètres en altitude lors de l’éruption de 1815, Pompéi a été complètement détruite et pas reconstruite alors que Lisbonne l’a été, mais ces effondrements physiques restent localisés et n’entraînent pas fondamentalement de remise en cause systémique, sinon peut-être celle évoquée par Voltaire au sujet de l’Église.

Homo sapiens, quand il vit près de volcans actifs et malgré ses grandes connaissances, continue à s’en remettre aux divinités. Aujourd’hui, 700 millions de personnes habitent à proximité de volcans en constante activité, elles les sacralisent : portes de l’enfer ou demeures de dieux à craindre mais aussi à vénérer, nourrir… Car ces dieux s’ils détruisent, sont aussi à l’origine de terres fertiles, de sources d’eau chaude, d’énergie… Dans leurs recherches, plusieurs volcanologues tiennent compte de ces traditions et tentent de faire dialoguer sciences et pratiques sacrées ; ce qui logiquement devrait nous amener à mieux admettre et comprendre les grandes incertitudes liées aux façons dont nous occupons notre place sur terre et dont nous prenons soin de ce qui nous entoure [source : Vivre avec les volcans, film documentaire, coproduction Les-Bons-Clients et Arte France | 2019]. Haraldur Sigurðsson, volcanologue et géologue islandais dont l’activité professionnelle est en grande partie consacrée au Tambora, considère que ses recherches le conduisent à « une vraie leçon d’humilité. Cela nous rappelle que nous sommes bien peu de chose à côté des forces incroyables de la nature » [“Un été sans soleil”, documentaire réalisé par Elmar Bartlmae | Arte | 2005]

Belle histoire que cette relation d’Homo sapiens avec des forces qui le dépassent : « ‘histoire d’une relation fusionnelle, remontant à des milliers d’années. Une histoire faite de passion, de colère et de fascination. Un cycle infini de création et de destruction, de vie et de mort. C’est l’histoire des volcans et des hommes » [“Vivre avec les volcans”, op.cit.]

 La société industrielle menacée d’effondrement ?

Jared Diamond, reconnu mondialement comme théoricien de l’effondrement, cherche à approfondir les raisons qui ont fait que des sociétés disparaissent au fil du temps. Dans un ouvrage de référence [Effondrement, 2005, Gallimard], il analyse les disparitions de la population de l’Île de Pâques, des Vikings du Groenland, des Mayas du Mexique…, pour en fonder une théorie générale sur l’effondrement des sociétés et en particulier de la nôtre. Toutefois, Il n’évoque pas le Sahara qui, rappelons-le, bénéficiait il y a environ 5 000 ans d’un climat tropical favorable au développement d’une riche faune et flore permettant à une importante population de vivre sur place sans trop de difficultés. Il n’évoque pas non plus la chute de l’empire romain, aux multiples causes dont les dernières possibles sont évoquées par l’historien Kyle Harper pour qui climat et pandémies ont participé à cet effondrement : « On croyait que c’étaient les Germains, en fait ce seraient des germes. Ils auraient eu raison de Rome, de sa puissance et de son Empire. […] Remplacez-les par Yersinia pestis, bacille de la peste bubonique, et quelques autres bactéries et virus. Vous comprendrez alors autrement pourquoi, vers 650 de notre ère, un effondrement vertigineux a frappé le plus durable et le plus florissant empire de l’histoire occidentale. De 75 millions d’habitants, on passe à moins de la moitié. La cité de Rome comptait près de 700 000 habitants, elle n’en compta plus que… 20 000 ! » [Roger-Pol Droit, Le Monde | 5 janvier 2019].

Si ces disparitions ou changements sont bien réels, ils n’ont pas pour autant provoqué un effondrement systémique généralisé sur Terre, genre Déluge biblique. Pourtant, les collapsologues affirment que le principal objet de l’effondrement est, non la bourse, mais l’ensemble de la société industrielle mondialisée (telle que définit plus haut), avec comme causes principales le réchauffement climatique et la fin des énergies fossiles, base essentielle de l’industrie. Cependant cette société n’a-t-elle pas une capacité d’adaptation remarquable grâce en particulier à ce qui est nommé le progrès technique et ajoutons grâce aussi à une grande maîtrise de la finance internationale ? Certes il arrive que cette finance rencontre quelques difficultés (1929, 2008…), il est alors question d’instabilité, de crise, d’effondrement de la bourse…, mais elle s’en remet avec le temps en renforçant les inégalités et si nécessaire en puisant dans les caisses des États. [cf. Dominique Pilhon, “Peut-on comparer les grandes crises de 1873, 1929 et 2008 ?”, Idées économiques et sociales, 2013/4 N° 174].

En deux siècles la société industrielle a transformé une grande partie du monde en le faisant passer progressivement de l’agraire à l’urbain, du bois au charbon et au pétrole, de l’hippomobile à l’automobile…, le tout accompagné par une croissance démographique multipliée par 2,3 : +37 % entre 1600 et 1800 et +84 % entre 1800 et 2000, avec de plus en plus de pollutions de toutes sortes.

Généralement, il est fait mention de quatre “révolutions industrielles” jalonnant de nombreux changements dans le temps et l’espace de la société, avec chaque fois de nouveaux marqueurs dans les domaines de l’énergie, des technologies, de l’organisation du travail et social et plus généralement dans les modes de vie, certains auteurs parlent alors de “civilisation industrielle” :

  • la première au XVIIIe siècle : charbon, machines à vapeur, vers la mécanisation de la production industrielle et agricole et des transports (réseaux ferroviaires), urbanisation intensive,
  • la deuxième au milieu du XIXe siècle : nouvelles ressources en énergie : gaz, pétrole, électricité ; moteur à explosion, taylorisation, mouvements sociaux importants qui débouchent progressivement vers de nouveaux droits : temps de travail, congés payés, protection sociale…
  • la troisième vers le milieu du XXe siècle : énergie nucléaire, électronique, débuts de l’informatique et de l’automatisation,
  • la quatrième débute : intelligence artificielle, robotisation, connectivité, mobilité, mondialisation…, [cf. Abdelmalek Alaoui, “Ce que cache la IVe révolution industrielle pour les pays émergents”, World Economic Forum / Tribune Afrique | 26 mai 2019]

L’actuelle société industrielle va devoir s’adapter au passage des énergies fossiles aux renouvelables et prendre une part active dans la conception et la fabrication des nouvelles technologies. On peut considérer le secteur automobile comme le modèle de ces grandes mutations : « Comment la voiture, par son économie et par son utilisation quotidienne, peut-elle être repensée dans les années à venir ? Le secteur automobile est actuellement en pleine mutation, au croisement d’enjeux forts : politiques et économiques, environnementaux ou liés aux questions de mobilité. » [Benoît Bouscarel, “L’industrie automobile réussira-t-elle sa transformation ?” France Culture | 2 août 2019]. La Chine apparaît de plus en plus en principal leader de cette quatrième révolution : « Le Monde selon Xi-Jinping”, magistral documentaire de Sophie Lepault et Romain Franklin [production et diffusion Arte|18 déc.2018] est un exposé brillant – et un brin inquiétant – qui décrypte avec méthode et expertise la marche en avant de l’empire du Milieu. » [Etienne Labrunie, “Le Monde selon Xi-Jinping ou comment la Chine va dominer le monde”, Télérama | 17 déc. 2018]

La société industrielle a profondément évolué avec une série de mutations technologiques que l’on peut attribuer en grande partie à des découvertes scientifiques exceptionnelles. Il ne s’agit pas ici de débattre du bien ou mal fondé des choix politiques et économiques qui en résultent, mais de savoir si cette société est condamnée à s’effondrer sur elle-même à court terme, tel un mur en pierres sapé dans ses fondements ? Au regard de ces révolutions il semble difficile de se représenter la fin, souhaitée ou non, d’un système dont les capacités d’adaptation lui permettent de changer rapidement ses stratégies.

StarshipLa cinquième révolution sera-t-elle celle d’Elon Musk (voitures Tesla) qui veut coloniser Mars avec sahippomobile fusée phallique Starship ?

Ou bien celle d’Yves Cochet qui envisage un retour généralisé à la traction animale : « Pour les transports, il faut développer les hippomobiles, des voitures tractées par des chevaux » [Yves Cochet, 2018] ?

 

Entre imaginaire spatial et imaginaire sympa romantique, il y a peut-être des intermédiaires à trouver ?


Ce parcours, dans une partie de l’histoire récente d’Homo sapiens, donne quelques repères pas nécessairement les plus connus, mais choisis parce que je pense qu’ils font dates, dans le sens où l’entend l’historien Patrick Boucheron qui cherche à renouer « avec l’élan d’une historiographie de grand vent […] L’entrée par les dates permet d’évoquer des proximités pour les déplacer, ou au contraire de domestiquer d’apparentes incongruités […] Susciter le désir et l’inquiétude, ces deux moteurs du voyage. » [Patrick Boucheron (sous la direction de), Ouverture. Histoire mondiale de la France, 2017, Seuil]

Ce voyage interroge sur la place occupée par Homo Sapiens, non seulement sur la planète Terre, mais aussi dans l’Univers (cf. “Homo sapiens dans le buisson du vivant”, 2020) ou plus exactement sur la place qu’il cherche à se donner en cherchant à dominer le monde en transgressant certaines limites de l’espace et du temps, limites qu’il voudrait à tout prix abolir : Hélons Musk et ses fusées, les transhumanistes et leur recherche d’immortalité, n’ont-ils pas tendance à se rapprocher du docteur Frankenstein ? Homo sapiens a appris à construire, souvent avec art, mais aussi à détruire plus qu’il ne faut ; et s’il est certainement devenu savant, il arrive aussi que la sagesse lui fasse défaut.

Pour certains, la conséquence prévisible de ce manque de sagesse serait qu’il va à sa perte, “aller droit dans le mur” est une expression couramment employée. Cette perte se traduirait par un effondrement total imminent, pouvant conduire à la fin d’un monde, voire à la fin du monde. Demeure cependant l’incompréhension d’un manque de précision dans la définition du concept : quelle dimension historique et territoriale lui donner, pourrait-elle être planétaire ? Sauf exception d’une guerre nucléaire généralisée toujours possible, et sauf à accréditer le mythe du déluge, nous avons noté que la disparition d’une société ou l’engloutissement d’un territoire ont lieu localement et qu’il semble hasardeux d’y voir une apocalypse planétaire, sinon de façon prophétique. Ce qui n’élimine pas l’attention à porter aux multiples changements – climatiques mais aussi économiques, sociaux, culturels – qui balisent l’histoire d’Homo sapiens.

Mais rétorque-t-on, on n’est plus au niveau du local et le raisonnement doit être global puisque le système industriel et financier est mondialisé, et le réchauffement climatique tout autant ! C’est exact, mais je maintiens que la société industrielle me semble loin de s’écrouler, qu’on le veuille ou non ; ce qui ne doit surtout pas empêcher d’interpeller ses leaders pour les interroger sur leurs manières de faire société et de gouverner, et de chercher également à valoriser les multiples innovations de l’économie sociale et solidaire qui, elle aussi, fait société.

La mondialisation du réchauffement climatique est maintenant bien connue et tout doit être entrepris pour que les objectifs fixés par l’accord de Paris Cop 21 soient atteint. Osons imaginer que des politiques climatiques d’envergure soient décidées rapidement et permettent que le réchauffement soit maintenu d’ici 2030 au seuil du 1,5 °C envisagé par la COP 21. Eh bien malgré tout, et c’est le sens de l’alerte de Myles Allen [op.cit.], notre société, celle des Nations-Unies, doit s’attendre et se préparer à des changements importants qui adviendront sur deux ou trois générations, certains étant déjà en cours : fonte des glaciers, montée du niveau des mers, fortes tempêtes, périodes de sécheresse alternant avec des périodes humides… ; changements amplifiant les mouvements migratoires, les risques de famine, d’épidémies, la souffrance… Homo sapiens ne peut ignorer ces risques et doit entreprendre de les traiter localement et mondialement avec l’art et l’intelligence dont il peut faire preuve.

Naomi Klein, connue pour des prises de position engagées, a publié Plan B pour la planète : le New Deal vert [2019, Actes Sud] : « Les gens ont faim qu’on leur montre un futur dans lequel le monde ne s’effondre pas » dit-elle [Libération | 3 nov. 2019]. elle propose, inspiré du New deal de Roosevelt en 1933, un “Nouveau traité vert” : « vaste plan d’investissement dans les énergies renouvelables visant à endiguer le réchauffement climatique tout en promouvant la justice sociale. » [Isabelle Hanne, Libération op.cit.]. Ce projet prenant en compte une réalité complexe, est une belle manière de repositionner la société industrielle sur de nouvelles bases.

L’histoire d’Homo sapiens est aussi faite de mobilité. Venu d’Afrique il y a environ 40 000 ans, il a commencé à habiter l’actuel continent européen alors peuplé seulement de quelques milliers de Néandertaliens et de Dénisoviens. C’est sans doute une sécheresse prolongée et le manque de nourriture qui l’ont poussé à entreprendre ce voyage dont la grande importance ne nous échappera pas. Une fois installé en Europe, il a continué à bouger au gré des périodes climatiques et de son développement en nombre, pour parvenir peu à peu à se sédentariser. Ce parcours de peuplement peut amener à “évoquer des proximités pour les déplacer” [P. Boucheron op.cit.] : les origines d’Homo sapiens ne seraient-elles pas en effet à rapprocher d’événements se déroulant actuellement entre l’Afrique et l’Europe ?

parapluie_web

 

De quoi ce parapluie peut-il bien protéger ? Peut-être du mauvais temps qui s’annonce… et pourquoi pas de l’arrogante hubris d’Homo sapiens symbolisée ici par ces impressionnantes constructions du quartier d’affaires de la Part-Dieu à Lyon…

Photo ©Enna Pator

 

 

Compléments

  • “La collapsologie est politiquement inoffensive”, à propos du livre de Catherine et Raphaël Larrère,  Le Pire n’est pas certain – Essai sur l’aveuglement catastrophiste, Océane Segura | éd. Premier Parallèle / 2020 | Les Inrockuptibles / 19 sept. 2020
  • “La collapsologie, une impasse réactionnaire”, Stéphanie Treillet | Attac / décembre 2020
  • ”Pour une étude critique de la collapsologie”, Maxime Pauwels | The Conversation / 4 février 2021
  • “65% des Français croient à l’effondrement imminent de notre civilisation”, Fabienne Marion | UP Magazine / juillet 2021

Bibliographie

  • Le pire n’est pas certain. Essai sur l’aveuglement catastrophiste, Catherine et Raphaël Larrère | éd. Premier Parallèle / 2020
  • Aux origines de la catastrophe. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Pablo Servigne, Charlotte Luyckx, Raphaël Stevens | éd. Les Liens qui Libèrent / 2020
  • L’entraide, l’autre loi de la jungle, Pablo Servigne, Gauthier Chapelle | éd. Les Liens qui Libèrent / 2019
  • Comment l’Empire romain s’est effondré, Kyle Harper | éd. La Découverte / 2019
  • « Convention Cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques » | COP25 / 2019
  • Devant l’effondrement. Essai de collapsologie, Yves Cochet | éd. Les Liens qui Libèrent / 2019
  • Plan B pour la planète : le New deal vert, Naomi Klein | éd. Actes Sud / 2019
  • Vivre avec les volcans, documentaire Arte France / 2019
  • L’Agroécologie peut nous sauver, Marc Dufumier, Olivier le Naire | éd. Actes Sud / 2019
  • Scénarios d’émissions. Rapport spécial | Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) / 2018
  • Le Monde selon Xi-Jinping, Sophie Lepault, Romain Franklin | documentaire ARTE / 2018
  • Une autre fin du monde est possible, Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle | éd. du Seuil / 2018
  • Le Mal qui vient. Essai hâtif sur la fin des temps, Pierre-Henri Castel | éd. du Cerf / 2018
  • Histoire mondiale de la France, Patrick Boucheron (sous la direction de) | éd. du Seuil / 2017
  • Une histoire environnementale de l’humanité, Laurent Testot | éd. Payot / 2017
  • « Nous sommes au moment le plus dangereux de l’histoire de l’humanité » | Stephen Hawking | RT-France.com / 2 déc. 2016
  • Comment tout peut s’effondrer, Pablo Servigne, Raphaël Stevens | éd. du Seuil / 2015
  • L’Alimentation en otage, José Bové, Gilles Luneau | éd. Autrement / 2015
  • La Zone du dehors, Alain Damasio | éd. La Volte / 2013
  • Du feu et de l’eau, Anne-Marie et Michel Detay | éd. Belin / 2013
  • Les limites de la croissance dans un monde fini, Dennis Meadows, Donella Meadows, JorgenRanders | éd. Rue de l’Échiquier / 1972 et 2012
  • Trente-trois questions sur l’histoire du climat, Emmanuel Le Roy Ladurie | éd. Pluriel / 2010
  • Planète blanche. Les glaces, le climat, et l’environnement, Jean Jouzel, Claude Lorius, Dominique Raynaud | éd. Odile Jacob / 2008
  • Manuel de la transition. De la dépendance au pétrole à la résilience locale, Rob Hopkins | éd. Ecosociété et Silence / 2008
  • Un Été sans soleil, documentaire de Elmat Bartimae, produit par France 2 / 2005
  • Effondrement, Jared Diamond | éd. Gallimard / 2005
  • Entretiens avec René Dumont, (livre posthume) Martine Leca, éd. Le Temps des cerises, 2004
  • L’aveuglement, José Saramago | éd. du Seuil / 1997
  • Voici le temps du monde fini, Albert Jacquard | éd. du Seuil / 1991
  • L’Utopie ou la Mort, René Dumont | éd. du Seuil / 1973
  • La Bible | École biblique de Jérusalem | éd. du Cerf / 1956
  • De la Nature des choses, Titus Lucrèce / 80 av. J.-C | (traduction en français : André Lefèvre | Société d’éditions littéraires / 1899. Wikisource)
  • La Désobéissance civile, Henry D. Thoreau | 1849 | préface et notes par Michel Granger, (traduit par Nicole Mallet | éd. Le Mot et le Reste / 2018)
  • Catéchisme des industriels, Claude-Henri de Saint-Simon / 1823 (numérisé Gallica-BNF)
  • Du système industriel, Claude-Henri de Saint-Simon / 1821 (numérisé Gallica-BNF)
  • Frankenstein ou le Prométhée moderne, Mary Shelley | éd. Lackington, Allen & Co / 1818
  • Essai sur le principe de population, Thomas Malthus | 1798 (éd. française, Flammarion / 1992)
  • Poème sur le désastre de Lisbonne, Voltaire / 1756 (Œuvres complètes, Garnier 1877)
  • Pline à son cher Tacite, salut ! Pline le Jeune / 79 (traduction Centre Jean Bérard / 1982)

6 réflexions sur “Critique de la notion d’effondrement global

  1. J’avais vu un film il y a pas mal de temps sur la vie au milieu des centrales nucléaires. Le nombre d’enfants difformes avait explosé mais tout le monde semblait en ignorer la cause, sauf les héros du film.

    J’aime

  2. merci pour votre commentaire, pas très optimiste, c’est le moins que l’on puisse dire… et avec beaucoup d’interrogations. Mais un mur ça se déconstruit et d’une manière ou d’une autre Homo sapiens trouvera des solutions, certainement avec pas mal de dégâts ! Votre propos me fait penser au livre « La Route », roman post-apocalyptique de Cormac McCarthy publié en 2006 aux États-Unis et édité en France en 2008 par les éditions de l’Olivier, a donné lieu à un film que je ne connais pas…

    J’aime

  3. Selon moi, nous sommes bel et bien face à un mur. On ne veut pas des énergies fossiles. Seulement voilà, les énergies renouvelables ne sont pas renouvelables puisque construites à partir de ressources limitées. Si on continue avec la 5G et la suite, il faudra coûte que coûte construire des centrales nucléaires. Un jour elles seront très nombreuses et il n’y aura plus personne pour démanteler ou surveiller les anciennes, sans parler des déchets radioactifs. La fin de l’ère atomique aura bien lieu, que les humains utilisent les bombes, les fusées ou pas. Les bébés naîtront difformes, les voisins des centrales vivront dans la peur en attendant leur probable cancer, etc. Si on refuse la sobriété, on est condamnés. Si on décide la sobriété, je doute que les 7 milliards d’humains que nous sommes trouvent une place au soleil. Tout simplement, ils ne savent pas faire, mais admettons qu’ils soient tous débrouillards, imaginez tous les urbains vivant au rez-de-chaussée…
    Au Japon, on travaille tous les jours de l’année, sauf 3 jours pour le nouvel an et quelques jours pour le 1er mai. Pour le premier mai, chacun veut descendre dans la rue pour profiter un peu du soleil. On voit ça aussi les jours de grands événements sportifs. On est pressés comme des sardines dans la rue. On se dit « vivement que tout ce monde retourne au travail, ça fera un peu de place pour bouger ».
    Ce sera ma conclusion. Nous sommes bien face à un mur. Chacun, en connaissance de cause, doit faire son choix.

    J’aime

  4. La Lettre politique | Laurent Joffrin | Libération – 1er avril 2020

    La fin du monde ?

    Yves Cochet, ancien ministre écolo, porte-parole du courant «effondriste» qui prévoit l’apocalypse avant 2030, se félicite dans le Monde sur un mode goguenard de la justesse de ses prédictions : «Avec mes copains collapsologues, on s’appelle et on se dit : « dis donc, ça a été encore plus vite que ce qu’on pensait ». » Pour lui, la crise du coronavirus pourrait bien déclencher l’effondrement annoncé. Qu’il anticipe si bien qu’il s’est retiré au nord de Rennes pour vivre sur un lopin de terre où il vise l’autosuffisance. Il a une réserve d’eau et de bois et envisage de cultiver lui-même ce qui sera nécessaire à son alimentation.
    Discrète objection à ce Cassandre à la mode de Bretagne : l’effondrement qu’il prophétise, selon les propres termes des collapsologues, passe par la dissolution de tout Etat digne de ce nom sous l’effet de la violence de la crise, qui contraindra l’humanité à s’en remettre à ses propres forces dans une société détruite. D’où son repli dans le réduit breton. Or les Etats n’ont en rien disparu. Au contraire, ce sont eux qui coordonnent la lutte contre le virus, à tel point que certains s’inquiètent à juste titre de leur omniprésence dans la vie des terriens confinés par la pandémie. Il est d’ailleurs très probable que les mesures d’exception prises partout sur la planète finiront par donner des résultats. On attend un pic dans la propagation du mal, puis une décrue. On débat déjà des moyens de sortir intelligemment du confinement et on s’attelle à combattre la récession qui suivra immanquablement la mise à l’arrêt des économies.
    C’est toujours le problème des Cassandre. Dans la mythologie, la jeune Troyenne qui annonce les catastrophes est victime d’une malédiction des dieux : elle prédit toujours l’avenir avec justesse – la mort de Patrocle, la ruse du cheval de Troie, la chute finale de la ville de Priam – sans être jamais écoutée. Mais tout se gâte dans la fable si elle se trompe. Dans ce cas, on aura eu raison de ne pas l’écouter. C’est le danger qui guette Cochet : si le monde fait preuve de résilience et surmonte la crise du coronavirus, il aura joué pour rien les prophètes de malheur, érodant d’autant la nécessaire vigilance envers la crise climatique qui nous menace par ailleurs. A trop crier au loup…
    Comme tant de responsables politiques, Cochet est victime d’un classique biais cognitif, le biais de conviction. Il sélectionne dans le réel les faits qui vont dans son sens et oublie les autres. L’atmosphère lugubre qui prévaut sur cette planète confinée a effectivement un air de fin du monde. Mais la pandémie de coronavirus a peu à voir avec une crise écologique (ce qui laisse entier l’impératif de lutte contre le dérèglement climatique). Le virus est passé de l’animal aux humains : c’est la nature qui agresse les hommes et les femmes et non le contraire. Sa propagation a été facilitée par l’intensité des échanges née de la «mondialisation libérale». Mais par le passé, quand la mondialisation était moins présente, les virus se propageaient aussi, avec des pertes humaines très supérieures (voir la Grande Peste ou la «grippe espagnole»). Ce sont d’abord l’avancée de la science, l’excellence technologique et la force des Etats modernes qui fourniront les meilleures armes contre le virus, non la défiance envers le progrès humain propre aux «effondristes».
    Ce qui ne change rien à l’urgence écologique. C’est là qu’on peut espérer une prise de conscience. Le confinement fait réfléchir sur l’échelle des valeurs qui structure nos sociétés. Il promeut – on le souhaite, en tout cas – les valeurs collectives d’entraide et de coopération, l’importance des services publics et des «biens communs» contre le matérialisme individuel qui domine les esprits contemporains. Pour combattre le réchauffement climatique, ces valeurs seront décisives. La crise héroïse les travailleurs modestes qui risquent leur vie pour maintenir les services essentiels, à commencer par les personnels de santé, dont le dévouement au bien commun est soudain mis en exergue. Elle suggère une planification lucide du modèle de développement pour sortir des énergies fossiles, une préservation des industries stratégiques qui garantissent la souveraineté nationale (l’industrie pharmaceutique, par exemple, dangereusement dépendante de la Chine pour certains matériels). Elle met surtout en évidence les cruautés de l’inégalité et replace au premier plan la question sociale. Mais de cela, tout à ses fascinations apocalyptiques, Cochet ne parle pas.

    Aimé par 1 personne

  5. En lisant votre article sur l’effondrement j’ai pensé au « Kali Yuga », au « Mene, mene, Tekel Upharsim » et au philosophe Allemand Hans Jonas, bref c’est un sujet interminable et je vous trouve courageux d’essayer de voir les choses globalement. Je veux de plus en plus me limiter à quelques initiatives dans le cadre de Terre de Liens en notre groupe Européen Access to Land.
    Les événements et grand récits m’embrouillent et peuvent avoir un effet paralysant. Voici une passage d’une lettre d’un vieil ami, qui m’écrivait en 2002 : « Je me demande s’il n’y a pas une dose d’illusions et d’inconscience dans l’espoir que nous pouvons « faire quelque chose » dans le sens d’un redressement. Ce dernier, j’en suis persuadé, est illusoire et condamné par l’action des forces négatives et adverses.
    L’action que vous menez ne peut se justifier, me semble-t-il, que chez des hommes qui savent qu’ils seront perdants. C’est une réaction du désespoir. Je pense au vers de Dante, l’inscription portée sur la porte de l’Enfer : « Vous qui entrez, lâchez toute espérance ». C’est le combat de Don Quichotte ! Croyez bien que mes propos ne sont pas destinés à vous décourager, mais à vous faire prendre conscience du caractère dramatique et noble d’un combat perdu d’avance. Rappelez-vous : « il faut que le scandale arrive…. mais malheur à ceux par qui il arrive…. ». Je pense ici au titre du sermon de Maître Eckhardt : « l’homme noble ». La noblesse ne peut se définir autrement que par l’acceptation de la défaite dans le juste combat et de la mort qui peut en résulter. »
    Les choses sont moins absolues telles que je les décris ! Nous vivons avec nos contradictions et il faut essayer de choisir et de trouver son chemin.
    Bref vos activités m’ont inspiré à écrire cette petite lettre.
    Sjoerd Wartena, co-fondateur de Terre de liens

    J’aime

  6. Pingback: Autosuffisance alimentaire : les défis de l’agriculture urbaine et rurale au-devant des risques climatiques | idées à explorer

Laisser un commentaire