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Quel est l’intérêt de rapprocher dans le titre deux expressions utilisées avec 10 ans d’écart par deux candidats du Parti socialiste, Ségolène Royal en 2007, Benoît Hamon en 2017, parvenus à l’investiture un peu à la surprise générale ? Déjà une curiosité historique: qu’est-ce qu’ils ont ou non en commun? Ensuite ils parlent du désir, ce qui n’est pas très fréquent en langage politique. Enfin, par comparaison, c’est un moyen de se poser quelques questions à propos du projet politique de B. Hamon, là où il en est début mars 2017.
Le désir en politique est une très vaste question qu’il conviendrait, si nous en avions les moyens, d’aborder avec prudence tant la libido du politique peut souffrir d’un manque de passion (cf. “Avec Benoît Hamon, le retour du mot “désir” au cœur d’un discours politique”, Libération, — 28/01/17) ; ce qui semble être le cas depuis quelques temps, et pour certains il est même question “d’acédie”, c’est-à-dire de torpeur, voire de dégout, conduisant à regarder passivement la politique comme un spectacle, rarement drôle, mais malgré tout attirant puisque les débats télévisés des primaires ont eu une bonne audience.
Mais “savons-nous toujours ce que nous désirons?” tel était l’un des énoncés du bac philo (section ES) en 2016. La réponse devait ou doit être évidente pour deux candidats investis par le Parti socialiste et qui, à 10 ans d’écart, font du désir le grand titre de leur projet politique de conquête du pouvoir présidentiel : “désir d’avenir” associé au “vrai changement” pour Ségolène Royal en 2007 et “futur désirable” associé à “faire battre le cœur de la France” pour Benoît Hamon en 2017 ; donc deux formulations assez proches. Pour autant, leurs intentions ont-elles d’autres points communs en sachant qu’en 10 ans la situation économique, sociale… a sensiblement changé, avec la crise bancaire et financière de 2008 par exemple. Les sources de cette réflexion sont: pour S. Royal son grand discours programmatique (2 heures) prononcé à Villepinte le 11 février 2007 et pour B.Hamon son discours d’investiture (1 heure) à Paris le 5 février 2017, plus quelques articles de presse de la même période, ce qui fait que le projet de B. Hamon a pu être complété depuis.
Ce qu’ils ont déjà en commun, c’est d’avoir été désignés par une primaire, certes interne au PS pour S. Royal, mais fortement médiatisée à l’époque; et surtout, après leur investiture, de ne pas avoir un soutien franc et massif de l’ensemble de leur parti politique: pour S. Royal, tout particulièrement parmi les caciques du PS ; ainsi par exemple à propos de Dominique Strauss Kahn: “Il est totalement loyal mais pas totalement Royal!” (l’Express, Elis Karlin, 28-12-2016); et pour B. Hamon quelques personnalités du PS (par exemple Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon, et sa cour) se rallient à E. Macron ou trainent vraiment les pieds pour faire campagne.
Notons déjà une légère différence de style: S. Royal est portée à utiliser le “moi présidente” et le “je veux” et le “il faut”, alors que B. Hamon semble plus collectif avec l’usage du “nous” et en faisant preuve d’une approche moins volontaire avec de fréquents “je propose” ou “je proposerai”.
Mais abordons le fond avec une question, qui a dit: “Aujourd’hui, voici venu le jour de vous dire comment j’entends répondre à ces crises qui minent notre société et qui instillent dans ses veines le terrible poison du doute, de la résignation et parfois de la colère, mais aussi comment permettre à la France de saisir toutes ses chances, et elles sont nombreuses, de libérer tous ses talents et toutes ses énergies. Avec moi plus jamais la politique ne se fera sans vous! […] Nous allons agir ensemble, nous allons ensemble faire que la France se retrouve et que chacun l’aime et se retrouve en elle et accomplisse le changement profond, une autre façon de voir les choses car le temps n’est plus au colmatage, aux accommodements avec des systèmes qui ne fonctionnent plus. Il nous faut tout revoir, tout repenser et ne craindre, ni d’imaginer, ni d’inventer.”
Ce pourrait être B. Hamon, mais c’est bien S. Royal qui parlait ainsi à Villepinte: “Je suis heureuse de voir toute la famille de la gauche rassemblée et vous tous et toutes aussi nombreux que je salue du fond du cœur.” Ce à quoi B. Hamon répond qu’il veut aussi « rassembler toute la gauche en se tournant vers l’avenir » tout en précisant que “ma campagne déborde les appareils. J’ai mis sur la table un projet politique à long terme” (Le Monde.fr 4/02/2017). Certains membres du PCF semblent avoir entendu cet appel et poussent dans le sens d’un rapprochement avec J-L.Mélenchon le candidat de la “France insoumise”, mais il est vrai que quelques sièges de députés sont en jeu, c’est aussi ô combien valable pour les Verts; “cuisine” d’appareils qui n’a pas grand chose à voir avec la démocratie alors que le propos se veut rassurant : “ça ne peut pas être une affaire de partis: nous devons associer les citoyens pour savoir quel projet nous voulons pour la France” (Pascal Savoldelli, PCF. Le Monde.fr 7/02/17). Mais comment associer les citoyens ?
Associer les citoyens… 
Louable intention que S. Royal avait mise en œuvre dans une phase de “démocratie participative” en utilisant abondamment internet dès le printemps 2006, chacun pouvant exprimer des idées et des propositions dans les nombreux sites “Désir d’avenir”, avec comme aboutissement en janvier 2007 la rédaction, non de “cahiers de doléances” (1789), mais des “cahiers d’espérance”: “Plus de deux millions d’entre vous sont venus dire ce qu’ils avaient sur le cœur et que la société politique n’entendait plus assez […] C’est forte de cette phase d’écoute et soucieuse de respecter votre effort pour prendre la parole que je me sens en mesure aujourd’hui de vous proposer plus qu’un programme, un contrat présidentiel.”
Pour B. Hamon, si les mots employés et les énoncés ne sont pas les mêmes, en revanche les intentions paraissent identiques quand il affirme vouloir “permettre aux citoyens de faire irruption dans le processus démocratique”. Mais faute peut-être de temps, il réduit quelque peu la voilure et actualise la participation avec la création d’une plateforme collaborative internet où chacun peut proposer, discuter (25.800 contributions en deux semaines d’ouverture) et d’un conseil citoyen de 40 personnes tirées au sort parmi celles qui ont fait acte de candidature. Ce conseil est chargé de faire la synthèse des contributions et d’en dégager des propositions “pouvant alimenter la réflexion sur le programme”; il se réunit deux weekends au cours du mois de mars 2017 avec l’aide d’une équipe d’experts, et “dix défis à relever ensemble”. Il s’agit, non de remettre en cause le socle du programme, mais de l’enrichir. “Le projet présidentiel que nous proposons ne repose pas sur la croyance en l’homme providentiel. […] Notre projet de transition, qui pense les mutations du travail, l’urgence écologique, démocratique et sociale doit être construit en commun.” Mais à qui les candidats cherchent-ils plus particulièrement à s’adresser ?
Quels citoyens ?
Pour promouvoir un produit les experts en communication parlent de “cibles”. La politique n’y échappe pas, surtout quand elle fait campagne, le produit à valoriser étant un programme électoral avec des objectifs plus ou moins précis à atteindre et il convient, directement ou par médias interposés, de convaincre une majorité d’électeurs et d’électrices de la pertinence du produit bien entendu nettement meilleur que ceux des concurrents. Dans ce “marché” électoral, les candidats, “managés” par leurs consultants en “com”, précisent leurs cibles prioritaires : qui faut-il convaincre en premier ? C’est sans doute là qu’apparaît la plus grande différence entre les deux candidats.
En citant plusieurs exemples, S. Royal développe longuement “le lien social qui se délite”, et fait part de sa colère “quand on sait qu’il y a sept millions de pauvres en France […] Ces cris de détresse silencieuse, ces pauvres vies brisées, ces familles humiliées, ravagées par la misère et l’injustice, ces destins marqués au sceau d’une malédiction qui ne dit pas son nom, c’est tout cela que j’ai à l’esprit, là, à l’instant de m’adresser à vous, et c’est cela qui me donne le désir de me battre, de vaincre et de proposer cette politique d’alternance qui seule sera capable de surmonter les crises […] C’est l’homme qui crée la misère, mais c’est aussi l’homme qui peut aussi la détruire”, dit-elle en évoquant Joseph Wrésinski, fondateur d’ATD Quart-Monde il y a 60 ans; vaste mouvement dans lequel œuvrent de nombreux bénévoles pour: accompagner des hommes et des femmes dans la (re)conquête de leur dignité, alerter l’opinion et les politiques afin de refuser ce mal endémique de la pauvreté en agissant sur ses causes. S. Royal insiste également beaucoup sur les mauvaises conditions de travail d’un grand nombre d’ouvriers et d’employés, les bas salaires, les écarts de salaires entre hommes et femmes, le défi d’un logement correct pour tous… “Ces désordres sont insupportables. On est bien obligé de se dire que tout cela est comme une cicatrice sur le corps d’un pays qui a pourtant la plus belle devise du monde: liberté, égalité fraternité.” Une grande partie du programme de la candidate socialiste a ainsi été déterminée par le choix de s’adresser prioritairement aux classes populaires, manière aussi de chercher à contrer l’impact du Front national qui commençait à se développer de façon inquiétante.
Pour B. Hamon, la “cible” de son discours d’investiture est, non à l’opposé, mais pour le moins différente. Une seule allusion aux “personnes mécontentes. […] Il s’agit de transformer cette colère en une aspiration à construire quelque chose qui nous dépasse, nous transcende et nous tourne vers l’avenir”. Et cet avenir est, dit-il, représenté dans le film césarisé Demain (réalisé par Cyril Dion et Mélanie Laurent) : “Quand on voit un film comme “Demain” on comprend que sans attendre les États, des millions d’êtres humains ont pris leur destin en main. Je veux incarner la correspondance politique à ces innovations sociales citoyennes, écologiques et solidaires.” (Le Monde.fr, entretien, “Je ne serais pas un candidat ligoté”, 4/02/17) Lors de son investiture, en faisant référence au prophétique Pierre Rabhi, B. Hamon confirme cette approche: “Nous avons les clés pour faire en sorte que les choses changent […] Ce qui se pose là, c’est les conditions dans lesquelles nous allons vivre, dans lesquelles vivront nos enfants […] Je crois dans l’intelligence collective. Je crois dans notre capacité collective et démocratique à proposer des solutions.”
B. Hamon vise donc très clairement l’électorat de la “Sobriété heureuse” prônée par P.Rabhi, cet électorat qui a les moyens et la culture pour faire le choix de modes de vie écologiques en matière de travail, d’alimentation, d’habitat, d’énergie, de transport, etc. Si cette population du « bien vivre », de la société du “Buen Vivir” pour faire tendance…, semble être la plus porteuse des aspirations à la transition écologique et des innovations qui lui sont liées, peut-elle cependant constituer une base sociale suffisante pour faire majorité ? Certainement pas, en effet le mouvement issu d’une conscience commune disons écologique, à peine amorcé, n’est pas en mesure aujourd’hui de rendre largement crédible la prophétie de la sobriété heureuse aussi intéressante puisse-t-elle paraître. Cette orientation, si elle demeurait prioritaire, présente au contraire le risque d’éloigner du candidat les “gens de peu” dont parlait S.Royal, les “sans…”, qui constituent selon André Gorz (Adieux au prolétariat, 1980, Galilée) “le prolétariat post-industriel” mais que rien n’agrège dans un vaste mouvement homogène, sinon de façon très minoritaire: DAL (Droit au logement), AC! (Agir ensemble contre le chômage, etc.), c’est-à-dire ceux et celles dont les préoccupations quotidiennes relèvent avant tout de “la sobriété malheureuse” subie, et sont prioritairement animés par une demande de protection et d’égalité dans tous les domaines, en espérant que les fins de mois ne soient pas constamment source de multiples inquiétudes et d’endettements insupportables (cf. “Soit le loyer, soit manger”, Le Monde, Lucie Soullier, 6/03/17), ce qui, admettons-le, ne dessine pas vraiment un futur désirable. Actuellement cet électorat, s’il ne s’abstient pas, penche dangereusement vers la candidate du Front national.
Toutefois, il semblerait que cela ait été entendu, et plusieurs journalistes de Médiapart en font état dans un long article: “Comment le fantôme du Front national pèse sur la campagne” (26-02-17), ils écrivent : “Sur le fond, l’équipe du candidat planche sur les axes de campagne que B. Hamon devra développer pour tenter de contenir le vote FN dans les milieux populaires, notamment autour des services publics, de la souffrance au travail ou du vieillissement de la population. Avec, à chaque fois, l’idée d’y apporter plus de sécurité et de protection. ‘Il ne faut pas seulement être dans la bataille de qualification pour le premier tour, prévient J.Guedj. Il faut aller chercher le FN sur la confrontation programmatique et faire sortir des sujets sous la toise médiatique, mais au cœur des préoccupations des Français.” Le candidat Hamon devrait donc rapidement compléter son programme, pourquoi pas en s’associant à J-L.Mélenchon plus proche de ces réalités, mais le temps est compté…
Les programmes
Le programme de B. Hamon n’étant pas encore terminé, il n’est pas possible de proposer ici une comparaison exhaustive et détaillée avec celui de S. Royal. Toutefois si l’on s’en tient aux quatre thèmes (l’écologie, la révolution numérique du travail et le revenu universel d’existence (RUE), l’Europe, la démocratie) abordés par B.Hamon lors de son discours d’investiture, les points communs paraissent nombreux.
- travail et protection sociale : en attendant une hypothétique mise sur orbite de la fusée RUE pour tous, B. Hamon propose de déclencher un premier étage dès 2018 pour les 18-25 ans “parce que justement ils expérimentent les bouleversements du travail, parce qu’ils ont besoin de l’autonomie pour pouvoir se projeter dans l’avenir”. Alors que S.Royal voulant “être la présidente du travail pour tous” proposait : une sécurité sociale professionnelle (idée avancée par la CGT), un revenu de solidarité active à la place du RMI (ce qui a été fait depuis) et pour les jeunes sans ressources “une allocation d’autonomie d’entrée dans la vie active en contrepartie d’une obligation de formation sérieuse”. La différence entre les deux candidats est à situer entre l’inconditionnel de la proposition Hamon et le conditionnel ou le “donnant/donnant” des propositions Royal, c’est une problématique importante du débat sur le RUE. Par ailleurs, toute proposition de cet ordre ne devrait-elle pas être étudiée au regard de la réduction des inégalités économiques et sociales, dont la pauvreté est la partie la plus visible (aujourd’hui 8,5 millions de personnes entrent dans cette catégorie) ? Je suis loin d’être certain que le RUE offre réellement cette possibilité: “Il comblera les vœux des plus libéraux qui l’ont conçu dans la tradition de Milton Freidman afin de “libérer” complètement le marché de toute contrainte sociale. […] Ce serait un puissant instrument de dérégulation du marché du travail, qui n’en a pas besoin pour se dégrader davantage. Tout se tient. Un médiocre revenu de subsistance accomplit la prophétie négative de la fin du travail en découplant complètement travail et protection. Instaurer une nouvelle articulation du travail et des protections, par exemple à travers une sécurisation des parcours professionnels, représente au contraire la seule manière de sortir par le haut du chômage et de la précarité.” (Robert Castel, entretien, Alternatives économiques N°285, novembre 2009)
- l’écologie occupe une place centrale pour B. Hamon : premier point de son discours auquel il consacre le plus de temps (22 m.); alors que S. Royal parlait, non d’écologie, mais d’environnement et seulement en huitième position après la réforme de l’État, l’ordre économique, le travail, le logement, l’éducation, la santé, la sécurité; avant l’agriculture et l’Europe. Elle déclarait que la “France sera le pays de l’excellence environnementale […] Vous ne voulez plus de cette irresponsabilité qui détruit la planète, qui laisse la biodiversité s’épuiser et qui ne prépare pas l’après pétrole”. Pour B. Hamon, autoproclamé “candidat de l’écologie politique”, la transition écologique est la priorité des priorités: “si nous ne prenons pas le tournant de la conversion écologique, nous allons rater un grand rendez-vous proposé à la gauche dans son histoire. Cette transition je l’engagerai radicalement […] On ne peut négocier avec la nature.”
- l’État est à réformer: de fond en comble pour B. Hamon avec une nouvelle Constitution et donc une VIe République, “simplement pour dire que cela fait maintenant 70 ans que nous vivons avec la Ve. Il est temps maintenant d’engager une nouvelle ère politique et démocratique s’appuyant sur des respirations, sur des contre pouvoirs”. S. Royal n’évoquait pas une nouvelle constitution mais une réforme en profondeur: “ensemble, nous allons donner un coup de jeune à cet État colbertiste, jacobin, centralisé à l’excès […] Ensemble, nous allons mettre l’État à l’heure de ce désir d’autonomie, de responsabilité civique et de liberté que j’ai senti monter d’un bout à l’autre de la France.”
- La démocratie: beaucoup de proximité sur ce point. Il s’agit pour B. Hamon de la “faire respirer. Des citoyens demandent à ne plus être invisibles entre deux élections. […] On doit donc trouver des moyens qui permettent aux citoyens de participer à l’élaboration de la loi et à certains moments ils doivent pouvoir reprendre la main, c’est ma proposition du 49.3 citoyen: que le peuple puisse faire irruption dans les processus démocratiques!” Pour S. Royal “les citoyens pourront faire examiner par le Parlement une proposition de loi qui aura recueilli un million de signatures. Le développement des jurys citoyens et des budgets participatifs sera encouragé, et le référendum d’initiative populaire sera instauré.”
- L’Europe: les deux candidats sont loin d’un Brexit, mais envisagent cependant de grandes réformes. B. Hamon: “l’hostilité de D. Trump à l’égard de l’Europe, qui fait écho à celle de Poutine, la fragilité du projet européen, nous mettent dans une situation inédite. Ce moins d’Amérique nous amène à devoir resserrer les rangs et j’aspire à un nouveau traité européen avec quatre axes prioritaires: une défense européenne, un traité de l’énergie, un investissement de 1.000 milliards d’euro dans la transition écologique, une régulation démocratique par l’assemblée parlementaire”; et la politique européenne ne doit pas se baser “sur un retour hypothétique de la croissance qui ne vient jamais” (le Monde.fr, 4-02-17). À l’inverse, S. Royal fixait un objectif de croissance à l’Europe qui “doit rester la grande ambition et la grande réalisation du XXIe siècle […] L’Europe que je veux doit élever le niveau de tous les pays et chaque individu et non pas les abaisser […] Il faut mettre en place un gouvernement économique de la zone Euro pour une politique de croissance coordonnée […] Cela prendra peut-être du temps, mais peut-être pas, si un jour tous les salariés d’Europe se lèvent et exigent d’autres règles, d’autres critères.”
- la finance, la grande absente ! Était simplement évoquée dans une courte phrase par S. Royal: “le règne sans fin du profit financier est intolérable à l’intérêt général”, alors que B. Hamon ne prononce même pas le mot (toujours en référence à son discours d’investiture).
Pourtant son prédécesseur, François Hollande, en avait fait son seul adversaire lors de son grand discours du Bourget le 22 janvier 2012: “Avant d’évoquer mon projet, je vais vous confier une chose. Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire que est mon adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. Sous nos yeux, en 20 ans, la finance a pris le contrôle de l’économie, de la société et même de nos vies. […] Cette emprise est devenue un empire.”
F. Hollande avait fait sensation et suscité une telle attente en France et en Europe, qu’il n’avait plus guère le droit à l’erreur. Mais l’empire ne s’est pas laissé faire et l’adversaire est très loin d’être terrassé malgré quelques légères avancées avec la loi bancaire de juillet 2013 : “le gouvernement a mis en place les axes essentiels de la régulation G20 : des banques avec davantage de capital (ce qui permet d’amortir les pertes en recourant moins à l’argent public) et des produits financiers toxiques mieux contrôlés. Il a aussi soutenu l’avancée de l’Europe vers l’Union bancaire, qui contribue à mieux surveiller les risques. Mais la déception se nourrit d’un engagement à minima et du sentiment d’une appétence plus grande à défendre les banquiers plutôt que l’intérêt général.” (Christian Chavagneux, “Régulation financière: désillusion”, Alternatives économiques N° 364, janv.17).
Ainsi, la toute puissante finance mondialisée demeure un nœud gordien bien entretenu par des néo-libéraux qui fondent leur politique économique sur la théorie du ruissellement. Cette théorie veut que la richesse mondiale détenue par une très petite minorité profite à tout le monde, y compris aux plus pauvres, par une multitude de petits ruisseaux: production et consommation de biens et de services appelant à la création d’emplois, impôts (le moins possible)… On pourrait en déduire que plus les riches sont riches, moins les pauvres sont pauvres! Ce qui est très loin de se vérifier dans les faits car il arrive fréquemment que des ruisseaux se tarissent ! Une étude récente ( OCDE “Les inégalités restent élevées…” nov.2016) “montre que les inégalités de revenu sont à des niveaux historiques, depuis 30 ans que les données existent, et plus intéressant encore, que la légère reprise de croissance de ces trois dernières années profite plus aux ménages les plus aisés… Les 10% les plus riches ont vu leurs revenus augmenter de 2.3% et les moins aisés de 1,1%” (“Favoriser les riches, est-ce bon pour les pauvres?” Marie Viennot, France-Culture, 9/01/17)
On ne peut donc pas ignorer les questions posées par cet empire de la finance mondialisée ruisselante d’inégalités et de perversions inadmissibles: délocalisations, transferts de capitaux, fraude fiscale à grand échelle, salaires pharaoniques… Un programme politique ne peut faire l’impasse sur cette réalité totalitaire et doit pouvoir préciser ce qu’un pays comme la France peut entreprendre déjà sur son territoire, et participer à la construction d’instruments de régulation internationaux beaucoup plus contraignants que les actuels.
Le changement, c’est maintenant ?
Il y a bien longtemps en 1972, le PS avait inscrit en tête de son programme politique: “Changer la vie”, titre que l’on retrouvait dans le premier chapitre du Programme commun de la gauche qui inspirera nettement les “110 propositions” du candidat François Mitterrand en 1981. C’est également le titre de ce que fut l’hymne officiel du PS, chanté pour la première fois au congrès de Nantes en juin 1977: “C’est aujourd’hui que l’avenir s’invente/ Changeons la vie ici et maintenant” (refrain). Mais à partir de 1983 le PS ne change plus la vie, il s’adapte à la mondialisation tout en conservant l’idée du changement mais sans en préciser l’objet : en 2007 S. Royal a pour slogan “le changement, le vrai!”, alors que pour F.Hollande en 2012 “le changement c’est maintenant” et B. Hamon en a semble-t-il les clés: « Nous vivons dans un monde qui n’a jamais été aussi anxiogène, aussi menaçant. Nous avons les clés pour faire en sorte que les choses changent. »
Économie, social, écologie
Nous venons d’évoquer quelques unes des clés proposées par B.Hamon, certaines sont à préciser, d’autres restent à trouver… Rappelons simplement qu’en 1981 F. Mitterrand était devenu président avec un programme nettement centré sur un important interventionnisme économique et sur la recherche d’une plus grande justice sociale. S. Royal, nous l’avons vu, amplifie la dimension sociale et introduit l’écologie dans ses propositions, quant à F.Hollande il a su convaincre et rassembler toujours sur ces mêmes thèmes.
Ces thèmes doivent rester les piliers du récit politique de la gauche de gouvernement, tout en les adaptant aux grandes transformations en cours sur la planète Terre. Ce que B.Hamon a bien saisi, mais à trop s’afficher, après le retrait de Y. Jadot, en candidat de l’écologie politique, “je vais pouvoir m’adresser aux Français et retrouver ma liberté […] Je suis désormais le candidat de l’écologie politique” (le Monde.fr 24/02/17), il prend le risque qu’une bonne partie de l’électorat ne le voit qu’en vert ! Aussi doit-il intégrer plus clairement l’économie et le social, et se présenter comme le candidat de l’économie, du social et de l’écologie, ces trois éléments constituant un TOUT indissociable -si je parle de l’un je ne peux ignorer les autres- et fondateur d’un récit politique s’adressant à toutes les composantes de l’électorat. Il s’agit donc non seulement de “faire gagner l’écologie” comme n’arrête pas de le répéter EELV, mais de faire gagner ensemble l’économie réelle, la justice sociale et l’écologie. C’est me semble-t-il la condition politique pour espérer passer le premier tour, ce qui est très loin d’être acquis à ce jour.
Le graphique des résultats de la gauche aux élections présidentielles depuis 1965 montre que la victoire n’est pas nécessairement liée à un score élevé de l’ensemble de la gauche au premier tour, cependant un minimum d’au moins 43% semble requis, ce qui n’est pas le cas pour 2017 puisque d’après les sondages et sans compter E. Macron, il serait actuellement à peine de 35%.
Notons aussi que la dispersion des voix à gauche n’est pas nécessairement un facteur déterminant pour être présent au 2e tour : en 1981 et 1988 la gauche avait six candidats, sept en 2002 et 2007, cinq en 2012 ; en 2017 ils ne seront vraisemblablement que trois (Nathalie Arthaud, Benoît Hamon, Jean-Luc Mélenchon), ce qui ne veut pas dire pour autant que l’un d’eux arrivera en seconde position. Alors “chronique d’une défaite annoncée”? “Il n’y a pas un truc particulier à faire, à part échanger avec les électeurs. Je vis plus la campagne qui vient comme une étape dans la reconquête de la confiance et de la recomposition de la gauche.” (Barbara Romagnan, députée du Doubs, dans Médiapart 26-02-2017). Recomposition… un mot et tout serait dit ! Il est aussi bien souvent question de refondation ou de réinvention, quelques exemples sur dix années :
- mai 2007, Dominique Strauss-Khan : “Trois ruptures pour une refondation de la gauche”
- mai 2007, Jacques Julliard : “Réinventer la gauche, les conditions de la survie”
- 2008, Trait d’union (PS-J.L.Mélenchon) : “Réinventer la gauche”
- juin 2008, Jean-Pierre Chevènement : “Appel à une refondation de la gauche”
- août 2016, Clémentine Autain : “Ensemble! La refondation de la gauche en point de mire”
- sept. 2016, Philippe Noguès : “L’échec du quinquennat impose à la gauche une refondation historique!”