Palestine : un État

Sous-titres : Hébron |  Faire le Mur, et le défaire | L’État des juifs ou l’État juif ? | Les colonies aux toits rouges | Vie économique en Palestine | Résistance palestinienne | Quelles solutions ?

Voir également : Palestine, la stratégie du grignotageApeirogon, Palestine – Israël
Les citations de personnes rencontrées en Palestine apparaissent en italiques mais sont rarement nominatives pour des raisons de discrétion. Les transcriptions ne sont pas du mot à mot.

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Le regard que l’on porte généralement sur le conflit israélo-palestinien est nécessairement influencé par les persécutions antisémites et la Shoah de la première moitié du XXe siècle, ce qui peut toutefois conduire à exonérer l’État d’Israël de toutes responsabilités dans les actes de guerre qu’il commet depuis 1947. Or ce conflit est un long processus qui a commencé à se mettre en place à la fin du XIXe siècle avec la création du sionisme, mouvement mondial qui s’est donné pour but de faire aboutir ce qu’il juge comme un droit historique : occuper la terre de Palestine, « il n’y a pas de discussion en Israël à propos de nos droits historiques sur la terre d’Israël. Le passé est immuable et la Bible est le document décisif qui détermine le destin de notre terre » [Shimon Perez, New York Times, 6 août 1978].

Ce séjour a pu se réaliser avec l’appui d’une association militante de la région lyonnaise : Couleurs Palestine. Cette association cherche à faire connaître la réalité de ce pays, pour cela elle informe par différents canaux, incite à s’y rendre et encourage le développement d’échanges commerciaux en soutenant l’action du Philistin, association et société commerciale qui fait en France la promotion de produits d’origine exclusivement palestinienne, principalement l’huile d’olive et la céramique.

Quand se dessine un projet de voyage rassemblant un certain nombre de personnes, Couleurs Palestine met ce groupe en relation avec Diwan voyage, une agence palestinienne créée par Sabri Giroud, archéologue de formation et dont la connaissance de l’histoire et de la réalité de son pays d’adoption est remarquable. Il travaille actuellement avec Muhammad Mustafa, urbaniste de formation, ce qui lui permet d’expliquer avec précision la stratégie ‘’d’enclosure’’, ou d’encerclement, voulue par Israël pour isoler des quartiers et des villages palestiniens, j’en reparlerai. Mustafa est également féru en histoire des religions, dimension importante pour mieux comprendre la réalité d’un pays berceau du monothéisme. Avec de tels guides, parcourir les chemins de la Palestine ne peut être que passionnant… et si le sens premier de Diwan (à ne pas confondre avec diwan en breton et qui veut dire germer) c’est le divan, c’est aussi la rencontre, ce qui fut on ne peut plus le cas avec des hommes, des femmes, des enfants, heureux de nous voir, de parler de leur vie, avec un grand désir de reconnaissance et de soutien.

Je n’ai aucune intention de faire un rapport qui se voudrait objectif sur la situation complexe et contradictoire d’un territoire déchiré. En soutenant la cause palestinienne depuis longtemps, il est évident que j’ai un parti-pris et ce séjour n’a fait que le renforcer : la Palestine est un pays occupé militairement et si je reconnais l’existence d’Israël comme État indépendant, je ne peux admettre une colonisation de peuplement conduite en Cisjordanie et à Jérusalem, surtout depuis 1948, avec la volonté manifeste de faire ‘’craquer’’ les palestiniens et d’annexer à terme l’ensemble de ce territoire, la toute première violence est là, « c’est toujours l’oppresseur, non l’opprimé, qui détermine la forme de la lutte’[1] [Nelson Mandela, 1995]

Hébron

En parcourant les chemins de la Palestine – parcours rendu compliqué par un maillage subtil de routes dont certaines sont à l’usage exclusif des colons obligeant les palestiniens à de grands détours ; compliqué également par des check points humiliants pour des palestiniens devant poiroter plusieurs heures pour se rendre à leur travail -, on prend vite conscience d’une forte présence militaire aux pouvoirs exorbitants, agressive, assurée le plus souvent par de jeunes soldats hommes et femmes, hautains, au visage fermé et qui manifestement vivent dans la peur. ‘’La violence ordinaire de la conquête’’ titre le Monde [8 janv. 2014] évoquant ‘’le livre noir de l’occupation israélienne’’ : « En filigrane de cette histoire émerge la culture de l’occupation, cette ambiance délétère, faite d’ennui, d’impunité tacite et de sentiment de toute-puissance, qui prive peu à peu les jeunes appelés de leur morale. ‘’Au début, tu as l’impression d’être une espèce de nazi, raconte un soldat. Puis, au bout d’un moment, tu oublies cette idée (…). Alors tu suis le mouvement. Et ça te rend dingue. Vraiment’’[2] [Breaking the Silence, 2013]. Pourtant cette représentation-là peut être très légèrement atténuée au hasard d’une brève rencontre à Hébron, l’une des villes la plus militarisée de la Palestine occupée. À un checkpoint un jeune soldat souriant nous aborde : « je suis français, originaire de Dijon et je me suis engagé pour trois ans dans l’armée israélienne. » Il semble heureux de pouvoir parler avec nous et une tentative de conversation s’amorce : « je suis de religion juive et après le Bac je voulais connaître et défendre Israël, mon choix est politique. Cela fait bientôt un an que je suis là, sans aucun regret. Quand je ne suis pas de garde ici, je vais à Tel Aviv où vivent mes grands-parents. Au bout de mes trois années, je ne sais pas encore si je reviendrai en France… » Aux questions : « vous êtes 2.000 soldats à Hébron pour protéger 600 colons particulièrement violents, pourquoi sont-ils là ? Pourquoi êtes-vous là ? Vous vous rendez compte de l’absurdité de cette situation ?… », il opposera un grand silence… Comment pouvait-il en être autrement sous le regard d’autres soldats et dans une ville en grande partie cadenassée, murée ?

‘’Mais on se croirait en prison !’’, ai-je entendu dire. Il est vrai que l’on peut se sentir très mal à l’aise dans plusieurs rues avec comme plafond un grillage destiné à protéger les passants des projectiles de toutes sortes lancés par des habitants colons, ou bien encore dans d’autres rues barricadées où toute vie commerçante a été évacuée au nom de la sécurité. On ne ressort pas en paix d’un tel parcours où les sentiments affluent, de la tristesse à la révolte, mais aussi sentiment d’impuissance de ne pouvoir rien faire là, maintenant, sinon de raser les murs parce que « les colons ont tellement peur qu’ils conduisent très vite et peuvent mettre en danger des piétons qui marcheraient  sur la chaussée et qu’ils pourraient considérer comme une possible menace ». Il est même devenu nécessaire qu’une ONG accompagne des enfants sur le trajet de l’école pour les protéger.

Heureusement toute la ville n’est pas dans cette ambiance du pire et dans plusieurs quartiers des rencontres paisibles peuvent avoir lieu, telle la coopérative Women in Hébron. Là, une centaine de femmes palestiniennes se sont associées pour commercialiser les broderies fabriquées le plus souvent chez elles et vendues lors de différentes manifestations en Palestine et dans un magasin du souk d’Hébron : « Cette rue peut parfois être ‘’agitée’’ par les colons et par les militaires, mais nous tenons à rester là, c’est notre manière de résister. Notre travail est basé sur l’idée que le développement de l’artisanat palestinien est générateur de revenus supplémentaires pour nos familles. C’est aussi une manière d’honorer le rôle des femmes dans notre société et un moyen de montrer notre fermeté par rapport à l’occupation de la Palestine et au mal qui est fait aux gens d’Hébron. Nous souhaiterions être plus connues, pouvoir aussi exporter nos broderies… ». Ce qui pour Jean-Marie Dansette, fondateur de Fipsouk (branche commerciale du Philistin), paraît « difficilement envisageable tant le marché français est saturé de broderies en provenance de multiples pays. Nous en avons un stock que l’on n’arrive pas à écouler. Reste la vente militante, à mon avis trop aléatoire pour maintenir des échanges commerciaux durables [entretien déc. 2013]« . En revanche les réputées céramiques et verreries des frères Natsheh qui nous ont également reçus, s’exportent plus facilement malgré les nombreuses difficultés administratives imposées par Israël à toute exportation, la Palestine n’ayant aucun pouvoir de décision dans ce domaine comme dans bien d’autres.

Hébron, là où se trouve le sanctuaire d’Abraham, m’est apparue comme une représentation fidèle de la réalité palestinienne dans laquelle la violence et le désir de vivre paisiblement en travaillant, en buvant un café, en palabrant assis sur le diwan, et pourquoi pas en priant…, se côtoient en permanence dans des murs de séparation faits de béton, de barbelés mais aussi d’incompréhension. « L’historien de la question coloniale qui observe ce type d’événement ne peut que faire le rapprochement avec les pires moments de l’Algérie française«  [Alain Ruscio, Le Monde diplomatique, 2013] ; j’ai également plusieurs fois pensé à l’Algérie tant les similitudes entre ces deux conflits me paraissent nombreuses. La politique d’Israël a créé et conforte une véritable situation d’apartheid, le mur en étant l’expression matérielle la plus visible : qu’est-ce qui peut bien justifier une construction de plus de 700 kilomètres tout autour de la Cisjordanie ; au nom de quoi, de quelles valeurs, de quelle humanité ?

Faire le Mur, et le défaire…

En 1989, le Mur de Berlin s’écroule annonçant non pas la fin du monde mais la fin d’un monde totalitaire, privé de libertés… ‘’Plus jamais ça !’’ proclame-t-on de toute part, et pourtant le ‘’ça’’ réapparaît violemment quelques douze ans plus tard, et deux fois plus haut à certains endroits comme ici à Bethléem.

En fait, le mur, simple ‘’barrière de séparation’’ pour Israël, est souvent montré dans sa construction en béton soit 10% seulement de sa longueur ; ce sont surtout de longues barrières électrifiées munies de capteurs électroniques sophistiqués, avec de chaque côté de larges routes en terre pour la surveillance militaire, et souvent, à nouveau une épaisse rangée de barbelés, le tout représente une largeur pouvant aller de 50 à 100 mètres. Des barrières, ouvertes de temps en temps, permettent de rares passages sous surveillance à quelques personnes autorisées.

Afin de protéger des colonies et des points d’eau importants, le mur fait de nombreuses incursions illégales en Cisjordanie d’où sa longueur de 730 kilomètres, alors que la frontière ‘’ligne verte’’ de 1948 fait 320 km !

Ces murs ont coupé en deux des villages, des quartiers, des propriétés agricoles, a séparé des familles, a squatté plusieurs centaines d’hectares de terres cultivables… Comme commentaire je précise simplement que le 21 octobre 2003 l’Assemblée générale des Nations-Unies a exigé (144 voix pour, 4 contre) qu’Israël arrête les travaux de construction de ce mur contraire aux dispositions pertinentes du droit international. Ce qui est confirmé en juillet 2004 par la Cour internationale de Justice saisie par l’ONU : « L’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international […] Israël est dans l’obligation de réparer tous les dommages causés par la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est » [ONU “La question de Palestine”]. Le pouvoir politique en Israël n’a tenu aucun compte de cette résolution, comme de beaucoup d’autres. « Aux termes du droit international, le mur/barrière et les colonies ne devraient pas être sur les territoires palestiniens occupés, mais la réalité sur le terrain est très différente, comme si un bulldozer était passé sur les Conventions de Genève et la Cour internationale de justice » [Amnesty International, 21 mars 2013]. Le mur continue à être construit dans la vallée du Jourdain tout le long de la frontière avec la Jordanie et dans peu de temps la Cisjordanie sera ainsi complètement murée.

Les actions palestiniennes contre le mur sont nombreuses : la partie en béton donne lieu à une expression picturale populaire qui peut être très belle et significative.

Une association, Stop the Wall, organise régulièrement des manifestations et cherche à informer le monde : « L’objectif de la campagne pour démolir le mur fait partie pour nous, à l’intérieur et en exil, jeunes et vieux, ceux qui sont morts, et ceux encore à naître, de la volonté de libérer la Palestine. Notre lutte est pour notre droit à exister librement, nous voulons également récupérer notre histoire et notre terre ancestrale, afin d’assurer un avenir juste pour le peuple palestinien. Notre vision repose sur la force et la fermeté qui, comme les racines de nos oliviers centenaires, sont profondément ancrées dans notre vie et continuent à nourrir notre résistance. Il n’y a pas de compromis possible et nous n’abandonnerons jamais nos droits fondamentaux, nous ferons tout pour éviter qu’une nouvelle ‘’Nakba’’ [la Catastrophe. Le “Nakba Day” est devenu le jour de commémoration de l’exode palestinien en 1948-1949] ne s’abatte sur notre peuple. »

Un jour à proximité de Tulkarem, région à forte potentialité agricole, on marchait le long du mur accompagnés par des agriculteurs ayant des terres de chaque côté. Ils nous font part des grandes difficultés qui leur sont faites pour accéder à ces terres : « j’ai sept hectares de l’autre côté, principalement des oliviers. On m’en arrache de temps en temps, alors on replante ! Je ne sais jamais si je vais obtenir l’autorisation pour aller tailler quand il faut le faire ; une fois, pour la récolte, on m’a accordé un droit de passage pour une seule personne et pour deux heures ! Soit ils le font exprès, soit ils ne savent pas ce que représente le travail de ramassage d’un champ d’oliviers : une personne, deux heures ! c’est inimaginable d’en arriver là ! À toujours devoir aller quémander des autorisations, c’est humiliant, mais on s’accroche car on tient à nos terres et on ne va pas se laisser faire ! »

Quelques pas plus loin on parvient à des barrières mobiles et de l’autre côté, à 50 mètres à peu près, un paysan palestinien est là attendant l’autorisation de pouvoir passer. Il se met à parler à très haute voix avec l’un de nos accompagnateurs : ‘’comment ça va ? Tu es avec qui ?…’’ Et au milieu de ces barbelés, l’émotion d’un souvenir : je me revois en 1943 âgé de cinq ans, chez ma grand-mère dans le Jura près d’un pont traversant le Doubs, sur une rive la zone occupée, sur l’autre la zone libre, deux larges rangées de barbelés coupe le pont en deux, de la famille de chaque côté, pas de laisser-passer… alors mes oncles et tantes s’interpellent de part et d’autre en criant : ‘’comment va ? Untel s’est fait tirer dessus par les ‘’boches’’ en essayant de franchir le Doubs à la nage…’’ Á l’époque, je n’avais certainement pas compris ce que cette scène signifiait, peut-être même s’en amusait-on avec mes cousins et cousines, mais aujourd’hui en Palestine j’en ai perçu tout le sens : on construit des murs pour se couper des autres, pour les humilier, pour occuper leurs terres, leurs maisons…, le prétexte de la sécurité devient alors dérisoire.

« Non seulement le mur et les zones franches qui le longent, sont de grosses entraves pour notre travail, pour notre vie familiale et sociale, mais ils ont également bouleversé l’équilibre écologique de la région, ainsi, des hectares entiers sont devenues inondables l’hiver ; et en saisons sèches les véhicules militaires qui circulent constamment et à grande vitesse le long du mur, soulèvent des nuages de poussière qui se déposent en quantité sur les récoltes, ce qui n’est pas bon du tout…, voilà ce que nous devons également supporter » [un agriculteur de Tulkarem]

La rencontre avec ces agriculteurs a été un grand moment. Malgré les nombreuses entraves qui leur sont faites, leur passion à cultiver leurs terres le long du mur, parfois mêmes surplombés par des colonies au toits rouges, est vécue comme une résistance à l’occupation. Ils sont rassemblés dans une grande organisation, l’Union des Comités de travail agricole (UAWC). Celle-ci couvre l’ensemble des territoires palestiniens, y compris Gaza, et assure un véritable rôle syndical : « Ensemble pour protéger les droits des agriculteurs. Notre travail fait partie de la lutte populaire et si notre action n’est pas super puissante, elle cherche à être constante. Nous avons des réussites certaines mais aussi des limites ; par exemple, comme le marché local est saturé, nous cherchons à exporter en particulier vers la Jordanie, mais ce n’est pas toujours évident car les services israéliens peuvent bloquer des produits frais pendant plusieurs jours, (c’est le cas aussi pour Gaza) et quand ils arrivent, ils sont bien entendu inconsommables. » À ce jour, cette organisation rassemble : 900 exploitations agricoles de type familial, 250 exploitations en production fruitière. 190 familles en difficulté reçoivent de l’aide. Elle emploie 80 personnes dont 15 agronomes.

L’UAWC cherche à protéger les terres palestiniennes de la colonisation et des expropriations israéliennes en remettant en culture des terres en friches en particulier à proximité des colonies, donc en zone C, « ce type d’action est loin d’être sans danger, c’est pourquoi, nous recherchons si possible la présence de volontaires étrangers, c’est une protection parce que les colons et l’armée sont moins agressifs quand ils sont là ». Elle propose des formations, des conseils pour l’amélioration des productions en se rapprochant le plus possible de la culture biologique (pas de nitrates) et pour l’exportation de produits, des aides à l’équipement (serres, tracteurs…), enfin des aides à des familles en difficulté pour cause d’emprisonnements, de décès… Elle est soutenue financièrement par plusieurs ONG dont Oxfam-solidarités et par l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) dont elle attend beaucoup pour le développement de son action.

Hébron, le Mur… comment est-il possible d’en arriver là ? L’Histoire permet-elle de mieux comprendre cette réalité d’apartheid ?

L’État des juifs ou l’État juif ?

Sur fond d’un antisémitisme permanent dans toute l’Europe (nombreux pogroms, affaire Dreyfus…), l’installation d’une communauté juive en Palestine a débuté à la fin du XIXe siècle et a été marquée à ses débuts par deux hommes qui, bien qu’ayant une vision politique différente, se rejoignent sur un but commun : la création de l’État d’Israël [Cf. Alain Gresh : Israël, Palestine. Vérités sur un conflit, 2002, éd. Fayard, et De quoi la Palestine est-elle le nom ? 2010, Actes Sud. Cf. également : Palestine : la stratégie du grignotage].

Le premier est autrichien, Theodor Herzl (1860-1904), journaliste. En 1896, il publie un ouvrage intitulé ‘’L’État des juifs’’, ou plus couramment par erreur de traduction sans doute volontaire, ‘’L’État juif’’ ; la nuance est importante : un État juif signifie un État religieux, y compris dans sa Constitution, alors qu’un État des juifs ou pour les juifs signifie, certes un État protecteur, mais qui peut être laïc. Mais l’essentiel est surtout dans ce que T. Herzl écrit : « Nous formerons pour l’Europe une tête de pont vers l’Asie, un bastion de la civilisation contre la barbarie […] Le pays s’étendra du Nil à l’Euphrate, et il faudra discrètement expulser du pays la population locale ». Ce vaste projet va être étudié dès 1897, en particulier lors du 1er Congrès sioniste, mouvement lancé avec succès par T. Herzl et dont il sera le président jusqu’à sa mort.

En 1901, il met en place le Fonds pour l’implantation juive et l’achat de terres en Palestine, avec l’appui efficace de la famille Rothschild et le consentement du Sultan de l’empire Ottoman dont la Palestine fait partie. L’achat de terre, considéré comme un élément essentiel du projet sioniste, permet d’installer les pionniers du Yichouv (désigne les juifs de Palestine avant 1948) ; les kibboutz s’inscrivent dans cette stratégie dès 1910. Ce fonds, connu sous le nom de KKL (Keren Kayemeth Leisrael), est devenu une immense institution internationale gestionnaire de milliers d’hectares de terre et de forêts en Israël et en Palestine dont celles acquises grâce à la fameuse loi israélienne de 1950, dite loi des absents, qui permet de saisir tous les biens (terres et habitations) des palestiniens en exil ou déplacés dans les camps (27 sur le territoire palestinien actuel et 32 en Jordanie, Liban et Syrie) depuis 1948 et 1967, et qui constituent la plus grande population réfugiée du monde : 750.000 en 1948-1949 et 200.000 après 1967 ; c’est l’un des points-clés des discussions, quand elles ont lieu, entre les autorités politiques des deux pays. [cf. “BADIL resource Center for  Palestinan residency and refugee rights” et revue “Migrations forcées”]

Aujourd’hui, T. Herzl est célébré comme un emblème d’Israël ; il est enterré avec toute sa famille sur le mont Herzl à Jérusalem. Et depuis 2006, une rue porte son nom à Paris… allez savoir pourquoi !

Le deuxième est anglais, Arthur James Balfour (1848-1930), conservateur, non juif et surtout homme politique d’une grand habileté. En 1917, ministre des affaires étrangères, il reprend l’idée de créer une tête de pont vers l’Asie et il écrit à Lionel Walter Rothschild, membre très actif du mouvement sioniste :

« J’ai le plaisir de vous adresser, au nom du gouvernement de Sa Majesté, la déclaration ci-dessous de sympathie à l’adresse des aspirations sionistes, déclaration soumise au cabinet et approuvée par lui.

Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays.

Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste. »

Même s’il n’est question que d’un foyer national tout en assurant, avec sans doute une bonne dose d’hypocrisie, que la population arabe conservera tous ses droits, cette lettre diplomatique rendue publique, est considérée comme le premier acte fondateur de l’État d’Israël.

A. Balfour, en fin stratège, sachant que l’empire Ottoman est en train de s’effondrer, estime que la Grande-Bretagne, laissant la Syrie à la France, aurait intérêt à occuper la région palestinienne pour plusieurs raisons géopolitiques : la redistribution des cartes au Proche-Orient doit être surveillée ; c’est la route de l’Orient ; le pétrole commence à faire son apparition dans plusieurs pays arabes, il va donc falloir l’acheminer dans de bonnes conditions.

Mais il estime aussi que son pays ne pourra s’installer durablement au Proche-Orient, d’où l’intérêt à encourager la venue massive d’une population juive : 56.000 en 1918, 550.000 en 1945 , imprégnée de culture occidentale et capable de civiliser les ‘’barbares’’ autochtones. Avec le soutien efficace du KKL, les nouveaux habitants de la Palestine s’installent, s’organisent administrativement et militairement (en 1948 l’armée israélienne comprendra 40.000 soldats bien équipés), sous l’autorité de l’Agence juive (David Ben Gourion en fut le président à partir de 1935), gouvernement officieux habilité à discuter avec l’occupant britannique, celui-ci regardant avec bienveillance cette installation et exerçant un rôle policier d’interposition car les heurts entre juifs et arabes sont fréquents et peuvent être violents.

En revanche, A. Balfour perçoit beaucoup moins l’influence grandissante des religieux orthodoxes dans le mouvement sioniste. Ceux-ci viennent en Palestine parce que Dieu leur aurait dit que cette terre leur était promise et quand Dieu dicte la loi c’est bien entendu indiscutable, quitte à bafouer le droit civil et les droits humains les plus fondamentaux.

Avec un tel projet, il paraît logique qu’en décembre 1947 se dessine la partition de la Palestine à l’ONU, puis en mai 1948 viennent la fin du mandat britannique et la proclamation de l’État d’Israël, aussitôt validée par la Grande-Bretagne, les États-Unis et, ce qui est plus surprenant, l’URSS, avec comme conséquence immédiate la Nakba de la diaspora palestinienne principalement vers le Liban, la Syrie, la Jordanie…

Le projet sioniste de Theodor Herzl est en grande partie réalisé et Israël existe désormais officiellement pour prendre progressivement, avec le soutien efficace des États-Unis, le contrôle du Proche-Orient avec une armée surentraînée parmi les plus puissantes du monde et un art consommé pour déplacer les conflits en dehors de ses frontières ; il en est ainsi dès 1948, avec les pays arabes qui ne reconnaissent pas son existence, mais se font vite remettre à leur place, puis avec à la guerre des Six jours en 1967, nouvel épisode dramatique pour l’avenir de la Palestine, enfin avec le Liban en 1982 et le massacre de Sabra et Chatila (camps de réfugiés palestiniens), perpétré par des milices chrétiennes sous le regard complice de l’armée israélienne, Ariel Sharon était alors ministre de la défense et voulait affaiblir l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat en lui faisant quitter le Liban trop proche de la Palestine, ce qui fut fait.

Les colonies aux toits rouges

Une fois la question libanaise temporairement réglée et les pays arabes mis au pas, Israël peut s’occuper d’accélérer le processus de colonisation de peuplement. Malgré les avertissements répétés et impuissants de l’ONU et de l’Europe, les différents gouvernements, qu’ils soient travaillistes ou conservateurs, décident avec régularité de construire plus de logements dans les colonies existantes, d’en créer de nouvelles et de valider les nombreuses implantations sauvages généralement projetées par des israéliens plutôt très croyants. Pour ces dernières la démarche est relativement simple : deux ou trois familles repèrent un coin de terre plus ou moins en friche, de préférence sur une colline, s’installent avec des caravanes ou des mobile-homes, commencent à cultiver les terrains alentour… et très vite l’eau, l’électricité, une route, apparaissent ; puis la construction en dur débute, d’autres familles s’installent, la colonie est clôturée, les hommes se déplacent rarement sans leurs armes, et si besoin l’armée viendra, non pas les expulser, mais les défendre des violences répétées des palestiniens ! Ariel Sharon, comme premier ministre (mars 2001-avril 2006), fut l’un des grands acteurs de cette colonisation avec les méthodes très musclées qui furent les siennes, et avec le but affiché du ‘’Eretz Israël’’ (le Grand Israël) englobant toute la Cisjordanie : « Nos ancêtres ne sont pas venus ici pour construire une démocratie mais pour construire un État Juif », déclarait-il au New York Times en mai 1993.

Dans ces villages-colonies les maisons bien alignées, genre lotissement, ont souvent des toits couverts de tuiles rouges, ce qui surprend dans un pays où les toits en terrasse ou en dôme sont plutôt la coutume. En fait, s’il s’agit d’un style importé d’Europe, il servirait aussi de signal préventif au cas où l’aviation israélienne serait amenée à bombarder la région !

Dans certains secteurs de la Cisjordanie, des villages palestiniens peuvent être quasiment encerclés par des colonies situées sur les collines avoisinantes, tels des sentinelles ou des avant-postes d’Israël.

Cette tactique d’encerclement, d’isolement, du faire peur, se pratique à l’identique en ville : Jérusalem-est, Hébron par exemple, où chaque maison conquise s’orne immédiatement de drapeaux, de caméras, de barbelés. Ce fut aussi le cas à Jaffa, rattachée depuis à Tel-Aviv : « Jaffa, l’une des plus ancienne ville arabe, était jusqu’en 1948 une ville portuaire avec une activité économique très importante (les oranges réputées), et un haut lieu culturel arabe. Mais Israël voulait cette ville pour agrandir Tel-Aviv et tout a été fait pour écarter le plus possible de palestiniens (expulsions vers Gaza et le Liban) et éliminer la mémoire collective arabe en changeant par exemple les noms des rues, des places, des bâtiments… La région proche est passée en quelques années de 120.000 palestiniens à 4.000 aujourd’hui, concentrés dans un seul quartier… Les israéliens nous ont tout volé, non seulement nos terres, nos maisons, mais aussi notre histoire. En quelques années l’une des villes les plus importantes du monde arabe a été réduite à un petit quartier-ghetto. Après cela, comment veux-tu éviter que le désespoir s’installe avec toutes ses conséquences : alcoolisme, maladie mentale, violence… ? »

Les accords d’Oslo en 1993 et 1995 n’ont fait qu’entériner et renforcer la main mise d’Israël sur la Cisjordanie avec le découpage du territoire palestinien en trois zones. La zone C, de loin la plus grande (65% du territoire), est entièrement sous contrôle de l’armée israélienne et rien ne peut y être entrepris sans son autorisation. Ces accords ont été très mal acceptés par un grands nombres de palestiniens et sont à l’origine du Hamas, qui en 2007 prend le contrôle de Gaza, et de la deuxième Intifada (guerre des pierres) qui débute en 2000 et se poursuit jusqu’en 2005. À partir de décembre 2008 la guerre se concentre sur Gaza où est concentrée la branche armée du Hamas. Aujourd’hui encore Israël n’hésite pas à bombarder régulièrement Gaza, territoire devenu de fait un immense camp depuis le démantèlement des colonies israéliennes en 2005 et le blocus qui a suivi, contraignant 1.700.000 personnes à vivre dans des conditions inhumaines, situation dénoncée régulièrement par des ONG dont Amnesty International : « Cela fait un mois que l’ensemble des résidents de la bande de Gaza vivent sans électricité la majeure partie de la journée et sous la menace d’une catastrophe sanitaire, après que l’unique centrale électrique de la zone ait dû cesser de fonctionner, ce qui a mené à des dysfonctionnements dans plusieurs stations d’évacuation des eaux usées et d’épuration. Ce dernier revers, particulièrement dur, meurtrit encore davantage la dignité des Palestiniens de Gaza, et exacerbe les graves privations de droits dont ils sont victimes depuis plus de six ans en raison du blocus imposé par Israël (et qui) inflige une sanction collective aux habitants de Gaza, ce qui est contraire au droit international.«  [A-I. | 2/ déc. 2003]

Vie économique en Palestine

En parcourant la Cisjordanie, je n’ai pas eu une impression de pauvreté, pourtant la situation économique est loin d’être brillante et la Palestine est un pays pauvre sur l’échelle mondiale, quelques chiffres comparatifs pour saisir l’importance de l’écart avec Israël [Sources : “Plateforme des ONG françaises pour la Palestine”] :

2012 Palestine Israël France
PIB par habitant en $

2 590

32 800

36 100

Rang mondial / 226

180

41

35

Taux de croissance

5%

4,8%

0,1%

Taux de chômage

23,5% (32 à Gaza)

6,9%

10,8%

L’économie palestinienne est pour un bon tiers constamment sous perfusion de l’aide internationale en provenance principalement des États-Unis, de l’Europe et des Pays arabes. Cette dépendance, à risques (suspensions par exemple) auxquels s’ajoutent les restrictions à l’exportation et les limites administratives imposées par Israël, ne facilite pas un développement économique qui permettrait de réduire un taux de chômage particulièrement élevé. Pourtant des collectivités territoriales et des organisations, dont l’UAWC pour l’agriculture déjà évoquée plus haut, recherchent des solutions locales tel un tourisme complémentaire à l’actuel très orienté vers les sites religieux. Des projets sont en train de se réaliser avec création de gites d’accueil, itinéraires de randonnées, valorisation de sites historiques…, tels Jéricho (avec l’aide de la ville de Lyon), Sabastiya, Der Istiya… Mais là encore, crise économique mondiale obligeant, les aides financières venant de l’étranger ont tendance à se réduire.

Résistance palestinienne

Depuis 1948, le rapport de force tant politique que militaire entre Israël et la Palestine est totalement disproportionné. De nombreux documents sur la situation s’accumulent sur les bureaux de l’ONU, des États-Unis, de l’Europe… et même si par hasard ils sont lus, leurs effets sont loin d’être visibles. Israël avance, imperturbable face aux injonctions internationales. Le projet de T. Herzl est en bonne voie : avec des outils particulièrement efficaces telles la loi sur les absents ou la multiplication de zones de sécurité interdites à toute activité…, 70% des terres sont ainsi devenues propriété d’Israël. Certes ce ne sera certainement pas le grand Israël de l’Euphrate au Nil imaginé par Herzl, mais en regardant sur la carte l’évolution géographique du territoire palestinien, on peut se demander ce qui pourrait bien empêcher la réalisation d’un État allant de la Méditerranée au Jourdain.

« L’avenir ? Quelle est notre force ? Les sionistes ont une armée super puissante, ils ont l’Europe, l’Amérique derrière eux… Nous n’avons que la force de dire NON… Actuellement le gouvernement d’Israël a manifestement l’option État juif, comment voulez-vous discuter à partir de cela, c’est profondément injuste. Je suis pourtant modéré, mais je ne peux accepter, pour moi, pour mes enfants, pour mon peuple, les inégalités, l’injustice qui nous sont faites ». C’est Sami Abou qui parlait ainsi lors d’une rencontre à Jaffa. Il est palestinien de nationalité israélienne ou comme on dit ‘’arabe israélien’’. Très attaché à sa ville, il a été élu deux ans et demi au conseil municipal de Tel-Aviv, en espérant pouvoir faire changer les choses de l’intérieur. Son pessimisme est-il le reflet d’une tendance générale au sein de la population palestinienne ?

La vallée de Nahal Kana vers Deir Istiya, riche en eau, a été classée parc naturel et interdite d’accès aux palestiniens : « Israël ordonne de déraciner 1.000 jeunes oliviers plantés dans la réserve naturelle par des habitants de Deir Istiya » [Haaretz, 1er mai 2012]. « Ça ne veut pas dire que l’on n’y va pas ! Si on obéit on va dans leur sens, ils ne veulent pas de nous ici ? Alors on résiste en transgressant… » J’ai déjà évoqué plusieurs fois comment des actes de résistance pouvait se manifester dans des activités professionnelles : femmes à Hébron, agriculteurs à Tulkarem, et bien sûr par l’activité militante d’associations telles Stop the Wall | Coalition civique pour les droits des palestiniens à Jérusalem | Badil

Toutes ces associations soutiennent les appels de Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) « Cette campagne a été lancée par la société civile palestinienne en 2005. Les Palestiniens font appel aux citoyens du monde, afin que prenne fin le plus long conflit de l’histoire récente, en leur demandant de boycotter tous les produits israéliens, mais aussi de pratiquer un boycott sportif, culturel et universitaire ». Trois militants BDS de Montpellier ont été récemment poursuivis avec comme chef d’accusation : « provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence’’, en référence à une circulaire de Madame Alliot-Marie lorsqu’elle était Garde des sceaux.

On pourrait multiplier les exemples. Il existe également une résistance plus directe avec des leaders connus tel Ali Jiddah : afro palestinien né en 1950, journaliste et guide, cinq enfants. Condamné en 1968 à vingt ans d’emprisonnement pour avoir posé des bombes à la gare de Tel-Aviv à la suite du bombardement par l’aviation israélienne en août 1968 d’un camp de réfugiés à Al Salt en Jordanie, tuant 25 palestiniens [résolution 256 Conseil de sécurité de l’ONU]. Il a été libéré au bout de 17 années en échange de trois soldats israéliens faits prisonniers. Il vit pauvrement en mauvaise santé, dans la vieille ville de Jérusalem, et parle le français appris en prison : « C’est très important pour nous que vous, français, soyez là, on se sent moins seuls, moins isolés… On veut vivre en paix avec les israéliens, mais on ne veut plus de l’occupation ! On ne peut continuer à vivre ainsi et je sens approcher une troisième intifada, avec toujours plus de violence. On ne peut pas jouer le rôle de Jésus tout le temps ! La troisième génération, celle de mes enfants, est incontrôlable, car elle est détruite. Ces jeunes ne craignent rien, il faut les voir quand il y a des confrontations avec l’armée ; pourtant je ne veux pas non plus que mes enfants vivent la même chose que moi, je voudrais qu’ils fassent des études… Mais je ne suis pas Gandhi et la guerre est là… »

Ali paraît en effet plus proche des positions de Nelson Mandela lorsque celui-ci évoquait à Gaza le 20 octobre 1999 sa rencontre avec Ehud Barak et Shimon Pérès : « Je leur ai dit qu’il ne sert à rien qu’Israël parle de paix tant qu’ils continueront à contrôler les territoires arabes qu’ils ont conquis durant la guerre de 1967 […] Il faut choisir la paix plutôt que la confrontation, sauf dans les cas où nous ne pouvons rien obtenir, ou nous ne pouvons pas continuer, ou nous ne pouvons pas aller de l’avant. Alors la violence peut devenir nécessaire« . [cité par Julien Salingue dans « Le pire n’est jamais certain, 2013]

Ali poursuit : « Quelle est la solution ? La meilleure serait sans doute un seul État, populaire, démocratique où juifs, chrétiens, musulmans, bouddhistes… vivraient en paix sans racisme, mais nous en sommes très très loin ! Et je ne le verrai certainement pas… Je suis pauvre et riche : je n’ai pas d’argent, mais je suis riche de l’amour des gens et du respect qu’ils ont pour moi, alors merci pour votre visite et parlez en France de cette guerre. »

Autre exemple et ce sera le dernier : Nabi Saleh, ce village est devenu parmi d’autres, l’un des symboles de la résistance. Lors de notre visite, nous avons été invités chaleureusement à venir boire le café par la famille Tamimi très impliquée dans la résistance locale et on nous a projeté une vidéo sur les manifestions pacifistes tous les vendredis et violemment réprimées par l’armée israélienne. Voici des extraits d’un récent rapport (23 déc. 2013) d’Amnesty international : « La colonie israélienne illégale de Halamish a été créée en 1977 sur des terres appartenant aux villages de Nabi Saleh et de Deir Nitham. Elle compte aujourd’hui près de 1 600 habitants et ne cesse de se développer. Début 2009, les colons se sont emparés de la source d’eau située sur les terres possédées et cultivées par les villageois, en ont fait un site touristique et ont commencé à bâtir dans la zone de manière illégale, détruisant des biens et zones d’agriculture palestiniens. En décembre 2009, les autorités israéliennes ont interdit aux Palestiniens, y compris aux propriétaires des terres, d’accéder à cette source d’eau et aux terrains qui l’entourent. C’est cet événement qui a conduit les villageois à organiser des manifestations régulières pour exiger l’accès à la source et à leur terre.

Ces marches, soutenues par des Israéliens et par des organisations internationales, sont systématiquement réprimées par l’armée israélienne qui n’hésite pas à tirer à balles réelles, balles de métal recouvertes de caoutchouc, grenades assourdissantes et lacrymogènes. Les forces de sécurité israéliennes ont ainsi tué deux manifestants et blessé des centaines d’autres depuis fin 2009. Aucune enquête ouverte par l’armée israélienne sur ces exactions n’a abouti. Le 5 décembre 2013, l’armée israélienne a annoncé sa décision de clôturer l’enquête sur la mort de Mustafa Tamimi tué d’un tir en plein visage au cours d’une manifestation en décembre 2011. Aucune poursuite n’a été engagée contre le soldat responsable du tir qui a déclaré ne pas avoir vu la victime.

En outre, l’usage excessif de la force par l’armée contre les manifestants affecte l’ensemble du village et pourrait constituer un châtiment collectif, interdit par la quatrième Convention de Genève« . manifestations de Nabi Saleh.

Quelles solutions ?

Ce n’est certes pas à moi de dire quelle serait LA solution pour arriver à une paix durable en Palestine et je ne peux que résumer ici ce que j’ai entendu et me poser quelques questions.

Dans son témoignage Ali Jiddad a fait état de la solution d’un État unique laïc et démocratique, il est loin d’être le seul à avancer cette hypothèse ; ce qui reviendrait sans doute au retour à la Palestine d’avant 1947, Israël perdant ainsi son identité ; mais un israélien, quel que soit son ancrage politique, peut-il envisager une seule seconde un tel recul, alors l’imposer par la force ? Pas un pays arabe, et la Syrie ou l’Égypte encore moins que jamais, ne veut et n’est en mesure d’intervenir militairement pour soutenir efficacement une révolte armée du peuple palestinien, ce serait une défaite rapide assurée avec un véritable massacre. Certains défenseurs de l’État unique avance également la solution fédérale type ‘’États-Unis de Palestine’’, je doute là aussi qu’Israël puisse saisir l’intérêt d’une telle solution.

Il paraît tout aussi important de s’interroger sur l’idée d’un État fondé sur un récit biblique, certes fort beau, mais qui reste un récit de la mythologie religieuse, croyances mais surtout pas projet politique ; comment peut-on en effet encore croire qu’un Dieu ait pris le temps de désigner un territoire comme terre promise à un peuple qu’il aurait élu pour cela ? La confusion État et religion, ne conduit-elle pas toujours à des catastrophes où les droits humains sont bafoués ? L’Histoire et l’actualité en sont le reflet permanent…

Dans l’immédiat le principe de réalité ne pousse-t-il pas à considérer la solution deux États comme la plus ‘’sage’’, à condition toutefois qu’Israël accepte, d’une part, de revenir aux frontières de 1967, ce qui aurait pour conséquences : négociation d’un démantèlement progressif des colonies installées en Cisjordanie, destruction du mur et des camps ; d’autre part, un retour étalé des réfugiés qui le demanderaient. Un tel projet pourrait se développer :

  1. dans la mesure où l’OLP, en perte de crédibilité dans l’opinion palestinienne, retrouverait l’unité qui lui fait grandement défaut ; la disparition de Yasser Arafat en 2004 n’a fait qu’aggraver des conflits internes, la mainmise du Hamas sur Gaza en étant la partie la plus visible. Beaucoup de palestiniens pensent que Marouane Barghouti pourrait être le leader charismatique, indispensable non seulement à l’OLP, mais à l’ensemble du peuple palestinien où sa popularité est grande, ce qui supposerait qu’il bénéficie d’une remise de peine très substantielle puisqu’il a été condamné cinq fois à perpétuité ! « Alors que moi-même ainsi que le Fatah dont je suis membre, nous nous opposons fermement aux attaques et à la prise pour cible de civils à l’intérieur d’Israël, notre futur voisin, je me réserve le droit de me protéger, de résister à l’occupation de mon pays et de me battre pour ma liberté […] Je suis encore en quête d’une coexistence pacifique entre les États égaux et indépendants que sont Israël et la Palestine, fondée sur le retrait complet d’Israël des territoires occupés en 1967 ». Un quotidien israélien de gauche considère que M. Barghouti « est vu par certains comme un Nelson Mandela palestinien, l’homme qui pourrait galvaniser un mouvement national divisé et à la dérive, si seulement il était mis en liberté par Israël » [Haaretz, 19 nov. 2009]. Une campagne internationale pour sa libération est en cours, espérons qu’elle aboutisse rapidement pour que se réalise ce qu’il a écrit en hommage à Nelson Mandela en décembre 2013 : « Depuis l’intérieur de ma cellule, je vous dis que notre liberté semble possible parce que vous avez atteint la vôtre. L’apartheid n’a pas survécu en Afrique du sud et l’apartheid ne survivra pas en Palestine. »
  2. dans la mesure où la pression internationale à l’égard d’Israël ne soit pas faite que de déclarations de principe. Beaucoup de palestiniens rencontrés nous ont interpellés à ce sujet : « Ce n’est pas de charité dont nous avons besoin. Nous demandons simplement de la reconnaissance et du soutien politique et économique de la part de la France, de l’Europe… Racontez ce que vous avez vu, entendu, faites connaître notre réalité, nos associations ; interpelez vos députés ; dites à vos connaissances de venir nous voir, elles seront toujours bien accueillies… ». Israël doit être contraint par des actes : « Croire qu’on peut favoriser un règlement politique en se bornant à faire assaut de protestations ou d’amitié entre les deux parties, assorties d’une condamnation de principe de temps à autre relève de l’illusion. » [Taoufiq Tahani, président de l’AFPS].

« On l’appelait Palestine. On l’appelle désormais Palestine ». Mahmoud Darwich. La Terre nous est étroite (2000, éd. Gallimard)


[1] Mandela Nelson. Un long chemin vers la liberté, 1995, éd. Fayard

[2] ONG Breaking the Silence, préface de Zeev Sternhell. Le Livre noir de l’occupation israélienne. Les soldats racontent. Éditions Autrement, 2013

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 Photos : G/P Thomé et Tamimi Press

8 réflexions sur “Palestine : un État

  1. Ton texte me semble bien illustrer la situation des Palestiniens et je suis tout à fait d’accord sur la nécessité d’interpeller en permanence les hommes politiques et l’opinion publique internationale sur le drame qui continue de se dérouler, notamment les exactions de l’état israélien.
    Pour ce qui est des solutions, quelles seraient les conditions à réunir pour une réelle avancée ?
    Je ne pense pas que les dynamiques internes au tête-à-tête Juifs – Palestiniens suffisent par elles-mêmes. Il faudra probablement un « coup de pouce » de dimension internationale, lié au contexte géopolitique du Moyen Orient.
    Je n’ai pas de réponse toute faite, mais, sur ce plan, je suis aujourd’hui plus optimiste qu’il y a quelques années.
    Bien sûr, la rente pétrolière continue d’alimenter la compétition entre les deux gendarmes régionaux qui s’affrontent sur le terrain, l’Arabie Saoudite et l’Iran. Elle oriente (et perturbe) le jeu diplomatique des USA et de l’Europe, pour lesquels Israël est à la fois un « problème historique » et une « base » stratégique, avec la Russie présente en arrière-plan.
    Mais les aspirations démocratiques qui s’expriment dans la plupart des pays environnants (le « printemps arabe » en Tunisie, Libye et Égypte, la Syrie, la Turquie, l’Iran, le Bahreïn…) débouchent parfois sur des avancées et leurs succès seront peut-être un facteur favorable.
    La déstabilisation interne des régimes autocratiques et de l’Iran pourrait peut-être:
    – éloigner la probabilité d’une guerre frontale avec Israël (avec le risque nucléaire qui va avec)
    – faciliter une évolution positive de l’opinion publique israélienne,
    – stimuler les pays occidentaux et le conseil de sécurité de l’ONU pour accroître les pressions.
    Bien sûr, ceci n’est qu’un rêve et les choses ne se passeront probablement pas ainsi, mais bon…

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  2. Bravo !
    Nos remarques :
    Le jeune soldat israélien d’origine français ne nous semblait pas exactement très engagé politiquement mais plutôt sans véritable objectif avec son seul BAC pour bagage dans une France qui néglige totalement l’avenir de sa jeunesse, c’était un chemin pour échapper au chômage (d’où sans doute le malaise de cette société israélienne mosaïque, le seul lien étant le judaïsme).
    Concernant toute la partie archéologique, nous trouvons qu’elle a beaucoup d’importance et qu’il était indispensable de visiter tous ces sites historiques, religieux. Nos racines se trouvent là aussi et c’est pourquoi le pays nous touche tant. Ce patrimoine impressionnant représente un enjeu considérable entre les deux parties, c’est aussi une richesse économique à ne pas négliger. Facette donc de notre voyage à ne pas éluder.
    Nous ne portons pas le même regard sur la colonisation française en Algérie et Maroc aussi le parallèle nous interpelle quand même! Nous ne sommes pas des spécialistes de cet épisode de notre histoire mais nés, l’un à Alger, l’autre à Meknès et ayant fréquenté les mêmes bancs d’école que les enfants algériens et marocains, dans la camaraderie, nous nous sentions chez nous de l’autre côté de la mer bien plus qu’ici.

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  3. c’est un document magnifique, juste, à la fois très personnel et très argumenté, bravo, félicitations, je vais le diffuser car , pour moi qui suis allée il y a bientôt 5 ans en Palestine, tu dis exactement ce que j’ai ressenti lors de ce voyage, sans avoir pu, à mon retour, développer comme tu le fais si bien, les arguments qui devraient permettre à chacun d’être convaincu de la justesse de la cause palestinienne

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  4. J’ai beaucoup aimé ce document qui est bien plus et bien autrement qu’un compte-rendu. Le lecteur est d’abord immergé dans la réalité quotidienne d’une des villes les plus « chaudes » : Hébron avec toutes ses dimensions : les grillages, l’apartheid, la peur, le mépris, mais aussi envers et contre tout, la broderie, la poterie et cette rage de vivre, de survivre à l’indécence de l’occupation israélienne…
    Puis on est amené à revisiter le pays dans son histoire ancienne de bien avant la Shoah, et jusque dans la bible avec la « consigne » de Dieu !
    Enfin l’on revient dans la réalité avec les manifestations pacifiques du vendredi à Nabi Saleh… L’espoir, certes bien faible, est présent incarné par Marouane Barghouti présenté comme le possible Mandela palestinien…
    Je retrouve dans ce texte les mêmes espaces que j’ai traversés au cour de mes trois séjours en Palestine : le mur à Bethléem, Hébron, le souk, le souffleur de verre que j’ai regardé longtemps admirative et subjuguée par le feu et cet art à transformer le verre par le souffle… le souffle de la vie palestinienne…

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  5. Comment « reconnaître Israël comme état indépendant » tout en lui refusant de sécuriser ses frontières ?
    Car c’est bien de cela qu’il s’agit ! Le « mitage » par les colonies juives et la conquête par l’appropriation plus ou moins forcée de Jérusalem, devant garantir un saillant de défense convenable. Il suffit de lire une carte de géographie pour appréhender la problématique …
    L’État d’Israël est une spoliation de territoires arabe , dès la création de cet état en 48.
    Les Arabes dans leur majorité n’ont jamais accepté et..n’accepteront jamais, la venue d’un peuple venant d’Europe et de Russie par un tour de passe-passe diplomatique des puissances anglo-saxonne, au sortir de la guerre de 39/45. Le tout basé sur l’expulsion manu-militati des autochtones et de conquêtes militaires a la Hussarde. La colonisation juive entre les deux guerres mondiales servant de prétexte.
    Comme il n’est plus question pour la Palestine de nier la présence de ce peuple voisin, mais bien d’imaginer comment vivre ensemble …dans peut être la coexistence de deux peuples dans un même état. Ne serait il pas souhaitable que nous Européens changions de paradigme sur la fondation d’Israël ?…et appeler un chat un chat ! La création d’Israël est illégitime… par contre sa population de par sa culture, son éducation et son génie propre peut permettre un « vivre ensemble » avec le peuple arabe environnant, riche de ses propres valeurs et qui sont bien proche pour permettre de se comprendre enfin.
    Nous… européens, restons enferme dans la honte de ce que nous avons laissé faire en 1933 et après …Les faucons sionistes et les relais d’opinions US usent et abusent de cela …

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  6. ce document est très important, il peut être envoyé vers des personnes pas du tout au courant de la situation en Palestine et elles comprendront peut-être mieux, c’est rare et c’est à souligner. Grand bravo et grand merci. l’AFPS ne me parait pas assez consciente de ce que peut apporter une offre touristique, comme Diwan le propose, pour aider à mieux cerner cette situation tellement complexe . La réussite de notre séjour s’explique déjà par le soin qui a été apporté avant notre voyage pour bien préciser nos attentes auprès de DIWAN. Impressionnant tout cela, vraiment ! Je vais bien sûr m’empresser de partager ce document autour de moi.

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